« La persécution ne s’arrête jamais » : à Cuba, les journalistes muselés par le pouvoir

Arrivés à la Maison des journalistes début janvier 2023, le couple cubain Laura Seco Pacheco et Wimar Verdecia Fuentes n’a rien perdu de sa verve. Ils ont toujours cette volonté de se battre pour la liberté de la presse et d’expression à Cuba, et ont accepté de nous détailler la censure subie sur l’île. 

Âgés respectivement de 29 et 35 ans, Laura et Wimar n’avaient jamais visité la France jusqu’à leur arrivée sur le territoire, le 9 décembre 2022. Lors de notre entretien, Wimar n’hésitera pas à s’emparer d’un marqueur pour expliquer sa pensée sur le tableau blanc à notre disposition. Laura, journaliste depuis 2018, a d’abord travaillé pour le journal gouvernemental Vanguardia, où elle produisait des articles sur des thèmes variés, mais principalement culturels. 

Le temps que j’ai passé à Vanguardia était dû à mon service social, qui est obligatoire dans un média d’État après l’obtention du diplôme”, explique-t-elle sur un ton mesuré. Elle y est restée trois ans, années durant lesquelles la jeune femme a nourri une forte envie d’indépendance. Elle finit par rejoindre le quotidien El Toque en janvier 2022, par amour de l’information libre. 

Laura en visite à Paris.

Plus de 1000 prisonniers politiques à Cuba

La presse indépendante est cependant interdite dans le pays par la Constitution cubaine, compliquant d’autant plus sa tâche. En septembre 2022, les pressions gouvernementales étaient telles qu’El Toque a connu une vague de démissions forcées. 

Dans un article datant du même mois, le média explique que « les scénarios d’interrogatoires et de chantage, ainsi que l’utilisation de la réglementation de voyage à plusieurs des collègues résidant à Cuba, ont fait que, jusqu’au 9 septembre 2022, le nombre de démissions de membres de notre équipe s’élevait à 16. » 

Face aux menaces constantes et sérieuses, Laura finit à son tour par renoncer « à la possibilité de travailler dans toute autre plateforme de journalisme indépendant à Cuba. » Ceux qui souhaitent continuer de travailler se voient forcés de le faire depuis l’étranger, au risque d’être emprisonnés, sans accès aux sources et informations gouvernementales. 

« Il y a aujourd’hui le journaliste Lázaro Yuri Valle Roca en prison, à ma connaissance », recense Laura. « Le bureau du procureur l’a inculpé des crimes présumés de propagande ennemie continue et de résistance. Mais il existe au moins 1000 prisonniers politiques à l’heure actuelle. Les disparitions et détentions de plusieurs jours sont monnaie courante à Cuba. »

« Beaucoup ne sont pas politiciens, la plupart sont accusés d’avoir commis des délits de droit commun. Ils sont considérés comme des prisonniers politiques à cause des accusations pesant sur eux : corruption ou espionnage, par exemple. » Politiques, sociaux, économiques ou sportifs, l’équipe d’El Toque tenait à couvrir tous les événements de la société cubaine, au grand dam du gouvernement.

Le caricaturiste Wimar avec sa nouvelle peinture.

De la pointe aiguisée de son crayon, le caricaturiste et illustrateur Wimar Verdecia Fuentes dénonce et défie le régime cubain depuis des années, notamment pour le quotidien El Toque. 

Membre de la presse indépendante depuis 2018, Wimar a d’abord entamé sa carrière en tant qu’illustrateur. Non sans fierté, il a confié au micro de la MDJ être l’un des premiers à introduire la caricature politique dans les nouveaux médias indépendants de Cuba : ses caricatures étaient publiées dans le supplément Xel2, appartenant à El Toque. 

Depuis septembre 2022, il fait partie du “Cartoon Movement”, et a déjà dessiné sur des sujets internationaux (la guerre en Ukraine), sportifs (la coupe d’Europe), ou sociétaux (les armes aux Etats-Unis). 

Encadré : [“Cartoon Movement” est une plateforme en ligne, destinée aux dessinateurs et caricaturistes du monde entier afin de publier leurs œuvres et obtenir une meilleure visibilité.]

Wimar était également le directeur de publication de Xel2. Sa démission a poussé la rédaction à fermer le site de Xel2, à son plus grand désarroi.

Peu à peu, leur travail au sein d’el Toque a suscité l’ire du gouvernement cubain. Le journal est devenu la cible principale de l’Etat car la population s’intéressait de plus en plus aux dessins de Wimar et aux articles de journalistes telle Laura.

Face à cette popularité dérangeante, le gouvernement cubain a resserré l’étau autour de la presse. Entre 2020 et 2021, la guerre est déclarée. 

Le taux de change, arme de la liberté d’expression cubaine 

« Le journal a publié le taux informel de change entre le dollar et le peso cubain, conduisant de nombreuses personnes à utiliser ce taux comme guide pour leur transaction, dans un pays où l’économie est fortement dollarisé », nous explique Wimar. 

« Après cette publication, El Toque est devenu très populaire aux yeux du public, le même taux était affiché partout dans le pays. Le gouvernement a alors estimé que 120 pesos égalaient un dollar américain (contrairement à notre taux), ce qui a fait monter les prix en flèche avec la spéculation. Ils ont ensuite rejeté la faute sur les journalistes. Mais le peuple n’était pas dupe, le gouvernement savait qu’il avait perdu sa crédibilité pour une grande partie des Cubains. Il a néanmoins maintenu son discours officiel pour ceux qui ont toujours foi en ses dires, mais il a perdu l’hégémonie de la communication grâce aux médias indépendants.”

De là, la vie de Wimar et Laura bascule. « La persécution ne s’arrête jamais. Jusqu’en septembre 2022, je n’avais pas de problème à être une journaliste indépendante. Mais à la fin du mois d’août 2022, les autorités ont visé tous les collaborateurs d’el Toque à Cuba et d’autres journalistes indépendants et militants politiques. »

Un matin, « ils sont venus chercher Wimar en voiture et l’ont emmené durant trois heures pour le menacer. Ils m’ont fait la même chose le lendemain, avec les mêmes menaces à la clé. Ils ont essayé de nous dissuader de continuer notre travail, mais nous avons poursuivi en catimini. » « Ils nous ont obligés à démissionner publiquement et à tourner une vidéo dans laquelle nous reconnaissons avoir travaillé pour El Toque et dévoiler notre salaire. »

Laura Seco Pachecho et Wimar Verdecia Fuentes quelques jours après leur arrivée sur Paris.

« Après cela, ils ont diffusé la vidéo à la télévision nationale en nous accusant d’être des mercenaires à la solde des Etats-Unis, en éditant la vidéo de sorte à ce que l’on pense que nous travaillions pour un gouvernement étranger, afin d’instaurer un changement de régime à Cuba et déstabiliser le pays. Ce type d’accusation est particulièrement utilisé contre les journalistes et les activistes politiques. » 

Heureusement, le journal est entièrement digital et une grande partie de ses journalistes est basée à l’étranger, lui permettant de continuer de tourner.

« A cause de mes caricatures dénonçant les abus du pouvoir, j’ai subi des persécutions et des interrogatoires », confie Wimar. « Ils m’ont forcé à quitter mon travail aussi, me disant que je risquais dix ans de prison si je refusais. Avec le supplément Xel2, nous avons pu contourner la censure à travers Xel2 à laquelle l’humour graphique est soumis depuis plus de 60 ans, notamment dans les médias officiels de l’Etat. » Le simple fait de publier « des articles qui sortaient de l’agenda gouvernemental exposant le gouvernement, était une gifle pour les censeurs », affirme Laura avec un sourire vaillant.

