La France en passe de lâcher le gouvernement de Brazzaville ?

Anatole Collinet Makosso

Une forte délégation gouvernementale du Congo-Brazzaville, conduite par son premier ministre, Anatole Collinet Makosso, arrive à Paris le 23 août pour faire la manche. Mais selon des observateurs avertis de la vie politique franco-congolaise, des nuages épais qui planeraient sur les deux pays, et d’autre part la crise socio-économique et sanitaire que traverse l’Occident, ne militent pas en faveur de cette délégation qui risque de percevoir au cours de son aumône moins de dividende que ce qu’elle espérait récolter.

Nonobstant leur hold-up électoral perpétré le 22 mars 2021 et les relations diplomatiques entretenues entre le Congo avec la Russie, la Chine, la Turquie, mais aussi les dons et legs reçus çà et là, M. Sassou et ses lieutenants n’arrivent toujours pas à sortir le Congo du gouffre. Ce pays traverse une période de récession sans pareil. Tous les indicateurs financiers sont au rouge. L’arrivée de la mission gouvernementale congolaise à Paris en France va-t-elle permettre de débloquer certains accords financiers remis aux calendes grecques depuis belle lurette ?

Pour « déblayer » le terrain, quelques lobbies et autorités politico-administratives congolais et des ministres Antoine Nicéphore Fylla Saint-Eudes et Thierry Lezin Moungalla, sont déjà à Paris. La tâche est difficile car, selon certaines indiscrétions, ces deux mousquetaires et autres sont en France non pas seulement pour prendre des contacts préliminaires avec les autorités françaises concernées par la mission du premier ministre congolais, mais aussi pour des soins médicaux. Si cette dernière thèse est vérifiée, il est normal que ces deux hommes politiques congolais s’y rendent, car, le Congo-Brazzaville est dépourvu des plateaux techniques médicaux complets.

Ces hommes politiques qui ont développé, depuis leur entrée au gouvernement, un penchant à se considérer comme le centre du monde, brillent par l’indifférence notoire vis-à-vis des difficultés et des souffrances auxquelles les populations sont confrontées avec beaucoup d’acuité. Ce n’est un secret pour personne. Ces nouveaux riches n’hésitent pas à faire main basse sur les fonds publics pour satisfaire leurs intérêts égoïstes. Pour se requinquer, ils sont admis dans les hôpitaux de renom d’Europe. Et souvent, leurs séjours médicaux répétés sont rendus possibles par l’argent du contribuable congolais.

Par ailleurs, les lobbies maçonniques, mais aussi d’affaires, qui devaient influencer certaines sphères de décisions grâce au congolo-zaïrois, Nick Fylla, sont en déroute depuis le départ du pouvoir de Nicolas Sarkozy, du Vénérable Très Grand Recessime Maitre Jean François Stifani y compris les rivalités fraternelles auxquelles des adeptes des loges sont exposés qui les caractérisent actuellement.

Il en est de même pour Thierry Lézin Moungalla et sa patronne, Claudia Lemboumba Sassou Nguesso, chargée de la communication et des relations publiques à la présidence de la République du Congo. Claudia Sassou-Nguesso et Lézin Moungalla n’ont pas pignon sur rue. Ils peinent à vendre l’image de leur pays, malgré les millions d’euros qu’ils sortent du trésor public congolais, et les manœuvres intempestives et maladroites de propagande qu’ils mettent en place pour redorer le blason terni de Sassou et du Congo à cause de certains problèmes qui fâchent. Ensuite, les deux communicateurs en chef de M.Sassou doivent solder le contentieux qu’ils ont créé, en refusant aux observateurs occidentaux et à certains journalistes, dont Florence Morice de RFI, d’avoir un œil sur déroulement de la présidentielle de mars 2021.

Ce scrutin a été purement et simplement, pour une énième fois, un hold-up électoral. Il a emporté, le même jour, Guy Brice Parfait Kolelas, challenger de Sassou Nguesso. La dépouille mortelle est toujours en dépôt à l’Institut médico-légal de Paris, depuis le 22 mars 2021 pour des recherches approfondies sur les causes de son décès. 

