Guatemala : la fin tragique du journal El Periódico

El Periódico, journal guatémaltèque fondé en 1996, a dû mettre la clé sous la porte avec l’emprisonnement de son fondateur, José Rubén Zamora, le 15 mai 2023. Il a signé le dernier édito du journal le même jour, qu’il a rédigé depuis sa cellule. Il y explique que les multiples procès intentés par l’Etat, également appelées “procédures-bâillon” ont tué son journal. Mais comment le quotidien le plus célèbre du Guatemala a-t-il pu disparaître en quelques mois ? Quel avenir pour la presse guatémaltèque ?

Six ans. C’est le nombre d’années que devra passer José Rubén Zamora en prison pour “blanchiment d’argent”, initialement accusé de « chantage et trafic d’influence » et condamné le 14 juin 2023. Zamora était incarcéré depuis près d’un an et encourait jusqu’à 40 ans de prison, requis par le parquet guatémaltèque, l’accusant d’être un véritable « maître-chanteur. »

Mais les 144 enquêtes ouvertes par le gouvernement sur les journalistes d’El Periódico depuis 2022 ont mis en lumière un objectif plus ambitieux des autorités : faire taire les acteurs de la presse, en particulier durant la période électorale.

Plus de 144 attaques en justice contre des journalistes 

El Periódico, habitué à dénoncer les mésactions du gouvernement depuis 26 ans, était dans le viseur des autorités depuis quelques années. Quotidien très prisé des Guatémaltèques et comptant près de 400 employés, El Periódico et ses journalistes ont souvent reçu des prix pour leurs enquêtes et révélations de scandales.

Mais depuis 2019 et l’arrivée des conservateurs au pouvoir, le journal était grandement menacé. Dès 2021, une enquête pour « conspiration » était ouverte contre José Zamora.

En avril 2022, le choc a foudroyé la presse guatémaltèque : José Zamora a été arrêté par les autorités pour à la suite de la révélation de plusieurs affaires de corruption impliquant le président candidat à sa réélection, Alejandro Giammattei. Incarcéré en août 2022, José Zamora attendra huit mois de plus avant son procès, débuté en janvier 2023. 

De nombreuses ONG et associations de défense de la presse ont réclamé alors sa libération, dénonçant un harcèlement judiciaire inédit à son encontre. Un timing pointé du doigt par les associations de défense des droits civiques et de la presse, notamment le Comité de Protection des Journalistes (CPJ).

L’ONG avait expliqué dans un communiqué du 15 mai 2023 que ces multiples procédures étaient « le résultat du harcèlement judiciaire et financier de l’administration présidentielle d’Alejandro Giammattei contre le fondateur du média, José Rubén Zamora, et ses journalistes pour leurs reportages critiques sur la corruption. » Le CPJ a également appelé à la libération immédiate du fondateur. 

José Zamora saluant les journalistes durant son procès, le 14 juin 2023. ©Johan Ordonez

José Zamora a lui-même signalé des « persécutions politiques », alors que trois de ses avocats avaient été emprisonnés en avril dernier. Le quotidien El Periódico a finalement été interdit de publication en mai 2023 et plusieurs dizaines de ses journalistes ont été sous le coup d’enquêtes judiciaires voire de procès pour « obstruction » et « désinformation », après avoir publié la nouvelle de l’incarcération du patron du quotidien.  

Pas de doute pour Reporters sans frontières, les accusations « fallacieuses » à l’encontre de Zamora étaient dues à un « harcèlement judiciaire » intense. Un acharnement qui avait concordé avec la réélection du président Alejandro Giammattei. Il avait en effet été réélu le 25 août 2023, dix jours après la condamnation de José Zamora. Son rival à la présidentielle Carlos Pineda, connu pour sa politique anti-corruption, avait été écarté des élections par le Tribunal Supérieur Electoral en mai 2023, le laissant sans véritable adversaire

La famille de Zamora ainsi que de nombreux journalistes du journal ont dû fuir le Guatemala de peur de finir également en prison. Les abondantes amendes infligées au journal ont fini par avoir raison de ce dernier en plus de l’interdiction de publication, signant sa liquidation. 

Les procédures-bâillons, arme redoutable contre la presse

L’Œil avait déjà évoqué les procédures-bâillons, nuisant gravement à la liberté de la presse, dans un précédent sujet pour alerter sur ce phénomène de plus en plus courant. Car depuis quelques années, des individus et de grands groupes usent des procédures abusives (ou infondées) pour faire taire les journalistes. 

Affaire la plus emblématique, le cas de la maltaise Daphné Caruana Galizia, journaliste d’investigation aguerrie et fondatrice du site d’information Running Commentary. Elle est connue pour avoir enquêté et exposé des affaires de corruption au sein du gouvernement maltais. De nombreux scandales mettaient en cause le Premier ministre de l’époque, Joseph Muscat, ainsi que l’entourage de ce dernier, provoquant l’ire de la population. Elle faisait l’objet de plus de 40 procédures judiciaires pour diffamation avant sa mort, « nourrissant un climat d’impunité favorisant son assassinat » selon des magistrats maltais.

Victime du même mécanisme, le journal El Periódico ne sera plus jamais lu par ses millions de lecteurs quotidiens. Depuis sa prison, José Rubén Zamora a écrit son dernier édito le 15 juin dernier. « L’Etat nous a tué », y affirmait-il. 

« Pendant toutes ces années, bien que nous ayons dû faire face à d’innombrables intimidations, agressions et harcèlements constants de la part des pouvoirs en place, “El Periódico” s’est efforcé d’offrir à ses lecteurs les meilleures informations pour comprendre la société et le monde dans lequel nous vivons. »

José Zamora a également évoqué les « 30 ans d’un combat infatigable contre la corruption, l’impunité, le narcotrafic, les abus de pouvoir, le terrorisme d’État et la misère », soufflés par les manigances judiciaires du gouvernement. « Mais ils ne nous feront pas taire ! » avait conclu l’homme.

Une véritable catastrophe pour les défenseurs des droits et des ONG, qui ont multiplié les prises de parole pour exprimer leur inquiétude. « C’est une menace pour toute la presse nationale. Ici au Guatemala, les opinions critiques ou le journalisme d’investigation sérieux ne seront pas autorisés à être publiés », avait expliqué le rapporteur de l’ONU Frank La Rue. « La fermeture du journal représente toujours un revers pour la liberté de la presse et fondamentalement pour la démocratie. »

Pour soutenir la demande de libération de José Rubén Zamora, cliquez ici.

Crédits photos : Johan Ordonez, El Periodico.

Maud Baheng Daizey

“The persecution never stops” : in Cuba, journalists muzzled by power

Members of the House of Journalists since early January 2023, Cuban couple Laura Seco Pacheco and Wimar Verdecia Fuentes have lost none of their verve. They are determined to fight for freedom of the press and freedom of expression in Cuba, and have agreed to tell us all about the censorship they have faced on the island. 

