Etre une femme journaliste en exil


A l’occasion de la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse, la Maison des journalistes et Magnum Photos se sont associés pour une exposition nommée “D’ICI”. Inauguré le 3 mai 2019, le vernissage a été suivi d’une table ronde sur le thème “La liberté de la presse, un enjeu rédactionnel et photographique” à l’Hôtel de Ville. L’opportunité pour Thelma Chikwanha et Rowaida Kanaan de se livrer sur leur condition de journaliste en exil.

Des itinéraires sombres et pourtant, le sourire n’a jamais quitté le visage des deux journalistes durant la rencontre-débat. A l’aide de leurs interprètes, les deux femmes se sont prêtées au jeu des questions dont les réponses touchantes débordaient de sincérité.

L’exil, une nécessité pour la survie

Rowaida Kanaan est une journaliste syrienne née à Damas en 1976. Elle a écrit pour plusieurs sites internet syriens en parallèle de son activité principale à la radio. Elle est arrêtée dès le mois d’août 2011 pour sa participation aux manifestations. Puis de nouveau en 2012, et en 2013, lors d’un contrôle à un checkpoint alors qu’elle est avec son compagnon. Elle est emprisonnée pour détention de carte de presse.


“Chaque minute, une femme est violée ou torturée en prison en Syrie”.


Avec émotion, Rowaida décrit la torture qu’elle a observée mais aussi subie en prison. De la même manière que les hommes, les femmes y sont battues, certaines subissant des violences sexuelles répétées. La gorge tremblante, la journaliste l’affirme, “chaque minute, une femme est violée ou torturée en prison en Syrie”. Des faits avérés passés sous silence par le gouvernement syrien.


Pour survivre, Rowaida n’avait pas d’autres choix que fuir.


Un départ similaire à celui de Thelma qui a quitté le Zimbabwe pour éviter le pire. Consultante en communication, correspondante pour One World UK, rédactrice politique pour les plus grands magazines, Thelma Chikwanha a couvert de nombreux évènements mondiaux.

Le 6 octobre 2016, elle se rend à l’aéroport à la demande d’un média pour prendre l’avion : direction la Suède pour assister à une conférence. A peine les portes franchies, la journaliste se fait attaquée. Ses effets personnels, son téléphone et son ordinateur lui sont arrachés. 3 jours plus tard, ses assaillants font irruption chez sa mère, retourne la maison et lui profère des menaces. Ils lui jurent de faire disparaitre Thelma de la même façon qu’ils avaient éclipsé l’un de ses collègues journalistes. Pour sa sécurité ainsi que celle de sa famille, Thelma Chikwanha décide de quitter le Zimbabwe pour faire de la France sa terre d’asile.

Rowaida KANAAN s’exprimant lors de l’événement #DICI à la Mairie de Paris : regards croisés entre journalistes exilés et photographes de l’agence Magnum.

Les premiers pas sur le sol français

La fraicheur et la pluie du 23 janvier 2017 ont marqué Thelma à son arrivée. Une journée d’hiver où elle est accueillie par une policière dont elle garde un sympathique souvenir. A cette époque, les mots “Bonjour”, “Au revoir” et “Je t’aime” constituent la base de son vocabulaire français. Ayant emportée son fort caractère avec elle et son franc-parler dans ses bagages, elle exige aux policiers du commissariat voisin d’appeler le 115, le numéro d’urgence pour l’hébergement.


Elle dit se sentir dans les premiers temps “comme un arbre arraché à ses racines”.


Elle est hébergée la première semaine puis fait la connaissance d’une famille qui l’accueille à Mantes-la-Jolie. “Je leur dois énormément” déclare t-elle avec émotion en pointant du bout des doigts l’une des membres de cette famille assise au fond de la salle.

Pour Rowaida, l’intégration semble plus rude. Arrivée en 2014, les débuts sont difficiles. Passé 40 ans, la journaliste en exil comprend qu’il est compliqué de décrocher un travail et d’apprendre une nouvelle langue qui lui est inconnue. Elle dit se sentir dans les premiers temps “comme un arbre arraché à ses racines”.

Rowaida garde tout de même en tête une anecdote qui l’a fait sourire. “En France, on a besoin de faire beaucoup de papiers” s’exclame t-elle. Après un an et demi d’attente, elle fini par obtenir ses premiers papiers officiels. Par inadvertance, elle perd son sac à main quelques semaines plus tard. De quoi décrocher un vif fou rire dans l’auditorium.

Thelma CHIKWANHA s’exprimant lors de l’événement #DICI à la Mairie de Paris : regards croisés entre journalistes exilés et photographes de l’agence Magnum.

Comment se reconstruire ?

Rowaida a choisi le théâtre dès son arrivé en France. Elle est l’une des comédiennes de la pièce “X-Adra”, un projet porté par Ramzi Choukair, comédien et metteur en scène franco-syrien.


Les journalistes savent où la trouver mais s’intéresse bien plus à la manière dont elle s’occupe d’un enfant plutôt qu’à son avis sur la situation au Zimbabwe.


Un décor où se mêlent témoignages de femmes, sur deux générations, passées par les geôles et la torture du régime syrien. Cette pièce est un moyen pour la journaliste de s’intégrer en France sans pour autant oublier son beau pays jalonné de problèmes politiques et sociaux. Pour elle, le théâtre est une forme de lutte. Thelma, de son côté, ne trouve pas la paix qu’elle recherchait en France. Lorsque Michel Urvoy lui pose la question de l’intégration, la journaliste débute un monologue passionnée sans laisser le temps à son interprète de traduire.

Thelma se révolte d’être une babysitter en France, elle qui a pourtant couvert des évènements majeurs tels que les élections américaines ou encore le G8. Selon elle, les journalistes savent où la trouver mais s’intéresse bien plus à la manière dont elle s’occupe d’un enfant plutôt qu’à son avis sur la situation au Zimbabwe.

Un sentiment partagé par une grande partie des journalistes en exil comme Maria Kuandika qui déclare “tels sont effectivement les secteurs les plus accessibles aux étrangers, pour ne pas dire aux réfugiés et aux migrants”.

Malgré la réintégration et la nouvelle vie qui s’offre aux journalistes, l’exil reste une blessure psychologique. Le temps apaise la douleur mais ne permet pas à ces femmes d’oublier qu’elles ont perdu leur statut pour lequel elles ont travaillé avec acharnement. La peur est définitivement présente mais l’envie d’écrire et d’informer reste plus forte. Comme le déclare Thelma, le journalisme, ce n’est pas une profession mais une vocation.