« Nous avons ravivé le goût pour ce type de journalisme et d’autres médias ont commencé à suivre, ouvrant une place à la caricature dans les médias indépendants. Le gouvernement ne pouvait pas laisser grandir une telle liberté. » 

« Certains journalistes ne peuvent ou ne savent pas comment quitter l’île »

Pour le dessinateur, « le gouvernement cubain poursuit même les médias de gauche qui défendent le socialisme. Même la simple initiative de communication venant de l’extérieur du Parti communiste est considérée comme suspecte et peut conduire à la persécution. Il n’y a pas de gouvernement de gauche à Cuba, il s’agit d’une oligarchie bureaucratique où le pouvoir est entre les mains de quelques proches de la famille Castro. »  

« L’économie, elle, est entre les mains d’un conglomérat d’entreprises militaires appelé GAESA. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs à Cuba, tout est contrôlé par le Parti. Cela génère un contexte sans garantie légale pour quiconque considéré comme un dissident. »

Si les deux journalistes sont parvenus à s’enfuir, c’est grâce au réseau international Cartoon for Peace et RSF. « Après nos démissions forcées, Wimar a demandé de l’aide au Cartoon Movement qui l’a mis en contact avec Cartooning for Peace. Ils nous ont aidés à obtenir nos visas et à nous installer à Paris. La France a un historique avec la liberté d’expression, et je pense qu’ils nous ont aidé pour protéger ces valeurs », analyse Laura, qui a connu la France à travers ses idéaux d’égalité et de liberté.

Un pouvoir très discret

Des idéaux auxquels le couple de journalistes et la population cubaine aspirent depuis des années. « Si Cuba demeure très discrète sur ses agissements et sa manière de faire taire la population, il est devenu de plus en plus compliqué pour le gouvernement de cacher ses violations des droits de l’Homme avec l’avènement d’Internet. Il y a cinq ans, on ne savait pas ce qu’il se passait niveau activisme, même quand Laura travaillait pour un journal gouvernemental. Internet a été un véritable levier pour la liberté de la presse. »

S’ils ont réussi à échapper à la dictature, ce n’est pas le cas de la majorité de leurs confrères et consœurs, dont ils essayent d’obtenir des nouvelles. « Certains journalistes ont décidé de rester mais sont toujours menacés, mais ils ne veulent pas quitter le pays qui les a vu naître. Il faut bien qu’il y ait des journalistes à Cuba, surtout indépendants, et d’autres ne savent pas comment quitter le pays. Ou bien d’autres encore préfèrent rester anonymes pour se protéger. » 

Désormais, Cuba est devenue trop dangereuse pour qu’ils puissent y travailler en toute sérénité : ils continuent donc leur combat depuis la France et la Maison des journalistes. Pour l’instant, Laura collabore de temps en temps avec El Toque et Wimar pour “La Joven Cuba”, où il dessine chaque dimanche une colonne humoristique. 

Mais ils ne peuvent pas recevoir de soutien en ligne, « le peuple cubain a très peur car beaucoup dépendent de leur travail avec le gouvernement ou craignent des représailles. Il existe une loi à Cuba permettant d’infliger une amende ou emprisonner quelqu’un pour avoir donné son avis sur les réseaux sociaux ou pour s’être moqué du gouvernement, alors personne n’ose rien dire. » Un phénomène loin de les décourager dans leur combat, qu’ils savent nécessaire et inéluctable. 

Maud Baheng Daizey

MORT À PARIS D’UN EXILÉ CUBAIN : JESÚS ZÚÑIGA

Par Jacobo Machover

Jesús Zúñiga à la Maison des journalistes. © Lisa Viola Rossi

Jesús Zúñiga était un combattant pour la liberté de la presse et pour la liberté tout court. Mais il était incompris car il avait osé s’attaquer à un régime communiste qui bénéficie encore de la sympathie de nombre de ses collègues journalistes et intellectuels à travers le monde, celui de la Cuba des frères Castro et de leurs épigones. 

Il y avait pourtant vécu l’enfer. Journaliste indépendant, c’est-à-dire en dehors de la presse officielle, entièrement inféodée au Parti communiste (unique) depuis le début des années 1990, il avait été harcelé par la police politique, la Seguridad del Estado, et détenu pendant plusieurs semaines dans ses locaux, que tous les Cubains craignent particulièrement. La raison ? Il racontait, pour les journaux et les radios de l’exil, principalement installés aux États-Unis et diffusant à l’intérieur de l’île, la réalité quotidienne, celle de la corruption (secret d’État !) et de la prostitution (comment ? cela ne pouvait exister dans un pays socialiste !). Il avait même été cité dans un discours par Fidel Castro en personne, pas de manière élogieuse, évidemment. Bien qu’il en fît un titre de gloire, montrant à qui voulait l’entendre l’exemplaire de Granma, le quotidien officiel, qui reproduisait l’interminable discours en question,cela pouvait lui valoir une longue peine de prison. Ce fut le cas, durant la primavera negra (le « printemps noir ») de 2003, pour 75 dissidents et journalistes indépendants, condamnés, en moyenne, à vingt ans (ils purgèrent pour la plupart sept ans, avant d’être envoyés loin de Cuba, en Espagne. Jesús Zúñiga échappa à cette rafle mais, dès lors, il savait qu’il était à la merci de n’importe quelle vague répressive qui pouvait avoir lieu par la suite et ce, jusqu’à nos jours.  

Sa collaboration avec moi, écrivain exilé, par la rédaction d’un chapitre d’un de mes livres, Cuba, totalitarisme tropical, ou par la participation à des revues, le condamnait à la répression à court ou à moyen terme. Il en fut averti lors d’une convocation -une de plus- au siège de la Seguridad. Dès lors, il fallait organiser son départ à l’étranger. Cela devait se faire avec  sa femme, Margarita, et sa fille, Amelia, mais pour des raisons tenant au désintérêt, à l’inconscience et l’irresponsabilité de diverses personnalités françaises de tous bords, cela n’a pu se faire. Jesús est donc arrivé en France en juin 2006, seul. Peu après, il a été accueilli à bras ouverts à la Maison des journalistes, qui est devenue, comme il ne cessait de le répéter, sa « maison ». Il convient d’en remercier ici Philippe, Manu, Darline, Viola, qui ont été ses protecteurs et ses plus proches amis, ainsi que nombre de ses collègues, auxquels il s’évertuait à rappeler avec conviction le sens de son combat. 

Cependant, personne n’a pu faire pièce à l’absence de sa famille. Il portait sur lui une éternelle tristesse, à laquelle personne ne pouvait pallier. Au départ, juste après l’éloignement du pouvoir de Fidel Castro, suite à sa maladie, à partir de juillet 2006, nous avons cru que son exil n’allait pas durer, bien que Raúl Castro lui ait succédé. Il s’est prolongé jusqu’à sa mort.

Pendant ces quinze ans, Jesús est devenu une personnalité de l’exil. Il intervenait régulièrement dans les médias français, se désespérant toujours du manque de réactions aux injustices commises dans notre pays. Il organisait des débats et des réunions autour de la situation à Cuba, qui reste désespérément la même depuis des décennies. Il participait aux manifestations hebdomadaires devant l’ambassade castriste à Paris pour réclamer la libération des prisonniers politiques, dont bon nombre étaient ses amis. Par là, il a contribué grandement à la liberté qui vient, comme l’annoncent les manifestations spontanées contre le régime du 11 juillet 2021, qu’il a suivies avec enthousiasme et espoir.

J’ai malheureusement l’habitude d’apprendre à intervalles réguliers la mort de mes frères d’exil, dispersés aux quatre coins du monde. Mais celle de Jesús m’a particulièrement touché : c’est celle d’un frère de cœur, qui avait fait de la France, malgré toutes ses souffrances, sa terre d’asile. Il nous reste à perpétuer une solidarité toujours vivante envers sa mémoire et sa détermination à voir un jour, de là où il est, sa terre natale, qui est aussi la mienne, enfin libre de la tyrannie, qu’il a combattue de toutes ses forces.   

