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TOGO. La presse sous l’oppression incessante du pouvoir

Au Togo, les journalistes font face à une répression quotidienne malgré un semblant d’ouverture du Président Faure Gnassingbé. Pegasus constitue le dernier outil de surveillance utilisé par les autorités politiques togolaises. 

La liste des cibles potentielles du logiciel espion Pegasus, dévoilée lors de l’enquête menée par Forbidden Stories, recense 300 numéros de togolais·es. La majorité opère dans l’opposition au président de la République togolaise, Faure Gnassingbé. Ferdinand Ayité[1], journaliste et directeur de publication du bi-hebdomadaire d’investigation L’Alternative très critique du pouvoir a été sélectionné pour être ciblé par le logiciel d’espionnage. « Je n’ai pas été surpris », se remémore-t-il. « Mettre des journalistes sur écoute ou prendre le contrôle de leur téléphone à travers un logiciel […] vous donne une idée de ce que le régime pense de certains journalistes. Le système de répression de Faure Gnassingbé s’inscrit dans la continuité de son père. »

L’actuel président Faure Gnassingbé a pris le pouvoir après un coup de force constitutionnel à la mort de Gnassingbé Eyadema en 2005. Il brigue désormais un quatrième mandat à la suite de sa réélection le 22 février 2020. Son père était lui-même au pouvoir depuis le coup d’Etat de 1963. À de nombreuses reprises, des ONG ont dénoncé les pratiques de Gnassingbé Eyadema à l’image d’Amnesty International : TOGO État de terreur, 5 mai 1999[2] ; TOGO Silence, on vote, 23 avril 2003[3]. « Il n’y a pas à faire une quelconque différence entre le système du père et celui du fils. Leur objectif principal est de garder le pouvoir. Hier c’était peut-être brute, aujourd’hui c’est avec des gants de velours. Cela revient à la même chose », continue Ferdinand Ayité.

De son côté le journaliste de Freedom-fighter Basile Agboh nuance ce constat. Il perçoit une amélioration des méthodes mises en œuvre par Faure Gnassingbé : « Lorsqu’on compare les écrits auxquels on était habitué avec le régime Eyadema où de simples peccadilles pouvaient faire envoyer un journaliste derrière les barreaux à ce qu’on lit aujourd’hui, il faut reconnaître que le régime Faure respecte plus la liberté de presse. »

Pour autant, les atteintes à la liberté d’expression se sont accumulées ces dernières années. Les coupures des communications sont fréquentes. En 2020, lors de l’élection présidentielle comme lors des grandes manifestations de 2017, les autorités ont restreint l’accès à l’Internet. La Cour de justice de la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a d’ailleurs condamné les coupures de 2017[4]. En parallèle, les journalistes sont régulièrement opprimé·es lors des manifestations à l’image de Tesko Aristo, reporter à Togo Actualités. Alors qu’il tente de couvrir le 21 avril 2020 une intervention policière au domicile du principal opposant de Faure Gnassingbé, Agbéyomé Kodjo, le journaliste est interpellé par des agents de police aux côtés d’une consœur. « Quand nous sommes revenu·es pour chercher nos motos, un militaire s’est pointé et souhaitait les perquisitionner. Il a appelé quatre agents pour venir les chercher. Je me suis interposé », raconte-t-il. Les forces de l’ordre l’arrêtent et l’emmènent au poste du Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC). Il passe la journée enfermé. Les agents l’interrogent puis le relâchent vers 20h30. « Je ne suis pas le premier à être victime de cette répression ; beaucoup de journalistes l’ont déjà vécu. » Ce genre de pratiques sont courantes au Togo. Plus récemment, le directeur du journal proche de l’opposition L’Indépendant Express, Carlos Ketohou – visé par le logiciel Pegasus, a été embarqué de son domicile pour être interrogé dans les locaux du SCRIC après la diffusion d’une enquête mettant en cause deux ministres togolaises pour le vol de cuillères en or durant une réception officielle[5]. Robert Kossi Avotor, journaliste au bi-hebdomadaire L‘Alternative, enquêtait sur un litige foncier dans la banlieue nord de Lomé. Il a été tabassé par des gendarmes[6].

