Après avoir dénoncé les conditions de vie inhumaines des camps de réfugiés en Haïti, – où certaines femmes n’ont d’autre choix que d’échanger leur corps contre un kit alimentaire – Djenyka Piverger, cette jeune journaliste de 24 ans a été contrainte de fuir son pays. Réfugiée en France et actuellement résidente de la Maison des Journalistes, elle raconte, pour l’Œil de la MDJ, la réalité de la situation dans son pays, et les raisons qui l’ont forcées à l’exil.
[Par Juliette Durand, publié le 15/04/2025 ]

“J’ai des enfants, je dois leur donner de quoi manger, je suis obligée d’accepter des rapports sexuels contre les kits humanitaires”, déplore une femme dans un camp de déplacés en Haïti, alors interviewée par la journaliste Djenyka Piverger.
Djenyka, après de multiples négociations, a réussi à entrer dans un de ces camps de déplacés, afin d’enquêter sur les conditions de vie des femmes. En interviewant nombre d’entre elles, des jeunes, des vieilles, des femmes enceintes, d’autres avec enfant,… elle apprend des choses terribles : Ces femmes sont forcées d’avoir des rapports sexuels avec des hommes armés du camp si elles veulent avoir accès à des kits alimentaires.
A ce moment-là, elle ne pouvait pas se douter que cette enquête marquerait la fin de sa carrière en Haïti.
Djenyka Pigerver est une journaliste haïtienne de 24 ans, spécialisée dans les questions de droit des femmes et des filles. Après avoir obtenu son baccalauréat, elle s’oriente vers une école de journalisme. Après ses études, elle commence à travailler pour des radios en tant que journaliste présentatrice. Elle travaille ensuite pour un média en ligne, Haïtinews2000, dans la presse écrite.
C’est lorsqu’elle exerce à Haïtinews2000 qu’elle va traiter du sujet qui la forcera ensuite à fuir son pays.
Alors que nous sommes face à face, assises dans la salle de réunion de la Maison des Journalistes, où Djenyka a posé ses valises en octobre 2024, elle nous explique, d’une voix douce et posée, la raison de sa présence en France.
“Je travaillais généralement sur des sujets sur la situation des femmes et des filles, notamment sur les violences qu’elles subissent”. Traiter de ces sujets l’a exposé à des menaces de mort la forçant à fuir Haïti.
Tout a commencé à changer quand Djenyka choisit de s’intéresser aux femmes qui sont forcées de quitter leurs maisons et de se rendre dans des camps de réfugiés. Après beaucoup d’efforts déployés, elle réussit à accéder à un camp afin d’interroger les femmes.
C’est là qu’elle apprend les violences et pressions sexuelles qu’elles subissent.
En se rendant dans un autre camp, elle y découvre la même réalité. Des viols sont perpétrés dans la majorité des camps les hommes forçant les femmes à des rapports en échange de la distribution de l’aide humanitaire.
Haïti : une population otage des gangs
En Haïti, sur cette île des Caraïbes, la violence des gangs a provoqué le déplacement de plus d’un million de personnes, dont un grand nombre d’enfants. Cette situation s’est largement aggravée depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021.
Quand les gang « prennent le contrôle de la zone où vous vivez, vous êtes obligé de la quitter, sinon vous risquez d’être brûlé avec votre maison, ou bien tué ou violé. Si vous avez la possibilité de fuir, vous fuyez”, raconte Djenyka. Ainsi, 750 000 personnes ont été forcées de fuir leurs domiciles entre janvier et septembre 2024.
Les populations déplacées se retrouvent alors à la rue, et nombre d’entre elles entrent dans des écoles pour se loger, ces dernières se transformant alors en camp de refuge. À l’intérieur, les femmes et filles sont à la merci des hommes qui se sont armés.
En juillet 2024, un rapport d’ONU Femmes a fait état des conditions de vie terribles auxquelles sont confrontées au moins 300 000 femmes et filles déplacées en Haïti. L’enquête confirme que “les filles sont exposées à des risques de violence sexuelle et basée sur le genre.”
Après avoir découvert cette dure réalité, la journaliste d’Haïtinews a voulu en parler, la dénoncer. C’est à ce moment-là que sa vie à changé.
Menaces de « viol et de mort »
“Un jour, j’ai reçu un appel”, nous dit Djenyka, les mains croisées, posées sur la table. “ On m’a dit que si je publiais mon texte, je pouvais me considérer comme morte.” Après ces menaces, par crainte pour sa sécurité, la rédaction d’Haïtinews et Djenyka ont préféré reporter la publication de l’article.
Quelque temps plus tard, alors que les menaces s’étaient dissipées, Djenyka décide de publier son texte. L’après-midi même, elle reçoit un appel : c’est sa voisine, qui lui apprend que sa maison a été incendiée. Elle a pu trouver refuge chez un collègue, mais les menaces ont continué, et se sont intensifiées. Même après avoir changé de numéro de téléphone, elle reçoit des messages, des appels la menaçant : “On m’a dit que si on me retrouvait, on allait me violer, me tuer, ça m’a vraiment choqué”, témoigne Djenyka, la voix tremblante.
“Un jour, j’ai dû retourner chez moi pour faire le constat des dégâts. À ce moment-là, deux hommes armés sont arrivés, j’ai réussi à m’enfuir par un chemin, mais je savais que j’avais échappé de peu à un enlèvement”, ajoute-t-elle.
“Après ça, je ne suis ressortie que pour aller faire une demande de visa à l’ambassade de France.”
« Tout recommencer »
« Partir, c’est tout recommencer à zéro » nous dit Djenyka d’une voix faible.
Assise sur une chaise, vêtue d’un t-shirt uni noir, elle revient sur ses adieux à sa famille et son arrivée dans son pays d’accueil.
L’émotion s’entend dans sa voix quand elle nous explique devoir recommencer des études, et devoir tout reconstruire. Quand on s’enquiert de la suite de son parcours de journaliste, elle nous explique qu’il est très compliqué pour les étrangers d’intégrer un média français. « Je m’oriente donc vers les ressources humaines », précise-t-elle.
Après une longue respiration, elle reprend : « Laisser son pays et partir à des milliers de kilomètres de sa famille, c’est très compliqué. Quand j’ai dû dire au revoir à ma mère, elle pleurait tellement, et moi aussi je pleurais ».
Aujourd’hui encore, bien qu’elle habite à Paris, Djenyka a peur car elle porte les traumatismes de son expérience passée. “Quand je vois une voiture stationnée dans la rue, avec quelqu’un à l’intérieur, j’ai peur. J’ai aussi souvent peur de me faire suivre.”
Mais malgré tout ce qu’elle a subi, Djenyka fait preuve d’un grand courage, et d’un optimisme qui fait sa force : “Tout ce qui compte, c’est vivre ma vie, continuer à vivre”, déclare-t-elle d’un ton déterminé.
Quel avenir pour Haïti ?
“La communauté internationale peut jouer un rôle, mais la solution doit émaner de nous. On doit changer notre façon de penser ou de faire. Se battre entre nous, se faire du mal, brûler des gens, c’est pas acceptable.” “Nous devons, nous, Haïtiens, faire le nécessaire pour trouver une solution.” conclut Djenyka, qui espère voir la situation changer dans son pays.
A lire également : Egypte. La loi sur le statut personnel entrave les droits de tutelle des mères