L’homme politique haïtien Jerry Tardieu visite la Maison des journalistes

Pendant sa tournée pour sensibiliser les médias et différentes institutions européennes sur la crise actuelle d’Haïti, l’ancien député et leader du mouvement politique En Avant, Jerry Tardieu, a accepté d’accorder un entretien au journal en ligne de la Maison des journalistes.

Par Anderson D. Michel

Jerry Tardieu, âgé de 54 ans, est un homme politique, un ancien député de la 50ème législature en Haïti (2016-2020). Il a lancé en octobre 2021 son mouvement politique En Avant. Selon lui, En Avant part d’une volonté d’hommes et de femmes de se mettre ensemble pour fournir à Haïti une offre politique différente de ce qui est à l’œuvre dans le pays. Un mouvement politique qui est constitué surtout de jeunes leaders en vue du renouvellement de la classe politique actuelle.

Axée sur trois piliers, la jeunesse, la femme et la diaspora, ce mouvement politique à travers son leader entend porter un souffle de changement à Haïti.

Jerry Tardieu : « Haïti est un pays en danger »

Le point sur la situation actuelle d’Haïti

Depuis plusieurs années, Haïti traverse une période très chaotique, tant au niveau des catastrophes naturelles que politiques. Le phénomène d’insécurité n’arrête pas de s’accroître sur l’île. Et les derniers rapports de l’ONU et d’autres institutions habilitées, font état d’une augmentation de 200% des cas d’insécurité dans le pays. Le leader de En Avant nous explique que le pays fait face à une crise multidimensionnelle, une crise institutionnelle, politique, économique et sécuritaire. Selon lui, les autorités expriment clairement leur impuissance par rapport au phénomène de gangs armés sur territoire haïtien qui, depuis plusieurs années, tuent, pillent, violent en toute impunité.

Jerry Tardieu affirme que le premier objectif de En Avant est de restaurer l’autorité de l’Etat et la sécurité en Haïti : « Il faut que les Haïtiens puissent vaquer librement à leur activité, quelle que soit leur condition sociale et les villes dans lesquelles ils vivent. Pour cela, la création au sein de la Police nationale d’une nouvelle structure anti-terroriste avec un équipement adéquat permettra de lutter contre les milices armées qui gangrènent le pays ».

L’ancien député revient sur son expérience au parlement haïtien.

 « Mon expérience à la chambre des députés a été une expérience enrichissante. Le parlement vous aide à mieux comprendre les rouages de l’administration publique, du système politique. Cela permet aussi de comprendre le mécanisme de cette grande corruption qui existe dans le pays », explique Jerry Tardieu. Se qualifiant d’ancien député de la minorité, il regrette de ne pas avoir eu la possibilité de tout faire à cause de la dictature du nombre qui règne au parlement haïtien. L’homme politique revient sur les différentes propositions de lois qu’il a présentées durant son mandat, notamment celles sur la Police nationale, la double nationalité, l’introduction du crédit bailleur comme outil financier. Il rappelle que certaines de ces propositions de lois ont été adoptées par décret et ont eu un impact considérable sur la société haïtienne.

Les priorités de En Avant

Donner à la police nationale d’Haïti la capacité de protéger et servir est la première préoccupation du mouvement politique En Avant, insiste Jerry Tardieu. Il parle aussi de l’emploi en faisant remarquer qu’il y a dans le pays beaucoup de jeunes diplômés et talentueux qui, malheureusement, ne peuvent pas trouver de travail. « Notre responsabilité est d’assurer les conditions aptes à garantir l’investissement privé, local ou étranger qui peuvent faciliter la création de millions d’emplois dont le pays a besoin », souligne l’ancien député. Il parle de d’éducation en soulignant, qu’en Haïti, il y a 4 000 000 d’enfants pour budget de 200 000 000 de dollars affectés à l’éducation. Ce qui représente un investissement de 50 dollars par année pour chaque enfant. Une situation que le député juge anormale en la comparant à celle de la République Dominicaine, le pays voisin d’Haïti, qui consacre 1000 dollars par année pour l’éducation de chaque enfant.

Des élections en 2022 ?

Pour Jerry Tardieu, les conditions ne sont pas réunies
Pour organiser les élections en Haïti, en raison de l’instabilité politique et la situation d’insécurité. « Quand est-ce que les conditions seront réunies ? On ne le sait pas. Mais elles devraient l’être tôt ou tard, parce que la démocratie passe par les élections », conclut-il.

Jerry Tardieu avec Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes

Jerry Tardieu interviewé par le journaliste haïtien Anderson D. Michel, résident de la Maison des journalistes.

Crédit photo : Ahmad Muaddamani, Karzan Hameed
Vidéo et montage : Ahmad Muaddamani

ISRAËL – Le logiciel espion de NSO Group traque les journalistes en toute impunité

Des centaines de journalistes à travers le monde surveillés par leurs téléphones, des liens obscurs avec les meurtres des journalistes Jamal Khashoggi et Javier Valdez, des contrats à plusieurs millions de dollars pour équiper les services de renseignement de régimes répressifs… Derrière ces affaires, une société israélienne fournit aux États un logiciel d’espionnage ultraperfectionné : NSO Group.

Mise à jour 21/07/2021 : Un an après la publication de cet article, la société israélienne NSO Group fait la une des journaux. Amnesty International, Forbidden Stories et dix-sept rédactions internationales ont obtenu une liste de 50 000 numéros de téléphone ciblés par des États clients de la firme. Amnesty International Security Lab a pu confirmer la présence du virus dans certains de ces téléphones. Parmi ces numéros, 180 journalistes à travers le monde ont été identifiés. Vous pouvez retrouver la liste des journalistes ciblés par Pegasus mise à jour ci-dessous. Le collectif de chercheurs Forensic Archicture a également mis en place une plateforme interactive pour exposer l’étendu des cyberattaques de Pegasus depuis dix ans. Dans un communiqué de presse, NSO Group a dénoncé “une campagne médiatique planifiée et bien orchestrée » et  assure que la liste des 50 000 numéros n’avait rien à voir avec son produit phare Pegasus.

De février à avril 2021, Hicham Mansouri, journaliste marocain réfugié en France aujourd’hui chargé d’édition de l’Œil de la Maison des Journalistes a été infecté par Pegasus. Orient XXI a raconté la surveillance dont il a été victime dans les rues de Vienne.

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D’abord cantonné à quelques apparitions dans la presse économique ou informatique, pour vanter les prouesses technologiques d’une petite start-up israélienne, NSO Group fait maintenant les titres de journaux. La cause de la médiatisation grandissante est son produit phare : Pegasus, un virus espion qui vise des centaines de journalistes, défenseurs des droits humains et dissidents politiques à travers le monde.

NSO Group, un prédateur numérique

Cette année, NSO Group rafle même la première place dans la liste des prédateurs numérique, catégorie espionnage et surveillance, de Reporters sans frontières. Depuis, la société israélienne continue à faire parler d’elle. Fin juin, c’est un journaliste marocain, Omar Radi, qui témoignait dans une enquête de Forbidden Stories et d’Amnisty International, avoir été mis sur écoute grâce à la technologie israélienne. Malgré que ce ne soit pas la première affaire dans le royaume, le gouvernement rejette les accusations en bloc.

Plus récemment encore, NSO Group est au cœur d’une nouvelle polémique dans les relations entre gouvernement espagnol et indépendantistes catalans. Le 13 juillet, c’est une enquête conjointe de El País et The Guardian qui alertait sur l’espionnage grâce à Pegasus de plusieurs personnalités politiques indépendantistes (notamment Roger Torrent, actuel président du Parlement de Catalogne et Anna Gabriel, ancienne parlementaire catalane aujourd’hui exilée en Suisse). Par la suite, les journalistes ont pu confirmer, selon leurs sources, que les services de renseignements espagnols ont bien eu accès depuis 2015 au logiciel espion de NSO Group.