Un harcèlement judiciaire organisé

Les autorités togolaises possèdent un arsenal répressif bien plus conséquent : la loi. La révision du Code de la presse et de la communication en janvier 2020 a supprimé les peines privatives de liberté pour tous les délits de presse. Pour autant, il permet désormais d’infliger des amendes disproportionnées, par exemple, pour outrage au président de la République, aux parlementaires et aux membres du gouvernement[7] – un à trois millions de Franc CFA (1 520 à 4560 euros environ). Les journalistes peuvent également être poursuivi·es grâce au Code pénal[8] et à la loi sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité. Ce qui permettrait d’infliger des peines de prison pour la « publication de nouvelles fausses » (Article 497 du Code Pénal) ou encore pour « outrage aux bonnes mœurs » (Article 392 du Code Pénal). De plus, la loi sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité « contient des dispositions vagues relatives au terrorisme et à la trahison, qui prévoient de lourdes peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans, et pourraient être aisément utilisées contre des lanceurs d’alerte et autres personnes dénonçant des violations des droits humains », avertit Amnesty International. « Elle confère également des pouvoirs supplémentaires à la police, notamment en termes de surveillance des communications ou des équipements informatiques, sans contrôle judiciaire adéquat. »[9] Aucun journaliste n’est aujourd’hui incarcéré·e au Togo. Le pays se situe à la 74éme place 74 du Classement mondial de la liberté de la presse 2021 de RSF.

RSF (capture d’écran)

Sur cette base, Ferdinand Ayité subit un harcèlement judiciaire quotidien. Le 4 novembre 2020, le Tribunal de première instance de première classe de Lomé a condamné le journaliste et son média à une amende de six millions de francs CFA (9 170 Euros) pour « diffamation ». Il lui est reproché un article qui met en lumière une affaire de détournement de fonds, 764 millions d’euros, orchestré par deux fonctionnaires du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers (CSFPPP) dans le secteur pétrolier togolais. « Un procès parodie », estime-t-il. Les affirmations du journal seront confirmées par un rapport d’audit commandité par le gouvernement[10]. « Par ailleurs, après la publication de cet article, M. Ferdinand Mensah Ayité a fait l’objet de menaces, y compris de menaces de mort, et d’actes d’intimidation, notamment par le biais d’appels téléphoniques anonymes », ajoute la Fédération internationale des droits humains[11]. Tesko Aristo assure à son tour recevoir régulièrement de tels appels.

Simultanément, la Haute autorité de l’audiovisuel et des communications (HAAC) a suspendu le 23 mars 2020 la publication de deux journaux, L’Alternative et Liberté – respectivement deux mois et deux semaines, pour diffamation après une plainte déposée par l’ambassadeur français. Fraternité est à son tour suspendu pour deux mois en raison d’un article dénonçant la suspension de ces journaux d’opposition cités précédemment. « Bien que des restrictions au droit à la liberté d’expression peuvent être permises pour garantir la protection des droits et de la réputation d’autrui, de telles restrictions doivent être nécessaires et proportionnées », estime Amnesty International[12]. À la suite de l’affaire des « cuillères d’or » dévoilée par Carlos Kétohou, dont nous parlions précédemment, sur ordre de la HAAC L’Indépendant Express a été suspendu puis fermé définitivement le 15 janvier 2021. De son côté, L’Alternative a de nouveau été suspendu pour quatre mois après une plainte du ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière. Un membre de la HAAC s’est désolidarisé de cette décision estimant que l’instance « n’est pas restée fidèle au déroulé de l’audition » de Ferdinand Ayité[13].

 

Une justice et une régulation au service du pouvoir

Cette dissidence permet de s’interroger à la fois sur l’indépendance de la HAAC ainsi que de la Justice et les menaces inhérentes à cette situation. « La justice togolaise comme la HAAC sont loin d’être indépendantes », affirme Ferdinand Ayité. « Il existe des magistrats sérieux mais une grande partie de l’appareil judiciaire est sous les bottes de l’exécutif. » En effet, malgré les garanties, la Constitution et les lois ne garantissent pas l’indépendance de ces deux instances. « La Cour constitutionnelle en particulier, dont une majorité est nommée par le président et l’Assemblée nationale contrôlée par l’UNIR [L’Union pour la République, parti du Président Faure Gnassingbé], serait partisane du parti au pouvoir. Les juges des autres tribunaux sont nommés par l’exécutif sur la base des recommandations d’un conseil judiciaire, lui-même dominé par des juges de haut rang », avance l’ONG Freedom House [14]. La HAAC est aussi sous influence des autorités politiques. Selon la loi, l’instance de régulation est composée de neuf membres, quatre désignés par le Président et cinq par l’Assemblée nationale – majoritairement contrôlée par UNIR, dont deux sur une liste proposée par les organisations les plus représentatives de journalistes. Ces derniers ne disposent d’aucun mécanisme de recours contre les jugements de la HAAC.

