Entrées par Larbi Graine

ALGÉRIE. Djamel Bensmaïl ou le Alain de Monéys algérien

Au XIXe, un village de France a connu un événement similaire à celui que vient de secouer la localité kabyle de Larbâa Nath Irathen en Algérie. A 150 ans d’intervalle, Alain De Monéys et Djamel Bensmail ont en commun d’avoir été lynchés à mort par des foules. Et d’être innocents. Mise en perspective.

En cette journée du 16 août 1870, beaucoup de monde est venu assister à la foire annuelle aux bestiaux du paisible village de Hautefaye en Dordogne. L’atmosphère chaude et lourde pèse sur les esprits. Un mois plus tôt la France avait déclaré la guerre à la Prusse, ce qui lui avait valu des pertes humaines non négligeables.  Alors que la foule grouillait dans la foire comme une fourmilière, soudain un cri se fit entendre : « Attrapez-le, c’est un Prussien ! » Le doigt accusateur pointe le jeune Alain de Monéys, noble et grand propriétaire terrien, venu comme tout le monde faire son marché. Le jeune homme proteste et affronte les insultes. Mais, très rapidement, les premiers coups pleuvent. Les chroniqueurs rapportent en détail comment le persécuté tombe à terre avant de se relever et de chanceler puis de tenter de fuir. Le désir ardent de la foule de participer à ce châtiment collectif et la crainte de voir sa proie lui échapper, exacerbent sa férocité et son hostilité jusqu’au paroxysme. Reconnu comme Prussien,  Alain de Monéys représente aux yeux des gens présents l’homme porteur de menaces pour la sécurité de la France. Il doit périr de la manière la plus abjecte comme le clame ouvertement un de ces quidams qui prend une part active  à cette kermesse punitive qui, plus est, suivie par le reste de la population. 

Alain de Monéys qui sait qu’il va mourir demande aux gens qui l’assaillent de le fusiller. Mais il essuie un refus catégorique. Accéder à cette doléance équivaudrait à abréger les souffrances du supplicié et à empêcher ceux qui se prennent pour des justiciers d’assouvir leur vengeance contre la Prusse qui a tué beaucoup de Français. Ce serait également priver les gens du plaisir qu’ils éprouvent (l’espace d’un instant) à exercer le pouvoir absolu des maîtres ayant droit de vie ou de mort sur leurs sujets. Aussi, use-t-on fièrement de coups de poings, d’aiguillons et de pieux pour l’élimination du « Prussien ». Ces personnes qui ne savent pas encore qu’elles sont des assassins, ressentent une joie jubilatoire à l’idée de défendre la France et son Empereur. Piétiné, Monéys qui traîne une « tête comme un globe de sang » succombe sous les coups de ses assassins.  Alors qu’il gît inerte, la foule continue de le battre. Le « Prussien » est certes mort, mais il faut maintenant détruire son corps pour que l’anéantissement soit total et pour qu’il ne puisse jamais reposer en paix. Un ennemi  ne mérite pas de vivre, encore moins d’avoir une sépulture. Le cadavre est tantôt traîné sur le dos, tantôt  face contre le sol, la tête ricochant sur le chemin.  La mort physique est ainsi redoublée d’une mort symbolique dont la cristallisation induit la destruction intégrale ou partielle du corps. Aucun souvenir de l’être exécré ne devrait subsister parmi les vivants. La dévastation des traits de la victime, les offenses et les supplices qu’on lui fait subir, valent déchéance de son humanité. Ainsi, on jette le cadavre sur les pierres comme s’il s’agissait d’une bête inanimée n’inspirant plus aucune compassion. Aussi, une dizaine de personnes déclenchent-elles le massacre ultime. Après avoir amassé du papier et de la paille, elles en font un bûcher sur lequel elles placent la dépouille de Monéys. On se presse alors pour attiser le feu. Nombreux sont les gens qui prennent plaisir à remuer les restes carbonisés de la victime. Certains même s’amusent à en extraire des tisons pour allumer leur cigarette. On se gausse du reste « d’avoir fait griller un fameux cochon ». Ce crime commis par ceux qui pensent agir en justiciers, est conçu comme un juste châtiment. Les meurtriers agissant en toute conscience, pensant bien faire. Exultant de joie, ils sont persuadés de leur bonne action en faveur de la France et de l’Empereur en danger. Cette mise à mort publique, bien assumée, est mue en réalité, principalement par des ressorts politiques et non pas psychologiques ou pathologiques, comme on aurait tendance à le croire.  A peine quelques heures après ce forfait, les gendarmes arrivent pour mener l’enquête.  Quand il fut établi qu’Alain de Monéys était un Français et qu’il n’avait aucun lien avec la Prusse, on arrêta les meurtriers qui furent, après leur emprisonnement, condamnés à la peine capitale et guillotinés. 