Laura (29 years old) and Wimar (35 years old) had never visited France until their arrival on December 9, 2022. During our interview, Wimar didn’t hesitate to grab a marker to write down his thoughts on the whiteboard at his disposal. Laura, a journalist since 2018, worked for the governmental newspaper Vanguardia at first, and she wrote articles about diverse topics, mainly cultural. 

The time I spent at Vanguardia was due to my social service, which is compulsory in the state media after graduation,” she explains. She stayed there for three years. During this time, she developed a strong desire for independence. She ended up joining the media El Toque in January 2022, for the love of independent and free information.

Over 1,000 political prisoners in Cuba

According to the Cuban constitution, independent media is prohibited in the country. In September 2022, government pressure was such that El Toque experienced a wave of forced resignations. 

In an article from the same month, the media outlet explains that “scenarios of interrogation and blackmail, as well as the use of travel regulations to several of our colleagues residing in Cuba, meant that by September 9, 2022, the number of resignations of members of our team had risen to 16.” 

Faced with constant and serious threats, Laura eventually gave up “the possibility of working in any other independent journalism platform in Cuba.” Those who wish to continue working are forced to do so from abroad, at the risk of imprisonment, without access to government sources and information. 

“As far as I know, journalist Lázaro Yuri Valle Roca is in prison today,” says Laura. “The prosecutor’s office has charged him with the alleged crimes of continuous enemy propaganda and resistance. But there are at least 1,000 political prisoners at the moment. Disappearances and detentions lasting several days are commonplace in Cuba.”

“Many are not politicians, most are accused of committing common crimes. They are considered political prisoners because of the charges brought against them: corruption or espionage, for example.” Whether political, social, economic or sporting, the El Toque team was keen to cover every event in Cuban society, much to the chagrin of the government.

Le caricaturiste Wimar avec sa nouvelle peinture.

With the sharp point of his pencil, cartoonist and illustrator Wimar Verdecia Fuentes has been denouncing and challenging the Cuban regime for years, notably for El Toque. 

Wimar, a member of the independent press since 2018, first began his career as an illustrator. Not without pride, he confided to MDJ’s microphone that he was one of the first to introduce political cartooning to Cuba’s new independent media: his cartoons were published in the Xel2 supplement, owned by El Toque. 

Since September 2022, he has been part of the “Cartoon Movement“, and has already drawn on international (the war in Ukraine), sporting (the European Cup) and societal (weapons in the USA) subjects. “Cartoon Movement” is an online platform for cartoonists from all over the world to publish their work and gain greater visibility.

Wimar was also managing editor of Xel2. His resignation prompted the editorial team to close the Xel2 site, much to his dismay.

Little by little, their work at el Toque aroused the ire of the Cuban government. The newspaper became the state’s main target, as the population became increasingly interested in Wimar’s drawings and the articles by journalists like Laura.

Faced with this disturbing popularity, the Cuban government tightened its grip on the press. Between 2020 and 2021, war is declared. 

The exchange rate, a weapon of Cuban freedom of expression 

The newspaper published the informal exchange rate between the dollar and the Cuban peso, leading many people to use this rate as a guide for their transactions, in a country where the economy is heavily dollarized,” Wimar tells us. 

After this publication, El Toque became very popular with the public, with the same rate being displayed all over the country. The government then estimated that 120 pesos equaled one US dollar (unlike our rate), which caused prices to soar with speculation. They then blamed journalists. But the people were not fooled; the government knew it had lost credibility with a large proportion of Cubans. It nevertheless maintained its official discourse for those who still had faith in its claims, but it lost the hegemony of communication thanks to the independent media.”

From there, Wimar and Laura’s lives were turned upside down. “The persecution never stops. Until September 2022, I had no problem being an independent journalist. But at the end of August 2022, the authorities targeted all el Toque contributors in Cuba and other independent journalists and political activists.

One morning, “they came to get Wimar by car and took him away for three hours to threaten him. They did the same to me the next day, with the same threats. They tried to dissuade us from continuing our work.”

After that, they broadcast the video on national television accusing us of being mercenaries in the pay of the United States, editing the video so that people would think we were working for a foreign government, in order to bring about regime change in Cuba and destabilize the country. This type of accusation is particularly used against journalists and political activists.” 

Fortunately, the newspaper is entirely digital and a large proportion of its journalists are based abroad, allowing it to keep rolling.

Because of my cartoons denouncing the abuses of power, I suffered persecution and interrogation,” confides Wimar. “They forced me to quit my job too, telling me I risked ten years in prison if I refused. With the Xel2 supplement, we were able to bypass the censorship through Xel2 to which graphic humor has been subjected for over 60 years, particularly in the official state media.” Simply publishing “articles that stepped outside the government agenda exposing the government, was a slap in the face to the censors,” says Laura with a valiant smile.

We rekindled a taste for this type of journalism and other media began to follow, opening up a place for cartooning in the independent media. The government couldn’t let such freedom grow.” 

“Some journalists can’t or don’t know how to leave the island”

For the cartoonist, “the Cuban government even pursues left-wing media that defend socialism. Even the simplest communication initiative from outside the Communist Party is considered suspect and can lead to persecution. There is no left-wing government in Cuba, it’s a bureaucratic oligarchy where power is in the hands of a few people close to the Castro family.”  

“As for the economy, it’s in the hands of a conglomerate of military companies called GAESA. There is no separation of powers in Cuba, everything is controlled by the Party. This generates a context with no legal guarantees for anyone considered a dissident.”

If the two journalists managed to escape, it was thanks to the international network Cartoon for Peace and RSF. “After our forced resignations, Wimar asked Cartoon Movement for help, and they put him in touch with Cartooning for Peace. They helped us get our visas and set up in Paris. France has a history of freedom of expression, and I think they helped us protect these values,” says Laura, who came to know France through its ideals of equality and freedom.

A very discreet power

Ideals to which the journalist couple and the Cuban people have aspired for years. “While Cuba remains very discreet about its actions and the way it silences its population, it has become increasingly complicated for the government to hide its human rights violations with the advent of the Internet. Five years ago, we didn’t know what was going on in terms of activism, even when Laura worked for a government newspaper. The Internet has been a real lever for press freedom.”

While they have managed to escape the dictatorship, this is not the case for the majority of their colleagues, from whom they try to get news. “Some journalists have decided to stay but are still under threat, but they don’t want to leave the country where they were born. There have to be journalists in Cuba, especially independent ones, and others don’t know how to leave the country. Or still others prefer to remain anonymous to protect themselves.” 

Cuba has now become too dangerous for them to work in peace, so they continue their fight from France and the Maison des Journalistes. For the time being, Laura collaborates from time to time with El Toque and Wimar for “La Joven Cuba”, where he draws a humorous column every Sunday. 