Dès sa création, le virus aurait d’ailleurs été utilisé pour la surveillance et la capture du baron de la drogue El Chapo.


La société voit le jour en 2009 à Herzliya dans la banlieue nord de Tel Aviv, fondée par trois entrepreneurs Niv Carmi, Shalev Hulio et Omri Lavie (Initiales de la firme).

Les deux derniers sont d’anciens agents de l’Unité 8200, services de renseignement informatiques israéliens, considérés parmi les plus technologiquement avancés au monde. Avec cette expérience, la société d’abord financée par un fonds de pension israélien propose dès 2011, une première version de son logiciel espion Pegasus. Les divers produits proposés par NSO Group sont uniquement destinés aux agences de renseignement étatiques et visent à lutter contre «le crime organisé, le terrorisme, les réseaux pédophiles». Dès sa création, le virus aurait d’ailleurs été utilisé pour la surveillance et la capture du baron de la drogue El Chapo.

Après ce premier succès, trois agences se retrouvent équipés de Pegasus courant 2013, et cible bientôt des cibles d’un autre genre.

C’est en août 2016 que le logiciel espion est étudié en détail pour la première fois. Ahmed Mansoor, défenseur des droits humains aux Émirats Arabes Unis, reçoit un message promettant des informations sur des actes de torture se déroulant dans les prisons et incluant un hyperlien suspicieux.


Enfin, il contient un mécanisme d’auto-destruction pour disparaître complètement du téléphone s’il risque de se faire découvrir.


Déjà touché par des cyberattaques de ce type par le passé, il contacte le laboratoire de recherche canadien Citizen Lab, spécialisé dans les domaines de la cybersécurité et des droits humains. Les chercheurs canadiens décident d’ouvrir le lien sur un téléphone de test puis collaborent avec la société de cybersécurité américaine Look Out pour étudier son action.

Les chercheurs découvrent un logiciel espion très perfectionné. Le virus est capable d’extraire les données des messageries, d’appels ainsi que contacts, mails, calendrier ou de paramètres (WIFI, mots de passe divers) de la cible. Son action s’étend également aux applications de réseaux sociaux (Facebook, VK) et de messageries cryptés (Telegram, Viber, WhatsApp, iMessage, Facetime, WeChat) en copiant des données en clair avant que l’application ne les chiffre pour envoi.

En plus de cet accès total, Pegasus est capable de transformer le téléphone en véritable mouchard en activant caméra, microphone et traçage GPS, sans que l’utilisateur ne puisse se douter de quelque chose grâce à un cryptage qui lui permet de passer au-dessus des antivirus traditionnels. Enfin, il contient un mécanisme d’auto-destruction pour disparaître complètement du téléphone s’il risque de se faire découvrir.


«De part sa modularité, la quantité de données utilisateur et de communication qu’il surveille ainsi que ses méthodes adaptatives pour extraire des données selon les applications, Pegasus est, à ce ce jour, le virus (…) le plus sophistiqué que nous ayons pu observer sur un téléphone.»

Citation extraite du dossier d’analyse technique de Pegasus de Look Out


«Aujourd’hui, le vrai problème, c’est le root des téléphones [ou jailbreak pour les smartphones d’Apple]» estime Anis Mazak, fondateur d’une entreprise de développement informatique. «C’est cette opération qui permet un accès système avancé («super utilisateur») et autorise des opérations normalement impossibles sur le téléphone.» Retirer cette sécurité, revient à débrider le téléphone comme on peut le faire pour une voiture ou une moto et d’accéder à des fonctions terminales normalement limitées.

«Cette manipulation permet de déverrouiller des failles et des accès non prévus par le constructeur. Des fonctions qui n’existent normalement pas sur un téléphone peuvent alors être implémentées comme un historique de navigation GPS».


Pour réaliser le jailbreak de l’iPhone de l’activiste émirati Ahmed Mansoor, Pegasus exploitait trois de ces failles.


Pour limiter l’accès root aux pirates, les développeurs cherchent à fermer dans leur logiciel toutes les failles qui permettrait à un virus de le réaliser. En plus d’équipes de spécialistes en sécurité informatique, les constructeurs organisent des «bug bounties» (chasses aux bugs) afin de mobiliser une large communauté de développeurs. Après chaque sortie de nouvelles versions du logiciel iPhone et Mac, Apple propose par exemple, pour toute personne dans le monde qui lui ferait remonter une faille permettant un accès root à un pirate, une récompense pouvant atteindre un million de dollars. 

Si le constructeur n’offre pas assez, ces failles peuvent se monnayer pour plus cher encore sur le Darknet. Pour réaliser le jailbreak de l’iPhone de l’activiste émirati Ahmed Mansoor, Pegasus exploitait trois de ces failles. Les enjeux de sécurité informatique sont également des enjeux économiques majeurs pour les constructeurs.


Son prix d’entrée est de 500.000 dollars pour l’installation du virus sur un téléphone


En septembre, le New York Times révèle le prix demandé par NSO Group aux États pour obtenir le sésame. Son prix d’entrée est de 500.000 dollars pour l’installation du virus sur un téléphone, à laquelle il faut ajouter une somme selon le nombre de terminaux visés. Pour 10 téléphones Android ou iPhone il faut compter 650 000 dollars, le prix est ensuite dégressif selon la quantité de cibles. En plus de cela NSO Group exige 17 % de la somme totale pour les frais de maintenance. Pour cette somme, la firme promet un accès complet et indétectable aux données de la victime.

 
 
 

Liste des affaires impliquant Pegasus contre des journalistes et acteurs de l’informations

*Le pays titré est suspecté d’avoir perpétré l’attaque même si l’affaire ne se déroule pas sur son territoire.


Arabie saoudite :

Entre mai et juin 2018, un défenseur des droits humains et un membre d’Amnistie Internationale aux sont la cible de Pegasus.

Entre mai et juin 2018, deux dissidents et défenseurs des droits humains exilés en Grande Bretagne sont la cible de Pegasus.

Fin juin 2018, un activiste saoudien exilé au Canada est la cible de Pegasus. Proche du journaliste Jamal Khashoggi, la surveillance de leurs communications est suspecté d’avoir mené à l’assassinat de Khashoggi dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en octobre 2018.

Fin juin 2018, un journaliste du New York Times est ciblé par Pegasus.

Entre juillet et août 2020, les chercheurs de Citizen Lab découvrent que les téléphones de 18 journalistes, producteurs, présentateurs et cadres, de la chaîne qatarie Al Jazeera ont été infectés par un opérateur Pegasus soupçonné d’être contrôlé par le pouvoir saoudien.


Azerbaïdjan :

Sur les 245 numéros de téléphone azerbaïdjanais qui apparaissent dans le Projet Pegasus, un cinquième appartient à des journalistes ou propriétaires de médias. S’il n’existe pas de preuve d’un contrat reliant le régime autoritaire d’Ilham Aliyev et NSO Group, l’Azerbadjan est un client régulier de l’industrie militaire israélienne. Sur la période 2016-2020, deux tiers des importations d’armements étaient en provenance de l’État d’Israël. Baku n’a pas répondu à ces accusations.


Émirats arabes unis :

En août 2013, un contrat de 18 millions de dollars est conclut pour l’utilisation de Pegasus. Un second de 11 millions de dollars aurait été signé via une filière à Chypre deux ans et demi après. Pegasus aurait été utilisé pour cibler de hautes personnalités politiques au Qatar (159 personnes concernées), en Arabie saoudite et au Liban. Un journaliste du quotidien londonien Al-Arab aurait également été la cible de Pegasus.

En août 2016, un défenseur des droits humains est la cible de Pegasus.