Le lecteur averti saura que l’histoire dont je viens de rappeler les péripéties vient d’être revécue en Kabylie, presque dans les mêmes termes. Le crime de Hautefaye entre en résonance avec celui de Larbaâ Nath Irathen survenu le 11 août 2021. Cela soit dit en passant, le hasard a voulu que les deux forfaits, séparés par un siècle et demi d’intervalle, se fussent déroulés au mois d’août. Au-delà de la différence de culture et d’époque qui eût pu constituer une barrière, ces crimes survenus respectivement en Dordogne et en Kabylie, présentent des traits communs.  Les spécialistes de la foule ont, du reste déterminé des lois régissant les comportements collectifs. Gustave Le Bon,  cerne bien la question lorsqu’il affirme que la foule criminelle se forme généralement sur la base d’une suggestion puissante. Les personnes qui se mettent à tuer sont convaincues, explique-t-il, qu’elles ont obéi à un devoir, c’est tout le contraire du criminel ordinaire qui agit de son propre gré.   

En Kabylie, en proie à de gigantesques incendies, tous les éléments concouraient pour accréditer l’idée que les feux ont été causés par des actes volontaires. La communication du gouvernement, fort anxiogène, avait du reste distillé l’information selon laquelle les incendies sont d’origine criminelle. De ce fait, conditionnée, la population n’attendait que de lyncher les pyromanes au cas où elle parviendrait à mettre la main dessus.  La puissante suggestion dont parle Le Bon est donc actée. Elle est même accentuée par le comportement de la police qui embarque à bord de l’un de ses fourgons un jeune homme originaire de Meliana, ville située hors de la Kabylie. Si la police l’a arrêté, c’est qu’il a été pris en flagrant délit. En tous les cas, la nouvelle se propage comme une traînée de poudre, « on a attrapé un pyromane !»  La personne qui va incarner le rôle de Monéys est désormais Djamel Bensmaïl, un hirakiste, de surcroît artiste, qui s’était porté volontaire pour aider à éteindre les feux.  Certes, comparaison n’est pas raison, mais il est intéressant de retrouver dans l’événement récent ce que le passé lui a déjà réservé. Mon propos n’est pas d’affirmer que l’histoire est répétitive, mais d’en souligner les écarts. Ce qui différencie le crime de Larbâa Nath Irathen de celui de Hautefaye, réside dans son caractère préfabriqué : Djamel Bensmaïl fut livré à la foule par la police. Ce dernier se serait, d’après des sources policières, mis sous la protection d’une patrouille de police après qu’il a été accusé par certains villageois de pyromanie. Embarqué, Djamel est emmené au commissariat de police dont le siège jouxte la place où s’est amassée une foule nombreuse, qui plus est, chauffée à blanc par  la chaleur des incendies et les informations que font circuler les autorités à ce sujet.  Au lieu d’éviter tout ce qui peut nuire à la sécurité de leur protégé, les policiers garent leur véhicule au milieu de l’attroupement. Ils ne s’avisent pas d’user au préalable de leurs talkies-walkies pour s’enquérir de l’unité de police la plus susceptible d’accueillir Djamel dans les meilleures conditions possibles. Ainsi, sitôt le véhicule immobilisé parmi la multitude, il est pris d’assaut par des gens déchaînés. C’est à ce niveau qu’interviennent les smartphones inconnus du temps de Monéys. Car les vidéos postées sur les réseaux sociaux fournissent les détails de la molestation.  Après que les agents de police ont cédé, Djamel est frappé et battu jusque même à l’intérieur du véhicule de police. La victime est ensuite poussée vers la sortie où elle est rouée de coups répétés et nourris. Ballotté entre de nombreuses mains, son corps meurtri est traîné sur la place avant d’être brûlé. 

L’assassinat de Djamel Bensmaïl marque ainsi le passage de la foule intelligente à la foule meurtrière. Tout se passe comme si le crime de Larbâa Nath Irathen survenait pour gommer d’un trait les foules intelligentes et pacifiques du Hirak qui n’avaient eu de cesse, depuis maintenant presque trois ans ,d’ébranler les assises du régime. En outre, sur un registre plus sécuritaire, les services algériens chargés de l’ordre public semblent ignorer les enjeux criminologiques dès lors qu’ils se permettent de faire l’économie d’une anticipation des conséquences qui découleraient du fait de livrer en pâture à la foule une personne qu’ils sont censés protéger.  Pourtant, l’histoire de Monéys, et il en existe probablement d’autres, fait partie d’un corpus de criminologie devenu classique. N’empêche, si l’on veut voir par une sorte de grossissement comment prend fin l’histoire de Djamel en comparaison à celle de Monéys, le moins que l’on puisse dire est qu’elle s’achève en queue de poisson. Les assassins de Djamel dit la version officielle ne seraient pas les véritables assassins. La main qui les a armés, serait celle du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), lequel aurait été appuyé par le Maroc et Israël ! Ainsi, même la guerre avec l’ennemi trahit-elle un aspect fictif puisque le Maroc et Israël réunis ne font pas la Prusse. Il est évident qu’au moment des faits, l’Algérie ne faisait pas la guerre au Maroc, pas plus que le MAK ne prenait les armes contre lui-même.     

