RD Congo : les “tontons macoutes” de Tshisekedi en oeuvre

« Il faut prendre l’événement par la main avant qu’il ne vous saisisse à la gorge », observait Winston Churchill, souvent prophète plutôt de bons augures. Le paraphrasant, au regard de la situation politique qui prévaut en RD Congo, il convient de prévenir : « Attention ! Le régime de Félix Tshisekedi tangue. Et s’avance vers une dérive dictatoriale inéluctable ».

Dictature ? C’est le fait qu’une personne ou un groupe de personnes (junte ou autre entité ayant pris le contrôle suite à un coup d’Etat militaire) détiennent le pouvoir, l’exerçant sans contrôle, de manière autoritaire. De nos jours comme hier aux temps des empires, son contenu n’a pas changé d’un iota : de Jules-César à Kim Jong-un, en passant par Hitler ou Kadhafi… Ce sont des frères siamois.

Dans cette cohorte d’autocrates invétérés, le président congolais semble en avoir choisi un pour modèle, l’Haïtien François Duvalier. En effet, dans les frémissements du régime dictatorial en cours en RD Congo, on voit s’imprimer une sorte de similitude, en trois temps, dans le parcours politique des deux hommes.

Le premier cas de figure montre la manière dont les deux personnages sont arrivés au pouvoir. En 1957, François Duvalier, un médecin de formation (surnommé Papa Doc) gagne frauduleusement les élections, en Haïti. Avec l’appui de l’armée. De même, Félix Tshisekedi, par deux fois (en 2018 et 2023), s’assure une victoire électorale par des voies plus que biaisées. Naturellement, victoires contestées par l’opposition ainsi que par une large majorité de l’opinion congolaise. À l’externe, la nouvelle est fraîchement accueillie.

Le deuxième temps les réunit dans les phobies qu’ils éprouvent. Une année après sa prise de pouvoir, en 1958, Duvalier essuie un attentat qu’il brise violemment. Mais, il prend peur face à la colère du peuple désabusé. Le régime bascule dans la paranoïa. À l’opposé de son modèle haïtien, Tshisekedi ne connaît pas un seul attentat, car, celui qui vient d’avoir lieu à Kinshasa n’en est pas un. Il ne fait pas face non plus à la moindre marche de contestation. Rien du tout. C’est un calme olympien sous le ciel politique congolais ! La vérité, alors, ce qu’il aurait été atteint de quelque phobie, dès le jour de sa première investiture.

Ce jour-là, 24 janvier 2019, alors qu’un gilet pare-balles le sangle jusqu’au ridicule, les jambes flageolantes, il éprouve publiquement un malaise. La raison, on peut aisément l’imaginer, en est simple : la peur de s’emparer d’un pouvoir illégitime. Ce n’est pas une mince affaire que de vouloir ruser avec le destin de tout un peuple. Encore une fois, c’est depuis ce jour que le nouveau régime de Kinshasa est sur la défensive. Les nerfs en pelote. Tourmenté par la « démangeaison d’un désordre d’ordre psychologique ». Sans doute que les psychologues congolais auront la tâche, demain, de s’interroger sur cette séquence rocambolesque de l’histoire politique de leur pays, et d’en tirer de grands enseignements. De toute façon, le cas n’avait d’anodin que l’apparence.

Enfin, en troisième lieu, le maître et l’élève se retrouvent dans la mise en place de milices. En principe, celles-ci constituent les principaux piliers de tous les régimes dictatoriaux. L’Histoire récente en est parsemée : les SS d’Hitler ; la Tchéka de Staline ; la police des mœurs en Iran… On en passe, et des meilleurs. Toutes ont en commun pour poutre maîtresse la violence. En 1958, Duvalier s’en offre une des plus sanguinaires au monde : les « Tontons Macoutes ». Une force aveugle contre tout ce qui bouge dans le sens contraire à la pensée unique. Dès lors, Haïti est sous une chape de plomb. S’ensuit tout de go l’instauration d’une dictature pure et dure. Le satrape meurt en 1971, après avoir modifié la Constitution, à deux reprises. En 1964 pour s’octroyer la présidence à vie et en 1971 (avant sa mort), en vue de constituer une dynastie, permettant à son fils unique, Jean-Claude, surnommé « Bébé Doc », âgé de 19 ans, de lui succéder. Mais, sous la pression d’un soulèvement populaire, l’héritier dynastique lâche prise en 1986. Il quitte en catastrophe Port-aux-Princes, la capitale. C’est la fin.

