Articles

La Maison des journalistes aux côtés de l’Institut Européen Ouïghour

Ce vendredi 2 décembre, la Maison des Journalistes a accueilli la conférence de presse de l’Institut Européen Ouïghour, la veille de la marche contre le génocide Ouïghour à Paris. La présidente de l’Institut Dilnur Reyhan, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, le député Europe-Ecologie les Verts Yannick Jadot ainsi que la vice-présidente de l’Assemblée nationale Valérie Rabault (PS) sont venus soutenir la cause et s’exprimer au micro de la MDJ sur leurs prochaines actions législatives.

Après l’incendie d’un immeuble d’Urumti en Chine qui a fait 10 morts parmi la communauté ouïghoure, les Ouïghours en France ont voulu afficher leur soutien en organisant une grande marche contre le génocide samedi 3 décembre 2022, partant de Bastille. La marche avait pour objectif de rendre hommage aux victimes de l’incendie, apporter un soutien aux manifestations chinoises, ainsi que dénoncer l’inaction européenne et internationale face aux problématiques ouïghoures. « Cela fait plus de cinq ans » que le génocide se perpètre au su et vu de toute la communauté internationale, alors que « l’Europe peut faire peur aux gouvernements dictatoriaux. Jusqu’à quand va-t-elle rester amie avec ce régime totalitaire et génocidaire ? » s’est interrogée Dilnur Reyhan, aux côtés de Yannick Jadot, Valérie Rabault et Raphaël Glucksmann. 

La Maison des journalistes, refuge pour les journalistes Ouïghours

Dilnur Reyhan, une femme énergique et à la voix claire, n’a pas mâché ses mots. Elle a assuré que « la politique sanitaire actuelle contribue à l’éradication des Ouïghours. La méthode génocidaire prend des formes différentes : ils meurent de maladie, de famine, de censure… L’incendie d’Urumqi en est la preuve. » Dilnur Reyhan certifie en outre qu’il y a eu non pas 10 mais 44 morts dans cet incendie, d’après des informations publiées par des membres de la communauté sur les réseaux sociaux chinois Yokou et WeChat, effacées depuis. La version officielle aurait été diluée pour ne pas plus provoquer la colère du peuple et l’indignation internationale.

Une manifestante Ouïghoure.

L’incendie n’est que la goutte qui fait déborder le vase. Depuis quatre mois, la région du Xinjiang où vivent la plupart des Ouïghours est sujette à un confinement des plus stricts, où les immeubles sont condamnés pour empêcher les citoyens de sortir et s’enfuir. Ils y meurent de faim et de manque de soins. Le drame d’Urumti « n’est ni plus ni moins que la suite de la politique génocidaire menée contre les Ouïghours », a affirmé Dilnur Reyhan. En Chine, les manifestations contre les strictes politiques sanitaires du gouvernement ont permis de faire souffler un vent nouveau sur les revendications ouïghoures, déjà un peu plus prises au sérieux en Chine qu’il y a quelques années. « Nous assistons à une prise de conscience des Chinois quant au sort de notre communauté, alors que depuis cinq ans le peuple était totalement indifférent à notre sort. » Quelques journalistes d’origine ouïghoure sont également hébergés à la Maison des journalistes, dédiée depuis 20 ans à l’accompagnement et le logement d’informateurs réfugiés du monde entier. « Une maison d’utilité publique et indispensable », saluera Dilnur Reyhan à la fin de la conférence de presse.

Marcher pour dénoncer

Pour l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, la lutte ne doit certainement pas s’arrêter là alors que les Chinois font entendre leur besoin de liberté. « C’est notre devoir de rappeler que ces crimes ne sont pas anecdotiques et à mettre sous le tapis », a-t-il martelé. Autrement, la France et la communauté internationale « seront complices de ces crimes. »

De gauche à droite : Yannick Jadot (EELV), Valérie Rabault (PS), Raphaël Glucksmann (S&D) et Dilnur Reyhan.