Cette dépendance de la justice et de la HAAC à l’égard du pouvoir permet à la présidence de les instrumentaliser selon ses propres intérêts. Tesko Arsito se questionne : « Quand quelqu’un te donne à manger, peux-tu vraiment désobéir à ses ordres ? »

 

[1] https://forbiddenstories.org/fr/journaliste/ferdinand-ayite/

[2] https://www.amnesty.org/download/Documents/140000/afr570011999fr.pdf

[3] https://www.amnesty.org/download/Documents/100000/afr570032003fr.pdf

[4] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/06/togo-envoie-un-message-clair-que-les-coupures-volontaires-internet-violent-la-liberte/

[5] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20201231-togo-reporters-sans-fronti%C3%A8res-r%C3%A9clame-la-lib%C3%A9ration-d-un-journaliste-arr%C3%AAt%C3%A9

[6] https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/togo-un-journaliste-moleste-par-des-gendarmes-a-lome_1882260.html

[7] https://www.droit-afrique.com/uploads/Togo-Code-2020-presse.pdf

[8] https://www.policinglaw.info/assets/downloads/Code_p%C3%A9nale_du_Togo_(2015).pdf

[9] https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2018/12/togo-spiraling-violence-and-repressive-cybersecurity-law/

[10] https://icilome.com/2021/03/togo-petrolegate-osc-rapport-daudit/

[11] https://www.fidh.org/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/togo-condamnation-de-m-ferdinand-mensah-ayite-directeur-de

[12] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/03/togo-la-suspension-dun-journal-met-la-liberte-dexpression/

[13] https://icilome.com/2021/02/togo-suspension-de-lalternative-zeus-aziadouvo-se-desolidarise-de-la-decision-de-la-haac/

[14] https://freedomhouse.org/country/togo/freedom-world/2021

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Coup d’envoi du Réseau des Médias en France pour la Paix, des solutions concrètes en vue!

Le coup d’envoi du Réseau des Médias en France pour la Paix a été donné le 27 juillet à Paris par Wahib-Lucas Makhlouf, manager de HWPL France. Une vingtaine de personnes dont des journalistes et des citoyens ont pris part à la cérémonie de lancement qui a été organisée à l’hôtel Ibis, porte de Bercy.

La création de ce réseau dont l’initiative revient à l’ONG internationale, Heavenly, Culture, World Peace, Restoration of Light (HWPL), va permettre aux journalistes exerçant en France de se concerter, et de débattre d’une manière régulière des moyens de promouvoir les valeurs de la paix dans le secteur des médias.

Une plate-forme de partage d’articles dénommée “Peace Initiative” a été d’ores et déjà mise sur pied avec comme objectif la promotion d’un contenu médiatique valorisant la paix tant du point de vue du volume que de la qualité.


“Si les journalistes se dédient à l’effort de paix, les pensées des personnes et notamment des hommes politiques changeront”


“Nous avons réalisé qu’une seule réunion n’est pas suffisante pour partager le message de paix” a expliqué Wahib-Lucas. “Nous avons créé ce réseau a-t-il ajouté, car nous avons besoin de quelque chose de plus concret et de plus régulier”. Toutes les personnes qui travaillent dans les médias et qui souhaitent à travers leurs articles sensibiliser le public sur le thème de la paix peuvent rejoindre le réseau.

Selon le manager de HWPL France, le réseau est ouvert également aux étudiants, aux professeurs d’université des départements des médias et de la communication et à toute personne militant pour la paix.

Au sein  du réseau, les professionnels des médias trouveront les encouragements qui les aideront à prendre des initiatives ainsi que des outils à même de les éclairer sur leurs responsabilités envers le public. 

