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Axel Salvatori : Cher Hassan, voici ma lettre

[Par Mohammad SHA’BAN]

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens.

Cliquez ici pour lire l’article en arabe paru sur Al Hayat, le 31 octobre 2014.

msErrant sur son vélo dans les rues de Paris, la capitale, le réalisateur français Axel Salvatori-Sinz essaie d’évoquer son vécu avec son ami martyr lorsqu’il l’a rencontré au camp de Yarmouk à Damas, avant la révolution.
Après avoir été projeté de nombreuses fois au cours de festivals et de célébrations cinématographiques divers, le film de Salvatori, intitulé Cher Hassan, a pris ses quartiers hier (le 30 octobre 2014, NDLR) au Festival du Film d’Abu Dhabi. Ce jour-là, après avoir appris la nouvelle du martyre d’Hassan, Axel était perdu, envahi de tristesse, ne sachant pas exprimer ce qu’il ressentait suite à la perte de son ami, jusqu’à ce qu’un journaliste le provoque en disant – d’après ce qu’a déclaré le réalisateur – : « Peut-être que, s’il avait fallu que tu fasses quelque chose, tu aurais dû le faire quand ton ami était en prison ». Il a pris sa caméra, est monté sur son vélo et, sans autre but, a sillonné les rues de Paris. Une pluie fine l’a secouru afin de dissimuler ses larmes ce soir-là.
Dans son court métrage documentaire (qui dure environ 4 minutes – 2014), réalisé avec un matériel technique de base, le réalisateur n’a pas eu recours à des procédés classiques, comme la concentration et la concision imposés par l’industrie des courts métrages. Il a choisi un mode d’expression direct, par le biais de commentaires synchrones qui apparaissent sur les scènes projetées.

Entre « ici » et « là-bas »…
Le film s’ouvre sur « ici » : la caméra est embarquée sur un vélo dans l’une des rues de Paris durant une nuit pluvieuse. Puis il se transpose « là-bas », au camp de Yarmouk (au sud de Damas, la capitale syrienne) : le mur d’une chambre fourmille de photos. La caméra se pose sur l’une d’entre elles ; une photo de la personne autour de laquelle le film s’axe : l’ami du réalisateur, Hassan Hassan, qui est mort sous la torture dans l’une des branches sécuritaires du régime syrien.
Les photos défilent et s’alternent, à un rythme relativement rapide. Hassan apparaît parfois, en compagnie de certains amis, ou encore avec sa femme Wa‘ad. Cependant, une scène symbolique qui sonde les profondeurs de ce fort paradoxe spatiotemporel va exiger du spectateur qu’il reconsidère la hiérarchisation entre « ici » et « là-bas ». Alors que la caméra-vélo continue de tourner en toute liberté, donnant l’impression que les rues de la capitale sont infinies, une courte scène s’y oppose, filmée dans l’une des rues du camp, en ce temps-là surpeuplé. Il semble que le tournage ait été réalisé en cachette, conséquence de l’interdiction imposée par le régime de Damas.
Tout au long du film, les scènes s’accompagnent, au premier plan, de la lettre du réalisateur à son ami : « Cher Hassan, c’est à mon tour de t’écrire… ». Pour certains, ceci peut sembler, à première vue, être une transgression du droit du spectateur à stimuler sa propre imagination. Cependant, un autre y trouvera peut-être un stratagème intelligent pour que s’imbrique ce qui relève du public (le spectateur) et ce qui relève du privé (le contenu de la lettre, monologue de l’auteur). Le jeune réalisateur a réussi à introduire un certain symbolisme en datant la lettre du 15 mars 2014, date qui correspond à la commémoration du déclenchement du mouvement révolutionnaire dans la Syrie de 2011. Dans une autre scène, alors que l’écriture s’interrompt au moment où la caméra s’arrête à un feu rouge, le réalisateur semble avoir précipité le film dans le piège de la sophistication.
En utilisant des phrases courtes et saccadées, qui disparaissent en fonction du mouvement égaré du vélo, le réalisateur rappelle son ami absent et rappelle également au spectateur les débuts de la relation qui les a liés ainsi que sa dernière visite en Syrie, en 2011, qui a pris fin à contre cœur : « Quelques mois seulement avant que le régime ne commence à faire pleuvoir des bombes sur le camp où tu habitais… ». Axel ne cache pas son sentiment d’impuissance vis-à-vis de la situation : « Trois années se sont écoulées sans que rien ne change en Syrie. Là-bas, chaque jour il y a de plus en plus de victimes, qu’est-ce que je peux faire ? ». Il conclut sa lettre en se demandant : « Qui sait réellement quelque chose sur le régime syrien ?! »