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MAGHREB. Élan putschiste tunisien et islamisme

Le président tunisien, Kaïs Saïed, semble avoir usé de procédés algériens, quand il dut annoncer, au soir du 25 juillet passé, le gel des activités de l’Assemblée des représentants du peuple durant 30 jours, la levée de l’immunité de tous les députés et le limogeage du chef du Gouvernement, Hichem Mechichi.

« Les mesures du 25 juillet » est l’euphémisme qu’ont préféré utiliser certains titres de la presse tunisienne pour qualifier ce putsch contre la constitution du pays. Tout dans cette mise en scène qui a entouré l’intervention présidentielle, rappelle la déloyauté et les tonalités autoritaires dont le régime algérien s’est fait une spécialité. Grandiloquence dans le propos, habits de scène faits de casques et de bottes avec à la clé l’engagement à respecter la constitution…

Pourtant, Kaïs n’est pas Bouteflika. Il en est même l’antithèse. Le premier a été élu et le second a été coopté par l’armée. N’empêche, les différences entre les deux personnages sont encore plus importantes que les similitudes. 

Quant à la comparaison des régimes des deux pays respectifs, il est à se demander, au-delà de l’apparente césure entre un système formaté par une révolution populaire et un système militariste rigide, s’ils n’ont pas en commun de subir, malgré tout, le diktat de l’État profond. Qu’on se souvienne des circonstances dans lesquelles l’actuel locataire du palais de Carthage fut élu. Toujours est-il, quand on voit comment la démocratie est malmenée sur les terres mêmes qui l’ont vue naître et grandir, il est permis de se dire que la démocratie nord-africaine, à peu près la seule dans la région qui ait pu atteindre un tel niveau, est, peut-être, en train d’imiter les défauts de ses devancières occidentales, étant donné qu’il est plus facile de mimer les travers que les qualités. En cette époque d’incertitude perpétuelle, jamais la criminalisation de la protestation politique et son corollaire, la surveillance intégrale des citoyens, n’ont trouvé meilleur alibi que le terrorisme. Avec l’affaire Pegasus, on se surprend à penser que finalement, si petit que puisse être un pays, si misérable que puisse être son économie, il est susceptible de développer un gigantisme ombrageux et monstrueux pour peu qu’il ait assez d’argent pour acquérir les nouvelles technologies de dernier cri .

Mais que sait-on réellement de l’activisme souterrain des grandes puissances ? La digression étant faite, revenons à la Tunisie. Mais il y a plus à dire sur la régression de l’islamisme que ce qui peut se dire de la violation par Kaïs Saïed de la constitution. L’argument massue en faveur de la politique du coup de pied dans la fourmilière, est celui qui consiste à mettre en avant le devoir moral de combattre la corruption. Eh quoi ? L’éradication de la gabegie, des malversations, du népotisme et l’instauration de la justice sociale, n’étaient-elles pas la raison d’être du parti islamiste Ennahdha? Les islamistes des places de Tunis, Alger et Rabat qui se prenaient pour le centre du monde, sont désormais rappelés à leur condition de mortels. Leur parcours n’est pas sans rappeler celui des communistes. Comme quoi, les utopistes, qu’ils soient laïques ou religieux, deviennent des gens des plus ordinaires dès lors qu’ils se diluent dans la nomenklatura. Il ne subsiste de leur ancienne vie que des signes qui font ambiance, le voile pour les uns, le foulard rouge pour les autres. Même s’il survit socialement, l’islamisme a cessé pourtant d’être un projet d’État. Il se réinvente en dehors de ses circuits traditionnels en investissant de plus en plus des individualités qui expriment des opinions divergentes, se conformant ainsi à une certaine vision « démocratique », disons plurielle de la société. Les réseaux sociaux, du reste, relaient ces voix multiples. Cette évolution confirme, si besoin est, que l’islamisme, pris dans son acception pragmatique (loin de ses penchants consuméristes), est une stratégie d’appropriation de la modernité. C’est pourquoi, l’élan putschiste tunisien me paraît d’autant plus injustifié qu’il vise un mouvement rongé par la déliquescence et condamné à la chute. 

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Législatives en Algérie : Abdelkader et le degré zéro de la politique

Les lendemains de la débâcle électorale du 12 juin passé sont cruels pour les généraux algériens. Le désaveu populaire envers le régime militaire est on ne peut plus éloquent.

