MONTPELLIER. UN SOMMET FRANCE-AFRIQUE AVEC LES JEUNES. UNE PREMIÈRE.

L’information diffusée sur l’antenne de RFI mardi 14 septembre, au sujet de la tenue du sommet France-Afrique à Montpellier, le 9 octobre prochain, a laissé la plupart des Africains perplexes. Et pour cause. La rencontre ne mettra face au président français que les sociétés civiles, les jeunes. C’est une première. Exit donc les vieux présidents, frustrés !

L’idée a été discutée, en amont, entre l’Elysée et quelques élites intellectuelles africaines, dont le politologue et historien camerounais, Achille Mbembe. Celui-ci est également auteur de plusieurs ouvrages appelant au combat pour le développement du continent, tels « De la post-colonie » ou « Critique de la raison nègre », etc. Qui plus est, a accepté, dans le cadre du sommet de Montpellier, de piloter les dialogues France-Afrique : soixante-six ateliers dans 12 pays différents, quatre mois durant. Face aux jeunes.

Qu’à cela ne tienne, l’information paraissait avoir l’air de déjà-vu, à prendre en compte les opinions exprimées à travers les réseaux sociaux. De fait, les Africains pensent que tous les prédécesseurs du général de Gaulle ont eu chacun, en cette matière, leur propre antienne. Si celle-ci changeait de forme, son contenu ne variait pas d’un seul iota : « l’Afrique doit continuer de demeurer la chasse-gardée de la France », fredonnait-elle. Selon le vieux concept de « pré carré » médiéval.

Mais qu’en dit Benoît Verdeaux, fonctionnaire de l’Elysée et secrétaire général du Sommet de Montpellier, en contre-pied à cette conception quasi-générale des Africains ? Verdeaux est celui qui a accordé à Christophe Boisbouvier de RFI l’interview diffusée mardi, à l’origine de l’information qui fait question sur des réseaux sociaux. Surtout.

Volonté sans force

Visiblement fort en thème, Verdeaux s’est employé, en résumé, à démontrer que le temps était venu de mettre en valeur un autre type de relation entre la France et l’Afrique. « La vocation du sommet de Montpellier, c’est de réfléchir à réinventer et à redynamiser cette nouvelle relation », a-t-il souligné, tout en précisant que « les sommets de chefs d’Etat sont fondamentaux, très importants et utiles ».

C’est le grand plan dans lequel se côtoient les sujets habituels ayant trait au développement, à la démocratie, aux droits de l’Homme, etc. Mais, le sommet de Montpellier – une rencontre avec les jeunes -, ne manquera pas de jeter un coup d’œil sur les sujets additionnels d’actualité qui importent : les coups d’Etat successifs en Afrique de l’Ouest et l’avancée de la Russie en Afrique centrale et au Sahel.

Pour la France, la situation du Tchad est dérangeante. La position du chef d’Etat français est diversement appréciée, avec plus de condamnations. On pense généralement qu’il y a soutenu le coup d’Etat fomenté par le fils d’Idriss Déby, tué. Macron s’en expliquera, sans filtre, a prévenu le fonctionnaire de l’Elysée, Verdeaux.

Quid de ce sommet aux allures martiales ? N’assisterons-nous pas aux mêmes éléments de langage affectionnés par tous les successeurs du général de Gaulle ? Macron est-il « libre » d’engager cette « réforme » libératrice pour les pays africains ? Car, dans cette histoire de Françafrique – différente du concept classique France-Afrique -, se trouvent plusieurs centres d’intérêt, prêts à ne rien lâcher. Jean-Jacques Rousseau ne pensait-il pas, à juste titre, que « la volonté sans force est peine perdue » ?

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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LA RD CONGO ET LES MARCHANDS DE RÊVES

Parole d’or ? On ne se gratte pas l’occiput, pour en connaître le sens. Celui-ci coule de source : c’est une parole de sagesse (cependant, différente de celle que donne la Bible, pour les chrétiens) ; elle est éclatante comme si elle était faite d’or. Or, l’or a de la valeur, laquelle, une fois prêtée à la parole, celle-ci se transforme vite en « vérité » ; en « vertu » ; en « bien » …

Le contraire, heureusement, ne fait pas dans l’explication longue, comme c’est le cas de son antonyme, épinglé ci-haut. Tissé en périphrase. Non, non. Le contraire, en peu de mots, veut dire : mensonge. Tout simplement.

Ce mot, qu’il soit dit, écrit ou pensé en français, en lingala, en kiswahili ou en chinois, il est hideux. Nous, Congolais, en connaissons le sens profond que n’importe quel autre peuple au monde. Pour en être victime, des décennies durant. Le mensonge, en RD Congo, n’est pas le fait du peuple, c’est plutôt celui de ses dirigeants ringards. Ils en raffolent, à la vie, à la mort.

Tenez, depuis Mobutu, ils nous ont roulés dans la farine, jusqu’à nous faire rêver d’îlots aux frontières du Paradis. En pure fabulation. Voyons voir maintenant un mensonge, un seul, par individu :

Joseph Mobutu, qu’a-t-il dit ? Il fut plus mégalomane qu’un distributeur de rêves. Il créa plutôt une légende bien ficelée – et bien gobée par une bonne partie de Congolais -, selon laquelle il avait tué (à 17 ans) un léopard, à mains nues. Était-ce pour cela que sa toque en peau de léopard faisait-elle peur aux Congolais ? Du vrai machiavélisme à la congolaise ;

Laurent Kabila, un menteur invétéré. Dès sa prise du pouvoir en mai 1997, il dit au peuple congolais, enthousiasmé devant ce deus ex machina, qui a fait fuir le dictateur Mobutu : « Je vais vous construire une ‘autoroute’ de l’ouest à l’extrême sud-est.», au sud-ouest. Soit près de 2000 km, à travers forêts, montagnes et escarpés. Ahurissant ! Même les Belges ne l’ont pas fait. Ils ne pouvaient même pas imaginer un projet aussi loufoque ;

Joseph Kabila, le taiseux. Ah, malgré tout, il a touché à un lourd mensonge ! Il a promis la réalisation de « Cinq Chantiers », comprenant le développement intégral du Congolais. Il semble que l’homme était (il l’est encore ?) un chrétien protestant zélé. Et qu’il voulait faire de la RD Congo un pays de prière. En lieu et place, c’est du macabre, comme leg : fosses communes, corps surgelés dans la résidence d’un général à sa dévotion … dans une chapelle ardente animée par des cantiques diaboliques d’une classe politique médiocre ;

Enfin, Félix Antoine Tshisekedi, dit Fatshi-Béton,  ou celui qui commence à construire l’avenir de la RD Congo en béton. Pourtant, avec lui, c’est le bouquet.