But they can’t receive support online, “the Cuban people are very afraid because many depend on their work with the government or fear reprisals. There’s a law in Cuba that allows you to fine or imprison someone for giving their opinion on social networks or making fun of the government, so no one dares say anything.” A phenomenon far from discouraging them in their fight, which they know is necessary and inescapable.

By Maud Baheng Daizey. Translation by Andrea Petitjean.

Brazil : does Lula’s re-election mark the return of the free press ?

For more than four years, former president Jair Bolsonaro fueled a witch hunt against the Brazilian press and its journalists. More than 150 days after the inauguration of Luiz Inácio Lula da Silva, what has become of the muzzled press? Can we now say that the press is free again in Brazil? L’Œil de la maison des journalistes takes stock. 

In addition to the attacks on the press, Brazil has also suffered attacks on democracy in the broadest sense. On January 8, 2023, just as millions of voters had made their choice for Brazil’s new president, riots broke out in Brasilia, the country’s federal capital, to contest the results.

More than 300 people were arrested that evening, as hundreds of pro-Bolsonaro supporters stormed administrative buildings. 

Traveling in Florida at the time of the riot, Jair Bolsonaro admitted having “accidentally” shared a video disputing the presidential results, galvanizing his supporters.

Numerous criticisms and accusations undermined the press, suspected of having fomented a rigged election with Lula. Since 2018, everything was done to muzzle journalists: online harassment campaigns, insults, denigration of their work…

Brazilian journalist, “enemy of the people”

Born in Rio in 1988, Artur Romeu lived most of his life in the capital, before moving to France between 2013 and 2015 for a master’s degree in humanitarian law. He has been working in the field for 15 years, mainly in Brazil but also throughout Latin America. Hired as an intern at RSF in 2015, Artur took over as head of the office in November 2022.

It’s difficult to have a concrete idea” of the most complicated subjects to cover according to him, as violence against the press existed long before Jair Bolsonaro’s presidency.

Since 2010, Brazil has been the country with the second highest number of journalists killed in Latin America behind Mexico” – 30 people. What did they have in common? They all worked in small and medium-sized towns, covering local and daily news. 

Journalists who are “invisible” in the Brazilian press and the major newsrooms of the southeast, but who remain the first victims of violence and prosecution.

Cyber-harassment has become commonplace for journalists, especially for those who are most popular and most present online.

Photo de Sam McGhee

“The Bolsonaro government has been able to attack the press and create this image of the journalist as the enemy of the people in the collective imagination, and the major networks are particularly targeted.”

In 2022, RSF carried out a survey of journalists facing hate networks: in 3 months, during the election period, the team noted over three million attacks on Twitter (offensive content, insults…). The Bolsonarian government operated a “coup de force to discredit the press and control public debate.” 

A situation that the Lula government is now trying to reverse, thanks in particular to the creation of a national observatory on violence against the press, under the aegis of President Lula.

“However, there are still ‘zones of silence’ for journalists in the country. If we talk about censorship in these areas, for example, people can sometimes find it hard to understand.”

Environment and agriculture, black sheeps of journalism in Brazil

Areas of silence” corroborated by journalist Pierre Le Duff. “In many rural regions of the country, such as the central-west, agriculture and large rural estates are the main sources of wealth and employment.” 

Currently freelancing for several television, radio and online media in Brazil for almost five years, Pierre Le Duff agreed to talk to MDJ. 

According to the journalist, “all the subjects linked to agribusiness, human rights and the environment” are very complicated to cover. Pesticides, water use, deforestation, fires, slave labor… remain mostly taboo.

One of her colleagues had a painful experience of this, “following a report on the historic fires that ravaged the Pantanal in 2020. My colleague received a message from the son of a farmer we had interviewed,” telling her that she and her team would “no longer be able to return to the region.” 

“His father had told us that he used slash-and-burn agriculture, a practice that had been singled out as the main cause of the fires, which had grown to gigantic proportions. It was simple intimidation, received after the publication of our report.” 

However, Pierre Le Duff points to “the murder last year of British journalist Dom Phillips in the Amazon, which reminds us that being a foreigner is no guarantee of protection” in Brazil.

“Anyone who closely investigates subjects as sensitive as criminal activity in the Amazon or other isolated regions of Brazil is potentially putting themselves at risk.”

Polarizing political debate to muzzle the press

Mistrust of the foreign media is also rife: “we are all the more suspected of being biased in our coverage. But those most likely to face hostility from far-right activists, or online harassment, remain journalists from Brazil’s mainstream media, who are also highly critical of Bolsonaro’s government.

Pierre Le Duff nonetheless temporizes, and points out that he has never been personally threatened because he has “rarely covered very sensitive subjects“, such as the elections or Amazonia. 

However, outside of these subjects, “Brazilians are pretty open when it comes to talking to journalists. They have a relaxed relationship with images, which makes things easier for television. But politics, since the 2018 presidential campaign, is a topic that some simply don’t want to talk about.

For many of the country’s citizens, the refusal to speak out is explained “by the fear that their words will be hijacked to serve a left-wing discourse or the interests of the opposing camp.” 

After four years of a mortifying policy against the media, pro-Bolsonaro are “convinced that journalists are all left-wing and anti-Bolsonaro, to the point of abandoning all ethics with the sole aim of damning him. This has been a reality since 2018, and has become even more pronounced during the 2022 presidential campaign.

Woman, journalist and Brazilian: the triple whammy

Franco-Brazilian Bruno Meyerfeld, a freelancer working for Le Monde since 2019, points out that “it’s always more difficult to work on local subjects when you’re Brazilian rather than foreign.” 

In his view, the most complicated topics to cover remain corruption and embezzlement at local level.

Talking about a member of parliament, a councillor or a mayor who embezzles funds or takes part in illegal activity represents a very great risk” for Brazilians, “as does talking about gold mining.” 

But attacking paramilitary organizations and militias proves to be the most dangerous: “the police and military enjoy great impunity in Brazil, especially in Rio“, testifies Bruno Meyerfeld.

Although he has not personally received any threats or pressure, “I have been taken to task by pro-Bolsonaro supporters. Foreign journalists can then be physically threatened.”

In 2019, reporting from the Amazon shortly before the diplomatic crisis between Macron and Bolsonaro, Bruno felt “real hostility from local communities involved in deforestation.” 

Attempts at intimidation and espionage were the order of the day, “but there were no direct threats, just “dangerous” attitudes. In this kind of situation,if you stay, we can’t guarantee what will happen.” 

Bruno Meyerfeld takes the example of an interview with a Bolsonarist elected official in the northeast of the country, who had the slogan “if you move, I’ll shoot“, and stored rifles in his office. His assistant himself carried a Kalashnikov, and a mannequin in bulletproof vest stood in the room. 