Même le rafistolage des chiffres n’a pu cacher le fait que les « vainqueurs » des législatives (le Front de libération national – FLN, islamistes-maison et le Rassemblement national démocratique RND réunis) sont d’un poids politique infiniment infinitésimal, et pour tout dire : nul. C’est cette nullité paroxystique que le chef de l’État entend assumer. Ainsi, d’une manière officielle, Monsieur Abdelmadjid Tebboune a fait savoir, le jour même de la tenue du scrutin que le taux de participation ne l’intéressait pas. Autrement dit, les élections seront validées dussent-elles provoquer des fous rires. Un simple calcul basé sur les résultats définitifs publiés dans le Journal officiel, donne les pourcentages suivants : Le FLN qui soi-disant a remporté les élections, n’a pu décrocher que 1.18% des voix, les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (HMS), 0.85% et le Rassemblement national démocratique (RND), 0.81 %.

Bienvenu dans le monde à l’envers ! On a un pouvoir schizophrène qui, lui-même, met à nu la démocratie de façade. C’est la folie du pouvoir, une maladie dont seul Tebboune serait, dit-on, atteint. Dans un pamphlet publié sur sa page Facebook, Noureddine Boukrouh, ex ministre de Bouteflika a suggéré que le chef de l’État devrait être interné dans un asile psychiatrique. Sous le titre « Ce fou de Tebboune », le post a terriblement fait sensation sur les réseaux sociaux.

Connu pour être proche des services de renseignements-aile de l’ex DRS [Département du renseignement et de la sécurité], cet ex ministre n’a pas été inquiété alors que des activistes du Hirak ont été jetés en prison pour moins que rien. Mon propos n’est pas de souhaiter la prison aux politiques ou d’exiger des sanctions à leur encontre, ce serait une atteinte à la liberté d’expression. Toujours est-il que ce n’est pas Boukrouh qui va être emprisonné mais Nordine Aït Hamouda. Tout porte à croire que l’opération a été montée dans le cadre d’une guerre des services. Aït Hamouda aurait été attiré sur le plateau de Hayat TV dans un guet-apens. Ex député, Aït Hamouda est le fils du colonel Amirouche, maquisard kabyle tué par l’armée française, célèbre dans toute l’Algérie. Les hirakistes, des quatre coins du pays se réclament d’ailleurs de lui. L’un de leur slogan est « Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière ». Acquis aux idées d’un courant berbériste non consensuel, on aurait fait dire, haut et fort, à Aït Hamouda, ce qu’on pressentait qu’il serait capable de dire dans un débat à forte portée idéologique : l’Histoire en l’occurrence. C’est, du reste, avec fougue qu’il dénonça comme « traîtres » Houari Boumediene, ancien chef de l’État, Messali Hadj, le père du nationalisme algérien et l’émir Abdelkader, icône de la résistance algérienne à l’occupation française lors de ses débuts. Toutes ces personnalités vitupérées par Aït Hamouda appartiennent au courant arabo-islamiste. Arrêté et mis sous mandat de dépôt, le fils du colonel Amirouche est accusé d’ « atteinte aux symboles de l’État et de la révolution », « atteinte à un ancien président de la République », « atteinte à l’unité nationale », « incitation à la haine et discrimination raciale ». Toutes les voix sensées ont appelé à la libération de l’ex député arguant que l’affaire devrait être recadrée par les historiens. Oubliés donc les projectiles tirés sur Tebboune. Ainsi, ce dernier est gommé par un ancien chef d’État. A défaut de débattre des problèmes du présent, les Algériens sont ainsi conviés à s’occuper du passé.Il est utile de souligner que ce n’est pas la première fois qu’une personnalité historique est la cible de calomnies. Sous Bouteflika, Messali Hadj a été également dénoncé comme « traître » par un ex chef d’un parti berbériste. Plus près de nous, en 2020, c’est Abane Ramdane, un des principaux dirigeants du FLN historique, qui a fait l’objet d’une accusation de traîtrise de la part d’un fonctionnaire arabophone exerçant au niveau de l’administration de la wilaya (département) de M’sila. En outre, de son vivant, Ben Bella avait estimé que le congrès de la Soummam, qui devait organiser la révolution algérienne et dont Abane fut l’architecte, avait été une « trahison ». Dirigeant d’origine kabyle, partisan de l’éviction des militaires de la scène politique, Abane a été également célébré par les hirakistes qui se sont reconnus dans son combat.

Le débat sur l’histoire : un débat culturel

Force est de constater que ce débat sur l’Histoire renvoie à un conflit culturel dont les protagonistes ne sont autres que les élites politiques arabistes et berbéristes. Chacun de ces deux camps voit dans l’histoire de l’Algérie une histoire habitée par une succession de traîtres quoique différents selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre. Aussi, depuis la présence romaine, la figure de la traîtrise est toujours liée à un ancien colonisateur. c’est pourquoi d’aucuns diront que l’aguellid (roi) Massinissa fut le « chien » de Rome. L’historien et anthropologue Alain Mahé a bien cerné le problème lorsqu’il écrit que « la singularité de ces affrontements culturels [entre militants arabistes et militants berbéristes] réside dans le fait que les militants d’une cause ne parviennent à flétrir la cause adverse qu’en faisant intervenir un élément tiers, en l’occurrence un conquérant ou un colonisateur. [1]». Le discours historique des berbéristes « conduit implicitement à l’équation : arabe = colonisé, mais il en va de même dans les représentations qu’entretiennent les populations arabophones sur l’identité berbère.[2] » Mais ces derniers propos sont à relativiser vu que le Hirak qui est lui même un phénomène culturel, a fait évoluer les choses.