En voici un fait plus que parlant : c’était tout récemment en Allemagne, devant la chancelière Angela Merkel : « Madame, je vais faire de la RD Congo, l’Allemagne d’Afrique », avait-il déclamé.  Comment un chef d’Etat Africain, par-dessus tout, quémandeur professionnel, sébile à la main, peut-il se gonfler à ce point… plus que la grenouille de La Fontaine ? Or, nous connaissons le triste sort de cette grenouille-là …

Mensonge, qui, en Allemagne, a fait remuer dans leurs tombes Goethe, Kant et Martin Luther. En RD Congo, pour la première fois, Lumumba (sans tombe, mais bienheureux au Ciel) s’en est vraiment offusqué, couvert de honte. Devant la multitude d’autres saints.

Mentez, mentez, chers présidents-marchands de rêves, il en restera toujours quelque chose. Puisque les souvenirs de mauvais rêves, surtout, ont la peau dure. Le peuple vous en tiendra éternellement rigueur.

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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GUINÉE. Mamadou Bah : “Alpha Condé est tombé dans ses propres pièges”

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RD CONGO. DE MOÏSE TSHOMBE À MOÏSE KATUMBI ?

Qu’on le veuille ou non, on est déjà en face du bégaiement de l’Histoire. Certes, à des nuances près. De Moïse Tshombe à Moïse Katumbi – 59 ans après -, il ne reste plus qu’un petit pas à sauter par ce dernier, pour se voir placé sur la ligne de départ de la présidentielle, en 2023. Et tenter ainsi d’accéder au pouvoir. Sera-ce, encore une fois, au mépris de la paix ?

La chose est dans le viseur de l’ex-gouverneur de la province du Katanga, Moise Katumbi. Y arrivera-t-il, compte tenu de l’obstacle majeur, publiquement dressé sur son chemin ? Il s’agit de la proposition de « loi Tshiani », qui préconise l’exercice des hautes fonctions du pays être uniquement le fait des sujets nés « de père et de mère » congolais. Or, Katumbi est de père grec.

Il faut avouer que cette attaque est foudroyante, en dépit de tout ce qu’elle peut avoir d’accent démocratique. Vient-elle, en sourdine, de la présidence de la République, le président Félix Tshisekedi s’étant déjà déclaré partant pour la course, et Katumbi étant son challenger potentiellement dangereux ?

Quoi qu’il soit, on a vite oublié que Katumbi a été le premier à s’opposer publiquement à la toute-puissance du précédent président Joseph Kabila. C’est un va-t’en guerre, un baroudeur et homme à ne pas se laisser marcher sur ses bisées, sans réactions, de sa part. S’il ne l’a pas toléré sous le régime de plomb de Kabila, le ferait-il sous celui de Tshisekedi, dont les bases de la dictature sont encore flottantes ?

La ligne rouge

Sa réponse, dans cet ordre d’idée, à la question lui posée dernièrement par l’hebdomadaire Jeune Afrique (n° 3104, septembre), révèle le degré de sa pugnacité :

— Jeune Afrique : Quitteriez-vous l’Union sacrée (la majorité parlementaire créée par Tshisekedi) si cette loi venait à être adoptée  

— Moïse Katumbi : Oui, il s’agit d’une ligne rouge. Si elle venait à être ne serait-ce que programmée pour être débattue au Parlement, nous quitterons la majorité.

Moïse Katumbi

Les dés sont-ils jetés ? C’est là une sorte de « Alea jacta est » de Jules César. Un défi direct qu’il lance au pouvoir en place (dont il fait partie). Mais au-delà de cette contradiction apparente, Katumbi n’a jamais été du même bord que Tshisekedi. Il ne pouvait en être autrement quand on sait qu’il nourrissait des ambitions présidentielles, depuis 2015, après avoir rompu brutalement avec Kabila.

Partant, il est peu de dire que les deux protagonistes évoluaient, depuis, dans une atmosphère de guerre larvée, faite d’hypocrisie, dont chacun prévoyait une fin du moins inamicale. Ils savaient tous deux que cette histoire de l’Union sacrée ne les servirait qu’un temps, pour masquer leur différence. Et, sans doute, les préparer avant de monter sur l’arène.

Et donc, c’est en termes de « guerre » qu’il faut analyser les propos de l’ancien gouverneur de province. « Quitter l’Union sacrée », pour Katumbi – et pour nous tous, par ailleurs -, ne signifie pas moins briser la majorité parlementaire actuelle et amener ainsi le chef de l’État à un autre mode de gouvernement pour se maintenir au pouvoir. Katumbi sait ce qu’il dit. Il sait qu’il suffit de provoquer une fissure sur cet assemblage – fait de bric et broc -, pour que l’édifice s’écroule de toute sa laideur politique. Tsisekedi le sais aussi pertinemment bien.

Voilà pour la riposte de l’ancien gouverneur du Katanga ! Ce n’est pas tout. Il garde encore une flèche supplémentaire dans son carquois : il est en capacité, à tout moment, de mener une rébellion sécessionniste du Katanga. On sait qu’ils s’y tassent des « cellules dormantes », disciples d’un « Katanga indépendant », qui n’attendent que la présence d’un leadership puissant et organisé. L’ex-gouverneur de province bouderait-il le plaisir, à travers une telle occasion, de faire pièce à son rival ?

Velléités de séparatisme 

En politique, point d’amitié. Sauf des intérêts, dit-on. Rien d’étonnant donc que les deux hommes, les « deux frères », en arrivent aujourd’hui à se regarder en chiens de faïence, aussi discrètement soit-il. Dans son célèbre ouvrage intitulé « Le savant et le politique », Max Weber affirme que « la politique est, par essence, conflit entre les nations, entre les partis, entre les individus ».

Que faut-il en penser, globalement ? À partir de ce point, le spectre des années soixante commence à reprendre chair : situation politique trouble ; acteurs sur scène ne sachant pas ce qu’ils y font ; tribalisme à outrance et velléité de séparatisme, à l’image de Moïse Tshombe, pour la province du Katanga ; Albert Kalonji, pour la province du Kasaï, et même, dans une faible mesure, de Kasavubu, pour la province du Bas-Congo.

De toutes les rébellions, la sécession du Katanga, emmenée par Moïse Tshombe et épaulée ouvertement par la Belgique, fut la plus dure. Elle fut, à partir de 1962, un projet des Congolais, sur la base des ambitions déçues, les Belges n’y ayant occupé que la place du troisième larron, pour piller. La preuve en fut administrée, lorsque sous l’égide de l’ONU, Tshombe accepta de bonne grâce le poste de Premier ministre (1964-1965), sous Mobutu.

Les éléments de similitude entre les deux époques sont du moins frappants, sinon inquiétants. On en prendra quelques-uns pour l’illustration : hier, ce furent les Belges, en position de troisième larron, pour piller, aujourd’hui, ce sont le Rwanda et l’Uganda, se livrant à la même besogne, pour soutenir un régime illégal ; la scène politique brouillée, avec des acteurs jouant le théâtre des ombres ; le retour avec force du tribalisme… et, enfin, les deux « Moïse », avec des ambitions présidentielles en obsession. L’un alla, pour ce faire, jusqu’à monter une sécession.