Invité à la tribune, le journaliste de la MDJ, Makaila Nguebla tout en se félicitant de cette “belle initiative” a souhaité que “la France puisse s’approprier le réseau”. Et d’ajouter “J’ai été séduit par l’action de HWPL. On a pensé à mettre en place un réseau pour les reporters de guerre mais pas pour les journalistes qui travaillent pour la paix” a-t-il déclaré. “Ce réseau est d’autant plus nécessaire que le monde est aujourd’hui dévasté et menacé par les conflits politiques, confessionnels, ethniques, les guerres civiles, l’insécurité et le terrorisme”.

Notons que la cérémonie a été marquée par la signature d’un contrat symbolique associant les nouveaux adhérents à HWPL. HWPL fut l’initiatrice en 2016 de la “Déclaration pour la paix et la cessation des guerres dans le monde”.

L’ONG espère soumettre ce texte l’année prochaine à l’assemblée générale de l’ONU en vue de le faire adopter comme une résolution ayant force de loi.

Le fondateur de HWPL, Man Hee Lee est un ancien soldat de la guerre de Corée (1950-1953) qui a vécu l’enfer des tueries à grande échelle. D’après lui: “Si les journalistes se dédient à l’effort de paix, les pensées des personnes et notamment des hommes politiques changeront”.

HWPL

C’est une ONG internationale affiliée à l’ECOSOC de l’ONU avec un statut consultatif. Depuis novembre 2016, elle a réalisé dans 22 pays 40 forums ayant réuni 176 journalistes. Ces forums autour du journalisme de paix visent à renforcer les valeurs humaines et de paix dans chaque secteur de la société : la politique, le social, la religion…

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Forum des médias pour la paix à Paris: un plaidoyer pour un réseau et un Prix des journalistes de paix

Le journalisme n’est pas un métier au-dessus de tout soupçon, une ONG internationale sud-coréenne, HWPL (Heavenly Culture, World Peace, Restoration of Light), vient de nous le rappeler à travers un Forum des médias pour la paix qu’elle vient d’organiser à Paris le 6 juillet dernier.

On se surprend donc à penser que la presse ne fait pas ce qu’il faut pour lutter contre toutes les formes de violence. L’intitulé du Forum dont c’est la deuxième édition est une question “Qu’est-ce que le journalisme de paix?”.


On a l’impression que certains titres [de presse] veulent davantage faire peur aux citoyens que de les informer et leur apprendre quelque chose” regrette un participant.


Une vingtaine de participants, principalement des journalistes et des citoyens ont tenté d’y répondre mais aussi de proposer une feuille de route afin de traduire dans les faits ce “journalisme de paix”.

Dans les débats qui ont précédé l’élaboration des réponses, la question de l’autonomie des médias vis-à-vis des pouvoirs politiques et des forces de l’argent a été soulevée avec insistance.

On a l’impression que certains titres veulent davantage faire peur aux citoyens que de les informer  et leur apprendre quelque chose” regrette un participant. Et d’ajouter: “L’information délivrée semble souvent être choisie et non réelle. Un business de la peur s’installe, aidé en cela par des journalistes complaisants qui contribuent à l’installation de l’inquiétude et de la peur généralisée”.


Uniformisation et conformisme ont découlés pour le malheur des médias, ce sont-là entre autres les constats qui ressortent de l’échange.


Si les maux du journalisme ne datent pas d’Internet, ce dernier les a néanmoins aggravés. Une certaine tendance à la facilité s’est exacerbée et c’est à qui mieux faire le buzz et sensation dans une course effrénée de clics et d’audience. Uniformisation et conformisme ont en découlés pour le malheur des médias, ce sont-là entre autres les constats qui ressortent de l’échange.

Un autre participant a souhaité voir les journalistes faire preuve de plus de responsabilité et travailler à une information axée sur les initiatives positives au lieu de tomber dans le piège de la culture de la violence. Le retour au journalisme militant (individuel et collectif) a été également évoqué en vue d’aider au “changement d’état d’esprit”.     

Le journaliste et blogueur tchadien Makaila N’guebla de la Maison des journalistes (MDJ) a plaidé d’emblée la création “d’un réseau pour les journalistes de paix”.

Selon lui il est nécessaire que cette catégorie de professionnels soit insérée dans un réseau qui la protège et renforce ses capacités matérielles et morales. L’idée a été unanimement bien accueillie.