Un déluge de répression

Tout ce tintamarre fait autour de l’émir Abdelkader survient sur fond d’un déluge de répression visant les marches, les partis, les associations, les militants du Hirak, du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et les autonomistes. L’Algérie n’est pas loin d’atteindre 400 prisonniers politiques. Même Fethi Gheras, chef de file du MDS, héritier du communisme algérien, s’est vu arrêté à son domicile. Cette opération spectaculaire vise à semer la terreur dans la population. Ce n’est pas que le multipartisme soit menacé, c’est qu’il n’existe pas. Mêmes divisés en pro et anti-Tebboune, les généraux algériens, semblent penser qu’ils sont en mesure de réduire le Hirak et neutraliser le MAK en Kabylie, et ce, peut-être en favorisant les autonomistes avant de se retourner contre eux. L’accusation de terrorisme qui vise le mouvement indépendantiste ne peut s’expliquer pour le moment que de cette façon.

[1] Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, Bouchene, Paris, 2001, pp. 478-479.

[2] Ibid.

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De l’usage de la politique dégénérative en Algérie

Le président Abdelmadjid Tebboune s’est révélé une version améliorée d’Abdelaziz Bouteflika. Tout comme son prédécesseur, il est l’incarnation biologique d’un système politique frappé de paralysie.

Imposé par le commandement militaire dont les principaux représentants sont des gérontocrates, Tebboune perpétue l’impasse plus qu’il ne l’a résout. Et ce n’est pas un hasard si le mouvement anti-régime s’est donné pour nom « Hirak », qui signifie étymologiquement « mise en mouvement ». On a ainsi, d’un côté, une classe dirigeante moribonde, boiteuse et claudicante, qui, férocement se dispute la rente pétrolière, et de l’autre un peuple de marcheurs impénitents prêts à en découdre.

C’est peu dire que le régime algérien est un régime décadent. Bâti sur l’exclusion sociale, il est l’adepte d’une politique dégénérative ayant pour postulat la dépossession de tout ce qui constitue l’identité politique, culturelle et sociale des différents acteurs sociaux. De cette politique, les généraux ont en fait un instrument stratégique du processus de déclin économique, de décomposition institutionnelle et du dépérissement social. L’élaboration de cette politique est dominée par les stéréotypes qui distribuent aux uns et aux autres les bons et les mauvais points, décrétant ainsi qui doit vivre et qui doit mourir. Ainsi, le Haut conseil de sécurité, en violation de la constitution de 2020, a classé deux mouvements politiques -Rachad et le MAK – comme organisations « terroristes ». Le mouvement associatif n’a pas échappé à la vindicte du gouvernement. Implantée dans un quartier de la capitale, l’association SOS culture Bab El Oued, s’est vue accuser de financement étranger alors que ses dirigeants ont été qualifiés de « criminels ».

En réalité, c’est le soutien actif de cette association au mouvement populaire qui lui a valu les foudres des autorités. Non moins grave, a été la procédure judiciaire initiée par le ministère de l’Intérieur pour dissoudre le Rassemblement action jeunesse (RAJ), une association qui n’a eu de cesse d’œuvrer pour la consolidation du Hirak. Ces actions appuyées par des arrestations de militants et d’activistes ainsi que de journalistes ont préludé à la répression massive des manifestations du vendredi et du mardi habituellement animées par les étudiants. Les hirakistes se sont cependant distingués par un pacifisme sans faille, refusant de verser dans la violence alors même que l’occasion leur a été offerte. Il en est résulté que les rues d’Alger s’emplissent chaque vendredi de cars de police aux lieu et place des foules grandioses. Une confrontation avec les forces de l’ordre aurait débouché sur une situation catastrophique qui aurait pu justifier le report ou l’annulation des élections législatives prévues le 12 juin prochain. Ces élections, dont personne ne veut, vont se dérouler si elles venaient à se tenir sur un fond aux teintes sombres. Les populations revendiquent une transition démocratique, jugeant que le parlement sert d’objet ornemental à un système dont le vrai pouvoir est exercé par les généraux.

Ainsi, le pouvoir en place peine à mobiliser l’électorat et à trouver des candidats. Les moins de quarante ans ont été avisés qu’ils pouvaient percevoir la somme de 30 millions de centimes (1800 environ) en guise de financement de leur campagne. Mais l’attrait du lucre est d’autant plus intéressant que les députés et les sénateurs touchent un traitement « 20 fois supérieur au salaire minimum » selon le mot du politologue Lahouari Addi. N’empêche, des partis sur papier et des personnalités « indépendantes » croient savoir qu’ils ne doivent pas rater la chance de leur vie pour se remplir les poches. On ne peut expliquer autrement les motivations des participationnistes dès lors qu’un minimum d’éthique politique et de rectitude morale auraient incité à l’abstention.