Histoire des chaumières

Dans la perspective des élections prochaines et de toutes les combinaisons qu’elles impliquent pour donner la victoire aux plus méritants (choisis par le peuple), quelle est la « pensée » du nouveau Moïse ? Va-t-on passer de Moïse Tshombe à Moïse Katumbi, avec élégance, sans recourir à la sécession comme arme ultime, quelles qu’en soient les raisons ? Il faut empêcher l’Histoire de bégayer !           

Mais qu’en pense également le président Tshisekedi ? Qu’importe le projet de « loi Tshiani », pour le moment ? Quelle est son urgence, par rapport aux problèmes cruciaux qui accablent le peuple ? Qu’importe le personnage de M. Kadima pour le siège de président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) ? Une multitude de Congolais ne peuvent-ils pas assumer ces fonctions avec brio ? Somme toute, des questions solubles. Très solubles.

Devant toutes ces questions de la Cité, il appartient au président Tshisekedi d’apporter des solutions idoines. Et de faire ainsi, tous les jours, le choix entre la place de grands hommes dans l’Histoire et le prestige fugitif, propre à satisfaire les esprits obtus… à loger dans des chaumières.

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

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TUNISIE. Les plaies de la liberté de la presse ravivées par le président Kaïs Saïed

L’expulsion des journalistes d’Al Jazeera Tunis, le 26 juillet 2021, a soulevé de multiples questions en Tunisie après la prise des pleins pouvoirs du président Kaïs Saïed. Un mois après ces évènements, les acteurs de la société civile s’inquiètent pour la liberté de la presse.

 

  •  Par Luna Laferiere

Dimanche 25 juillet 2021. En direct à la télévision tunisienne, Kaïs Saïed, président de la République de Tunisie, annonce qu’il prend les pleins pouvoirs. Il fait usage de l’article 80 de la Constitution, suspend les activités du Parlement pendant 30 jours puis “jusqu’à nouvel ordre” et présente la démission de son Premier ministre et ministre de l’Intérieur par intérim Hichem Mechichi.

Les jours suivants ont inquiété les acteurs et protecteurs de la liberté de la presse. Le lendemain, lundi 26 juillet, les forces de police tunisienne expulsent tous les journalistes des bureaux d’Al Jazeera à Tunis. Sans mandat, les forces de l’ordre ont évacué les locaux et confisqué les clés. Une quinzaine de journalistes se réfugient dans les locaux de la SNJT (Syndicat National de Journalistes Tunisiens). Ils travaillent et retransmettent avec les ordinateurs qu’ils possèdent. Kaïs Saïed n’a pas commenté cette atteinte envers la liberté de la presse dont l’ordre provenait directement du palais présidentiel. Cet abus de pouvoir aurait pu être le début d’une longue liste d’atteintes à la liberté de la presse. Il s’avère pourtant qu’Al Jazeera est le seul média privé à avoir subi un tel traitement. « Bien sûr que la fermeture d’Al Jazeera est une atteinte à la liberté de la presse, souligne Kamel Labidi, journaliste tunisien, ancien directeur d’Amnesty International et l’ancien président de l’Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication (INRIC) dissous en 2012. “Si on replace cet évènement dans son contexte, Al Jazeera est un cas particulier. Car, il est un outil entre les mains des Qataris. Les Qataris comme la Turquie, soutiennent le parti Ennahdha et veulent voir l’islam politique gagner le pouvoir. » Sa fermeture, dont l’origine reste encore floue, résulterait de nombreux désaccords politiques entre Kaïs Saïed et les partis islamistes. 

Deux jours plus tard, mercredi 28 juillet. Kaïs Saïed limoge le président de la chaîne Nationale Wataniya après que le vice-président de la LTDH (Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme) Bassem Trifide et la vice-présidente du SNJT (Syndicat National des journalistes tunisiens), Amira Mohamed sont interdits d’accès au bâtiment de la chaîne par un agent de sécurité pendant 30 minutes. L’émission à laquelle devaient participer Bassem Trifide et Amira Mohamed a commencé avec une heure de retard. Une enquête a été ouverte à la suite de cet incident, aujourd’hui impossible d’affirmer de qui provenait réellement l’ordre. Pour Bassem Trifide, il a été donné à l’agent de sécurité par l’armée. Selon le président de la SNJT, le limogeage du président de la chaîne était déjà en préparation. Cet événement ne l’aurait que poussé vers la sortie.


Kaïs Saïed a fait l’usage de l’article 80 au  prétexte d’un péril imminent. De nombreuses manifestations, rassemblant plusieurs milliers de personne, se sont déroulées dans le pays notamment à Tunis, Gafsa, Sousse et Monastir pour dénoncer les conditions socio-économiques, et sanitaires déplorables. La crise sanitaire bat son plein en Tunisie. Au mois de juillet, les hôpitaux étaient saturés dans le pays. Le taux de mortalité lié au virus est le plus élevé du continent africain. La Tunisie enregistre toujours une moyenne de 150 à 200 morts du Covid-19 par jour. Un pays aussi à bout de souffle sur le plan économique et financier : l’endettement public a dépassé les 100 % du PIB, le pouvoir d’achat des tunisiens baisse depuis 10 ans. Une crise aussi politique : depuis des mois, le président de la République était en conflit politique ouvert avec le Premier ministre Hichem Mechichi.

La démission d’Hichem Mechichi et le gel du Parlement avait pour but de faire reculer la mainmise des islamistes modérés afin que le président reprenne les rênes du pays. Kaïs Saïed est confiant quant à la légalité de ses actions au point où il repousse “jusqu’à nouvel ordre” la suspension du Parlement. Aucune institution ne peut condamner sa décision. À part la Cour Constitutionnelle, instaurée dans la Constitution de 2014, qui n’a pas encore été formée. Populaire, le président jouit d’une confiance de la majorité du peuple tunisien même s’ils gardent toujours un œil sur ses faits et gestes. Désespérément à la recherche de stabilité et de liberté, la population de la seule démocratie émergée du printemps arabe se méfie : « Bien sûr qu’il y a un risque. C’est à la société civile de la Tunisie de redoubler de vigilance », estime Kamel Labidi.


Une liberté de la presse défaillante qui persiste

Le président tient à rassurer ses alliés et les journalistes : « « Croit-on qu’à 67 ans je vais me lancer dans une carrière de dictateur ? » me lance le président, citant Charles de Gaulle [lors d’une conférence de presse en 1958]. « Il n’y a aucune raison de craindre une atteinte à la liberté d’expression, affirme le président, aujourd’hui âgé de 63 ans, pas plus qu’il ne faut s’inquiéter pour le droit de manifester », écrit Vivain Yee, correspondante pour le New York Times , dans son article Tunisia’s President Holds Forth on Freedoms After Seizing Power [Le président tunisien défend les libertés après avoir pris le pouvoir]. Mardi 27 juillet, deux jours après la prise des pleins pouvoirs de Kaïs Saïed, la journaliste Vivian Yee et son équipe ont été brièvement arrêtés, interrogés pendant deux heures puis relâchés après les demandes de la SNJT. Plus tard, le président Kaïs Saïed l’a convoqué à une conférence où le chef d’Etat lui aurait donné « une drôle de leçon de démocratie », titrait le Courrier International. 

