Depuis un mois, Jean Samuel vit à la Maison des journalistes pour prendre part au projet Voix en exil. Il a fui Haïti, un pays gangréné par la corruption, pour poursuivre sa vocation : le journalisme.
La rencontre entre Jean Samuel et sa vocation se sont faites tardivement, après s’être heurté au coût très élevé des études en Haïti. Pour lui, quel que soit le niveau d’études, son désir d’apprendre le mènera où il le souhaite. Pour mettre en pratique ce qu’il a appris à la faculté de gestion, on lui propose en janvier 2019 de pousser les portes de la radio. Souhaitant poursuivre cet apprentissage, il s’oriente vers une école de journalisme. “ J’aime ce que j’ai appris. J’aime les cours de journalisme, le reportage, le montage du son, l’interview ”. Étudiant dans l’école, il se projette comme journaliste de terrain.
Il décroche un stage à la radio en parallèle de ses études, où il n’a qu’une seule idée : apprendre à travers deux écoles, l’une pratique et l’autre théorique. Après ces six mois, il décolle et devient journaliste radio, passe d’employé à responsable et acquiert un poste à responsabilité. Il participe à des concours, en remporte certains et commence à être sollicité par ses confrères. À tel point qu’il décide, avec certains d’entre eux, de relancer le média en ligne Haïti News 2000 en pleine pandémie.
“ Je suis passionné par le journalisme, je mange de l’actualité, je respire de l’actualité, je vis ”
“ Le journalisme m’a tout donné ”
Pendant cinq ans, entre 2019 et 2024, il ne fait que du journalisme. Il commence par le canal de référence en Haïti, la radio. Puis il collabore avec des médias en ligne et devient journaliste multimédia produisant des articles de presse, des reportages audio ou vidéo et se forme à toutes les techniques journalistiques. Ses sujets portent en priorité sur l’actualité, mais aussi sur des sujets d’investigation, l’administration publique ou des sujets délicats et inconnus du grand public. Il donne pour exemple le cas de corruption dans la prison civile d’Haïti ayant créé une famine chez les détenus. Il évoque ses expériences au Burkina Faso et en Guinée avec beaucoup d’enthousiasme et souhaite les renouveler dès que possible.
Une vocation qui se heurte à la situation politique en Haïti
Jean Samuel souligne l’occupation croissante du territoire haïtien par les gangs. Depuis l’assassinat du Président Jovenel Moïse en 2021, le pays est gangrené par la corruption, restant sous la direction de la majorité du conseil présidentiel, dont les modalités de nomination manquent de transparence. D’après le journaliste, c’est avant tout aux personnalités politiques haïtiennes d’œuvrer pour améliorer la situation sécuritaire du pays.
Cependant, un changement interne et externe est nécessaire. Pour Jean Samuel, tant que la corruption et le laxisme des pays impérialistes persistent, la situation n’a pas de perspective d’amélioration. Il compare les cas de l’Ukraine et d’Haïti, pointant un traitement médiatique et une attention de la part des Etats-Unis radicalement différente, en dépit de l’assassinat du président haïtien à seulement mille kilomètres du sol américain.
Une détermination sans limites
Aujourd’hui, alors que lui-même, ses collègues et sa femme sont en fuite, ceux-ci tentent d’étudier les possibilités de poursuivre leurs activités à distance. Bien que cette distance soit une difficulté supplémentaire, une dizaine de sujets “brûlants” ont été documentés sans pouvoir être publiés. Certains attendent notamment le droit de réponse des personnes accusées d’actes malhonnêtes, voire criminels. Car les enquêtes dérangent de nombreuses personnalités influentes en Haïti. En dépit du retrait qui les oblige, les journalistes continuent à écrire. “ C’est sûr qu’on va recommencer, même si on est dans des pays différents, on va recommencer ”, affirme Jean Samuel.