On estime le nombre des victimes pendant les trente ans de règne des Duvalier, à quelque cinquante mille personnes, alors que plusieurs dizaines de milliers d’autres échappent à la gueule de loup en gagnant l’exil.

Véritable crise de la raison

Qu’en est-il donc du président congolais ? Dans son climat de peur affirmé, s’est-il laissé entraîner jusqu’à souffrir de paranoïa ? Rien n’est moins sûr. En tout cas, les dictateurs sont souvent victimes de TOC (Troubles Obsessionnels Compulsifs), associés à la paranoïa. Or, la paranoïa faisant souvent le lit de l’imaginaire, l’irrationnel devient ipso facto fécond. Et, à partir de là, il n’y a qu’un pas pour qu’un dirigeant sombre dans la dérive dictatoriale. Marc Romainville, psychologue, ne dit pas autre chose quand il suggère, en général, que croire qu’un danger nous guette, à tout bout de champ, finit par « déformer sérieusement notre perception de la réalité » (À l’école du doute, 2023).

Alors, seulement à mi-parcours de son premier mandat, le président Felix Tshisekedi crée une milice quasi « officielle ». Celle-ci porte la dénomination ronflante de « Forces du Progrès », mais en réalité c’est une coquille vide, trompeuse. À l’image des « Tontons Macoutes », elle a pour mission d’attiser les peurs : humilier, détruire, séquestrer, piller, etc. En gros, étouffer toute voix discordante.

Le comportement brutal au quotidien de cette milice n’est plus à démontrer. Elle va, sans vergogne, jusqu’à déshabiller publiquement une femme, puisqu’elle vote pour un autre candidat que Tshisekedi et à s’attaquer à la résidence du cardinal Ambongo, archevêque de Kinshasa. Les images ont fait le tour des réseaux sociaux. Non sans choquer les consciences.

Faut-il plus pour penser que le régime congolais s’abreuve déjà à la source de la dérive dictatoriale ? Cependant, il semble essentiel de rappeler, pour conforter cette thèse, quelques autres exemples emblématiques, dans les jalons posés par le régime sur cette voie :

Le score stalinien de 73 % obtenu par Tshisekedi, lors de la dernière présidentielle, épouse sans peine des contours dictatoriaux. L’Histoire nous l’enseigne ainsi, en témoigne la récente élection de Poutine en Russie, avec 87 % de «suffrages fabriqués». Qui plus est, deux exemples sous nos yeux, entre le Sénégal et le Tchad, éclairent autrement cette notion de tricherie : quand la vérité des urnes accorde 52 % au vainqueur de Dakar, la fausseté de celles-ci en attribue 61 % au «gagnant» de N’Djamena…

Dans ce domaine, l’historienne Galia Ackerman ne fait pas de concession. Pour elle, tout score électoral hors norme est suspect. C’est ainsi qu’elle en conclut que «tous les dictateurs aiment se faire élire avec des taux grandioses de participation et de vote» (Ouest-France, 23-24 mars).

Il est donc permis de penser que la variable suivante constitue un des indicateurs sérieux sur le
comportement des dictateurs, à savoir la pratique du «tribalisme» au plus haut point comme mode de gouvernement. La magistrature et la Commission électorale nationale indépendante (CENI), les deux principales institutions, à la base de la fraude massive enregistrée lors des dernières élections, sont tribalisées, jusqu’au simple balayeur, pour ne citer que ces deux exemples.