L’état de la liberté d’expression n’est pas pour autant en alerte rouge selon Sarra Grira, journaliste pour Orient XXI : « Le président a fait appel à l’article 80, le 25 juillet au soir. Dès le 26 juillet au matin, les débats médiatiques, comme les tribunes dans les journaux, portaient sur : « Est-ce un coup d’État ? ». Les journalistes qui ont qualifié cela d’un coup d’Etat n’ont jamais eu de problème. Même les représentants du parti Ennahdha ont eu des prises de paroles. On n’est pas dans un paysage homogène où il n’y a que la version officielle par le président qui est diffusée. »

Alors, comment expliquer de tels incidents et les défaillances de la liberté de la presse en Tunisie ?

Pour Sarra Grira, ces atteintes à la liberté d’expression sont des pratiques ancrées qui ne sont pas entièrement démantelées après la chute de Ben Ali. « Je rentre régulièrement en Tunisie. À chaque fois, à l’arrivée comme au départ, on me pose la question : où est-ce que je travaille en France et dans quel média ? Ils n’ont pas le droit de me poser cette question, ils le font quand même. Plus d’une fois je leur demande « pourquoi vous me posez ces questions ? » et ils me répondent que c’est juste par curiosité ou qu’il s’agit d’une vieille habitude. Pourtant, les jeunes ne posent pas ces questions. Ce sont surtout les agents sous Ben Ali qui ne se défont pas de leurs habitudes. »

Des piliers à refonder

D’après les journalistes contactés, il « est donc nécessaire » de réformer la législation tunisienne pour mettre fin à ses abus et protéger les journalistes. Depuis 2014, aucune avancée significative n’a été faite par le Parlement. La liberté de la presse est menacée non plus seulement par les vestiges d’un régime autoritaire, mais également par l’introduction de lois liberticides. En réaction à une série d’attaques armées et d’attentats en 2015, la Tunisie a déclaré l’état d’urgence. Cette mesure permet régulièrement des arrestations arbitraires, des détentions, l’usage de la violence par la police, ainsi que l’utilisation du code pénal pour accuser les journalistes et les blogueurs de diffamation. Aucune harmonisation entre la Constitution et le code pénal n’a été engagée. Certaines lois relatives à la sécurité criminalisent la liberté d’expression. Comme l’article 128 du code pénal, qui prévoit jusqu’à deux ans de prison le fait d’imputer aux fonctionnaires publics des faits illégaux en rapport avec leurs fonctions, ou encore l’article 86 du code des télécommunications datant du règne de Ben Ali, qui prévoit un à deux ans de prison pour quiconque « nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications ».

Le pays enregistre ces dernières années de nombreux témoignages d’harcèlements, d’agressions et de violences policières envers les journalistes. Pour le président de la SNJT, Mohammed Jelassi : « Dans tous les gouvernements de transition, nous avons observé des abus des forces de l’ordre et des violences policières. » D’après RSF, au moins 29 reporters, dont 15 femmes journalistes, ont été agressés le 27 février 2021 lors d’une manifestation organisée par Ennahdha. Trois d’entre elles ont rapporté avoir été victimes de violences sexuelles. Des abus ont été notamment observés ce mois de juin et lors des dernières manifestations de juillet. Certains journalistes ont reçu des coups et leurs appareils photos ont été détruits pendant que les manifestants dont certains membres du parti Ennahdha se tenaient devant les portes du Parlement pour réclamer la reprise des activités des parlementaires.

« Les gouvernements successifs depuis 2011 ont tout fait pour que les Tunisiens ne croient plus au processus démocratique », dénonce Kamel Labidi. Plus récemment, un projet de loi gouvernemental relatif à la communication 2020 venait soutirer une des prérogatives de la HAICA s’il était voté. Un amendement relatif au décret-loi 116 du 2 novembre 2011 propose de supprimer l’octroi de licences par la HAICA pour la création des chaînes de télévision. Pour créer un média il suffirait désormais d’une simple déclaration à la HAICA. Cet amendement irait à l’encontre des principes de régulation des médias énoncés dans la Constitution de 2014. Le SNJT et la Fédération générale des médias (FGM) ont vivement critiqué ce projet de loi. Hichem Mechichi l’a donc retiré en octobre 2020 au moment où les parlementaires allaient examiner ledit amendement. Durant son mandat, il s’était engagé à le renvoyer à l’Assemblée après sa révision. Ses interférences « [ouvrent] la voie à un projet de loi sur mesure pour les partis politiques et les lobbies ainsi qu’à leurs chaînes illégales », avait déclaré le député Attayar Chaouachi.

En parallèle, les conflits d’intérêts préexistent dans la gouvernance des médias. Des hommes politiques sont à la tête de certains journaux pour appuyer leur influence. Les projets de loi pour l’indépendance des médias dorment dans les casiers, ne sont pas votés ou repoussés pour surfer sur un flou et un vide juridique. Six télévisions sur les dix analysées par RSF ont été fondées ou sont détenues par des personnalités politiques alors que la HAICA interdit le cumul entre responsabilité politique et propriété d’un média audiovisuel. « Nebil Karoui, le fondateur de Nessma TV a des responsabilités au sein de Nidaa Tounes », “Oussama Ben Salem [fils de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Moncef Ben Salem lui-même ancien membre du parti Ennahdha], fondateur de Zitouna TV [chaîne conservatrice qui se décrit comme « une chaîne qui s’attache à l’identité tunisienne arabo-musulmane »] et de Zitouna Hidaya, est cadre au sein du parti Ennahdha . » Certaines chaines enfreignent leur interdiction de diffuser. L’instance de régulation des médias la HAICA a rapporté que Nessmatv, ZitounaTv et la radio Quran diffusaient leurs programmes sans licence. Elles sont considérées depuis des années comme des chaînes pirates. Sous les observations de la HAICA, leurs matériels ont déjà été saisis par exemple. En vain. Depuis février 2020,  leurs cas ont été transmis à l’Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC).

La HAICA ne peut pas appliquer la loi sans passer par un pouvoir exécutif comme l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) ou le gouvernement. Ces décisions prennent donc effet uniquement avec leur aval. « Jusqu’à maintenant ce Parlement, le précédent ainsi que tous les gouvernements ont refusé de voter les projets de loi en faveur de la liberté de la presse. Les propriétaires ne veulent pas que les médias prennent leur indépendance pour qu’ils restent sous leur influence », déplore le président du syndicat des journalistes tunisiens Mohammed Jelassi. Kamel Labidi, ancien président de l’INRIC (Instance Nationale pour la Réforme de l’Information et de la Communication) estime que sans réforme approfondie du paysage médiatique « la démocratie ne peut s’enraciner ». 