Pressions et menaces
Les menaces deviennent insoutenables lors de sa dernière enquête visant des cadres de l’administration publique. Encore aujourd’hui, les révélations ne peuvent émerger en raison du risque encouru par les journalistes restés en Haïti. Aussi, les conditions de publications sont bien différentes de celles que nous connaissons en France, même en ayant toutes les informations nécessaires à la publication de l’enquête, il leur faut analyser les répercussions que pourraient engendrer leur publication.
“ On nous contactait en nous demandant : “Combien vaut cet article ?” Et ça, c’est ceux qui n’ont pas d’armes. ”
Les menaces deviennent insoutenables lors de sa dernière enquête visant des cadres de l’administration publique. Encore aujourd’hui, les révélations ne peuvent émerger en raison du risque encouru par les journalistes restés en Haïti. Aussi, les conditions de publications sont bien différentes de celles que nous connaissons en France, même en ayant toutes les informations nécessaires à la publication de l’enquête, il leur faut analyser les répercussions que pourraient engendrer leur publication.
Lors d’investigations visant des personnes haut placées, les journalistes se voient menacés et subissent d’étranges approches. Certains sont prêts à payer en échange de la suppression d’articles et des journalistes se voient obligés de changer chaque jour leur itinéraire pour contourner les menaces potentielles.
Fuir pour retrouver la liberté d’expression
Jean Samuel et sa femme ont choisi la France en novembre 2023. “ Si je quittais le pays, je voulais travailler pour un média français ”. Continuer de travailler en français a bien sûr été le moteur de son choix tout comme l’expérience de ses déplacements en France. Mais il espérait avant tout pouvoir continuer son métier “ peu importe le temps que ça prendra.”
Quatre de ses collègues ont été acceptés dans un programme humanitaire aux Etats Unis, mais se sont heurtés rapidement au coût de la vie élevé, devant souvent accepter un job alimentaire et stopper leurs activités journalistiques. Pour Jean Samuel, prendre le risque de s’éloigner de sa vocation n’était pas envisageable.
“ Je sais que c’est un métier difficile. Mais dommage, je l’aime ”
Quant à ses confrères restés en Haïti, certains sont en attente de Visas et restent non protégés, menacés par la police, certains hommes d’affaires ou des personnes influentes du pays. Cela explique la difficulté pour Jean Samuel de continuer de documenter la situation sur place par peur de les mettre en danger. “ Leurs visages sont connus, ils deviennent ainsi des cibles potentielles ”.
D’abord arrivé à Toulon où il attendait une régularisation de sa situation, il y faisait du bénévolat à Welcome Var, une association d’aide aux demandeurs d’asile. À Paris depuis seulement quelques semaines, il souhaite se consacrer pleinement au projet Voix en Exil. À travers le programme, il souhaiterait raconter l’exil des demandeurs qu’il a pu côtoyer, leur histoire et leur traversée sous des angles différents. Il insiste sur la difficulté de raconter leur histoire qui présente pourtant des points communs. Ses articles sont écrits et attendent seulement de prendre vie lors de leur publication. En particulier, il souhaite raconter l’histoire des migrants africains qui fuient leur pays en raison de leur orientation sexuelle. Il souhaite déconstruire l’idée de la seule raison économique qui pousse les africains à partir “ Ce n’est pas une crise qu’ils fuient, ils fuient parce qu’on veut les tuer pour leur orientation sexuelle. Je me suis dit, pourquoi ne pas raconter leur histoire ? ”.
Son parcours d’exil lui a fait apparaître le thème de la migration comme une évidence. “ Chaque fois que je pense à un sujet, c’est le premier thème qui me vient en tête ” Aussi, il est particulièrement sensible à l’égalité hommes/femmes. Il aime en débattre avec sa femme et a beaucoup travaillé sur ce sujet lorsqu’il était en Haïti. Son reportage audio “ Le corps des femmes, terrain de guerre des bandits ” a été sélectionné parmi les trois lauréats du prix Bayeux. Il envisage de candidater à d’autres concours comme le prix Albert Londres pour lequel il a déjà préparé un papier.