En effet, dans une Algérie où croupissent en prison 180 détenus d’opinion, il ne saurait avoir d’élections démocratiques. Le Hirak, objectivement, est appelé à perdurer pour longtemps…

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Algérie. Le Hirak aux prises avec la police politique

Cœur battant du régime, la police politique algérienne donne des signes d’essoufflement dans sa fonction d’animatrice « souterraine» de la vie politique nationale. Usée jusqu’à la corde sa propagande est devenue inopérante, signe s’il en est, que la population a changé.

Cœur battant du régime, la police politique algérienne donne des signes d’essoufflement dans sa fonction d’animatrice « souterraine» de la vie politique nationale. Usée jusqu’à la corde sa propagande est devenue inopérante, signe s’il en est, que la population a changé. 

Les montages médiatiques récurrents à l’effet d’entraver l’action du mouvement anti-régime, Hirak, sont désormais accueillis par l’opinion publique avec ironie et incrédulité. Toutes les tentatives de criminalisation du mouvement populaire se sont soldées par un échec. 

Après que la télévision publique eut consacré un temps d’antenne à un « terroriste islamiste » qui disait préparer des opérations violentes au niveau du Hirak, et ce, sous l’instigation du mouvement « islamiste » Rachad, la même télévision s’est offert quelques jours plus tard, un show à la limite du grotesque, dont l’acteur est un « marchand d’armes », qui prétendait avoir pris contact avec des éléments du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) pour une livraison d’armes. Le mouvement indépendantiste kabyle projetait, selon lui, de perpétrer des attentats aux quatre coins de l’Algérie.

 Aussi, des opposants de courants divers installés à l’étranger, pour la plupart des lanceurs d’alertes sur les réseaux sociaux, avaient été la cible d’une campagne d’intimidation orchestrée par Alger. Des communiqués officiels les ayant accusés d’entreprise terroriste, avaient annoncé que des mandats d’arrêt internationaux ont été lancés à leur encontre. Plus d’un mois après ces accusations, les lanceurs d’alertes incriminés continuent de narguer les autorités en poursuivant leur activisme avec la même détermination. Visiblement, les autorités n’ont aucune preuve et avaient misé sur l’effet d’annonce comme si elles voulaient occuper le terrain avec un produit inexistant. 

Ce qui retient l’attention, c’est que les attaques contre le Hirak puisent leur vigueur dans ce que le pouvoir croit être les failles de la société algérienne : l’inclination islamiste et la peur d’une dissidence kabyle. En réalité, la police politique a, depuis l’indépendance, joué sur ces deux tableaux. Elle n’a fait que mettre à jour son logiciel d’attaques. Le spectre d’un zéro vote en Kabylie constitue une véritable hantise pour les décideurs militaires qui ont imposé la tenue d’élections législatives pour le 12 juin prochain. Pour les tenants du pouvoir, casser du kabyle revient à casser le Hirak. Tout est bon pour diviser la société algérienne et l’amener à substituer à la lutte contre la classe dirigeante, la lutte religieuse et la lutte ethnique. C’est dans cet ordre d’idées que l’islamologue Saïd Djabelkhir est traîné dans la boue. La justice algérienne, instrumentalisée qu’elle est par les officines de l’ombre, a condamné en première instance cet universitaire à trois ans de prison pour « offense aux préceptes de l’islam » livrant ainsi à la presse et surtout à la presse internationale une matière dont elle raffole. 

Quand les agressions fusent dans le registre ethnique, elles sont souvent exprimées par des ministres, des chefs de partis ou des députés obséquieux appartenant à la mouvance dite « islamiste ». Une faune politique très impliquée dans les réseaux de corruption de l’État. Une députée fantasque dont les élucubrations l’ont amenée à déclarer avoir été victime d’un ensorcellement, a passé la totalité de son mandat à susciter, via les réseaux sociaux, la haine entre berbérophones et arabophones. Les officines de l’ombre ont découvert une curieuse façon de capitaliser la parité politique hommes-femmes dans l’assemblée nationale. Notre députée doit son intrusion dans le champ politique grâce au quota des femmes instauré par une loi de 2012 suivant en cela, les recommandations de la communauté internationale. Ce qui devait être ainsi un progrès s’est transformé sous la latitude algérienne en un cirque de féminisme de mauvais aloi.

Également cheffe de parti, notre députée s’était crue obligée de faire ses déclarations politiques sous le regard approbateur de son époux. Se revendiquant d’une descendance prophétique, l’«élue » du peuple n’a pas eu froid aux yeux, en soutenant être favorable à la polygamie au motif que c’est un précepte religieux. C’est dire que la police politique algérienne excelle dans le raffermissement de la structure patriarcale de la société. Elle sait que sa survie est tributaire du conservatisme social.