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TOGO. La presse sous l’oppression incessante du pouvoir

Au Togo, les journalistes font face à une répression quotidienne malgré un semblant d’ouverture du Président Faure Gnassingbé. Pegasus constitue le dernier outil de surveillance utilisé par les autorités politiques togolaises. 

La liste des cibles potentielles du logiciel espion Pegasus, dévoilée lors de l’enquête menée par Forbidden Stories, recense 300 numéros de togolais·es. La majorité opère dans l’opposition au président de la République togolaise, Faure Gnassingbé. Ferdinand Ayité[1], journaliste et directeur de publication du bi-hebdomadaire d’investigation L’Alternative très critique du pouvoir a été sélectionné pour être ciblé par le logiciel d’espionnage. « Je n’ai pas été surpris », se remémore-t-il. « Mettre des journalistes sur écoute ou prendre le contrôle de leur téléphone à travers un logiciel […] vous donne une idée de ce que le régime pense de certains journalistes. Le système de répression de Faure Gnassingbé s’inscrit dans la continuité de son père. »

L’actuel président Faure Gnassingbé a pris le pouvoir après un coup de force constitutionnel à la mort de Gnassingbé Eyadema en 2005. Il brigue désormais un quatrième mandat à la suite de sa réélection le 22 février 2020. Son père était lui-même au pouvoir depuis le coup d’Etat de 1963. À de nombreuses reprises, des ONG ont dénoncé les pratiques de Gnassingbé Eyadema à l’image d’Amnesty International : TOGO État de terreur, 5 mai 1999[2] ; TOGO Silence, on vote, 23 avril 2003[3]. « Il n’y a pas à faire une quelconque différence entre le système du père et celui du fils. Leur objectif principal est de garder le pouvoir. Hier c’était peut-être brute, aujourd’hui c’est avec des gants de velours. Cela revient à la même chose », continue Ferdinand Ayité.

De son côté le journaliste de Freedom-fighter Basile Agboh nuance ce constat. Il perçoit une amélioration des méthodes mises en œuvre par Faure Gnassingbé : « Lorsqu’on compare les écrits auxquels on était habitué avec le régime Eyadema où de simples peccadilles pouvaient faire envoyer un journaliste derrière les barreaux à ce qu’on lit aujourd’hui, il faut reconnaître que le régime Faure respecte plus la liberté de presse. »

Pour autant, les atteintes à la liberté d’expression se sont accumulées ces dernières années. Les coupures des communications sont fréquentes. En 2020, lors de l’élection présidentielle comme lors des grandes manifestations de 2017, les autorités ont restreint l’accès à l’Internet. La Cour de justice de la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a d’ailleurs condamné les coupures de 2017[4]. En parallèle, les journalistes sont régulièrement opprimé·es lors des manifestations à l’image de Tesko Aristo, reporter à Togo Actualités. Alors qu’il tente de couvrir le 21 avril 2020 une intervention policière au domicile du principal opposant de Faure Gnassingbé, Agbéyomé Kodjo, le journaliste est interpellé par des agents de police aux côtés d’une consœur. « Quand nous sommes revenu·es pour chercher nos motos, un militaire s’est pointé et souhaitait les perquisitionner. Il a appelé quatre agents pour venir les chercher. Je me suis interposé », raconte-t-il. Les forces de l’ordre l’arrêtent et l’emmènent au poste du Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC). Il passe la journée enfermé. Les agents l’interrogent puis le relâchent vers 20h30. « Je ne suis pas le premier à être victime de cette répression ; beaucoup de journalistes l’ont déjà vécu. » Ce genre de pratiques sont courantes au Togo. Plus récemment, le directeur du journal proche de l’opposition L’Indépendant Express, Carlos Ketohou – visé par le logiciel Pegasus, a été embarqué de son domicile pour être interrogé dans les locaux du SCRIC après la diffusion d’une enquête mettant en cause deux ministres togolaises pour le vol de cuillères en or durant une réception officielle[5]. Robert Kossi Avotor, journaliste au bi-hebdomadaire L‘Alternative, enquêtait sur un litige foncier dans la banlieue nord de Lomé. Il a été tabassé par des gendarmes[6].

Un harcèlement judiciaire organisé

Les autorités togolaises possèdent un arsenal répressif bien plus conséquent : la loi. La révision du Code de la presse et de la communication en janvier 2020 a supprimé les peines privatives de liberté pour tous les délits de presse. Pour autant, il permet désormais d’infliger des amendes disproportionnées, par exemple, pour outrage au président de la République, aux parlementaires et aux membres du gouvernement[7] – un à trois millions de Franc CFA (1 520 à 4560 euros environ). Les journalistes peuvent également être poursuivi·es grâce au Code pénal[8] et à la loi sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité. Ce qui permettrait d’infliger des peines de prison pour la « publication de nouvelles fausses » (Article 497 du Code Pénal) ou encore pour « outrage aux bonnes mœurs » (Article 392 du Code Pénal). De plus, la loi sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité « contient des dispositions vagues relatives au terrorisme et à la trahison, qui prévoient de lourdes peines de prison pouvant aller jusqu’à 20 ans, et pourraient être aisément utilisées contre des lanceurs d’alerte et autres personnes dénonçant des violations des droits humains », avertit Amnesty International. « Elle confère également des pouvoirs supplémentaires à la police, notamment en termes de surveillance des communications ou des équipements informatiques, sans contrôle judiciaire adéquat. »[9] Aucun journaliste n’est aujourd’hui incarcéré·e au Togo. Le pays se situe à la 74éme place 74 du Classement mondial de la liberté de la presse 2021 de RSF.

RSF (capture d’écran)

Sur cette base, Ferdinand Ayité subit un harcèlement judiciaire quotidien. Le 4 novembre 2020, le Tribunal de première instance de première classe de Lomé a condamné le journaliste et son média à une amende de six millions de francs CFA (9 170 Euros) pour « diffamation ». Il lui est reproché un article qui met en lumière une affaire de détournement de fonds, 764 millions d’euros, orchestré par deux fonctionnaires du Comité de suivi des fluctuations des prix des produits pétroliers (CSFPPP) dans le secteur pétrolier togolais. « Un procès parodie », estime-t-il. Les affirmations du journal seront confirmées par un rapport d’audit commandité par le gouvernement[10]. « Par ailleurs, après la publication de cet article, M. Ferdinand Mensah Ayité a fait l’objet de menaces, y compris de menaces de mort, et d’actes d’intimidation, notamment par le biais d’appels téléphoniques anonymes », ajoute la Fédération internationale des droits humains[11]. Tesko Aristo assure à son tour recevoir régulièrement de tels appels.