Le tout, alors, sur fond de détournements quotidiens de deniers publics. Sans poursuite judiciaire, puisque les fauteurs sont en majorité «membres de la tribu». S’il y a poursuite, celle-ci relève d’un théâtre burlesque de la plus belle eau : la militarisation de la vie nationale. En fait, comme du temps de ses prédécesseurs (Mobutu et les Kabila, père et fils), l’armée est divisée en deux blocs. Un bloc de laissés-pour-compte, en guénille faisant la manche dans la rue et un autre, «tribalisé», dans les rangs de «la garde présidentielle». Tshisekedi, il y apporte par ailleurs une touche particulière : désormais, cette unité est transformée formellement en une seconde milice, camouflée sous l’uniforme.

Ses membres s’expriment alors tous dans le même dialecte que le président. En lieu et place du «lingala», la langue de l’armée. Ils sont traités aux petits oignons, leurs salaires vont toujours crescendo, selon l’humeur du chef de l’Etat.

Bien entraînés, bien armés, ils sont quelques cinq mille hommes. C’est le cœur battant du système. Eux, en leur qualité de gardiens du temple, ne vont pas faire la guerre dans l’est du pays. Les jours avant la proclamation de la dernière présidentielle, ils ont été lâchés partout, à grand renfort de blindés, comme pour engager une guerre rangée. Afin de comprimer toute manifestation.

Leur présence a été massive, surtout à Lubumbashi, deuxième ville du pays, où réside le plus farouche opposant au régime. C’est là un véritable paradoxe quand les urnes sont allègrement «violées», car on ne peut pas à la fois gagner les élections et intimider ses électeurs. Et puis il y a eu le changement de la Constitution. Un projet «dans les tuyaux», depuis longtemps. Et qui fait grand bruit, en ce moment, au pays. C’est un pas que franchissent, en principe, tous les autocrates pour garantir la pérennité de leur pouvoir.

On transforme donc cette Loi Suprême en une sorte «d’héliocentrisme», autrement dit, une manière de remettre au goût du jour la notion de « roi-Soleil ». Le chef devient le centre autour duquel tout devra absolument tourner. En clair, la dictature.

A cet effet, les partisans du chef de l’Etat congolais, surnommés «Talibans», ne s’en cachent plus. En certaines circonstances, sans sourcilier, ils lancent à l’endroit de leur gourou des vibrants «Vive le roi Soleil». En public ! On n’a jamais enregistré une telle dégradation du comportement mental du Congolais, depuis la date de l’indépendance du pays, en 1960. A n’en pas douter, il s’agit là d’une véritable crise de la raison.

Puisqu’on en est au chapitre de la Constitution, et que le sujet se trouve être au cœur de l’actualité, parlons-en.

En dehors de tout juridisme oisif, la situation est des plus simples, se déclinant en quatre questions majeures: doit-on changer la Constitution? La réponse est « Non » catégorique, puisque dans l’ensemble, cette Loi n’est pas mauvaise. Doit-on modifier la Constitution? La réponse est « Oui »; que doit-on y modifier? Réponse : les clauses qui constituent l’effet de criquet à la marche de la démocratie et, de ce fait, ne profitant pas directement ou indirectement au bien-être des populations (notamment la présidentielle à un tour). Enfin, quel est le statut de ceux qui doivent y réfléchir et proposer des solutions idoines ?

Y a-t-il quelque chose de magique dans ce préliminaire, si derrière le miroir ne se cachent que les intérêts égoïstes des uns et des autres ? Ceux du chef de l’Etat, en personne ?

Il faut stopper l’engrenage

Il n’est pas superfétatoire d’ajouter, dans l’angle global, que la décision de lever, dernièrement, le moratoire sur la peine de mort ou le fait d’engager un bras de fer avec l’Eglise Catholique locale entrent dans le cadre de faire peur pour le triomphe de l’autocratie. C’est clair. Duvalier l’a fait également jusqu’à s’attirer l’ire du Vatican, qui l’a excommunié.