Selon le député du groupe Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, il demeure impératif que « toutes les démocraties dénoncent le régime chinois et expriment leur solidarité envers les détenus ouïghours dans les camps, ceux morts brûlés vifs dans l’immeuble d’Urumti », ainsi que « soutenir les jeunes Chinois qui se soulèvent aujourd’hui en descendant nous-mêmes dans la rue. » Un soutien clairement affiché par les centaines de citoyens français sur la place de la Bastille samedi 3 décembre. Raphaël Glucksmann a indiqué au micro de la Maison des journalistes qu’il était fondamental « de se retrouver ensemble en France et dans les rues, aux côtés des Chinois qui se démènent contre le régime. » Il a dénoté que « pour la première fois, les Han (NDLR : ethnie majoritaire et historique chinoise) sont solidaires des Ouïghours dans leurs manifestations. » 

« En tant qu’européen, nous connaissons leurs intérêts. Nous nous devons désormais, en tant qu’êtres humains, d’être solidaires des autres. » Pour ce faire, l’eurodéputé a appelé au bannissement des produits issus de l’esclavage et à la surveillance des multinationales en relation avec des usines et entreprises chinoises, qui pourraient profiter de l’asservissement de la minorité musulmane pour produire à bas-coût. 

Des avancées législatives françaises et européennes

Les deux députés et la vice-présidente se sont succédé par la suite au micro de la Maison des journalistes pour détailler leurs actions et engagements envers les Ouïghours depuis plusieurs années. Valérie Rabault a tenu à rappeler la création d’un groupe d’études ouïghoures, fondé à l’Assemblée nationale au sein de la NUPES fin novembre. 

Ce groupe d’études ne fait pourtant pas l’unanimité au sein des députés de gauche, les Insoumis s’étant abstenu de voter une résolution reconnaissant le génocide ouïghour par la Chine fin janvier 2022 (à l’inverse de la majorité de l’Assemblée). Valérie Rabault compte bien « remettre la question ouïghoure au cœur de l’actualité parlementaire », notamment par le biais du groupe d’études. Pour la vice-présidente de l’Assemblée, « défendre les Ouïghours, c’est défendre les démocraties qui se fragilisent à chaque fois qu’elles s’assoient sur les droits de l’Homme. »

Le député Yannick Jadot a quant à lui dénoncé la politique sanitaire et totalitaire chinoise, arguant qu’il ne s’agissait plus « d’une stratégie de confinement mais d’enfermement, de séquestration. » Il s’exprime depuis des années sur le génocide aux côtés de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, l’un des premiers en France à dénoncer les exactions chinoises et les marques se fournissant dans les entreprises employant de force des Ouïghours. « La naïveté n’existe pas en politique, cela s’appelle de la cupidité ou du cynisme », a-t-il proclamé en parcourant la salle du regard. Il a ensuite pointé du doigt la responsabilité d’autres politiciens français, n’hésitant pas à qualifier l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin « d’agent du Parti Communiste Chinois en France, nous plaçant dans des rapports de dépendance vis-à-vis de la Chine. » 

L’ancien Premier ministre est connu pour avoir bâti une forte relation avec le gouvernement chinois notamment dans les domaines commercial et entrepreneurial, ayant reçu la « médaille de l’Amitié » des mains du président Xi Jinping et participant régulièrement à des émissions télévisées chinoises. Yannick Jadot évoque les camps d’internement dans le Xinjiang en tant que « camps de concentration et d’esclavage », assurant que les droits humains des Ouïghours ne sont absolument pas respectés.

Le député européen Raphaël Glucksmann en a également profité pour rappeler que deux textes législatifs seront prochainement discutés au Parlement européen, portant sur l’asservissement des Ouïghours. Le premier aura pour objectif l’instauration d’un « devoir de vigilance » de la part des entreprises en Europe, espérant « mettre fin à l’impunité des grands groupes » se fournissant dans les camps de concentration et travail forcé. Le second pourrait quant à lui prendre la forme d’une norme européenne pour interdire les produits nés de l’esclavage ouïghour sur le sol de l’Union, avec un renvoi systématique des produits visés. Encore faudra-t-il que le Parlement européen vote en faveur desdits textes.

Maud Baheng Daizey