Interviewees sometimes put their pistols on the table or display them prominently, especially in Brasilia where there are a lot of weapons,” making the interview that much more anxiety-inducing.

A tension that can lead to the death of foreign journalists, such as Dom Philips on June 5, 2022, but the risk falls particularly on Brazilian journalists, “whose murder can go unnoticed. They don’t have the same protection; we have the status, the nationality and the media to back us up.

An even more terrible situation for the country’s female journalists, in a “very misogynistic” society, where intimidation and marginalization of women are ingrained in the culture. Brazil is one of the countries with the highest number of feminicides, leading to much domestic violence. Journalism is no exception to the rule, where Bruno Meyerfeld observes “a huge difference in treatment.” 

Threatened publicly and physically, they will have lived through hell under the Bolsonaro presidency. The former president and his sons tried to “destroy the lives of two Brazilian journalists“, in particular Patricia Campos Mello, author of an extensive investigation into the Bolsonaro party

Major campaigns of intimidation and online harassment punctuated their daily lives throughout the presidency.

All the obstacles that the Brazilian media players have to overcome do not prevent them from following through on their investigations, nor from helping foreign journalists if need be. For Bruno, the “great generosity” of Brazilian journalists is a reality. 

“They take considerable risks because they are passionate about their profession, and they are aware of the weight of truth in a country with a fragile democracy. They have a much stronger investigative culture than in France, and sometimes they even offer us subjects to help us. There’s no animosity or rancor on their part towards other journalists,” he testifies.

But with the inauguration of President Lula, our interviewee describes “a country that is generally calmer, at the end of a very tough political cycle.” With the hundreds of arrests following the riots of January 8, pro-Bolsonaro “have understood that they risk ending up in prison and that justice can crack down“, leading to less violence in the streets.

However, Brazil still has a long way to go to proclaim the return of a free and independent press: the country still ranks 110th in RSF’s press freedom index, and continues to attack the lives of journalists. It remains to be seen whether the Observatory of Violence against the Press will soon be able to protect reporters and consolidate press freedom.

Maud Baheng Daizey. Translation by Andrea Petitjean.

Brésil : la réélection de Lula signe-t-elle le retour de la presse libre ?

Pendant plus de quatre ans, l’ancien président Jair Bolsonaro a nourri une chasse aux sorcières contre la presse brésilienne et ses journalistes. Plus de 150 jours après l’investiture de Luiz Inácio Lula da Silva, qu’est devenue la presse muselée ? Peut-on dire aujourd’hui qu’elle est de nouveau libre au Brésil ? L’Œil de la maison des journalistes fait le point. 

Marqué par les attaques contre la presse, le Brésil a également subi des atteintes à la démocratie au sens plus large. Le 8 janvier 2023, alors que des millions d’électeurs ont fait leur choix concernant le nouveau président du Brésil, des émeutes éclatent à Brasilia, capitale fédérale du pays, pour contester les résultats.

Plus de 300 personnes sont arrêtées le soir-même, des centaines de pro-Bolsonaro ayant pris d’assaut les bâtiments administratifs. 

En déplacement en Floride au moment de l’émeute, Jair Bolsonaro avait reconnu avoir partagé « accidentellement » une vidéo contestant les résultats de la présidentielle, galvanisant ses supporters.

De nombreuses critiques et accusations ont miné la presse, soupçonnée d’avoir fomenté une élection truquée avec Lula. Depuis 2018, tout était bon pour museler les journalistes : campagnes de harcèlement en ligne, insultes, dénigrement de leur travail…

Le journaliste brésilien, « ennemi du peuple »

Né en 1988 à Rio, Artur Romeu a vécu une grande partie de sa vie dans la capitale, avant de passer en France entre 2013 et 2015 pour un master en droit de l’humanitaire. Il travaille dans le domaine depuis 15 ans, principalement au Brésil mais également dans toute l’Amérique latine. Engagé en tant que stagiaire chez RSF en 2015, Artur a pris la direction du bureau depuis novembre 2022.

« Il est difficile d’avoir une idée concrète » des sujets les plus compliqués à couvrir selon lui, car la violence envers la presse existait bien avant la présidence de Jair Bolsonaro.

« Depuis 2010, le Brésil est le second pays avec le plus grand nombre de journalistes tués en Amérique latine derrière le Mexique », soit 30 personnes. Leurs points en commun ? Tous travaillaient dans des petites et moyennes villes, et couvraient l’actualité locale et quotidienne. 

Des journalistes « invisibilisés » dans la presse brésilienne et les grandes rédactions du sud-est, mais qui demeurent les premières victimes des violences et poursuites judiciaires.

Le cyberharcèlement est devenu monnaie courante pour les journalistes, surtout pour les plus populaires et les plus présents en ligne. 

Photo de Sam McGhee

« Le gouvernement Bolsonaro a su s’attaquer à la presse et créer cette image du journaliste ennemi du peuple dans l’imaginaire collectif, et les grandes chaînes sont particulièrement visées. »

En 2022, RSF a fait un travail d’enquête sur les journalistes face aux réseaux de la haine : en 3 mois, durant la période électorale, l’équipe a relevé plus de trois millions d’attaques sur Twitter (contenu offensif, insultes…). Le gouvernement bolsonarien a opéré un « coup de force pour décrédibiliser la presse et contrôler le débat public. » 

Une situation que le gouvernement Lula tente aujourd’hui d’inverser, notamment grâce à la création d’un observatoire national des violences contre la presse, sous l’égide du président Lula.

« Pourtant, nous avons encore dans le pays des “zones de silence” pour les journalistes. Si nous évoquons par exemple la censure dans ces zones, les populations peuvent parfois avoir une difficulté d’appréhension. » 

Environnement et agriculture, bêtes noires du journalisme au Brésil

Des « zones de silence » que le journaliste Pierre Le Duff corrobore. « Dans de nombreuses régions rurales du pays tel le centre-ouest, l’agriculture et les grandes propriétés rurales sont les principales sources de richesse et pourvoyeurs d’emplois. » 

Actuellement en freelance pour plusieurs médias télévisés, radio et presse en ligne au Brésil depuis près de cinq ans, Pierre Le Duff a accepté de se confier au micro de la MDJ. 

Selon le journaliste, « tous les sujets liés à l’agro-négoce, ayant trait aux droits de l’Homme et à l’environnement » sont très compliqués à couvrir et traiter. Les pesticides, l’usage de l’eau, la déforestation, les incendies, le travail esclave... Demeurent pour la plupart du temps tabous.