On aura aussi noté la gestion épouvantable de l’affaire Saïd Chetouane. Un jeune hirakiste, plutôt un adolescent qui n’a pas encore atteint la majorité. Arrêté et conduit dans un commissariat lors d’une manifestation du Hirak, il s’était plaint à sa sortie de violence sexuelle. Au lieu de dénoncer les droits bafoués de l’enfant, une certaine presse aux ordres avait mis en exergue le fait que ses parents étaient divorcés, la mère ayant la garde de l’enfant. Aussi, a-t-on laissé parfois entendre que ce dernier était « illégitime » comme pour jeter l’anathème sur la mère. Il est stupéfiant de constater que les autorités ont fini par arracher Said Chetouane à sa mère en le plaçant dans un centre de protection de l’enfance. Ainsi l’État, en bon protecteur de la famille, prétend être le plus à même d’assurer le rôle du père. Triste histoire, le jeune Saïd refuse de boire et de manger depuis qu’on l’a enfermé dans le centre. Ainsi, si le Hirak n’a pas encore réussi à améliorer les droits de l’Homme, il a néanmoins démystifié le régime. 

Celui qui a incarné en Algérie leur défense, maître Ali Yahia Abdennour, aimait à écrire à peu près ceci : « la police politique s’occupe d’accompagner l’Algérien et l’Algérienne depuis sa naissance jusqu’à sa tombe ». Mais, je crois que cette affirmation a cessé d’être vraie depuis le Hirak. Membre fondateur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) avant d’en devenir le président, Ali Yahia Abdennour vient de décéder le 25 avril 2021. Ses obsèques sont emblématiques du combat que le défunt avait livré contre les services algériens. Le drapeau national et le drapeau berbère, interdit par le général Gaïd Salah, avaient orné son cercueil.

En outre, un autre événement a émaillé ces funérailles. Un échange rude et vif s’était engagé entre Bouzid Lazhari, président du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et l’opposant Karim Tabbou. Coquille vide, la CNDH est un énième organisme étatique recommandé par la communauté internationale. Malheureusement, le « Conseil » a été détourné de sa vocation. Il est devenu une entité qui fait écran aux violations des Droits de l’Homme qu’il est censé protéger. Aussi, en marge de la cérémonie, Tabbou, très remonté contre Lazhari, lui avait asséné: « Vous avez gardé le silence alors que les détenus d’opinion croupissent dans les prisons ». S’étant vu signifier qu’il était « persona non grata », le Monsieur Droits de l’Homme officiel, fut contraint de quitter précipitamment les lieux sous les cris de « Dégage ! ». Force est de constater que la militance hirakienne, c’est aussi le surgissement d’une conscience émancipatrice qui entend s’affranchir de la tutelle de la police politique d’où du reste les nombreux slogans dénonçant cet appareil anti-constitutionnel.

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Journaliste algérien établi en France


D’autres articles 


Les islamistes, une marque déposée en Algérie

L’image des islamistes est une « marque déposée » en Algérie. Nul ne peut y toucher sans se rendre coupable de félonie. C’est une image maudite et immuable qui annonce la condamnation à la perpétuité.

C’est ainsi qu’en a voulu le régime en place. Confronté à une opposition inédite, qui menace de l’emporter, le pouvoir algérien est en train d’engager en ce moment la bataille de l’image et de la mémoire autour de la guerre civile des années 1990. Au fur et à mesure que le mouvement anti-régime, Hirak, prend de l’envergure, les islamistes sont montrés du doigt comme les instigateurs sournois de cette insurrection populaire. Du coup, ils sont renvoyés à leur violence djihadiste. C’est eux qui seraient à la manœuvre pour manipuler les millions d’Algériens qui manifestent dans les quatre coins du pays. Comme le dit Gaston Bachelard « Les images ne sont pas des concepts. Elles tendent à dépasser leur signification. » Ainsi, la télévision d’État n’a pas lésiné sur les mises en scène en montrant des « terroristes  ‘daechisés’ » tenant des propos selon lesquels ils seraient impliqués dans un projet violent au sein du Hirak. Depuis Bouteflika, et même au-delà, le récit sur les islamistes est sous contrôle, et il n’est pas jusqu’à la « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » qui ne les considère comme les uniques responsables de la décennie sanglante. Aucune nuance n’y est permise. Le régime tente une énième division des populations en espérant voir des pans de la société se désolidariser du courant islamiste Rachad, qui s’est tenu à l’écart du système rentier.  Ce qui confère à ce mouvement politique une certaine virginité politique par rapport à ses homologues islamistes corrompus et largement discrédités. 

Que ce courant ait pu, depuis, évoluer dans le bon sens, ou qu’il ait pu aspirer à se conformer aux desiderata de la démocratie, ou même qu’il ait pu vouloir s’inspirer du modèle islamiste à la tunisienne; cela doit relever du domaine de l’impossible et de l’impensable. Si la presse algérienne était véritablement libre, elle aurait pu se faire l’écho des mutations de l’acteur islamiste qui outre, refuse lui-même l’étiquette d’« islamiste », affirme vouloir contribuer à bâtir un État de droit.