Entre juillet et août 2020, les chercheurs de Citizen Lab découvrent que les téléphones de 15 journalistes, producteurs, présentateurs et cadres, de la chaîne qatarie Al Jazeera ont été infectés par un opérateur Pegasus soupçonné d’être contrôlé par le pouvoir émirati. Ce même opérateur avait été utilisé en août 2016.

Le Projet Pegasus révèle que plusieurs journalistes internationaux victimes de Pegasus pourraient avoir été ciblés par les Émirats arabes unis. Le téléphone de la rédactrice en chef du journal britannique Financial Times, Roula Khalaf, a été infecté au court de l’année 2018. Le téléphone d’un journaliste du journal américain The Washington Post, Bradley Hope, a été infecté pendant l’été 2018. Le téléphone d’un journaliste turc, Turan Kışlakçı, proche de Jamal Khashoggi a été infecté peu après son assassinat, ce sont les services renseignement turc qui l’informèrent à l’époque de la surveillance de son téléphone.


Espagne :

Entre avril et mai 2019, trois personnalités politiques et un militant indépendantiste catalan ont été la cible de Pegasus.


Hongrie :

Parmi les plus de 300 numéros ciblés en Hongrie, cinq journalistes et un patron de presse ont été victimes de Pegasus. Zoltán Varga, milliardaire et propriétaire d’un groupe de presse a été infecté début juin 2018 alors qu’il organisait un dîner pour discuter d’un projet de think tank apartisan de recherches d’intérêt public en réaction à la réélection du président Viktor Orbán. Six autres convives également critiques du pouvoir ont été infectés à la suite de cette rencontre. Le ministre des Affaires étrangères hongrois a nié tout recours par l’État au logiciel espion de NSO Group.


Inde :

Durant les élections législatives de 2019, qui coïncide avec la faille WhatsApp de avril-mai 2019, plus d’une vingtaine de journalistes, avocats et activistes ont été ciblés par Pegasus.

À la suite de la faille WhatsApp de avril-mai 2019, au moins une vingtaines de hauts fonctionnaires ont été la cible de Pegasus.

Plus de 40 numéros de journalistes indiens sont apparus dans la liste de Projet Pegasus. L’ensemble des grandes rédactions indiennes ont été visées. Les surveillances ont eu cours de 2017 à juin 2021. Le ministère indien des technologies électroniques et de l’information a nié toute implication de l’État. Néanmoins, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a déjà montré par le passé l’importance qu’il porte au contrôle des espaces numériques, notamment à travers les stratégies d’influence à grande échelle des réseaux sociaux mises en place par la cellule informatique de son parti, le Bharatiya Janata Party.


Kazakhstan :

Le projet Pegasus révèle que 2000 numéros de téléphones ont été visés par le virus au Kazakhstan. Au moins deux journalistes et trois activistes de défense des droits humains ont été identifié comme victimes potentielles.


Maroc :

Entre octobre 2017 et juillet 2019, deux défenseurs des droits humains ont été régulièrement la cible de Pegasus.

Entre janvier 2019 et janvier 2020, un journaliste marocain est la cible régulière du virus de NSO Group.

Le Projet Pegasus révèle que 10 000 numéros marocains, algériens et français ont été ciblés. Parmi ceux-là, au moins 38 journalistes et patrons de presses ont été identifiés. En France on retrouve des journalistes du Monde, Le Canard enchaîné, Mediapart, Le Figaro, l’Humanité, TSF Jazz ou encore l’AFP et France Télévisions. Le moment de l’infection des téléphones de certains journalistes, notamment ceux d’Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, Lenaïg Bredoux, journaliste au même média, ou encore Rosa Moussaoui, journaliste à l’Humanité, coïncide avec des prises de position ou des articles critiques du pouvoir de Rabat. En Algérie, plusieurs journalistes ont également été surveillés au début de l’année 2019 (soulèvement du Hirak), notamment le directeur du média web Tout sur l’Algérie.

La présidence marocaine a nié en bloc toute implication dans ces opérations de surveillance.

 


Mexique :

Entre 2011 et 2017, le gouvernement mexicain a passé contrat avec NSO Group
pour un total de plus de 80 millions d’euros pour fournir Pegasus à au moins trois agences de renseignement
.

Entre 2015 et 2016, sept journalistes qui enquêtaient sur la corruption politique et cinq militants des droits humains et anti-corruption sont la cible de Pegasus.

Entre septembre et octobre 2015, deux avocats des familles du massacre de Narvarte (cinq personnes assassinées dont un photojournaliste et un activiste) sont la cible de Pegasus.

En mars 2016, un membre du groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI) qui enquêtait sur la disparition des 43 étudiants d’Iguala est la cible de Pegasus.

Entre juin et juillet 2016, trois personnalités politiques du parti d’opposition Action Nationale sont la cible de Pegasus.

En mai 2017, deux jours après l’assassinat du journaliste Javier Valdez Cárdenas, deux de ses collègues puis sa femme sont la cible de Pegasus.

 

Panama :

En juillet 2012, Ricardo Martinelli, président de la république, signe un contrat de 8 millions de dollars avec NSO Group pour obtenir Pegasus. Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui en mai 2017 pour la surveillance de 150 personnes, dont des journalistes et personnalités politiques de l’opposition. Ricardo Martinelli est finalement innocenté par la justice panaméenne en août 2019.


Togo :

Le Projet Pegasus révèle que les téléphones de deux journalistes togolais et d’un activistes ont été ciblés par le virus de NSO Group. En 2020, une enquête conjointe du Guardian et du Monde révélait que des acteurs de la société civile, des opposants politiques et des religieux avaient déjà été visés par des attaques. La présidence n’avait pas souhaité répondre aux questions des journalistes.


Rwanda :

Le projet Pegasus révèle que plus de 3500 téléphones ont été ciblés entre 2016 et 2021. Au moins quatre journaliste et deux défenseurs des droits humains ont été ciblé par Pegasus entre 2017 et 2019.


Monde :

Le Projet Pegasus révèle que des journalistes de l’agence américaine Associated Press, de CNN, du New York Times ou encore de l’agence britannique Reuters ont été ciblés par le virus de NSO Group. Les victimes n’ont pas toujours souhaité être nommer publiquement. Les États responsables des attaques ainsi que les motivations ne sont pas connus.

Citizen Lab a également pu identifier en 2018 la présence d’opérateurs de Pegasus dans 45 pays. Six de ces États ont eu recours à des logiciels espions par le passé. (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Kazakhstan, Maroc et Mexique)

Les chercheurs émettent cependant des réserves sur l’interprétation de ces résultats. Tout d’abord la géolocalisation des serveurs DNS peut être trompé par l’utilisation d’un serveur proxy, d’un réseau privé virtuel ou d’une connexion par satellite. La Chine n’a pas pu être investigué en raison de l’isolement de son réseau Internet.

Carte des 45 pays ou Pegasus opère réalisé par Citizen Lab

Pour l’investisseur londonien, business as usual

Les enjeux économiques considérables pour développer un logiciel pirate de cette envergure nécessite des moyens financiers importants pour concurrencer les sommes offertes par les constructeurs. Derrière NSO Group, plusieurs fonds d’investissement internationaux se sont succédés pour permettre la croissance de la firme israélienne. Le premier, Francisco Partners, gestionnaire d’investissement américain, engage en mars 2014 plus de 120 millions de dollars pour acquérir NSO Group. En février 2019, Novalpina Capital, un fonds de gestion londonien créé deux ans plus tôt, rachète les parts de Francisco Patners pour un milliard de dollars, soit plus de huit fois l’investissement de départ.

“Les seules limites légales sont les embargos internationaux.”