Du coup, les minimes chances de succès de cette délégation gouvernementale reposent désormais sur les épaules des ministres, Denis Christel Sassou NGuesso, soutenu par quelques membres du MEDEF, Roger Rigobert Andely, qui n’est pas trop pointé du doigt dans des scandales. Mais, les business français ont-ils vraiment oublié le scandale de 2010 concernant les détournements de fonds de la Banque des États de l’Afrique centrale et des obligations de la BSCA (Banque sino-congolaise pour l’Afrique), où il a été respectivement, vice-gouverneur et président du Conseil d’administration ?

Une nouvelle chance pour le Congo ?

Oui, la mission est difficile et délicate, mais, rien n’est impossible à celui qui croit. Certains hommes politiques congolais se disent confiants à l’issue heureuse des rencontres qui auront lieu. Un haut responsable du Quai d’Orsay qui s’est confié à nous, a exprimé également son optimisme quant à la réussite de la mission congolaise. Il avoue que la France, stratégiquement, n’a aucun intérêt à perdre le Congo, après les tensions qui ont été récemment observées en Centrafrique, au Mali, etc. En Afrique centrale, le Congo-Brazzaville est, économiquement, le 3ème client de la France avec un solde commercial excédentaire en 2020, estimé à 215 M euros. En sus, le patronat français qui est plus ou moins indépendant devrait donner une nouvelle chance au Congo, par le gouvernement Makosso, s’il s’engage à assainir le climat des affaires et à œuvrer pour la réduction des dépenses de prestige. D’ailleurs, le chef du gouvernement actuel qui est bien connu dans des milieux français, pour ses publications littéraires et scientifiques, mais aussi par ses différentes initiatives en faveur du rétablissement de la paix dans plusieurs pays, bénéficie donc d’une forte admiration.

Les institutions internationales, comme la Banque Mondiale, l’Unicef, l’Unesco, par exemple, qui l’ont accompagné pendant qu’il était ministre de l’Enseignement connaissent bien l’homme. « Pourvu que la lutte contre la corruption et la dilapidation des fonds publics soit une grande priorité pour son gouvernement, y compris l’éradication de la pandémie Covid-19 », a renchéri ce cadre du Quai d’Orsay.

Certes, Anatole Collinet Makosso est un homme de dialogue. Il voyage, constamment, dans des vols commerciaux, entre Pointe-Noire et Brazzaville, une manière pour lui de respecter, tant soit peu, la règle d’orthodoxie financière. Mais, tout homme sorti du moule de Sassou Nguesso est un potentiel danger. La preuve, voyons comment Collinet Makosso opérera sa transmutation. Restera-t-il comme le bois qui ne se transforme pas, même après un long séjour dans l’eau ? Laissons le temps au temps. Ses prédateurs sont en ordre de bataille, parce qu’ils souhaitent son échec. C’est un secret de polichinelle. Selon nos indiscrétions, ils se donnent déjà des tacles et militent pour faire échec à cette mission au MEDEF, auprès de l’État français et à l’union européenne.

Ghys Fortune BEMBA-DOMBE, journaliste congolais, ancien résident de la Maison des journalistes (MDJ). Auteur du livre “De l’Enfer à la Liberté” (2019)

 

D’autres articles sur l’Afrique

RD CONGO. TSHISEKEDI EST-IL FICHU ?

L’Eglise Catholique est montée au créneau, début août, souhaitant voir une « alternance » en 2023. Ainsi un coin du voile a été soulevé à ce sujet, laissant entendre à haute voix ce qui se disait tout bas, depuis longtemps : « Tshisekedi ne vaut pas tripette comme chef d’Etat ».

L’Eglise a donc crevé l’abcès. En prélude aux prochaines élections, qui s’annoncent périlleuses. Une bombe à fragmentation, si on n’y prend garde.

Faisons l’impasse de l’historique électorale complexe, au Congo, pour n’évoquer, en gros, que la dernière présidentielle de 2018. Celle-ci est unique en son genre, quand bien même les médias se plaisaient (se plaisent encore) à y voir un calque quelconque du modèle russe, dans la fameuse formule « Poutine-Medvedev-Poutine ».

Kabila, contrairement à Poutine, a « joué franc-jeu », en plein jour, en ordonnant de proclamer Tshisekedi victorieux, à la place de quelqu’un d’autre. Le président russe, lui, a joué au plus fin, en agissant dans l’ombre.

Avec cette fraude diurne, Tshisekedi traîne depuis l’image de « sparadrap du capitaine Haddock ». La fraude lui colle à la peau, empoisonnant davantage sa carrière politique, erratique. Désormais, il en est à son mi-mandat. Assis sur la tricherie et l’échec.