“La plupart du temps, les journalistes n’ont pas le droit de choisir le thème des articles qu’ils rédigent…”


Philippe Triay de France télévisions a estimé de son côté que “la construction d’un réseau de paix indépendant pour les journalistes avec HWPL, nous permettrait de pratiquer ce journalisme de paix avec un grand volume d’informations mais en dehors du cadre du pouvoir et des lobbys” et de relever que “la plupart du temps, les journalistes n’ont pas le droit de choisir le thème des articles qu’ils rédigent parce que les éditeurs sont ceux qui décident de ce genre de chose”.

Pour sa part, le journaliste syrien de la MDJ, Sakher Edris s’est dit favorable à un “traitement équilibré de l’information”.

Je pense que la paix dans le monde est susceptible d’être réalisée si les médias publient des articles plus équilibrés et plus justes”a-t-il fait observer. Pour lui “les médias d’aujourd’hui ont tendance à se focaliser sur la violence, les conflits, la négativité et le sensationnel”.

Et d’ajouter : “La majorité des pays de ce monde clament être une république, cependant il semble qu’ils entravent le travail de paix en étant de “fausses républiques”, dans le sens où beaucoup de leaders cherchent à contrôler la société civile pour leur propre profit. Je pense a-t-il ajouté qu’un monde meilleur est possible si l’on apprenait aux citoyens et ce, dès leurs plus jeune âge, les valeurs de paix et de coexistence pacifique”.


Informer, enquêter, expliquer et au besoin, démystifier, déconstruire les propagandes des gouvernements et des multinationales.


Sarah Manar, une jeune avocate, a estimé de son côté que “ce serait vraiment bien si les journalistes étaient mis dans des conditions où ils peuvent écrire des articles pour le bien commun”.

Quant à l’auteur de ces lignes, également participant au Forum en tant que représentant de la MDJ, il a insisté sur la nécessité d’œuvrer pour le rapprochement des médias des sociétés civiles tout en estimant que le devoir des journalistes, si on veut renforcer la paix, demeure toujours le même : informer, enquêter, expliquer et au besoin, démystifier, déconstruire les propagandes des gouvernements et des multinationales. Et de proposer l’attribution d’un Prix pour récompenser un journaliste de paix.

Le coordinateur du Département des relations publiques de HWPL,Wahib-Lucas Makhlouf s’est dit “impressionné de voir les journalistes étudier leur propre rôle pour accomplir non seulement le journalisme de paix mais aussi la paix elle-même“. Il a déjà fait connaitre sa position : “construire un réseau de paix pour les journalistes est une excellente idée”.

Et de lancer : “HWPL est prêt à coopérer pour faire de cette idée une réalité”.

HWPL

C’est une ONG internationale affiliée à l’ECOSOC de l’ONU avec un statut consultatif. Depuis novembre 2016, elle a réalisé dans 22 pays 40 forums ayant réuni 176 journalistes. Ces forums autour du journalisme de paix visent à renforcer les valeurs humaines et de paix dans chaque secteur de la société : la politique, le social, la religion…

Presse au Maroc : de la censure à l’autocensure

[Liberté d’informer] Contrairement à l’image que le gouvernement marocain tente de promouvoir à l’étranger, la conquête de la liberté de la presse reste dans ce pays une bataille loin d’être gagnée. Une étude récente publiée dans l’Année du Maghreb (CNRS éditions) montre qu’il existe un fort décalage entre l’optimisme des autorités, qui affirment que le paysage médiatique marocain est libre et pluraliste, et les réalités observées sur le terrain par des organisations internationales telles que RSF, FH, Human Rights Watch ou Amnesty International.

Etat de la presse en Algérie : le témoignage de l’écrivain Boualem Sansal

[MEDIA] “En tant qu’intellectuel, je me sens le devoir de ne pas abandonner mon pays. L’Algérie a besoin de voix dissidante et d’intellectuels qui n’ont pas peur de dénoncer le manque de liberté de la presse dans le pays”. Il ne fait pas bon être journaliste en Algérie. Surtout si on critique le gouvernement. Ces dernières années, des centaines de journalistes algériens ont été emprisonnés à cause de leurs articles dans lesquels, d’une manière ou d’une autre, ils dénoncent le gouvernement dictatorial de Bouteflika.