La transgression du « politiquement correct » par le journaliste El Kadi Ihsane

N’empêche, la presse algérienne recèle des individualités remarquables, qui de temps en temps, parviennent à briser la loi de l’omerta. Un petit article intitulé « Pourquoi la place de Rachad doit être protégée dans le Hirak » paru le 23 mars 2021, a mis sens dessous dessus le régime algérien. Signé par le journaliste et éditeur de presse électronique, El Kadi Ihsane (proche de la mouvance laïque), ce papier qui plaide pour l’intégration de l’acteur islamiste dans le mouvement anti-régime, a valu à son auteur d’être convoqué par la gendarmerie nationale sur une plainte, tenez-vous bien, du ministère de …la Communication. El Kadi Ihsane avait, par message vidéo, averti avant de se rendre à la convocation qu’il observerait une « grève de la parole » face aux gendarmes au cas où on l’interrogerait sur le contenu de son travail journalistique. Évidemment, il a tenu parole, ce qui, irrémédiablement en dit long sur la portée de cette affaire.

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Algérie. Des présidents agonisants

L’autre jour, en flânant dans Paris, je suis tombé sur un SDF absorbé par la lecture d’un livre. Oui, cela se remarque, à Paris, la culture s’est démocratisée, elle n’est plus l’apanage des seuls clercs. Elle irrigue jusqu’aux petites gens, parmi les plus démunies et les plus délaissées.

La posture du SDF qui lit, buste incliné, presque couché sur un banc public, suggérait qu’il tenait entre les mains un de ces bouquins à l’eau de rose, un Harlequin, peut-être. J’engage la conversation avec lui. Eh bien, je n’en reviens pas lorsqu’il me montra la première de couverture : Les lois fondamentales de la stupidité humaine, de l’auteur italien Carlo Maria Cipolla. 

C’est un opuscule publié en 2011 dont je n’ai jamais entendu parler. Je suis allé très rapidement le chercher en librairie. On en parcourt les pages avec avidité. Ça diffère du principe de Peter qui s’applique au monde du travail. Principe selon lequel tout employé est appelé à s’élever à son niveau d’incompétence. En revanche, le texte de Cipolla est une démonstration que l’humanité est dominée par les stupides et les non stupides.

© Yanrazz’s Blog

La thèse est illustrée par des schémas représentant l’axe des abscisses et des ordonnées. Ça permet une replongée dans les cours de mathématiques qu’on a eus jadis au collège. Le genre humain stupide se répartirait en stupides proprement dits, en crétins et en bandits. Ce qui me rassure c’est que la stupidité représente dans chaque société humaine la même proportion d’individus.

Qu’on vive dans un pays industriel ou dans un pays sous-développé, on retrouve le même pourcentage de gens stupides. On y apprend donc que le nombre de stupides est proportionnel à celui de la population. On y apprend aussi que la stupidité touche, en fait, les deux sexes avec toujours le même pourcentage quoique les hommes stupides sont légèrement plus nombreux que les femmes stupides. Ceci du fait de la démographie qui est à l’avantage des premiers.

Si on devait créer une nouvelle science que je me propose d’appeler la “stupidité appliquée”, il est aisé d’y dégager la loi suivante : le succès de la démocratie euro-américaine tient au fait qu’elle parvient – avec plus ou moins de bonheur – à neutraliser la composante stupide de sa population.

Les électeurs avertis mènent campagne contre les acteurs susceptibles de nuire à l’intérêt général. En un mot, ce sont les gens normaux, c’est-à-dire ceux qui ne sont ni stupides, ni crétins, ni bandits, qui empêchent les êtres stupides de sévir.

Sous d’autres cieux, l’organisation d’élections truquées, comme en savent faire les régimes policiers, empêche la matière grise de remonter vers le haut. C’est, du reste, souvent sous l’angle de la stupidité que le Hirak algérien (le mouvement de protestation qui agite l’Algérie depuis février 2019) dénonce la nomenklatura militaire qui détient les rênes du pouvoir politique, économique et financier.

Cette nomenklatura semble avoir trouvé goût, depuis Bouteflika, à introniser des présidents potiches “proches du cercueil” pour reprendre les termes d’un hirakiste de la Place de la République, l’agora parisienne où chaque dimanche les Algériens de la diaspora se donnent rendez-vous pour apporter leur soutien au soulèvement algérien.

L’on s’y était beaucoup amusés ce week-end à commenter la récente désignation à la tête du Sénat d’un apparatchik de 91 ans. La rumeur dit qu’il souffre de la maladie d’Alzheimer. Cela promet, car c’est la garantie que l’actuel chef de l’État, qui ne s’est pas encore remis de sa maladie, est susceptible d’être remplacé par plus malade que lui. 

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Journaliste algérien établi en France


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