En témoigne l’atmosphère générale de défiance qui enveloppe la capitale Kinshasa, et les autres grands centres urbains. Elle confine au tribalisme et, dans la foulée, à la révolte populaire en gestation. Tribalisme ? Une thématique dangereuse que le régime Mobutu a jetée aux orties, qui refait aujourd’hui surface avec inquiétude.

Antipatriotisme, tribalisme et appendices

Mais, plus que toute autre chose, la résurgence du tribalisme traduit l’échec le plus cuisant qu’ait jamais enregistré le régime en place. Bien qu’en parallèle, en apparaissent d’autres non moins graves, par exemple : le programme dit de la gratuité de l’enseignement primaire et secondaire : un mensonge d’Etat, le Fonds national de solidarité pour la lutte contre le Covid-19 : vaporisé, l’État d’urgence à l’est du pays : une utopie militaire. Tandis que la corruption, le siphonnement du Trésor public, le complotisme font partie d’un sport national apprécié au sommet de l’Etat.

Sur ce sombre tableau, ne figure aucun programme économique en exécution, si ce n’est sur le plan de la belle rhétorique. Il en est de même du social que le régime Tshisekedi snobe. À longueur de journée, ses fonctionnaires et affidés (rémunérés en prince) roulent carrosse dans Kinshasa, jusqu’à l’insolence. Alors que le peuple, dans sa majorité écrasante, croupit dans une misère noire.

Des gémissements montent de partout. La colère du peuple ne cesse de s’amplifier, sous forme d’avis de tempête sociale. Cette atmosphère délétère, s’il en est, ne justifie pas moins le souhait de l’Eglise Catholique de voir Tshisekedi prendre ses cliques et ses claques en 2023. En fait, huit Congolais sur dix – à vue de nez -, expriment le même souhait.

On en est donc à ce point, au regard de cet aperçu synoptique, avant d’évoquer la question majeure liée aux prochaines élections. Selon nombre d’observateurs, celles-ci promettent des étincelles, pour une raison majeure d’égocentrisme. Les psychologues en diront plus un jour.

Qu’en est-il, au juste, en résumé ? Si la « Question congolaise » demeure une sorte d’usine à gaz, elle est néanmoins constitutive des deux plaies principales : l’antipatriotisme et le tribalisme. Par ailleurs, les deux notions finissent par se confondre, le reste étant de simples appendices.

L’antipatriotisme, entre autres sens, est un égoïsme au niveau individuel, d’abord, qui atteint l’entre-soi, ensuite, pour finir sa course sous forme de tribalisme. C’est le plus haut degré de ce mal. Son objectif est « d’écarter l’autre du centre d’intérêt afin d’en être l’unique jouisseur ». A cet égard, la société congolaise reste divisée entre une poignée de millionnaires et leurs vassaux puissants, d’un côté, et une marée de pauvres aux abois sans défense, de l’autre. Et ce, des décennies durant.

Bras de fer avec l’Eglise Catholique

Une genèse peu enviable ! Au lieu de couper les liens avec ce passé douloureux, Tshisekedi les renforce. Avec un certain cynisme. Quand, dès ses premiers pas au sommet de l’Etat, il donne la preuve d’un « prince » préoccupé tant par son maintien au pouvoir que par la prospérité de la Cité. En effet, son entourage parlait déjà indistinctement de « glissement » vers un deuxième mandat, sans passer par les élections ou de subordonner celles-ci à la réalisation d’un recensement. Un refrain fort connu, synonyme, au Congo, de « mesures dilatoires ».

Deux des sujets polémiques, du temps de Kabila, ayant fait couler beaucoup d’encre, de salive et de sang. Lui, Tshisekedi et son parti UDPS, dans le rang de l’opposition, en ont fait les frais. Il en sait quelque chose pour l’avoir vécu dans sa chair et dans son esprit. Aujourd’hui, c’est la même personne qui retourne sa veste, pour faire siennes les mêmes dérives démocratiques. Et même, qui plus est, essaie avec véhémence de caporaliser la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Comme il l’a déjà fait avec la magistrature. Un travail méticuleux dans l’ombre. But poursuivi : le pouvoir, à tout prix, par la fraude ou par la guerre.