D’ici a commencé l’histoire…
Axel est arrivé en Syrie en 2006 et est resté au camp de Yarmouk. Là-bas, il a rencontré un groupe de chebabs, de jeunes, dont faisait partie le martyr dramatique Hassan Hassan. La relation sera couronnée plus tard par le film Les Chebabs de Yarmouk (2012, 90 minutes environ).
ms1Ce film, dont le travail a débuté à l’été 2009 et a duré environ deux ans, a été projeté lors de plus de 100 événements, dont au Forum des images à Paris il y a quelques jours. A ces occasions, il a récolté 9 prix et a été nominé plus de 50 fois.
Hassan, Wa‘ad, Tasnim, ‘Alaa, Samir et d’autres, à la fin de leur vingtaine (la troisième génération depuis la catastrophe, l’exode palestinien). Une chambre les accueille sur l’un des toits des bidonvilles de Yarmouk. Leurs rêves les ont dispersés par le voyage et en les délivrant de leur lamentable réalité quotidienne. Le moment de la projection a permis de les réunir sur un seul écran.
Cependant, il vient à l’esprit de l’un d’entre eux, qui n’est ni le réalisateur, ni l’un des chebabs, que les derniers mois du tournage pourraient constituer une preuve des premières manifestations exigeant la chute du régime en Syrie. En outre, les premières projections du film ont coïncidé avec le début des bombardements et la destruction de la région du camp. La situation de ce camp est la même que celle de la majorité des régions syriennes, aboutissant, du fait de sa population, à des destins catastrophiques avec des morts, des arrestations et l’asile, auxquels a succédé un siège asphyxiant qui a emporté la vie de dizaines de personnes, mortes de faim. Ces événements font revenir dans les esprits les images de la catastrophe de 1948, à la différence que les événements actuels sont agencés par la main de celui qui est supposé être un frère (c’est un long sujet).
Tout cela a donné au film un élan et un intérêt exceptionnels et lui a conféré un appui important qui témoigne contre une période charnière pour la vie de dizaines de milliers de personnes et au sujet d’un lieu dont la trahison et le feu ont baptisé la fin.
Dans les dernières étapes, le réalisateur français s’est retrouvé dans l’impossibilité d’aller à Damas pour finir le film, où toute présence étrangère requérait des procédures spécifiques exigées par le régime. En fin de compte, Axel laissera sa caméra aux chebabs et sera présent à travers les lettres qu’il leur avait demandé d’écrire (et qui résument leur relation dans le camp et les résultats auxquels ils sont parvenus). Alors, il lira chacune de ces lettres, en arabe classique, dans des scènes qui se rapprochent plus du monodrame théâtral que du cadre cinématographique.
A la suite des Chebabs de Yarmouk, à cause du désarroi, du désespoir, des adieux forcés, des espoirs et des rêves aussi, les personnages du film marchent en direction de leur propre histoire, vers un autre asile, par les airs, la terre ou la mer. Cependant, le martyr Hassan Hassan n’aura pas droit à ce luxe, lui qui, dans le camp, semblait être tenace, comme cela est exprimé plus d’une fois dans le film. Il était ce «cher Hassan».

 

 

Qui a dit que nous voulions rentrer en Palestine ?

Article de Mohammed Sha’ban, palestinien-syrien
Traduit de l’arabe au français par Aline Goujon
Article publié en arabe sur www.alaraby.co.uk

La distance qui me sépare de la Palestine me paraît si grande, autant qu’est éloignée la libération de la Palestine des intentions de ceux qui parlent en son nom. Le dernier moyen grâce auquel nous avions une idée de notre éloignement par rapport à la Palestine était celui que nous ont communiqué nos grands-parents : le nombre de nuits qu’ils avaient passées à dos d’âne ou, au meilleur des cas, de cheval.