«Il n’existe pas de lois pour réguler les investissements présentant des risques de controverse» reconnaît Hervé Aubert, directeur général adjoint de Swen Capital Partners, fonds d’investissements français. «Les seules limites légales sont les embargos internationaux. Deux vecteurs orientent la décision d’investissement d’un fonds de gestion. En premier lieu, l’image publique et les valeurs internes que l’entreprise véhicule, et ensuite la prise en compte des orientations d’investisseurs institutionnels (mutuelles, assureurs, fonds de pensions) qui souhaiteraient que tels secteurs ne soient pas investis.» Les questions d’éthiques sont pour les investisseurs relégués à de simples politique interne qui peuvent varier selon leurs ambitions et les contextes sociopolitiques. C’est ainsi que certains comme Novalpina Capital se font connaître pour leurs placements dit à risque et n’hésite pas malgré les polémiques à financer des entreprises problématiques comme NSO Group. Deux jours après l’annonce du rachat, Stephen Peel, fondateur de Novalpina Capital, se faisait doucement pousser vers la sortie de l’ONG anti-corruption Global Witness où il était également membre à cause de sa nouvelle acquisition.

NSO s’offre le pantouflage d’anciens diplomates français et américains

Pourtant NSO Group tente de montrer patte blanche devant les ONG de défense des droits humains. Sur son site Internet, la firme israélienne a mis en place un mail spécifique pour les lanceurs d’alertes qui souhaiteraient les avertir d’abus d’États dans l’utilisation de Pegasus. Cité dans les sections «Transparence» et «Droits Humains» NSO Group affirme se référer pour sa politique interne aux principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

«Les Principes des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme ne sont pas juridiquement obligatoires, mais seulement recommandés» souligne Hervé Ascensio, professeur à l’école de droit de la Sorbonne et spécialiste de droit international.


À gauche : Gérard Araud confirme sa colaboration avec NSO Group au journaliste Olivier Tesquet. À droite : liste des conseillers recrutés par NSO Group sur leur site

Dans l’optique de rassurer l’opinion sur son soutien financier, Novalpina Capital incite  NSO Group à la création d’un comité de conseil pour se conformer à ce texte.

Le 10 septembre 2019, l’annonce du recrutement de l’influent ambassadeur français Gérard Araud comme conseiller principal (mais également de Tom Ridge, ancien secrétaire de la sécurité intérieure des Etats-Unis sous George W. Bush, et de Juliette Kayyem qui se retire finalement en février 2020, ex-secrétaire adjointe aux Affaires intergouvernementales du président Obama au département de la Sécurité intérieure) fait grincer des dents au ministère des Affaires étrangères.

Et pour cause… Trois jours après, le piratage du téléphone de Omar Radi, journaliste marocain, vient une fois de plus ternir les engagements auxquels la firme israélienne prétend se plier.

«Les Principes des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme ne sont pas juridiquement obligatoires, mais seulement recommandés» souligne Hervé Ascensio, professeur à l’école de droit de la Sorbonne et spécialiste de droit international. «De plus, ils ne comportent aucune procédure de contrôle, même pour les entreprises qui s’y réfèrent dans des chartes ou autres engagements éthique. La seule procédure qui pourrait en découler est une simple médiation entre entreprise et particuliers (ou ONG, syndicat) pour violation de ces principes.»


«C’est tout le problème de l’externalisation des services militaires ou de sécurité: la structure de l’entreprise et le lien seulement contractuel mettent de la distance entre ceux qui fournissent les moyens et ceux qui les utilisent. Juridiquement, cela devient très compliqué de rechercher des responsables» conclut Hervé Ascensio.


La responsabilité finale d’atteinte aux droits humains revient par ailleurs aux États et non à NSO Group comme la firme le rappelle en conclusion de sa politique en matière de droits humains. Cela lui permet de se dédouaner de tout abus dans l’utilisation de Pegasus. Non seulement il est difficile de prouver devant un tribunal une complicité de l’entreprise aux actes d’espionnages perpétrés par les États mais les outils juridiques de droit pénal international manquent.

«C’est tout le problème de l’externalisation des services militaires ou de sécurité: la structure de l’entreprise et le lien seulement contractuel mettent de la distance entre ceux qui fournissent les moyens et ceux qui les utilisent. Juridiquement, cela devient très compliqué de rechercher des responsables» conclut Hervé Ascensio.

La justice et NSO Group

À ce jour, la firme israélienne est poursuivie en justice dans deux affaires distinctes.


Proche du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, il avance que la surveillance de leurs conversations par l’État saoudien a un lien avec l’assassinat du journaliste en octobre 2018 dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.


La première, intentée par Omar Abdulaziz dissident saoudien exilé au Canada dont le téléphone a été infecté par Pegasus fin juin 2018. Proche du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, il avance que la surveillance de leurs conversations par l’État saoudien a un lien avec l’assassinat du journaliste en octobre 2018 dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. L’affaire toujours en cours a été retenu en début d’année par les tribunaux israéliens. Abdulaziz a été rejoint par six journalistes et activistes victimes de Pegasus au Mexique et au Qatar. NSO Group a depuis déclaré geler ses futurs contrats avec Riyad.


La plainte accuse NSO Group d’avoir violé des conditions d’utilisation de l’application WhatsApp


La seconde affaire a lieu devant les juges étasuniens. En octobre 2019, NSO Group est attaqué en justice par WhatsApp. La plainte accuse NSO Group d’avoir violé des conditions d’utilisation de l’application qui exigent de ne pas «(a) réaliser de l’ingénierie inverse, modifier, décompiler nos Services, en créer des œuvres dérivées ou en extraire le code ; (b) envoyer, stocker ou transmettre des virus ou tout autre code informatique dangereux par le biais de nos Services ou sur ces derniers.» La faille exploitée par Pegasus permettait à un pirate d’infecter un téléphone par un simple appel vocal WhatsApp, même dans le cas où l’utilisateur ne décrochait pas. 

Contrairement aux précédentes failles exploitées par Pegasus, celle de WhatsApp nécessitait de détourner l’application de son utilisation normal.


Will Cathcart, patron de WhatsApp, déclare que leur enquête interne a permis de déceler 1.400 appareils infectés de cette manière dans différents pays, dont le royaume de Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Mexique.


C’est grâce à une version largement modifiée de l’application qu’il était possible d’infecter le numéro appelé, ce qui permet à la firme de Mark Zuckerberg d’intenter une action juridique contre NSO Group. Will Cathcart, patron de WhatsApp, déclare que leur enquête interne a permis de déceler 1.400 appareils infectés de cette manière dans différents pays, dont le royaume de Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Mexique.

Cette plainte repose cependant sur un différend commercial entre deux entreprises, les questions d’atteintes aux droits humains et des victimes d’espionnage («avocats, journalistes, défenseurs des droits humains, dissidents politiques, politiques et hauts fonctionnaires étrangers») restent secondaires dans l’affaire.

Une législation insuffisante pour encadrer le commerce d’outils de surveillance numérique

En Europe également, ce commerce est loin d’être régulé correctement. Malgré une législation interdisant la vente d’outils de surveillance de ce type aux États ne respectant pas les droits de l’homme ou en embargo, plusieurs récentes affaires, en Italie ou même en France, démontrent que ces sociétés privées sont susceptibles de collaborer avec des États répressifs, les premiers intéressés par ces outils de surveillance.


Pour réguler ce commerce, la législation internationale se limite à des textes non contraignants.


«Les conflits ont changé, ils s’orientent de plus en plus sur du contrôle de population» estime Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements. «L’arme est de plus en plus électronique et on peut avec ces systèmes numériques échapper plus facilement aux législations. Le matériel militaire a évolué, mais la loi, elle, n’a pas suivi.» 

Pour réguler ce commerce, la législation internationale se limite à des textes non contraignants. Tout d’abord le Traité sur le commerce des armes, mais surtout l’arrangement de Wassenaar qui régule les exportations de matériels à double usage (ensemble des technologies, comme Pegasus, qui peuvent être utilisé à des fins civiles et militaires). Israël, n’a ratifié aucun des deux textes.