D’où la présence de 500 jupes, pimpantes neuves (pour une rondelette somme de 25 millions d’euros), « don » du président de la République aux 500 députés. Ou plutôt, témoignage d’une corruption ouverte au sommet de l’Etat ; d’où l’élaboration de cette théorie, fumeuse, sur la « congolité », dont l’objectif est d’éliminer des candidats présidentiels connus, populaires et susceptibles de l’emporter à l’échéance de 2023 ; d’où cette politique sournoise d’intégrer les Eglises dites de réveil, dans la campagne, avant la lettre ; d’où le bras de fer engagé avec la puissante Eglise Catholique, puisque celle-ci a envisagé de marcher sur ses plates-bandes pour le ramener sur le droit chemin…

Tout cela forme un miroir qui reflète la perte de confiance d’une régime croulant. Tshisekedi est-il fichu ? Faut-il plus pour le démontrer ?”

Fin des haricots ou balkanisation de jure

Il y a tellement du négatif dans l’action du président en exercice pour le voir, de manière honnête, gagner les élections. Cet homme n’est-il pas allé jusqu’à signer un contrat minier traître avec le Rwanda, décrié par l’ensemble des Congolais scandalisés ? Pourtant, cet homme dont les historiens se feront le devoir de décrire le rôle néfaste de trahison qu’il a joué contre son pays, ne lâchera rien.

Tshisekedi, à comprendre les manœuvres qu’il mène, « pour le pouvoir », ne lâchera rien. Un bain de sang est donc en perspective, dans lequel sera consacrée la balkanisation dont on parle tant, depuis longtemps.

Si le leader de la province du Katanga, Moïse Katumbi est écarté de la course présidentielle, cette province entera en rébellion. Suivra le Kivu de Kamerhe (en prison ?!) – avec le Rwanda en embuscade. Viendra ensuite le tour du Bas-Congo du gourou Muanda Nsemi…  Enfin, ce sera la fin des haricots ! Ou la balkanisation de jure ! Ou, par extraordinaire, le départ improbable d’un nouveau Congo ! Qui sait ?

Attention ! Le conflit est en train de mûrir. Et « quand une guerre est mûre, elle éclate toujours pour une bagatelle », affirme l’écrivain Jacques Ferron. La bagatelle ça pourrait être une banale manifestation de mécontentement. Comme on en voit régulièrement ces derniers temps à Kinshasa.

Qu’on ne s’y méprenne point. Toutes les révolutions modernes furent, à l’origine, des révoltes urbaines, parties de bagatelles. De la prise de la Bastille à Paris en 1789, à celle du Palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg, en Russie en 1917. Attention !

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

D’autres articles 

MAGHREB. Élan putschiste tunisien et islamisme

Le président tunisien, Kaïs Saïed, semble avoir usé de procédés algériens, quand il dut annoncer, au soir du 25 juillet passé, le gel des activités de l’Assemblée des représentants du peuple durant 30 jours, la levée de l’immunité de tous les députés et le limogeage du chef du Gouvernement, Hichem Mechichi.

« Les mesures du 25 juillet » est l’euphémisme qu’ont préféré utiliser certains titres de la presse tunisienne pour qualifier ce putsch contre la constitution du pays. Tout dans cette mise en scène qui a entouré l’intervention présidentielle, rappelle la déloyauté et les tonalités autoritaires dont le régime algérien s’est fait une spécialité. Grandiloquence dans le propos, habits de scène faits de casques et de bottes avec à la clé l’engagement à respecter la constitution…

Pourtant, Kaïs n’est pas Bouteflika. Il en est même l’antithèse. Le premier a été élu et le second a été coopté par l’armée. N’empêche, les différences entre les deux personnages sont encore plus importantes que les similitudes. 

Quant à la comparaison des régimes des deux pays respectifs, il est à se demander, au-delà de l’apparente césure entre un système formaté par une révolution populaire et un système militariste rigide, s’ils n’ont pas en commun de subir, malgré tout, le diktat de l’État profond. Qu’on se souvienne des circonstances dans lesquelles l’actuel locataire du palais de Carthage fut élu. Toujours est-il, quand on voit comment la démocratie est malmenée sur les terres mêmes qui l’ont vue naître et grandir, il est permis de se dire que la démocratie nord-africaine, à peu près la seule dans la région qui ait pu atteindre un tel niveau, est, peut-être, en train d’imiter les défauts de ses devancières occidentales, étant donné qu’il est plus facile de mimer les travers que les qualités. En cette époque d’incertitude perpétuelle, jamais la criminalisation de la protestation politique et son corollaire, la surveillance intégrale des citoyens, n’ont trouvé meilleur alibi que le terrorisme. Avec l’affaire Pegasus, on se surprend à penser que finalement, si petit que puisse être un pays, si misérable que puisse être son économie, il est susceptible de développer un gigantisme ombrageux et monstrueux pour peu qu’il ait assez d’argent pour acquérir les nouvelles technologies de dernier cri .