Une de ses collègues en a fait la douloureuse expérience, « à la suite d’un reportage sur les incendies historiques qui ont ravagé le Pantanal en 2020. Ma collègue a reçu un message du fils d’un fermier que nous avions interviewé », lui annonçant qu’elle et son équipe ne pourraient « plus revenir dans la région. » 

« Son père nous avait déclaré avoir recours au brûlis agricole, pratique pointée du doigt comme la principale cause des incendies qui avaient pris des dimensions gigantesques. C’est une simple intimidation, reçue après la publication de notre reportage. » 

Pierre Le Duff interpelle toutefois sur « l’assassinat l’an dernier du journaliste britannique Dom Phillips en Amazonie, qui nous rappelle qu’être étranger n’est pas un gage de protection » au Brésil.

« Quiconque enquête de près sur des sujets aussi sensibles que les activités criminelles en Amazonie ou dans d’autres régions isolées du Brésil se met potentiellement en danger. »

Une polarisation du débat politique pour museler la presse

La méfiance envers les médias étrangers est également très présente : « nous sommes d’autant plus suspects d’être partiaux dans notre couverture. Mais les plus susceptibles d’être confrontés à l’hostilité des militants d’extrême-droite, ou au harcèlement en ligne, restent les journalistes des grands médias brésiliens, aussi très critiques du gouvernement de Bolsonaro. »

Pierre Le Duff temporise néanmoins, et rappelle qu’il n’a jamais été menacé personnellement car il a « peu couvert des sujets très sensibles », telles que les élections ou l’Amazonie. 

Pourtant en-dehors de ces sujets, « les Brésiliens sont plutôt ouverts quand il s’agit de parler aux journalistes. Ils ont un rapport décomplexé à l’image, ce qui facilite les choses pour la télévision. Mais la politique, depuis la campagne présidentielle de 2018, est un thème que certains ne veulent tout simplement pas aborder. »

Pour beaucoup de citoyens du pays, le refus de s’exprimer s’explique « par la crainte que l’on détourne leur propos pour servir un discours de gauche ou les intérêts du camp adverse. » 

Après quatre ans d’une politique mortifère contre les médias, les pro-Bolsonaro sont « convaincus que les journalistes sont tous de gauche et anti-Bolsonaro, au point d’abandonner toute déontologie dans l’unique but de l’accabler. C’est une réalité depuis 2018, et cela s’est encore accentué pendant la campagne présidentielle de 2022. » 

Femme, journaliste et brésilienne : la triple-peine

Le franco-brésilien Bruno Meyerfeld, pigiste indépendant et pour Le Monde depuis 2019, dénote « qu’il est toujours plus difficile de travailler sur des sujets locaux lorsqu’on est brésilien plutôt qu’étranger. » 

Les thèmes les plus compliqués à traiter demeurent à ses yeux la corruption et le détournement d’argent au niveau local.

« Parler d’un député, un conseiller municipal ou un maire qui détourne des fonds ou participe à une activité illégale représente un très grand risque » pour les Brésiliens, « de même qu’évoquer l’orpaillage. » 

Mais s’attaquer aux organisations paramilitaires et milices s’avère être le plus dangereux : « les policiers et les militaires bénéficient d’une grande impunité au Brésil, surtout à Rio », témoigne Bruno Meyerfeld.

S’il n’a personnellement pas reçu de menaces ou pression, « il m’est arrivé d’être pris à partie par les pro-Bolsonaro. Les journalistes étrangers peuvent alors être menacés physiquement. »

En 2019, en reportage dans l’Amazonie peu de temps avant la crise diplomatique entre Macron et Bolsonaro, Bruno a ressenti « une vraie hostilité des communautés locales participant à la déforestation. » 

Tentative d’intimidation et d’espionnage ont alors été le mot d’ordre « mais il n’y a pas eu de menace directe, plutôt des attitudes » dangereuses. Dans ce genre de situation, « si vous restez, on ne peut garantir ce qui va arriver. » 

Bruno Meyerfeld prend l’exemple de l’interview d’un élu bolsonariste dans le nord-est du pays, qui avait pour slogan « si tu bouges, je tire », et entreposait des fusils dans son bureau. Son assistant portait lui-même une kalachnikov, et un mannequin vêtu d’un gilet pare-balles se tenait dans la pièce. 

« Il arrive que des interviewés posent leurs pistolets sur la table ou les présentent en évidence, notamment à Brasilia où il y a beaucoup d’armes », de quoi rendre l’interview bien plus anxiogène.

Une tension qui peut mener à la mort des journalistes étrangers, tel Dom Philips le 5 juin 2022, mais le risque incombe particulièrement les journalistes brésiliens, « dont le meurtre peut passer inaperçu. Ils ne bénéficient pas de la même protection, nous avons le statut, la nationalité et le média en plus pour nous soutenir. »

Une situation encore plus terrible pour les femmes journalistes du pays, dans une société « très misogyne », où l’intimidation et la marginalisation des femmes sont ancrées dans la culture. Le Brésil est l’un des pays avec le plus de féminicides, conduisant à beaucoup de violences domestiques. Le journalisme n’échappe pas à la règle, où Bruno Meyerfeld constate « une grande différence de traitement. » 

Menacées publiquement et physiquement, elles auront vécu l’enfer sous la présidence Bolsonaro. L’ancien président ainsi que ses fils ont tenté de « détruire la vie de deux journalistes brésiliennes », notamment celle de Patricia Campos Mello, auteure d’une vaste enquête sur le parti Bolsonaro

De grandes campagnes d’intimidations et de harcèlement en ligne ont rythmé leur quotidien pendant toute la présidence.

Tous les obstacles que doivent traverser les acteurs des médias brésiliens ne les empêchent pas d’aller jusqu’au bout de leurs investigations, ni d’aider les journalistes étrangers si besoin. Pour Bruno, la « grande générosité » des journalistes brésiliens est une réalité. 

« Ils prennent des risques considérables car ils sont passionnés par le métier, ils ont conscience du poids de la vérité dans un pays à la démocratie fragile. Ils ont une culture de l’investigation bien plus forte qu’en France, parfois ils nous offrent même des sujets pour nous aider. Il n’y a aucune animosité ou rancœur de leur part envers les autres journalistes », témoigne-t-il. 

Mais avec l’investiture du président Lula, notre intervenant évoque « un pays globalement apaisé, à la sortie d’un cycle politique très dur. » Avec les centaines d’arrestations suite aux émeutes du 8 janvier, les pro-Bolsonaro « ont compris qu’ils risquent de finir en prison et que la justice peut sévir », conduisant à moins de violences dans les rues.

Du chemin reste cependant à parcourir pour proclamer le retour de la presse libre et indépendante au Brésil : le pays occupe toujours la 110ème place du classement RSF, et continue d’attenter à la vie des journalistes. Reste à savoir si l’observatoire des violences contre la presse permettra bientôt de protéger les reporters et consolider la liberté de la presse.