Huitième vendeur d’arme mondial, l’État d’Israël est réputé être conciliant avec les États répressifs auxquels les États Unis et l’Europe refuse de vendre des armes.

La décision d’autorisation d’export de matériels à double usage revient en Israël au ministère de la Défense. Mais une certaine opacité demeure sur les critères qui justifie qu’une exportation soit octroyée ou non à un État.


Contrairement aux agences de renseignements étatiques, NSO Group est soumise aux lois fondamentales d’Israël (lois constitutionnelles), mais malgré les nombreux scandales, elle bénéficie dans les faits, d’une certaine indulgence de la part de l’État.


«Sous la pression des ONGs, une transparence limitée a été obtenu sur les montants des contrats d’exportation d’armement, mais cela n’existe absolument pas dans le cadre du matériel à double usage ou de maintien de l’ordre» souligne Tony Fortin. Si les contrats de ventes d’armements conventionnels sont bien répertoriés (voir base de donnée du SIPRI), Pegasus n’apparaît sur aucun d’entres eux.

Le 13 juillet dernier, alors qu’étaient révélées de nouvelles affaires entre l’Espagne et la Catalogne, le tribunal de district de Tel Aviv rejetait la demande d’annulation d’exportation de Pegasus émise par Amnistie Internationale. Contrairement aux agences de renseignements étatiques, NSO Group est soumise aux lois fondamentales d’Israël (lois constitutionnelles), mais malgré les nombreux scandales, elle bénéficie dans les faits, d’une certaine indulgence de la part de l’État.

Le juge estimait que Amnisty International n’avait pas «avancé d’éléments permettant d’affirmer qu’il y aurait eu une tentative d’espionner le téléphone d’un activiste des droits humains [à l’aide de Pegasus]».

Enfin le juge a rappelé que le ministère de la Défense israélienne dispose de «suffisamment de précaution pour prendre en compte la protection des droits humains dans la distribution de licence d’exportation d’armes».

Intimidations et menaces

Entre décembre 2018 et janvier 2019, deux chercheurs du laboratoire de recherche canadien Citizen Lab, sont approchés par des agents sous fausses identités. Dans un hôtel de luxe de Toronto, Abdul Razzak pensait évoquer des questions syriennes, mais la conversation rejoint rapidement le sujet NSO Group et ses enquêtes réalisées sur Pegasus. « Est-ce que vous priez ? Pourquoi écrivez-vous seulement à propos de NSO ? Le faites-vous parce que c’est une entreprise israélienne ? Détestez-vous Israël ? » se fait interroger Abdul Razzak.

Un mois après, c’est au tour de John Scott-Railton de se faire interroger. Le chercheur reconnaît l’approche utilisée contre son collègue et contacte des journalistes d’Associated Press pour l’accompagner discrètement lors de la rencontre. La conversation change rapidement de ton, de la même façon que la précédente. Par la suite, une enquête conjointe entre le New York Times et l’émission d’investigation israélienne Uvda identifie la personne comme Aharon Almog-Assouline, agent de la société israélienne de renseignement privé Black Cube.

Mazen Masri, avocat de Omar Abdulaziz dans le procès qui l’oppose à NSO Group a été également visé par ce type d’intimidation. « Quelqu’un semble avoir intérêt à saboter le procès » déclare-t-il au Times of Israel. Pour l’avocat, ces opérations visaient à obtenir « des informations compromettantes sans lien avec l’affaire, sur les personnes impliquées ». Almog-Assouline a refusé de répondre aux questions des journalistes et Black Cube dément qu’il s’agit d’un de leurs agents. Il est enfin impossible de relier ces actions à NSO Group qui dément être un commanditaire « directe ou indirecte » de l’affaire.

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HAÏTI. Les dessus de l’assassinat du Président, un chaos politique

Depuis plus de 3 ans, Haïti est en proie à crise d’insécurité démesurée. Cette situation dévaste la sécurité de tous les citoyens résidant sur le territoire haïtien, au point d’en entraîner l’assassinat de Jovenel Moise.

Les gangs armés sont omniprésents dans toutes les villes, de la capitale Port-au-Prince à la province, Le G9, -coalition de 9 gangs lourdement armés, émanation du pouvoir-, est devenu incontrôlable. L’évasion de centaines de prisonniers de la prison de croix-des-Bouquets, le 25 février 2021, a renforcé ce phénomène de banditisme.

Le jeudi 17 juin 2021, le rapport périodique (émis tous les 120 jours) du Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), sur la situation en Haïti, a été présenté au Conseil de Sécurité des Nations-Unies à New York. Ce rapport signale l’aggravation de la criminalité en Haïti, et révèle l’incompétence de l’Etat dans la gestion de cette crise d’insécurité affligeant la population.

Acheminements en quantités importantes de cargaisons d’armes dans les ports.

Depuis 2016 les ports du territoire haïtien reçoivent fréquemment des cargaisons d’armes illégales, certaines ont été saisies par la police, mais d’autres en circulation,  sont aux mains des gangs. Malheureusement aucune mesure n’a été prise pour enrayer cette situation.

L’affaire des sept mercenaires en 2019

Le 17 février 2019 la police nationale d’Haïti (PNH) arrête 8 personnes lourdement armées à bord de deux véhicules. Selon l’ex premier ministre Jean-Henry Céant, ces mercenaires (1 haïtien, 5 américains, un russe et un serbe) avaient pour mission de l’assassiner. Néanmoins, Moise Jean Charles, leader très influent de l’opposition a déclaré que ces mercenaires préparaient un coup d’Etat contre le président Jovenel Moise. Le 20 février 2019 ces mercenaires sont libérés sans aucune justification des autorités judiciaires à la population haïtienne. Le président de son côté, via son conseiller, Jude Charles Augustin informe la presse qu’il ignorait leur départ vers les Etats Unis. Cela démontre un grave problème d’organisation et de gestion au plus haut niveau de l’Etat.

L’assassinat de Jovenel Moise

Lors d’une intervention à radio télé caraïbe (RTVC), le 7 juillet 2021, le premier ministre par intérim, docteur Claude Joseph a confirmé l’assassinat de Jovenel Moise en sa résidence à Pèlerin 5, zone de la capitale dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Le premier ministre affirme que l’épouse de Jovenel Moise a été touchée par balle lors de cette attaque, et qu’elle reçoit les soins nécessaires. Par ailleurs, Claude Joseph lance à la population, un appel au calme, déclarant, que la situation est sous contrôle et qu’il assure la continuité de la l’Etat.

La police haïtienne a procédé à l’arrestation de 19 des mercenaires, selon la déclaration du directeur général de la police nationale d’Haïti (PNH), Léon Charle dans une conférence de presse le 8 juillet. Parmi eux, 15 colombiens et 2 américains d’origine haïtienne. Selon la PNH, l’assassinat du président a été perpétré par un groupe de 28 personnes, dont 26 colombiens. Deux des assaillants ont été tués lors d’une opération menée par la PNH.

Selon le juge de paix Carl Henry Destin  “Le président fut touché plusieurs fois à la tête, mais aussi dans les oreilles et les yeux, nous avons constaté douze orifices sur corps du président”.

Aujourd’hui beaucoup de questions se posent sur la situation actuelle d’Haïti. Mais ce qui est clair, est que la situation d’insécurité sur le territoire haïtien n’est que l’aboutissement d’une mauvaise gestion politique.

Anderson D. Michel

Anderson D. Michel est un journaliste haïtien, résident de la Maison des journalistes (MDJ). twitter-logo-1-1 - Culligan recrute

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Haïti. L’enjeu de la presse à travers le photojournalisme

Parti en reportage le 14 mars 2018, le photojournaliste indépendant Vladjimir Legagneur n’est jamais revenu. L’anniversaire des 3 ans de sa disparition, le collectif “50 milimèt” lui a rendu hommage.