Dans la société des héros… Attention, une vérité peut en cacher une autre !

C’est à se demander si l’on est encore en droit de prendre du recul. Reculer pour mieux sauter ? Non : reculer pour mieux voir. Parole de Yuan Meng, panda né en exil en France qui ose, ici et maintenant, s’interroger sur le spectacle donné depuis quelque temps en France.

Certes, on va me rétorquer que j’ai bien de la chance de pouvoir m’exprimer… Ce serait me donner encore un peu plus raison. Selon moi la chance c’est au Loto qu’elle a toute sa place et sûrement pas dans le domaine sensible de la liberté d’expression, l’un des piliers de la Démocratie. Alors : j’y vais. Je fonce (heu, virtuellement, bien sûr, parce que, pris dans mon enclos, pas possible d’aller bien loin, tu vois).

Alors voilà et voici, en quelques mots, dans mon bel élan doublé d’un remarquable esprit de synthèse, nom d’un animal à poils dressés, voici ce que j’ai à vous dire cette semaine, en trois points :

  • Il s’avère que je suis moi-même devenu une sorte de héros (bé oui) destiné à émouvoir le bon peuple et à servir de support à une conception de la politique qui rappelle de vieilles traditions royales. Vous savez : de cette époque où les ambassadeurs offraient des animaux au Rois de France afin de susciter leur bienveillance. M. Macron s’est plu à me voir. Il a eu raison.
  • Un migrant sans papiers, cet authentique héros (lui aussi), a eu le courage de grimper le long d’un immeuble parisien afin de sauver un enfant accroché à l’extérieur d’un balcon. Le monde entier s’en est ému. M. Macron s’est plu à le voir et à lui manifester sa royale bienveillance. Il a eu raison.
  • Je suis un héros, il est un héros, nous sommes des héros qu’il convient – bien que venus d’ailleurs – de vénérer. Vous n’avez pas le choix. Celui qui émettrait le moindre doute passerait pour un abominable, un rustre, un mal élevé, un ennemi de l’humanisme. A sa manière, M. Macron a raison, non ?

Reculez et vous verrez mieux !

Allez, come on, laissez passer la page de publicité qui précède et reprenez enfin le micro, le stylo, le clavier et la caméra.

Prenez donc un peu de recul, histoire d’élargir le point de vue. Oui, oui, oui : reculez, reculez… en prenant, bien sûr, le temps de regarder aussi derrière vous (dans ce genre d’exercice le précipice n’est pas loin et le parcours est toujours piégé). C’est fait ? Vous avez suffisamment reculé ?

Là, ça y est, vous le voyez le monde ? Vous la voyez la Méditerranée ? Vous les apercevez les barrières qui se ferment ?  Vous les entendez, les contes qu’on vous dit avant d’aller dormir ?

Moralité : dans les tempêtes il y a toujours des héros, debout, admirables et justement admirés… mais souvent placés tout devant, au premier plan, pour mieux dissimuler le décor, lequel n’est plus très frais. Non : pas frais du tout, nom d’un bambou !

Crédit : Sylvie Howlett

Yuan Meng

(Traduction de Denis PERRIN)

Journée mondiale de la liberté de la presse : 25 ans de lutte

Chaque année depuis 1993, le 3 mai a été proclamé Journée mondiale de la liberté de la presse par l’Assemblée générale des Nations-Unies. Depuis 25 ans, il s’agit de sensibiliser la population à l’importance des principes fondamentaux de la liberté de la presse. Le droit de vérité, la liberté d’expression et la déontologie du journalisme sont rappelés aux gouvernements du monde. Aujourd’hui encore, nombreux sont les journalistes ne pouvant exercer leur métier correctement. Ils sont harcelés, emprisonnés ou même tués dans l’exercice de leur fonction. Le bilan de ces 25 dernières années reste peu réjouissant.