Mais que sait-on réellement de l’activisme souterrain des grandes puissances ? La digression étant faite, revenons à la Tunisie. Mais il y a plus à dire sur la régression de l’islamisme que ce qui peut se dire de la violation par Kaïs Saïed de la constitution. L’argument massue en faveur de la politique du coup de pied dans la fourmilière, est celui qui consiste à mettre en avant le devoir moral de combattre la corruption. Eh quoi ? L’éradication de la gabegie, des malversations, du népotisme et l’instauration de la justice sociale, n’étaient-elles pas la raison d’être du parti islamiste Ennahdha? Les islamistes des places de Tunis, Alger et Rabat qui se prenaient pour le centre du monde, sont désormais rappelés à leur condition de mortels. Leur parcours n’est pas sans rappeler celui des communistes. Comme quoi, les utopistes, qu’ils soient laïques ou religieux, deviennent des gens des plus ordinaires dès lors qu’ils se diluent dans la nomenklatura. Il ne subsiste de leur ancienne vie que des signes qui font ambiance, le voile pour les uns, le foulard rouge pour les autres. Même s’il survit socialement, l’islamisme a cessé pourtant d’être un projet d’État. Il se réinvente en dehors de ses circuits traditionnels en investissant de plus en plus des individualités qui expriment des opinions divergentes, se conformant ainsi à une certaine vision « démocratique », disons plurielle de la société. Les réseaux sociaux, du reste, relaient ces voix multiples. Cette évolution confirme, si besoin est, que l’islamisme, pris dans son acception pragmatique (loin de ses penchants consuméristes), est une stratégie d’appropriation de la modernité. C’est pourquoi, l’élan putschiste tunisien me paraît d’autant plus injustifié qu’il vise un mouvement rongé par la déliquescence et condamné à la chute. 

Larbi Graïne https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2021/02/logo-rond-twitter.png?resize=36%2C36&ssl=1

Journaliste algérien établi en France

D’autres articles 

Mamadou Bah en France : de la rue à la Maison des Journalistes (PORTRAIT 2/2)

« Une dictature couverte par le vent de la démocratie. Le vent peut souffler un peu, on peut se dire “oh c’est frais, agréable”, mais après ça repart, et on reste toujours dans le même climat ». Mamadou Bhoye Bah. 

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes. 

Mamadou Bhoye Bah arrive en France en octobre 2017. Une vie très difficile s’ouvre à lui. Il n’a plus rien, ses diplômes sont dévalorisés en France, sa famille est restée en Guinée. Il se retrouve seul mais découvre très vite la Maison des Journalistes, par le biais d’une association qui organisait des maraudes. Pour pouvoir y accéder, il faut remplir le formulaire en ligne. Sans téléphone, sans ordinateur, sans internet, c’est presque mission impossible. Mamadou vit donc dans la rue. Il raconte: « Chaque matin, quand tu te lèves, tu ne sais pas d’où tu viens et où tu vas. C’est très compliqué à gérer ».  Au fil des rencontres, Mamadou finit par être « invité » à rejoindre un camp. Cela lui fait penser à un camp militaire, mais il s’agit en fait d’un camp de migrants dont plusieurs associations humanitaires s’occupent près de la Porte de la Chapelle, à Paris. D’abord réfractaire à cette idée, il est convaincu par plusieurs personnes qui lui indiquent que cela l’aidera à trouver un logement, à s’en sortir. Il s’y rend, observe, se renseigne. « Il y a des gens qui dansent, qui se vident l’esprit. Moi je reste là, assis ». Il discute pendant de longues minutes avec une bénévole d’Emmaüs. Elle ne lui cache pas qu’il est très compliqué d’obtenir un titre de séjour, ou tout autre document lui permettant de régulariser sa situation en France, encore plus dans ce camp. Ses a priori confirmés, Mamadou décide de quitter le camp. « Je leur ai raconté que j’avais oublié un sac dans la rue, que je devais à tout prix aller le récupérer. Et puis c’est comme ça que je me suis enfui ». Il y revient finalement une semaine plus tard, après avoir rencontré un guinéen, qui, lui aussi, était passé par ce camp. Ce dernier confie à Mamadou que beaucoup se battent pour pouvoir intégrer cet endroit, qu’il doit saisir sa chance.