Maud Baheng Daizey

« La persécution ne s’arrête jamais » : à Cuba, les journalistes muselés par le pouvoir

Arrivés à la Maison des journalistes début janvier 2023, le couple cubain Laura Seco Pacheco et Wimar Verdecia Fuentes n’a rien perdu de sa verve. Ils ont toujours cette volonté de se battre pour la liberté de la presse et d’expression à Cuba, et ont accepté de nous détailler la censure subie sur l’île. 

Âgés respectivement de 29 et 35 ans, Laura et Wimar n’avaient jamais visité la France jusqu’à leur arrivée sur le territoire, le 9 décembre 2022. Lors de notre entretien, Wimar n’hésitera pas à s’emparer d’un marqueur pour expliquer sa pensée sur le tableau blanc à notre disposition. Laura, journaliste depuis 2018, a d’abord travaillé pour le journal gouvernemental Vanguardia, où elle produisait des articles sur des thèmes variés, mais principalement culturels. 

Le temps que j’ai passé à Vanguardia était dû à mon service social, qui est obligatoire dans un média d’État après l’obtention du diplôme”, explique-t-elle sur un ton mesuré. Elle y est restée trois ans, années durant lesquelles la jeune femme a nourri une forte envie d’indépendance. Elle finit par rejoindre le quotidien El Toque en janvier 2022, par amour de l’information libre. 

Laura en visite à Paris.

Plus de 1000 prisonniers politiques à Cuba

La presse indépendante est cependant interdite dans le pays par la Constitution cubaine, compliquant d’autant plus sa tâche. En septembre 2022, les pressions gouvernementales étaient telles qu’El Toque a connu une vague de démissions forcées. 

Dans un article datant du même mois, le média explique que « les scénarios d’interrogatoires et de chantage, ainsi que l’utilisation de la réglementation de voyage à plusieurs des collègues résidant à Cuba, ont fait que, jusqu’au 9 septembre 2022, le nombre de démissions de membres de notre équipe s’élevait à 16. » 

Face aux menaces constantes et sérieuses, Laura finit à son tour par renoncer « à la possibilité de travailler dans toute autre plateforme de journalisme indépendant à Cuba. » Ceux qui souhaitent continuer de travailler se voient forcés de le faire depuis l’étranger, au risque d’être emprisonnés, sans accès aux sources et informations gouvernementales. 

« Il y a aujourd’hui le journaliste Lázaro Yuri Valle Roca en prison, à ma connaissance », recense Laura. « Le bureau du procureur l’a inculpé des crimes présumés de propagande ennemie continue et de résistance. Mais il existe au moins 1000 prisonniers politiques à l’heure actuelle. Les disparitions et détentions de plusieurs jours sont monnaie courante à Cuba. »

« Beaucoup ne sont pas politiciens, la plupart sont accusés d’avoir commis des délits de droit commun. Ils sont considérés comme des prisonniers politiques à cause des accusations pesant sur eux : corruption ou espionnage, par exemple. » Politiques, sociaux, économiques ou sportifs, l’équipe d’El Toque tenait à couvrir tous les événements de la société cubaine, au grand dam du gouvernement.

Le caricaturiste Wimar avec sa nouvelle peinture.

De la pointe aiguisée de son crayon, le caricaturiste et illustrateur Wimar Verdecia Fuentes dénonce et défie le régime cubain depuis des années, notamment pour le quotidien El Toque. 

Membre de la presse indépendante depuis 2018, Wimar a d’abord entamé sa carrière en tant qu’illustrateur. Non sans fierté, il a confié au micro de la MDJ être l’un des premiers à introduire la caricature politique dans les nouveaux médias indépendants de Cuba : ses caricatures étaient publiées dans le supplément Xel2, appartenant à El Toque. 

Depuis septembre 2022, il fait partie du “Cartoon Movement”, et a déjà dessiné sur des sujets internationaux (la guerre en Ukraine), sportifs (la coupe d’Europe), ou sociétaux (les armes aux Etats-Unis). Cartoon Movementest une plateforme en ligne, destinée aux dessinateurs et caricaturistes du monde entier afin de publier leurs œuvres et obtenir une meilleure visibilité.

Wimar était également le directeur de publication de Xel2. Sa démission a poussé la rédaction à fermer le site de Xel2, à son plus grand désarroi.

Peu à peu, leur travail au sein d’el Toque a suscité l’ire du gouvernement cubain. Le journal est devenu la cible principale de l’Etat car la population s’intéressait de plus en plus aux dessins de Wimar et aux articles de journalistes telle Laura.

Face à cette popularité dérangeante, le gouvernement cubain a resserré l’étau autour de la presse. Entre 2020 et 2021, la guerre est déclarée. 

Le taux de change, arme de la liberté d’expression cubaine 

« Le journal a publié le taux informel de change entre le dollar et le peso cubain, conduisant de nombreuses personnes à utiliser ce taux comme guide pour leur transaction, dans un pays où l’économie est fortement dollarisé », nous explique Wimar. 

« Après cette publication, El Toque est devenu très populaire aux yeux du public, le même taux était affiché partout dans le pays. Le gouvernement a alors estimé que 120 pesos égalaient un dollar américain (contrairement à notre taux), ce qui a fait monter les prix en flèche avec la spéculation. Ils ont ensuite rejeté la faute sur les journalistes. Mais le peuple n’était pas dupe, le gouvernement savait qu’il avait perdu sa crédibilité pour une grande partie des Cubains. Il a néanmoins maintenu son discours officiel pour ceux qui ont toujours foi en ses dires, mais il a perdu l’hégémonie de la communication grâce aux médias indépendants.”

De là, la vie de Wimar et Laura bascule. « La persécution ne s’arrête jamais. Jusqu’en septembre 2022, je n’avais pas de problème à être une journaliste indépendante. Mais à la fin du mois d’août 2022, les autorités ont visé tous les collaborateurs d’el Toque à Cuba et d’autres journalistes indépendants et militants politiques. »

Un matin, « ils sont venus chercher Wimar en voiture et l’ont emmené durant trois heures pour le menacer. Ils m’ont fait la même chose le lendemain, avec les mêmes menaces à la clé. Ils ont essayé de nous dissuader de continuer notre travail, mais nous avons poursuivi en catimini. » « Ils nous ont obligés à démissionner publiquement et à tourner une vidéo dans laquelle nous reconnaissons avoir travaillé pour El Toque et dévoiler notre salaire. »

Laura Seco Pachecho et Wimar Verdecia Fuentes quelques jours après leur arrivée sur Paris.

« Après cela, ils ont diffusé la vidéo à la télévision nationale en nous accusant d’être des mercenaires à la solde des Etats-Unis, en éditant la vidéo de sorte à ce que l’on pense que nous travaillions pour un gouvernement étranger, afin d’instaurer un changement de régime à Cuba et déstabiliser le pays. Ce type d’accusation est particulièrement utilisé contre les journalistes et les activistes politiques. » 

Heureusement, le journal est entièrement digital et une grande partie de ses journalistes est basée à l’étranger, lui permettant de continuer de tourner.