Simultanément, la Haute autorité de l’audiovisuel et des communications (HAAC) a suspendu le 23 mars 2020 la publication de deux journaux, L’Alternative et Liberté – respectivement deux mois et deux semaines, pour diffamation après une plainte déposée par l’ambassadeur français. Fraternité est à son tour suspendu pour deux mois en raison d’un article dénonçant la suspension de ces journaux d’opposition cités précédemment. « Bien que des restrictions au droit à la liberté d’expression peuvent être permises pour garantir la protection des droits et de la réputation d’autrui, de telles restrictions doivent être nécessaires et proportionnées », estime Amnesty International[12]. À la suite de l’affaire des « cuillères d’or » dévoilée par Carlos Kétohou, dont nous parlions précédemment, sur ordre de la HAAC L’Indépendant Express a été suspendu puis fermé définitivement le 15 janvier 2021. De son côté, L’Alternative a de nouveau été suspendu pour quatre mois après une plainte du ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Réforme foncière. Un membre de la HAAC s’est désolidarisé de cette décision estimant que l’instance « n’est pas restée fidèle au déroulé de l’audition » de Ferdinand Ayité[13].

 

Une justice et une régulation au service du pouvoir

Cette dissidence permet de s’interroger à la fois sur l’indépendance de la HAAC ainsi que de la Justice et les menaces inhérentes à cette situation. « La justice togolaise comme la HAAC sont loin d’être indépendantes », affirme Ferdinand Ayité. « Il existe des magistrats sérieux mais une grande partie de l’appareil judiciaire est sous les bottes de l’exécutif. » En effet, malgré les garanties, la Constitution et les lois ne garantissent pas l’indépendance de ces deux instances. « La Cour constitutionnelle en particulier, dont une majorité est nommée par le président et l’Assemblée nationale contrôlée par l’UNIR [L’Union pour la République, parti du Président Faure Gnassingbé], serait partisane du parti au pouvoir. Les juges des autres tribunaux sont nommés par l’exécutif sur la base des recommandations d’un conseil judiciaire, lui-même dominé par des juges de haut rang », avance l’ONG Freedom House [14]. La HAAC est aussi sous influence des autorités politiques. Selon la loi, l’instance de régulation est composée de neuf membres, quatre désignés par le Président et cinq par l’Assemblée nationale – majoritairement contrôlée par UNIR, dont deux sur une liste proposée par les organisations les plus représentatives de journalistes. Ces derniers ne disposent d’aucun mécanisme de recours contre les jugements de la HAAC.

Cette dépendance de la justice et de la HAAC à l’égard du pouvoir permet à la présidence de les instrumentaliser selon ses propres intérêts. Tesko Arsito se questionne : « Quand quelqu’un te donne à manger, peux-tu vraiment désobéir à ses ordres ? »

 

[1] https://forbiddenstories.org/fr/journaliste/ferdinand-ayite/

[2] https://www.amnesty.org/download/Documents/140000/afr570011999fr.pdf

[3] https://www.amnesty.org/download/Documents/100000/afr570032003fr.pdf

[4] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/06/togo-envoie-un-message-clair-que-les-coupures-volontaires-internet-violent-la-liberte/

[5] https://www.rfi.fr/fr/afrique/20201231-togo-reporters-sans-fronti%C3%A8res-r%C3%A9clame-la-lib%C3%A9ration-d-un-journaliste-arr%C3%AAt%C3%A9

[6] https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/togo-un-journaliste-moleste-par-des-gendarmes-a-lome_1882260.html

[7] https://www.droit-afrique.com/uploads/Togo-Code-2020-presse.pdf

[8] https://www.policinglaw.info/assets/downloads/Code_p%C3%A9nale_du_Togo_(2015).pdf

[9] https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2018/12/togo-spiraling-violence-and-repressive-cybersecurity-law/

[10] https://icilome.com/2021/03/togo-petrolegate-osc-rapport-daudit/

[11] https://www.fidh.org/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/togo-condamnation-de-m-ferdinand-mensah-ayite-directeur-de

[12] https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/03/togo-la-suspension-dun-journal-met-la-liberte-dexpression/

[13] https://icilome.com/2021/02/togo-suspension-de-lalternative-zeus-aziadouvo-se-desolidarise-de-la-decision-de-la-haac/

[14] https://freedomhouse.org/country/togo/freedom-world/2021

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Maroc. La surveillance des journalistes n’a pas attendu Pegasus (ENQUÊTE)

Un article co-écrit par Alexandre GARNIER et Eliott AUBERT pour Orient XXI

L’enquête de Forbidden Stories a mis au jour en juillet 2021 l’usage intensif du logiciel israélien Pegasus pour venir à bout de la presse indépendante au Maroc. Mais depuis des décennies, des journalistes marocains subissent surveillance et harcèlement, grâce notamment à des logiciels fournis par des sociétés italiennes et françaises.

En octobre 2019, Fouad Abdelmoumni apprend que son téléphone apparaît dans une liste de 1 400 mobiles infectés par le logiciel espion Pegasus. Cela ne le surprend pas. « Je dirais que j’ai été immunisé à cette surveillance constante puisque j’ai grandi dans cette atmosphère », raconte l’économiste militant des droits humains, déjà emprisonné et torturé à deux reprises durant le règne d’Hassan II. Il sait que chacun de ses mouvements est épié. Pour autant, apprendre quels moyens sont mis en œuvre contre lui, « c’est déjà un progrès ». D’un ton serein, il détaille :« Ce n’est pas quelque chose qui me choque particulièrement. Je considérais qu’avoir des flics à la porte, qui relèvent ceux qui vont et viennent, même envisager qu’il y ait des écoutes ou des caméras […], à la limite pour un pays en transition, je peux le comprendre. Mais là on est face à un État voyou ».

Les journalistes marocain·es racontent des dizaines d’histoires de ce genre. Chacun de leurs déplacements est scruté jusqu’aux moindres détails. Omar Brouksy collaborateur régulier d’Orient XXI, se remémore une discussion avec son gardien d’immeuble : “J’habitais dans un appartement. Peu après mon arrivée à l’AFP en 2009, la police est venue devant chez moi pour voir le concierge ». Les questions à propos de son quotidien s’enchaînent : qui vient le voir ? Quand est-ce qu’il sort ? Qu’est-ce qu’il fait ? Quel est son programme « Ils l’ont menacé s’il me le disait. Comme c’est un ami, il m’a averti. » 

Maroc, les enquêtes interdites” de Omar Brouksy, Nouveau Monde Eds (2021)

Plus récemment fin juillet 2021, le journaliste marocain Hicham Mansouri, ancien résident à la Maison des journalistes (MDJ) et actuellement chef d’édition du site de l’Œil de la MDJ et membre de la rédaction d’Orient XXI, a été suivi par des hommes en civil dans le métro parisien. « J’avais rendez-vous à Gambetta avec deux amis dont Maâti Monjib. Je suis descendu du métro, j’ai pris le sens inverse puis j’ai repris le bon sens. Ils ont continué à me suivre ». Maâti Monjib se rend à Montpellier quelques jours plus tard et retrouve des photos de son voyage publiées dans un média de diffamation proche du pouvoir.

