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Afrique du Sud : la vision de Mandela trahie

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

De la prison à la présidence. Telle a été l’apothéose du parcours politique de Nelson Mandela. Mais tout autant saisissant était cet espoir qu’il avait suscité de faire de l’Afrique du Sud une nation « arc-en-ciel ». Formule qui s’autorisait le rêve de voir cohabiter en harmonie les différentes communautés locales (Blancs, Noirs, Indiens, métis).

En clair, il s’agissait de maîtriser l’art du compromis entre les affres que nourrissaient les Blancs sud-africains, à la fin de l’apartheid (régime basé sur la ségrégation raciale), et les ardeurs des Noirs qui voulaient, à tout-va, vite jouir des effets de leur victoire.

L’homme était-il à la hauteur de ses ambitions ? Et, qu’en reste-t-il, aujourd’hui, 17 ans après son départ du pouvoir ?

Quand Mandela accède au pouvoir, en 1994, l’Afrique du Sud est partagée entre ravissement et sentiment de doute. L’apartheid était bel et bien aboli, mais on avait du mal à imaginer la notion de « paix des braves » faire naturellement carrière entre Blancs Sud-Africains (anciens dominateurs) et Noirs autochtones (anciens dominés). Tant ce mode de renversement des rapports de force ne rime qu’avec avec la violence.

(Source : IGEO TV)

(Source : IGEO TV)

Tel a été le cas, au Zimbabwe, au début des années 2000. Les Noirs avaient chassé 4 000 Blancs de leurs fermes, non sans effusion de sang, se disant être en bon droit de réclamer leurs « biens spoliés ».

En Afrique du Sud, par contre, Mandela a réussi à endiguer cette dérive va-t-en-guerre, alors que les crispations étaient au zénith. Aux uns, il a garanti l’application des accords signés en 1991 (Seven closes), assurant protection des Blancs, en tant que minorité ; aux autres, il est simplement parvenu à se faire écouter comme « chef et père ». A l’africaine

Absence d’un contrat social

Ainsi commença à se forger, lentement, mais sûrement, une nation « arc-en-ciel », à la recherche de l’unité. Avec, au départ, en 1995, cette image symbolique, forte, qui marquera toute la vie politique de l’ancien prisonnier : Mandela en maillot des Springbok, équipe sud-africaine « blanche » de rugby, considérée comme un des emblèmes de l’apartheid ! C’était, en Afrique du Sud, à l’occasion de la coupe du monde de rugby. Ce jour-là, dit-on, tous les mythes s’étaient écroulés !

L’après-Mandela est à situer sur un autre versant. Plutôt, celui de clivages réactivés ou imposés par le fait d’une direction politique dénuée de toute conscience nationale. Ainsi, « le pays est passé de l’apartheid racial à l’apartheid social », déplore Songezo Zib, journaliste sud-africain (*). Avec pour conséquence directe, la division dans les rangs de la communauté noire. Désormais clivée, celle-ci n’est plus un bloc monolithique. L’élite, qui roule sur l’or, se démarque clairement de la classe ouvrière. Qui broie du noir.

Les grèves à répétition dans le secteur minier – moteur de l’économie sud-africaine -, accompagnées de violence, en disent long sur l’absence d’un contrat social acceptable par tous dans ses grandes lignes.

(Source : AFP)

(Source : AFP)

Si la communauté blanche n’a pas éclaté, elle n’est pas moins bousculée par les effets néfastes de la mauvaise gouvernance du pays, qui fait que les Blancs riches sont devenus pauvres. Et les pauvres plus pauvres, au point de faire la manche. Ce qui a le don de renforcer, chez la plupart d’entre eux, l’idée de créer une « République libre ». Ce n’est pas une simple vue de l’esprit. Ils s’y préparent, militairement.

      L’Afrique du Sud se délite. A l’œil nu. Où est donc passé le grand rêve de Mandela ?

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(*) SONGEZO Zib, Courrier International, n° 1 140

Afrique du Sud : de la « xénophobie fratricide »

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Les mêmes causes (misère) produisant les mêmes effets (haine envers l’autre), les Sud-Africains sont revenus à la charge. Ils l’ont fait en mai 2008, ils récidivent en avril 2015, en accusant les étrangers africains d’être responsables de tous leurs maux. Parmi ceux-ci, ils citent la criminalité et le chômage, notamment.

©afriqueinside.com

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A ce titre, les étrangers africains sont molestés, tués et poussés, au mieux, à regagner leurs foyers. Leurs biens pillés ou détruits.

En 2008, les mêmes acteurs, c’est-à-dire la frange des citoyens sud-africains défavorisés, ont allumé les violences xénophobes, qui ont touché sept des neuf provinces du pays. Celles-ci ont été d’une telle cruauté qu’on avait déploré 62 morts, dont plusieurs victimes brûlées vives. Une vingtaine de Sud-Africains ont également péri, pris dans leurs propres pièges.

Pourtant, à l’époque, le pays affichait une bonne santé économique. La croissance, qualifiée de « robuste », caracolait entre 5% et 6%. Avec pour conséquence, un environnement propice à l’investissement privé massif. Un bon gâteau national à partager, entre tous, pensait-on !

Or, la réalité était moins lénifiante, car cette prospérité n’avait été profitable qu’à une « bourgeoisie noire » naissante, corrompue à tous les étages.  La situation des masses laborieuses allait donc de mal en pis, au point que les prix de logements dans les townships (villes-dortoirs) n’étaient plus accessibles à la bourse de plusieurs personnes.

Mais, comme c’est souvent le cas, partout au monde, l’angle d’appréciation conduisit les regards sur les étrangers africains, ces « métèques » qui volent les emplois des nationaux et favorisent la criminalité. L’étranger étant le bouc émissaire rêvé !

La première vague des violences xénophobes, en 2008, est partie de ce faux constat. Car, depuis, et,  chaque année, on parle de quelque 5 milliards de d’euros dont l’Etat est délesté, à titre de corruption. Et autres manœuvres frauduleuses. Au détriment de l’amélioration des conditions de vie des masses salariées. Les grèves à répétition déclenchées, depuis, sont à placer dans cette case.

La deuxième vague, celle qui court depuis début avril, participe de la même essence.

Le mal sud-africain est profond. L’économie du pays plonge, comme le montre la chute continuelle du PIB (Produit Intérieur Brut), depuis 2012 : 2,5 % en 2012 ; 1,9 % en 2013 et 1,1 % en 2014. Au mois d’avril 2015, le pays vient de perdre son rang de première puissance économique africaine au profit du Nigeria. Le PIB de ce dernier, en 2013, ayant atteint 372 milliards d’euros contre 280 milliards d’euros pour l’Afrique du Sud.

Une manifestation en l'honneur de Mandela ©latimes.com

Une manifestation en l’honneur de Mandela ©latimes.com

Le pays de Mandela doit, économiquement, se prendre en charge et changer ses orientations improductives. Les étrangers n’ont rien à voir dans sa dégringolade. Qu’ils se souviennent que ces Africains qu’ils déshumanisent, aujourd’hui, (Mozambicains, Malawites et Zimbabwéens) sont originaires des pays qui ont constitué, jadis, le « front line » (la ligne de front) pour combattre l’apartheid.