« A cause de mes caricatures dénonçant les abus du pouvoir, j’ai subi des persécutions et des interrogatoires », confie Wimar. « Ils m’ont forcé à quitter mon travail aussi, me disant que je risquais dix ans de prison si je refusais. Avec le supplément Xel2, nous avons pu contourner la censure à travers Xel2 à laquelle l’humour graphique est soumis depuis plus de 60 ans, notamment dans les médias officiels de l’Etat. » Le simple fait de publier « des articles qui sortaient de l’agenda gouvernemental exposant le gouvernement, était une gifle pour les censeurs », affirme Laura avec un sourire vaillant.

« Nous avons ravivé le goût pour ce type de journalisme et d’autres médias ont commencé à suivre, ouvrant une place à la caricature dans les médias indépendants. Le gouvernement ne pouvait pas laisser grandir une telle liberté. » 

« Certains journalistes ne peuvent ou ne savent pas comment quitter l’île »

Pour le dessinateur, « le gouvernement cubain poursuit même les médias de gauche qui défendent le socialisme. Même la simple initiative de communication venant de l’extérieur du Parti communiste est considérée comme suspecte et peut conduire à la persécution. Il n’y a pas de gouvernement de gauche à Cuba, il s’agit d’une oligarchie bureaucratique où le pouvoir est entre les mains de quelques proches de la famille Castro. »  

« L’économie, elle, est entre les mains d’un conglomérat d’entreprises militaires appelé GAESA. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs à Cuba, tout est contrôlé par le Parti. Cela génère un contexte sans garantie légale pour quiconque considéré comme un dissident. »

Si les deux journalistes sont parvenus à s’enfuir, c’est grâce au réseau international Cartoon for Peace et RSF. « Après nos démissions forcées, Wimar a demandé de l’aide au Cartoon Movement qui l’a mis en contact avec Cartooning for Peace. Ils nous ont aidés à obtenir nos visas et à nous installer à Paris. La France a un historique avec la liberté d’expression, et je pense qu’ils nous ont aidé pour protéger ces valeurs », analyse Laura, qui a connu la France à travers ses idéaux d’égalité et de liberté.

Un pouvoir très discret

Des idéaux auxquels le couple de journalistes et la population cubaine aspirent depuis des années. « Si Cuba demeure très discrète sur ses agissements et sa manière de faire taire la population, il est devenu de plus en plus compliqué pour le gouvernement de cacher ses violations des droits de l’Homme avec l’avènement d’Internet. Il y a cinq ans, on ne savait pas ce qu’il se passait niveau activisme, même quand Laura travaillait pour un journal gouvernemental. Internet a été un véritable levier pour la liberté de la presse. »

S’ils ont réussi à échapper à la dictature, ce n’est pas le cas de la majorité de leurs confrères et consœurs, dont ils essayent d’obtenir des nouvelles. « Certains journalistes ont décidé de rester mais sont toujours menacés, mais ils ne veulent pas quitter le pays qui les a vu naître. Il faut bien qu’il y ait des journalistes à Cuba, surtout indépendants, et d’autres ne savent pas comment quitter le pays. Ou bien d’autres encore préfèrent rester anonymes pour se protéger. » 

Désormais, Cuba est devenue trop dangereuse pour qu’ils puissent y travailler en toute sérénité : ils continuent donc leur combat depuis la France et la Maison des journalistes. Pour l’instant, Laura collabore de temps en temps avec El Toque et Wimar pour “La Joven Cuba”, où il dessine chaque dimanche une colonne humoristique. 

Mais ils ne peuvent pas recevoir de soutien en ligne, « le peuple cubain a très peur car beaucoup dépendent de leur travail avec le gouvernement ou craignent des représailles. Il existe une loi à Cuba permettant d’infliger une amende ou emprisonner quelqu’un pour avoir donné son avis sur les réseaux sociaux ou pour s’être moqué du gouvernement, alors personne n’ose rien dire. » Un phénomène loin de les décourager dans leur combat, qu’ils savent nécessaire et inéluctable. 

Maud Baheng Daizey

MORT À PARIS D’UN EXILÉ CUBAIN : JESÚS ZÚÑIGA

Par Jacobo Machover

Jesús Zúñiga à la Maison des journalistes. © Lisa Viola Rossi

Jesús Zúñiga était un combattant pour la liberté de la presse et pour la liberté tout court. Mais il était incompris car il avait osé s’attaquer à un régime communiste qui bénéficie encore de la sympathie de nombre de ses collègues journalistes et intellectuels à travers le monde, celui de la Cuba des frères Castro et de leurs épigones. 

Il y avait pourtant vécu l’enfer. Journaliste indépendant, c’est-à-dire en dehors de la presse officielle, entièrement inféodée au Parti communiste (unique) depuis le début des années 1990, il avait été harcelé par la police politique, la Seguridad del Estado, et détenu pendant plusieurs semaines dans ses locaux, que tous les Cubains craignent particulièrement. La raison ? Il racontait, pour les journaux et les radios de l’exil, principalement installés aux États-Unis et diffusant à l’intérieur de l’île, la réalité quotidienne, celle de la corruption (secret d’État !) et de la prostitution (comment ? cela ne pouvait exister dans un pays socialiste !). Il avait même été cité dans un discours par Fidel Castro en personne, pas de manière élogieuse, évidemment. Bien qu’il en fît un titre de gloire, montrant à qui voulait l’entendre l’exemplaire de Granma, le quotidien officiel, qui reproduisait l’interminable discours en question,cela pouvait lui valoir une longue peine de prison. Ce fut le cas, durant la primavera negra (le « printemps noir ») de 2003, pour 75 dissidents et journalistes indépendants, condamnés, en moyenne, à vingt ans (ils purgèrent pour la plupart sept ans, avant d’être envoyés loin de Cuba, en Espagne. Jesús Zúñiga échappa à cette rafle mais, dès lors, il savait qu’il était à la merci de n’importe quelle vague répressive qui pouvait avoir lieu par la suite et ce, jusqu’à nos jours.  

Sa collaboration avec moi, écrivain exilé, par la rédaction d’un chapitre d’un de mes livres, Cuba, totalitarisme tropical, ou par la participation à des revues, le condamnait à la répression à court ou à moyen terme. Il en fut averti lors d’une convocation -une de plus- au siège de la Seguridad. Dès lors, il fallait organiser son départ à l’étranger. Cela devait se faire avec  sa femme, Margarita, et sa fille, Amelia, mais pour des raisons tenant au désintérêt, à l’inconscience et l’irresponsabilité de diverses personnalités françaises de tous bords, cela n’a pu se faire. Jesús est donc arrivé en France en juin 2006, seul. Peu après, il a été accueilli à bras ouverts à la Maison des journalistes, qui est devenue, comme il ne cessait de le répéter, sa « maison ». Il convient d’en remercier ici Philippe, Manu, Darline, Viola, qui ont été ses protecteurs et ses plus proches amis, ainsi que nombre de ses collègues, auxquels il s’évertuait à rappeler avec conviction le sens de son combat. 