« L’ESSENTIEL EST LA SÉCURITÉ DES SOURCES »

Les journalistes marocain·es mettent tout en œuvre afin de contourner ces différents types de surveillance. « Je m’entretiens physiquement avec toutes mes sources. Je les rejoins dans la rue, en marchant, dans un café… Je ne dis jamais le lieu où on se rencontre. Au téléphone, c’est inimaginable, je suis trop méfiant », détaille Omar Brouksy. Aboubakr Jamaï, fondateur des hebdomadaires marocains Le Journal et Assahifa Al-Ousbouiya a également recours à ce genre de ruse. Après la publication d’une enquête en 2000 sur l’implication de la gauche marocaine dans le coup d’État de 1972 contre Hassan II, le journaliste apprend par un haut fonctionnaire que les services de renseignement connaissent sa source avant même la publication.

Aboubakr Jamai (crédit : Saïd Laayari)

Quelques mois plus tard, le rédacteur en chef du Journal redouble de vigilance lors de la publication de l’enquête sur l’affaire Ben Barka publiée conjointement avec Le Monde. Les deux journaux apportent la preuve de l’implication des services de renseignement marocains dans la disparition du principal opposant politique d’Hassan II, Medhi Ben Barka, enlevé le 29 octobre 1965. Pour ce faire, Aboubakr Jamai a réussi à convaincre l’ancien agent secret Ahmed Boukhari de témoigner. « Dans cette affaire-là, l’essentiel était la sécurité de la source. On craignait pour la vie du type. On a eu recours à des ruses pour échapper à leur surveillance », se remémore-t-il.


“La rédaction ne savait pas qu’on allait sortir l’affaire Ben Barka. Trois journalistes étaient au courant. Pour le rencontrer, on descendait dans mon parking en voiture. On changeait de voiture et on sortait par une autre sortie. On a été très vigilants et c’est une grande fierté de ne pas avoir mis au courant les services secrets de la sortie de cette enquête. Ça a fait l’effet d’une bombe. C’est rare qu’une information tombe sans qu’ils ne sachent rien.”


DES LOGICIELS ESPIONS ITALIENS ET FRANÇAIS DÈS 2009

Pegasus ne représente que le dernier outil en date utilisé pour museler la presse indépendante et plus généralement la société civile. Certains, à l’image de Maâti Monjib, Omar Radi, Fouad Abdelmoumni, ou encore Aboubakr Jamaï ont appris avoir été ciblés par Pegasus en 2019 lors des révélations du Citizen Lab de l’université de Toronto. D’autres ont été averti·es en juillet 2021 lors de la publication de Projet Pegasus comme Taoufik Bouachrine, Souleimane Raissouni, Maria Moukrim, Hicham Mansouri, Ali Amar, Omar Brouksy. « Les journalistes savent qu’ils et elles sont constamment surveillé·es ou sur écoute », explique ce dernier, ancien rédacteur en chef du Journal et professeur de sciences politiques au Maroc. « À chaque fois que je parle au téléphone, je sais qu’il y a une troisième personne avec nous », confirme Aboubakr Jamaï. « Ça ne date pas d’hier ».

Ce n’est pas la première fois que le Maroc achète ce type d’outils, avec la bénédiction d’États peu regardants de l’utilisation qui en est faite. L’Italie a permis l’exportation des différents logiciels espions de la société Hacking Team qui proposaient une surveillance similaire à ce que permet aujourd’hui Pegasus. Des documents internes ont révélé que le royaume a dépensé plus de trois millions d’euros à travers deux contrats en 2009 et 2012 pour s’en équiper. L’État français, qui n’en est pas à son premier contrat avec les états autoritaires du Maghreb et du Proche-Orient, a également estimé qu’un outil de surveillance massive du web serait entre de bonnes mains (celles de Mohammed VI) au Maroc.

La société Amesys/Nexa Technologies, dont quatre dirigeants sont actuellement poursuivis pour « complicité d’acte de torture » en Égypte et en Libye a également vendu son logiciel de deep package inspection nommé Eagle. Au Maroc, le contrat révélé par le site reflet.info est surnommé Popcorn et se chiffre à un montant de 2,7 millions d’euros pour deux années d’utilisation. Pour les États européens, ces contrats permettent également de sceller des accords de collaboration avec les services de renseignement marocains bénéficiant de ces outils. L’État marocain est libre dans l’utilisation qu’il en fait, mais en échange il fournit à Paris les informations dignes d’intérêt, notamment en matière terroriste comme lors de la traque d’Abdelhamid Abaaoud, terroriste d’origine belge et marocaine qui a dirigé le commando du Bataclan.

LA CONTINUITÉ DES « ANNÉES DE PLOMB »

Pour Fouad Abdelmoumni, les logiciels Pegasus et Amesys représentent la suite plus sophistiquée de la ligne sous écoute et de l’ouverture du courrier d’antan. Hassan II comme son successeur et fils Mohamed VI ont toujours eu recours à la surveillance massive. « Le Maroc n’a jamais été considéré comme une démocratie. Comme dans tous les régimes autoritaires, il y a une surveillance sur toutes les personnes considérées comme un danger », poursuit Aboubakr Jamaï. Pourtant, après trois décennies de répression durant le règne d’Hassan II, à partir des années 1990 le roi entreprend une ouverture démocratique. De nombreux journaux indépendants prolifèrent.

Lorsque Mohamed VI succède à son père en 1999, le nouveau roi n’a de cesse de s’attaquer à la presse et aux militants. « Si je sors aujourd’hui les enquêtes de l’époque, je risque la prison. D’ailleurs on a été interdits pour ces raisons sous Mohamed VI. Hassan II ne nous a jamais interdits pendant deux ans », décrit Aboubakr Jamaï. Aujourd’hui, de multiples journalistes et observateurs de la situation au Maroc comparent la politique répressive de Mohamed VI à celle des « années de plomb » (1960-1990) du règne d’Hassan II. Les autorités s’immiscent désormais dans la vie privée de ses opposants.

DES CAMÉRAS CACHÉES À DOMICILE

Après son infection par Pegasus, Fouad Abdelmoumni, alors secrétaire général de la branche marocaine de Transparency International saisit la Commission nationale de contrôle de la protection des données personnelles. Plusieurs médias proches du pouvoir multiplient alors les menaces pour tenter de le faire taire. « Dès que je m’exprimais sur Facebook ou ailleurs sur un acte de répression, immédiatement il y avait des articles de menaces qui suivaient ». À la fin du mois, plusieurs médias pro-monarchie l’accusent d’adultère (crime passible de peine de prison au Maroc) ou même de proxénétisme. ChoufTV lance la rumeur qu’une sextape circulerait sur WhatsApp. D’autres sites reprennent l’accusation.