Photojournaliste indépendant, Vladjimir Legagneur collaborait avec plusieurs médias (Le Matin, Loop Haiti, etc.) et ONG. 

Le 14 mars 2018, il part réaliser un reportage à Grand Ravine, l’un des quartiers les plus dangereux de la capitale Port au Prince. Il souhaite montrer les conditions de vie des gens de ce quartier, qui sont livrés à eux même, sans aide ni présence des autorités centrales de l’Etat. Depuis ce jour, personne ne l’a revu. 

Edris Fortuné, photojournaliste et président du collectif, nous a confié avoir tout essayé afin de dissuader son ami de faire un reportage à Grand Ravine. “Il est passé chez moi récupérer un trépied. J’ai essayé de le retenir en lui demandant de rester manger avec moi mais cela n’a pas marché. Je suis la dernière personne parmi ses proches à l’avoir vu avant sa disparition.”

Ce que révèlent les enquêtes  

Deux semaines après sa disparition, la police mène une opération à Grand Ravine (Port Au Prince), sur un terrain vague. Des ossements et un chapeau sont retrouvés. Selon Fleurette Guerrier, l’épouse de Vladjimir Legagneur, il s’agit bien du chapeau de son mari. La police effectue alors un test ADN. Mais depuis trois ans, c’est silence radio. La police n’a transmis aucune information sur ce test ni sur ce qui a pu arriver au journaliste.

Edris Fortuné dénonce un blocage politique. “Cela fait trois ans qu’on attend le résultat d’un test ADN et on n’a toujours pas d’information sur ce qui est réellement arrivé à mon ami Vladjimir.”

Pour lui, c’est clair, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) ne prend pas au sérieux l’enquête.  

Dénoncer l’impunité de la justice 

En guise de protestation, le collectif 50 milimèt et d’autres personnes ont décidé de façon très symbolique de commémorer la disparition du photojournaliste Vladjimir Legagneur devant le local du réseau national des droits humains (RNDDH). 

Le collectif a déposé des gerbes devant un graffiti de Vladjimir peint sur un mur. Puis, Edris Fortuné a tenu à lui rendre hommage dans un discours tout aussi politique que religieux. ”Je remercie les artistes qui ont décidé d’immortaliser ce grand jour. Vladjimir, si nous dessinons ton portrait ici sur ce mur, c’est pour dénoncer l’impunité qui règne dans ce pays depuis des années. Des journalistes comme Jean Dominique, Brignol Lindor, Rospide Pétion, et tant d’autres ont été assassinés, mais comme toi ils n’ont pas eu droit à une justice équitable. Vladjimir tu n’es pas mort, au nom de toutes les forces cosmiques, au nom de tous nos ancêtres, nous saluons ta mémoire, et nous te demandons encore de lutter ...” 

Un prix pour honorer sa mémoire

Afin de parler de l’importance du métier de photojournaliste, Edris a tenu à rappeler que “la mémoire est la plus grande arme, et qu’un peuple sans mémoire est un peuple appelé à disparaître.

50 milimèt” est né dans cette optique. Le projet regroupe des photojournalistes partageant le même intérêt pour cette profession et qui collaborent entre eux. Ce projet est aussi voué à honorer la mémoire de Vladjimir Legagneur. 

Selon Edris Fortuné, le prix Vladjimir Legagneur « récompensera plusieurs photojournalistes ayant accompli un travail remarquable sur l’année. Il y aura deux prix : un prix senior et un prix junior”. Cette initiative a été approuvée par l’épouse de Vladjimir Legagneur. 

L’inquiétante situation de la presse en Haiti 

Le photojournaliste Edris Fortuné, victime de plusieurs agressions policières, reste très pessimiste quant à la situation de la liberté de la presse en Haïti. “Il n’y a [même] pas une maison de photographie en Haïti [et] le droit d’auteur n’est pas respecté”. Haïti occupe la 83 ème position dans le classement de Reporters Sans Frontières (RSF).

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HAÏTI : La normalisation du kidnapping au sein d’un régime “je m’en foutiste”

Le phénomène de kidnapping ne cesse de gagner du terrain en Haïti, passant par les enlèvements de plusieurs personnalités publiques, comme l’ex-footballeur international haïtien Johnny Descollines ou Magdala Louis, une vendeuse de saucisses qui raconte son enlèvement à travers la presse.

L’enlèvement contre rançon du maestro Dickens Princivil et de Magdala Louis une vendeuse de saucisse que Dickens reconduisait en voiture chez elle en sortant d’une activité le dimanche 6 décembre 2020, montre à quel point Haïti devient un pays dangereux au niveau sécuritaire.

https://www.youtube.com/watch?v=yYr4HQ858cQ&feature=youtu.be&list=TLPQMDgxMjIwMjBqmyopFzrW_Q

“On m’a brûlé les cheveux, les mains, les pieds avec un briquet”

Magdala Louis raconte comment elle a été torturée, “On m’a brûlé les cheveux, les mains, les pieds avec un briquet”. Les larmes aux yeux, elle affirme ne pas avoir été violée : “J’avais mes menstruations mon sang coulaient beaucoup peut être c’est cela qui les ont empêché de me violer’’. Les ravisseurs ont demandé à la famille de Magdala d’apporter une somme d’environ 700 000 euros pour sa libération.

Le maestro Dickens affirme lui ne pas avoir subi de maltraitance, et que les ravisseurs l’ont bien traité. Sachant tout de même qu’il y avait une demande de rançon d’environ 850 000 euros pour sa libération.

Il y a eu une très grande mobilisation pour la libération de ces deux otages, initiée par quelques journalistes de la radio Télé Caraïbes, mais aussi par plusieurs centaines d’internautes haïtiens sur Facebook, Instagram et d’autres plateformes en ligne.

Le Mardi 8 décembre à 1h du matin les kidnappeurs du gang ‘’400 marozo’’ ont libéré les deux otages après avoir empoché l’argent sollicité auprès des proches de chaque victime.

 

La réaction de l’ambassade américaine par rapport à l’insécurité en Haïti

 

La mise en garde de l’ambassade américaine

L’ambassade américaine en Haïti lance une alerte de sécurité pour sensibiliser ses concitoyens sur la limitation de déplacement en Haïti par rapport au phénomène de kidnapping qui ne cesse d’effrayer la population haïtienne et la communauté internationale.

L’ambassade conseille les ressortissants américains à prendre les actions suivantes :

1- Évitez certaines zones

2- Surveillez les médias locaux pour les mises à jour

3- Faites profil bas

4- Informez vos amis et votre famille de votre sécurité

5- Soyez conscient de votre environnement

6- Soyez vigilant lorsque vous visitez des banques ou des guichets automatiques

7- N’affichez pas de signes de richesse, comme le port de bijoux ou de montres coûteux

8- Soyez prudent lorsque vous marchez ou conduisez la nuit

La position du gouvernement haïtien

Pendant cette crise d’insécurité, le gouvernement ne fait rien pour améliorer cette situation. Il se préoccupe de trouver un moyen pour rester au pouvoir pendant les cinq prochaines années, en commençant par des réformes constitutionnelles, et des nominations à des postes stratégiques sans se soucier des compétences, la publication de décrets en l’absence de la chambre du sénat et des députés, ce qui est formellement interdit par la constitution selon l’ancien sénateur haïtien Steven Benoit.

L’ancien sénateur poursuit en disant que “nous allons vers la dictature, après la publication des nouveaux décrets du gouvernement dans Le Moniteur, le journal officiel de la république d’Haïti. Le président veut créer une milice connu sous l’acronyme ANI (Agence Nationale d’Intelligence) pour déstabiliser plusieurs institutions qui gèrent la sécurité et la bonne marche de l’Etat” .

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