Pour l’anecdote, Mamadou réussit à réintégrer le camp car il est pris pour un autre. « Coïncidence ou choix du destin, un autre guinéen, appelé Mamadou, était présent sur les listes du camp. C’est comme ça que j’ai réussi à y entrer de nouveau ». Il est donc logé dans un petit abri en contre-plaqué, insalubre, il l’avoue, mais c’est toujours mieux que la rue. Il y reste dix jours, avant que les Restos du cœur, pour lesquels il était bénévole, ne lui trouvent un hébergement dans le 94. Il réussit alors à collecter toutes les informations nécessaires pour rejoindre la Maison des Journalistes. Après plus d’un an passé dans la rue, il trouve enfin un hébergement stable, et des personnes décidées à l’aider dans toutes ses procédures.

Mamadou lors d’un entretien avec le député Sébastien Nadot à la MDJ

En parallèle, il complète une licence 2 et une licence 3 en sciences de l’éducation. Il s’inscrit également en Master 1 en 2020 afin de pouvoir passer les concours de l’enseignement. Sans naturalisation, impossible pour lui de passer le concours, mais sans ce concours pas d’emploi, et sans emploi la naturalisation est inenvisageable.

Une intégration pas facile

Pris dans une spirale infernale, Mamadou est finalement engagé en tant que professeur contractuel dans l’enseignement primaire. Il fait des remplacements, ici et là. Il écrit des articles pour le journal de la Maison des Journalistes (L’oeil), de manière bénévole. « Le journalisme, c’est le seul métier que je peux exercer gratuitement ». Malgré son expérience, il ne trouve aucun poste dans ce domaine. « Même les journalistes français ont du mal à trouver du travail, alors les journalistes étrangers, même francophones, je ne vous en parle pas ». L’idée reste là, dans un coin de sa tête, d’un jour reprendre sa passion et de rejoindre une radio. Il en parle longuement, pour lui, le journalisme et l’enseignement sont deux métiers qui vont de pair. La facilité d’accès aux réseaux sociaux, à l’information de toute sorte, implique d’être bien éduqué, d’avoir été averti de la manière dont il faut prendre l’information et se l’approprier. Il apprend à ses élèves à se nourrir intelligemment des informations qu’ils reçoivent, tout en restant en alerte. Il leur apprend aussi à faire valoir leur droit, à ne jamais se laisser faire à ce propos. « Je suis touché quand mes élèves me confient qu’ils m’admirent, et qu’ils aimeraient un jour, comme moi, devenir journaliste ».

Les élèves de Mamadou pendant un atelier de peinture

L’intégration en France n’est pas chose facile donc. Mamadou l’illustre assez bien : « Il faut reconstruire ta vie. Alors que tu avais atteint 10, il faut recommencer à 0. Mais est-ce que tu es sûr que tu pourras encore atteindre 10 ? La réponse est non ». Il poursuit avec un adage africain : « Le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile ». Peu importe ce qu’il fera ici, il est sûr de ne jamais avoir le même statut qu’une personne qui est née et a grandi toute sa vie en France.

 

Un exil loin de la famille

Désormais bien établi, Mamadou le reconnaît : « La Guinée reste mon premier pays, mais la France est devenue mon pays d’accueil ». S’il avait le choix, s’il n’était pas menacé, il n’hésiterait pas une seconde et rejoindrais sa femme et sa fille, toutes deux restées en Guinée. Mais selon lui, la situation ne risque pas de s’améliorer tout de suite. « Ça ne m’étonnerait pas qu’il y ait toujours des régressions ». Lorsqu’on lui parle du régime politique, il le qualifie de dictature. Par une jolie métaphore il précise : « Une dictature couverte par le vent de la démocratie. Le vent peut souffler un peu, on peut se dire “oh c’est frais, agréable”, mais après ça repart, et on reste toujours dans le même climat ». Certes des élections ont lieu, mais ce sont des élections formelles, avec beaucoup de fraudes et de corruption. Outre le contexte politique, Mamadou déplore tout particulièrement le fait que sa fille soit privée d’une présence paternelle. « À partir du moment où vous êtes absent, l’enfant va lui-même se poser des questions : pourquoi cette personne qui était là, qui me faisait tout, qui était présente devant chaque situation et difficulté n’est plus là ? ». Mais un jour, il les retrouvera.