Cependant, personne n’a pu faire pièce à l’absence de sa famille. Il portait sur lui une éternelle tristesse, à laquelle personne ne pouvait pallier. Au départ, juste après l’éloignement du pouvoir de Fidel Castro, suite à sa maladie, à partir de juillet 2006, nous avons cru que son exil n’allait pas durer, bien que Raúl Castro lui ait succédé. Il s’est prolongé jusqu’à sa mort.

Pendant ces quinze ans, Jesús est devenu une personnalité de l’exil. Il intervenait régulièrement dans les médias français, se désespérant toujours du manque de réactions aux injustices commises dans notre pays. Il organisait des débats et des réunions autour de la situation à Cuba, qui reste désespérément la même depuis des décennies. Il participait aux manifestations hebdomadaires devant l’ambassade castriste à Paris pour réclamer la libération des prisonniers politiques, dont bon nombre étaient ses amis. Par là, il a contribué grandement à la liberté qui vient, comme l’annoncent les manifestations spontanées contre le régime du 11 juillet 2021, qu’il a suivies avec enthousiasme et espoir.

J’ai malheureusement l’habitude d’apprendre à intervalles réguliers la mort de mes frères d’exil, dispersés aux quatre coins du monde. Mais celle de Jesús m’a particulièrement touché : c’est celle d’un frère de cœur, qui avait fait de la France, malgré toutes ses souffrances, sa terre d’asile. Il nous reste à perpétuer une solidarité toujours vivante envers sa mémoire et sa détermination à voir un jour, de là où il est, sa terre natale, qui est aussi la mienne, enfin libre de la tyrannie, qu’il a combattue de toutes ses forces.   

L’homme politique haïtien Jerry Tardieu visite la Maison des journalistes

Pendant sa tournée pour sensibiliser les médias et différentes institutions européennes sur la crise actuelle d’Haïti, l’ancien député et leader du mouvement politique En Avant, Jerry Tardieu, a accepté d’accorder un entretien au journal en ligne de la Maison des journalistes.

Par Anderson D. Michel

Jerry Tardieu, âgé de 54 ans, est un homme politique, un ancien député de la 50ème législature en Haïti (2016-2020). Il a lancé en octobre 2021 son mouvement politique En Avant. Selon lui, En Avant part d’une volonté d’hommes et de femmes de se mettre ensemble pour fournir à Haïti une offre politique différente de ce qui est à l’œuvre dans le pays. Un mouvement politique qui est constitué surtout de jeunes leaders en vue du renouvellement de la classe politique actuelle.

Axée sur trois piliers, la jeunesse, la femme et la diaspora, ce mouvement politique à travers son leader entend porter un souffle de changement à Haïti.

Jerry Tardieu : « Haïti est un pays en danger »

Le point sur la situation actuelle d’Haïti

Depuis plusieurs années, Haïti traverse une période très chaotique, tant au niveau des catastrophes naturelles que politiques. Le phénomène d’insécurité n’arrête pas de s’accroître sur l’île. Et les derniers rapports de l’ONU et d’autres institutions habilitées, font état d’une augmentation de 200% des cas d’insécurité dans le pays. Le leader de En Avant nous explique que le pays fait face à une crise multidimensionnelle, une crise institutionnelle, politique, économique et sécuritaire. Selon lui, les autorités expriment clairement leur impuissance par rapport au phénomène de gangs armés sur territoire haïtien qui, depuis plusieurs années, tuent, pillent, violent en toute impunité.

Jerry Tardieu affirme que le premier objectif de En Avant est de restaurer l’autorité de l’Etat et la sécurité en Haïti : « Il faut que les Haïtiens puissent vaquer librement à leur activité, quelle que soit leur condition sociale et les villes dans lesquelles ils vivent. Pour cela, la création au sein de la Police nationale d’une nouvelle structure anti-terroriste avec un équipement adéquat permettra de lutter contre les milices armées qui gangrènent le pays ».

L’ancien député revient sur son expérience au parlement haïtien.

 « Mon expérience à la chambre des députés a été une expérience enrichissante. Le parlement vous aide à mieux comprendre les rouages de l’administration publique, du système politique. Cela permet aussi de comprendre le mécanisme de cette grande corruption qui existe dans le pays », explique Jerry Tardieu. Se qualifiant d’ancien député de la minorité, il regrette de ne pas avoir eu la possibilité de tout faire à cause de la dictature du nombre qui règne au parlement haïtien. L’homme politique revient sur les différentes propositions de lois qu’il a présentées durant son mandat, notamment celles sur la Police nationale, la double nationalité, l’introduction du crédit bailleur comme outil financier. Il rappelle que certaines de ces propositions de lois ont été adoptées par décret et ont eu un impact considérable sur la société haïtienne.

Les priorités de En Avant

Donner à la police nationale d’Haïti la capacité de protéger et servir est la première préoccupation du mouvement politique En Avant, insiste Jerry Tardieu. Il parle aussi de l’emploi en faisant remarquer qu’il y a dans le pays beaucoup de jeunes diplômés et talentueux qui, malheureusement, ne peuvent pas trouver de travail. « Notre responsabilité est d’assurer les conditions aptes à garantir l’investissement privé, local ou étranger qui peuvent faciliter la création de millions d’emplois dont le pays a besoin », souligne l’ancien député. Il parle de d’éducation en soulignant, qu’en Haïti, il y a 4 000 000 d’enfants pour budget de 200 000 000 de dollars affectés à l’éducation. Ce qui représente un investissement de 50 dollars par année pour chaque enfant. Une situation que le député juge anormale en la comparant à celle de la République Dominicaine, le pays voisin d’Haïti, qui consacre 1000 dollars par année pour l’éducation de chaque enfant.

Des élections en 2022 ?

Pour Jerry Tardieu, les conditions ne sont pas réunies
Pour organiser les élections en Haïti, en raison de l’instabilité politique et la situation d’insécurité. « Quand est-ce que les conditions seront réunies ? On ne le sait pas. Mais elles devraient l’être tôt ou tard, parce que la démocratie passe par les élections », conclut-il.

Jerry Tardieu avec Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes

Jerry Tardieu interviewé par le journaliste haïtien Anderson D. Michel, résident de la Maison des journalistes.

Crédit photo : Ahmad Muaddamani, Karzan Hameed
Vidéo et montage : Ahmad Muaddamani