 

France : Les lois liberticides s’imposent peu à peu. Dans l’Hexagone, les lignes éditoriales et la situation économique des médias sont de plus en plus menacées. Le fait que le paysage médiatique soit sous la coupe de grands groupes industriels joue beaucoup sur ces conflits. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête de l’Elysée, il semblerait que les médias soient de plus en plus écartés du paysage français. On peut notamment citer la nouvelle loi sur le secret des affaires qui stigmatise le journalisme d’investigation. Edouard Perrin, journaliste à Première Ligne annonce que cette loi entrave cette liberté fondamentale de la presse, car les journalistes ne peuvent, avec ce texte, relater une quelconque information secrète à l’entreprise. Celle-ci serait donc verrouillée et les affaires telles que LuxLeaks ou les Panama Papers ne pourraient plus être accessible aux citoyens. L’idéal serait, comme il le souligne “de rendre cette loi effective entre entreprises afin d’éviter tout contentieux entre les secrets marchands propres aux entreprises”.

 

Turquie : La plus grande prison de journalistes du monde. 151, c’est le nombre de journalistes incarcérés depuis des mois et même de longues années pour certains. Erdogan détient dans ses geôles les journalistes turcs s’étant opposés à son régime totalitaire. Depuis la tentative de coup d’Etat en juillet 2016, c’est plus de 160 organes de presse fermés.
Marie Jégo, correspondante du journal Le Monde à Istanbul explique que le monde des médias turc a été anéanti: 
“Actuellement ce qu’il reste peut se compter sur les doigts de la main.” raconte t-elle. L’argument de l’Etat turc donne bien le ton “ce sont des terroristes et non des journalistes”. Car oui, la centaine de professionnels des médias sont derrière les barreaux pour “propagande terroriste”. Marie Jégo ajoute: “les accusations n’ont aucun fondements, les dossiers sont vides”. L’état d’urgence en vigueur depuis juillet 2016 représente le prétexte parfait pour le régime qui peut alors instaurer des décrets qu’il est impossible de contester. La loi 6352 du 5 juillet 2012, prévoyant la suspension de toute poursuite et condamnations pour “délits de presse et d’opinion”, peut alors être ignorée. Sans une forte pression internationale, “Il n’est pas possible d’espérer” déplore Mme Jégo.

 

Enchaînement de drames en Europe. Dans le monde, une tendance s’est développée au cours des dernières années : la haine du journalisme et les attaques contre les membres de la profession, notamment au sein des pays des 28. Dernièrement, encore nombre de journalistes se sont fait tués pour avoir tenté de révéler une vérité dérangeante. Daphné Galizia, tuée dans l’explosion de sa voiture à Malte. Jan Kuciak et sa compagne, tués par balle en Slovaquie. Pauline Adès-Mével, responsable du bureau Europe/Balkans de RSF, explique ce phénomène déclarant que “les journalistes qui sont des vecteurs d’information souffrent d’un déficit de crédit car les leaders s’en prennent à eux”. On peut voir l’exemple de l’ancien Premier ministre Slovaque, Robert Fico, qui vilipende les journalistes mais aussi en France avec les propos de Laurent Wauquiez ou le comportement de Mélenchon à l’égard de la presse. Mme Adès-Mével ajoute que “la population est inspirée par les gouvernements” et tel un cercle vicieux, le résultat reste le même.

 

Journalisme collaboratif – Forbidden Stories : le journalisme continue. Depuis 10 ans, comme l’annonce RSF sur son site Internet, plus de 700 journalistes ont été tués dans l’exercice de leur fonction. Mais, ceux-ci ont trouvé la parade face à ce dramatique constat. Au fil des années, des consortium de journalistes se sont formés à travers le monde. La Fédération Internationale des Journalistes, qui compte plus de 600 000 adhérents dans 140 pays est l’organisation de journalistes mondiale la plus vaste à ce jour. Avec l’arrivée d’Internet, les journalistes s’organisent bien mieux, s’associent avec plus d’aisance mais surtout, dérangent les organismes ciblés par leurs enquêtes.  Le 31 octobre dernier, en réaction à la mort de Daphne Guzilia, le projet Forbidden Stories a été lancé. Inédit dans le monde du journalisme, ce projet a été salué par la profession. Comme Laurent Richard, fondateur de Freedom Voice Network, l’explique, il s’agit de “Poursuivre et publier le travail des journalistes menacés, tués ou emprisonnés dans le monde”. Une réponse solidaire aux ennemis de la liberté de parole. Les journalistes restent encore aujourd’hui, trop peu protégés par les lois et l’impunité des crimes dont les journalistes sont victimes est encore bien trop récurrente.