Cartoonist : Hani Abbas

Cartoonist : Hani Abbas

Jusqu’à un beau jour de l’année 2008 où un ami m’a fait connaître le logiciel Google Earth, qui existait alors déjà depuis environ trois ans. Il se trouve que le logiciel avait récemment été enrichi d’un nouvel outil permettant de mesurer la distance entre un point et un autre de la surface de la Terre.
Je me suis mis à tester cette invention stupéfiante, en choisissant des lieux au hasard, parfois entre plusieurs États, d’autres fois entre plusieurs continents. Jusqu’au moment où j’ai appris, pour la première fois, la distance entre notre maison du campement de Yarmouk, au sud de Damas, et mon village palestinien occupé (Firim, dans la région de Safed) : 97 kilomètres seulement.
Quatre-vingt-dix-sept kilomètres qui m’ont conforté de plus en plus dans l’idée que nous sommes tout aussi colonisés que la terre, et m’ont fait prendre conscience de l’étendue du territoire que nous perdons à la suite de chaque discours ou sommet arabe au cours duquel est évoquée la Palestine.
Nous atteignons aujourd’hui le soixante-sixième anniversaire de la Nakba (défaite palestinienne contre Israël), dans un climat manifeste d’indifférence et de négligence concernant cet événement. Pire, les réfugiés palestiniens sont traités de la façon la plus ignoble, dans les pays frères-ennemis. Leurs pièces d’identité ne sont pas reconnues, voire, dans de nombreux endroits, ceux qui possèdent de tels papiers font l’objet de soupçons ou sont considérés comme des criminels, ce qui les conduit à être expulsés ou emprisonnés. Les exemples de tels cas ne manquent pas.
Oui, cela fait longtemps que nous avons quitté le pays pour la première fois, mais, pour ceux qui n’ont pas encore compris, je déclare à messieurs les acteurs du conflit israélo-arabe (gelé) :
Moi, citoyen palestinien réfugié pour la quatrième fois en 28 ans (en Syrie, Libye, Syrie à nouveau, au Liban, et à présent en France), bien qu’appartenant à la troisième génération depuis la Nakba et ignorant tout de la géographie des pays, je continue à plaisanter avec mon ami en lui disant : « Chez vous, à Safed, le sol de la ville est pavé de dalles », et lui me répond : « Chaque nuit, la mer est criblée de balles, chez nous, à al-Tira ».
Non, nous ne voulons plus rentrer en Palestine, parce qu’en réalité elle ne nous a jamais quittés.

 

Dans la carte ci-dessus, l’itinéraire le plus rapide entra Yarlouk et Safed conseillé par Google Heart. Au même temps, vous pouvez vois le vrai distance entra les deux villes : juste 97 Km.

Dans la carte ci-dessus, l’itinéraire le plus rapide entra Yarmouk et Safed conseillé par Google Earth. Au même temps, vous pouvez voit le vrai distance entra les deux villes : juste 97 Km.

 

 

 

 

Palestiniens de Syrie : « L’aide de l’Europe a été sacquée »

[Par Larbi GRAÏNE]  

 

La députée européenne EELV, Eva Joly, a déploré le 29 mars à Paris que le budget de l’Union européenne destiné à venir en aide aux réfugiés palestiniens de Syrie soit « sacqué » expliquant que c’est avec « l’argent humanitaire que l’UE met en œuvre sa politique agricole ». « C’est insupportable, dans le camp de Yarmouk où vivent les Palestiniens, on meurt de faim, et c’est de la responsabilité de l’Europe » a-t-elle tonné sous les applaudissements d’un public nombreux venu assister à une soirée de solidarité avec les réfugiés palestiniens en Syrie, organisée par le Forum Palestine, Citoyenneté Chababs El Yarmouk. Pour Eva Joly « l’UE se doit de mobiliser d’ici juin 2014, quatre cents millions d’euro pour pouvoir aider les Palestiniens de Syrie»

 

photo par UNRWA

photo par UNRWA

 

Agrémentée par un concert donné par le groupe de hip hop syrien « Refugees of Rap » et un récital de poésie déclamé par le poète et journaliste palestinien réfugié en France, Mohammad Shaaban, cette soirée a été marquée par plusieurs témoignages de militants palestiniens qui sont intervenus depuis Yarmouk via skype. Le blocus du camp damascène de Yarmouk où résident environ un demi-million de réfugiés palestiniens est à jusqu’à aujourd’hui (samedi 29 mars, NDLR) à son 261e jour affirme Abdallah al-Khatib, activiste palestinien basé au camp de Yarmouk. Celui-ci a dénoncé le silence de l’OLP qui selon lui « n’a pas aidé les réfugiés palestiniens ». « Le blocus a été décidé par le régime d’Assad à l’effet d’anéantir la cause palestinienne » a-t-il fulminé. Et d’ajouter « seule la pression médiatique a atténué quelque peu les effets du blocus car cela avait permis l’ouverture partielle du camp ». Faisant un état des lieux, El Khatib révèle que le dernier bombardement du camp qui remonte à trois jours avait fait 12 morts parmi les civils. D’après lui, à cause du blocus, 80 % des enfants souffrent de malnutrition alors que 20 d’entre eux ont perdu la vie. 125 personnes a-t-il ajouté sont décédées en succombant à l’épuisement et à la famine. « Le camp est rasé à 40% et la pénurie des produits alimentaires a fait flamber les prix » soutient-il non sans observer que « le riz revient à 200 dollars le kg » et que « les gens survivent en mangeant de l’herbe ». Et de déplorer encore « tous les hôpitaux, hormis un, ont fermé. Il y a pénurie des produits d’urgence comme le coton ou les désinfectants. Certains parents ne pouvant plus subvenir aux besoins des leurs, ont abandonné leurs enfants alors que certaines femmes ont dû verser dans la prostitution ».