Si vous avez aimé cet article, lisez l’épisode 1.

 

D’autres articles 

Mamadou Bhoye Bah en Guinée: une lutte contre la corruption (PORTRAIT 1/2)

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000.

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes.

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000. L’un de ses professeurs travaille dans une radio de la capitale guinéenne. Fasciné, Mamadou tente très vite de lui démontrer son intérêt pour le domaine, ce qui lui vaut un droit d’accès en tant qu’observateur plusieurs fois par mois dans les locaux de la radio. Mamadou en est persuadé, il a trouvé sa voie. Les perspectives sont claires, après le lycée, il s’inscrira dans une école de journalisme.

Toujours très lié à son professeur, qu’il avoue même considérer comme un « demi-dieu », il suit ses conseils et poursuit une licence en droit des affaires. « J’avais déjà le verbe, et il le savait. Mais une formation en droit serait un réel atout par rapport à d’autres journalistes ». Il obtient donc sa licence en 2012, et développe le projet d’enseigner. Le jeune guinéen en est persuadé, journalisme et enseignements sont liés. Il évolue dans le processus de formation et dans les concours afin d’obtenir son matricule d’enseignant.

Mamadou à la radio rurale de Pita

Mais alors qu’il obtient le concours avec brio, son nom ne figure pas sur la liste des étudiants intégrant la fonction publique. C’est là que débute le combat de Mamadou contre la corruption en Guinée : « Certaines personnes ont le bras long et quand tu as un bras dans l’administration on peut facilement te pistonner ».

 Un combat contre l’injustice 

Seule la moitié des étudiants ayant réussi le concours a été engagée, et Mamadou n’en fait pas partie. Il ne compte pas se laisser faire et comprend très vite que ces places, sa place, ont été données à des individus haut placés, n’ayant jamais validé toutes les étapes nécessaires pour obtenir le matricule, en échange d’une somme d’argent versée au ministère. « Certains d’entre eux n’avaient même jamais mis un pied dans une école ». Un long travail d’investigation débute alors pour Mamadou. Il rencontre plusieurs personnes de l’administration, se présente en tant que journaliste, et demande à voir différentes listes : celle des admis au concours, celle des différents stages effectués par chacun, celle des recrutés à la fonction publique. Il finit, après avoir insisté pendant plusieurs jours, par les obtenir. Face à ces listes, Mamadou le sait, il doit garder des traces, commencer à collecter des preuves matérielles qu’il pourra montrer au grand public. « Avec l’administration, ce sont les actes qui parlent ». Dans un élan d’adrénaline et de courage, et alors qu’il est seul dans un bureau pour consulter ces listes, il court dans un autre bureau pour faire des photocopies des pages les plus importantes. Ces photocopies, il les cache dans sa veste. Il revient tranquillement dans le bureau, repose les originaux, et s’en va. C’est la première fois qu’il est confronté à un tel travail d’investigation.

Mamadou interviewe des femmes productrices de légumes dans la banlieue de Pita.

Il faut maintenant exploiter ces listes. « Quand je suis sorti il y avait aussi un travail en aval, il fallait avoir toute une équipe. Mener ce combat seul c’est compliqué. » Mais Mamadou n’est pas seul, comme lui, plus de trois cent autres personnes ont réussi le concours sans être finalement titularisées. Pour les connaître, un travail méticuleux a dû être réalisé. La liste des personnes titularisées est affichée en ville. Ainsi, Mamadou vient chaque jour et observe le comportement des gens qui passent devant. Chaque air étonné, déçu, chaque signe de colère ou d’incompréhension est un indice précieux pour identifier les personnes qui, comme lui, sont victimes de la corruption guinéenne. De cette manière, Mamadou recense plus de deux cents personnes, et les invite à rejoindre sa lutte. Communications, révélations, tout un travail se déclenche. Il reçoit alors ses premières menaces, notamment de la part du chef de l’enseignement pré-universitaire. Il n’est pas question d’abandonner, Mamadou poursuit sa lutte, continue à se rendre dans des émissions, à rédiger des articles. Il lance un appel à toutes les personnes étant dans la même situation, et organise un sitting devant le ministère. Manifester fait partie de ses droits, il le sait, tout comme les quatre-cent personnes qui l’accompagnent.