En février 2020, peu avant son mariage, des proches de Fouad Abdelmoumni, dont sa belle-famille, reçoivent via WhatsApp sept vidéos, filmées à son insu lors d’un rapport sexuel avec sa nouvelle compagne. Celles-ci ont été enregistrées à l’aide d’une caméra discrète cachée dans le climatiseur de la chambre de sa propriété secondaire en banlieue de Rabat. « Il y a deux implantations, une première dans le salon qui ne devait pas être suffisamment intéressante. Ils en ont fait une seconde dans la chambre à coucher. Ils ont ensuite pu pénétrer une dernière fois pour retirer ce qu’ils avaient installé ».

Fouad Abdelmoumni

Hajar Raissouni n’a quant à elle pas été traquée par Pegasus, mais le 31 août 2019 la journaliste d’Akhbar Al Yaoum est arrêtée alors qu’elle sort d’un rendez-vous chez son gynécologue. Une caméra de ChoufTV est présente pour immortaliser l’arrestation« À chaque fois qu’il y a un meurtre ou une affaire qui fait le buzz, ChoufTV sont directement informés par la police et ils ont l’exclusivité. Un ami à moi a trouvé un très bon parallèle : ChoufTV c’est comme si InfoWars1 était un département du FBI et que les États-Unis étaient une dictature ». Elle est accusée avec son compagnon de « débauche » (relation sexuelle hors mariage) et « d’avortement illégal ». Malgré le manque de preuves, ils sont condamnés à un an de prison et le gynécologue à deux années fermes.

Un an auparavant, le 23 février 2018, une quarantaine d’agents de police débarquent dans les locaux d’Akhbar Al-Youm pour y arrêter son directeur de publication, Taoufik Bouachrine. Le patron de presse et journaliste est accusé, vidéos à l’appui, d’avoir eu des relations forcées avec deux journalistes. Avec de telles accusations, Reporters sans Frontières (RSF) s’est retenu de commenter l’affaire jusqu’au jour du délibéré, huit mois plus tard, pour finalement évoquer un « verdict entaché de doute ». Le journaliste purge une peine de 15 ans de prison pour « traite d’êtres humains », « abus de pouvoir à des fins sexuelles » et « viol et tentative de viol ». Si le procès a été critiqué pour le manque d’éléments attestant des faits — les deux plaignantes se sont retirées au cours du procès —, le nom de Taoufik Bouachrine refait surface cet été dans la liste des 50 000 numéros visés par Pegasus.

Suleiman Raissouni, directeur de publication de Akhbar Al-Youm est lui arrêté à son domicile le 22 mai 2020 après qu’un témoignage d’un militant LGBTQ+ sur Facebook l’accuse d’agression sexuelle en 2018. Pour avoir pris position en faveur du journaliste, RSF s’est fait accuser de nier le témoignage de la victime, signe de la difficulté de traiter ce type d’accusation. « Ils portent ces accusations [d’agressions sexuelles] [pour ne pas leur donner le statut gratifiant de prisonnier politique. La question des agressions sexuelles est extrêmement sensible », estime Omar Brouksy.

En mars 2015, Hicham Mansouri passe devant un tribunal alors qu’il est encore au Maroc. Des policiers ont pénétré son appartement de force et ont monté un dossier l’accusant de proxénétisme et d’adultère. Un collectif de voisins dément ces accusations, mais on refuse leur témoignage. Un document est présenté durant le procès : le témoignage du gardien de l’immeuble qui l’accuse de tous les maux.


“Le juge l’a convoqué. Au Maroc les gardiens, les cireurs de chaussures, les vendeurs de cigarettes, tous ces travailleurs informels collaborent avec la police, parce qu’ils sont fragiles, parce qu’ils craignent les pressions. Donc quand je l’ai vu au tribunal, je me suis dit : ‟Voilà, c’est lui qui va m’enfoncer!” Mais en fait non. Le juge lui a dit :
— La police vous a entendu, voilà ce que vous leur avez déclaré.
— Non Monsieur, c’est exactement l’inverse que j’ai dit ! Je n’ai jamais rien vu, c’est quelqu’un de très bien.
— Mais c’est bien votre signature ?
— Oui, mais je ne sais ni lire, ni écrire.”


À la fin d’un procès kafkaïen, seule l’accusation d’adultère sera retenue contre Hicham Mansouri. À sa sortie de prison en janvier 2016, un autre procès le guette pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Il risque jusqu’à 5 ans devant un tribunal, et 25 ans s’il passe devant un juge antiterroriste. « L’objectif premier [de ces procès] avant d’être celui de mettre au pas des individualités, c’est de terroriser l’ensemble des élites et de la société civile du pays », analyse Fouad Abdelmoumni. Le fait que tous ces journalistes aient été surveillés permet de remettre en cause l’impartialité de la justice marocaine dans le traitement de ces dernières accusations.

UN PRIX À PAYER EXTRÊMEMENT LOURD

Les mœurs sexuelles ne sont pas le seul motif d’accusations péremptoires : Maati Monjib pour « blanchiment de capitaux », Ali Anouzla pour « apologie du terrorisme », Hamid el Mahdaoui pour « non-dénonciation de l’atteinte à la sûreté intérieure de l’État ». Malgré un préambule très bavard sur les droits humains, la Constitution de 2011 et les lois ne garantissent pas l’indépendance de la justice. Le roi Mohamed VI préside et nomme certains membres du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) en charge d’élire les magistrats. L’article 68 de la loi organique relative au CSPJ lui octroie d’ailleurs un droit de regard sur ces élections. De surcroît, les verdicts sont prononcés selon l’article 124 de la Constitution « au nom du Roi ». Une atteinte à la séparation des pouvoirs, souligne Omar Brouksy. « Quand nous sommes poursuivis pour « atteinte à l’image du roi, de la monarchie, ou quand nous critiquons un proche du pouvoir, nous serons jugés par une personne nommée par le Roi et le verdict sera prononcé au nom de celui qui vous a attaqué. »

Omar Boruksy

La révision du code de la presse de 2016 a supprimé les peines privatives de liberté pour tous les délits de presse. Une avancée de façade, car la dépendance de la justice à l’égard du pouvoir permet à la monarchie de l’instrumentaliser selon ses propres intérêts. Le régime se base notamment sur des accusations de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte à la sûreté de l’État afin d’enfermer les journalistes.

Au-delà de s’attaquer à un individu, le régime marocain cherche à « semer le trouble sur les journalistes pour décourager les sources », analyse Omar Brouksy, voire de les trouver. Fouad Abdelmoumni conclut :

“Il y a une spécificité de la répression au Maroc : elle ne veut pas être méconnue. Elle veut être connue et identifiée. Mais pas d’une manière qui puisse être probante devant une ‟justice molle”. Ce qui les intéresse ce ne sont pas tant les personnes ciblées que les milliers ou dizaines de milliers d’autres qui pourraient, soit être encouragées à agir, soit au contraire se dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle. En voyant que si on s’engage et si on s’expose trop, le prix peut devenir extrêmement lourd.”

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