Pour la situation de Haïti on parle de massacres, lesquels ont contraint un nombre impressionnant de personnes à traverser les frontières, connaît-on le nombre de celles et ceux qui, en RD Congo, participent à cette infortune ? Certes, il y a déjà eu beaucoup de tués anonymes et des milliers de Congolais en fuite, de peur d’être appréhendés, jetés en prison sans procès, voir tués. L’assassinat du député de l’opposition, Chérubin Okende, n’est pas loin de cette option macabre.

À travers le tableau synoptique de comparaison établi ci-dessus, Tshisekedi est dans la logique du schéma haïtien : création d’une milice simple, devenue paramilitaire, modification de la Constitution, le proclamant «président à vie», puis instauration de la dynastie. Une marche après l’autre, palier après palier.

En fait, pour le dirigeant congolais, il a déjà sous sa botte toutes les institutions; il ne lui reste plus que le temps de « changer » de Constitution, pour une nouvelle République, la quatrième, sous la bannière de la dictature. L’objectif est de remettre les compteurs à zéro afin de s’ouvrir un troisième mandat. Tout, pour la réussite du projet, y est déjà calculé au millimètre.

Une fois devenu le «centre de l’univers congolais», il ouvrira de nouveau la Constitution pour se proclamer « président à vie »; puis, laissera en héritage une dynastie constitutionnelle prospère.

Quoi d’étonnant ! C’est tendance en Afrique : Gabon, Togo, RD Congo, Tchad (dans ces pays, les fils ont déjà remplacé leurs pères) ; avec un raté en Egypte pour Moubarak, à cause de la « révolution de jasmin », en 2010, ainsi qu’une préparation actuellement en perspective en Ouganda. Le président ougandais Yoweri Museveni est visiblement sur la brèche. A l’évidence, il prépare son fils pour la succession.

Il est vrai que tout cela est vain. Ces projets finissent toujours par faire long feu… et être jetés dans la poubelle de l’Histoire. Qui a dit que « les temps qui viennent seront mauvais; ils seront faits de révoltes, de révolutions et de guerres ?». En Afrique, le Gabon des Bongo qu’on croyait éternel en a déjà fait les frais. À sa manière.

Le monde est donc en ébullition. Avec lui la jeunesse africaine, en vraie fourmilière, qui rêve de prendre sa revanche sur la médiocrité. En premier, sur les dictatures. Récemment, l’exemple du Sénégal démocratique se passe de tout commentaire. La jeunesse a bouté dehors, par la voie des urnes, la clique des dinosaures intraitables.

Là s’arrête la comparaison entre Duvalier et Tshisekedi. On s’étonne souvent de comment le dictateur haïtien a pu tenir en laisse, pendant trente ans, ce vaillant peuple qui a combattu avec succès l’esclavage. La réponse est que les Haïtiens, à un moment donné, ont somnolé. Laissant ainsi à la dictature un interstice (un espace très minime), lui permettant de s’installer.

Il en est ainsi du peuple congolais, plongé dans une profonde torpeur. Le régime dictatorial est en train de s’installer et de l’enchaîner. Les milices de Tshisekedi – pardon, les « Tontons Macoutes de Tshisekedi » ne sont pas un simple fantasme, c’est une réalité.

A tout prix, il faut stopper l’engrenage. Et à temps. Demain, il sera trop tard, puisque la dictature, en dépit de tout, est une force qui monte inexorablement en gamme. Demain, le mal aura déjà pris des racines très solides. Parole de Churchill.

Jean-Jules Lema Landu

Exilé en France depuis 2003, résidant actuellement à Rennes, le journaliste a répondu aux questions des lycéens et évoqué son lourd passé. « Je suis devenu journaliste par accident de parcours et non vraiment par vocation », a -t-il souligné en préambule.
Par la suite, Jean-Jules Lema Landu s'est passionné pour son métier et n'a jamais renoncé à l'exercer, alors que sa vie était en danger : « Dans mon pays, tuer des journalistes, c'est fréquent ! ». Pour sa part, il a été emprisonné 12 fois, dans des conditions inhumaines.

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