Article de D. Labboyah, en date de mai 2012, faisant état du sit-in.

Le sit-in a lieu le 2 mai 2012. Le climat est tendu, la menace est grande. « On se savait sous la menace mais j’estime que c’est un combat noble ». Mamadou est la figure de ce soulèvement, il est particulièrement recherché par les autorités. Après quelques minutes seulement, il est arrêté, passé à tabac. « L’arrestation était très brutale. J’ai reçu plusieurs coups de matraque, dont un sur la main. J’avais une bague à cet endroit, elle est rentrée dans ma peau. J’étais ouvert, on voyait mon os ». Il reste en garde à vue, sans recevoir de soins pour ses blessures, pendant plus de vingt-quatre heures. Le groupe a tout de même manifesté, mais sans son porte-parole. Mamadou est finalement relâché. 

Loin d’être intimidé, il poursuit sa lutte et rencontre de grandes personnalités politiques, directement dans leur cabinet : le ministre de l’éducation ou encore le ministre de la sécurité. « J’étais assis en face d’eux, et je ne mâchais pas mes mots. Je savais que je détenais des preuves tangibles ». Plusieurs tentent de le corrompre en lui proposant de grosses sommes d’argent. Hors de question pour Mamadou qui n’hésite pas à faire part aux médias de ces tentatives pour étouffer l’affaire. « Je suis resté intraitable durant toute ma lutte contre la corruption ». Les responsables politiques le comprennent, le mouvement ne s’étouffera pas. La lutte a été efficace puisque plus de deux cents trente personnes ont été rétablies dans leurs droits.

Une victoire la lutte continue

Mamadou fait partie des personnes qui ont finalement réussi à se faire entendre. Mais comme une sorte de punition, il est envoyé à plus de quatre cents kilomètres de la capitale, dans l’une des plus petites écoles du pays, coupé de tout. C’est un moyen de le faire taire, mais c’est mal connaître le jeune guinéen.

Il réussit à se rapprocher de la capitale grâce à une mutation et saisit donc un poste dans une autre école quelques mois plus tard. Il rejoint aussi une radio, pour poursuivre sa lutte contre la corruption. 

Article de Mamadou dans lequel il dénonce la destitution des délégués scolaires

Le combat sera encore long, il le sait. L’émission dans laquelle il figure est de plus en plus connue, et Mamadou s’intéresse désormais aux personnes déchues de leur poste en raison de leurs affinités politiques, ou de leur origine ethnique. Même si les Peuls constituent l’ethnie majoritaire en Guinée, ils n’ont pas le pouvoir politique et sont considérés comme des opposants. « La politique en Afrique a été ethnicisée. Aujourd’hui en Guinée, quand tu es de cette ethnie même si tu n’es pas politicien le pouvoir te voit comme un opposant ». Mamadou est Peul, et dans le cadre de sa lutte contre la corruption, il trouve cette situation inacceptable. Il mène plusieurs interviews à ce sujet, et se retrouve à nouveau sous le coup de menaces, principalement des coups de téléphone très virulents. « Une fois, alors que je cherchais à avoir de nouvelles informations auprès de l’administration, un employé m’a menacé d’appeler la police, et de me faire arrêter ». Il est finalement contraint de quitter la Guinée en 2017, alors que les menaces s’intensifient.


Si vous souhaitez en savoir plus sur le parcours de Mamadou, restez connectés. L’épisode 2 sera publié très prochainement et fera part du périlleux parcours de Mamadou lors de son arrivée en France.

D’autres articles 

Législatives en Algérie : Abdelkader et le degré zéro de la politique

Les lendemains de la débâcle électorale du 12 juin passé sont cruels pour les généraux algériens. Le désaveu populaire envers le régime militaire est on ne peut plus éloquent.

Même le rafistolage des chiffres n’a pu cacher le fait que les « vainqueurs » des législatives (le Front de libération national – FLN, islamistes-maison et le Rassemblement national démocratique RND réunis) sont d’un poids politique infiniment infinitésimal, et pour tout dire : nul. C’est cette nullité paroxystique que le chef de l’État entend assumer. Ainsi, d’une manière officielle, Monsieur Abdelmadjid Tebboune a fait savoir, le jour même de la tenue du scrutin que le taux de participation ne l’intéressait pas. Autrement dit, les élections seront validées dussent-elles provoquer des fous rires. Un simple calcul basé sur les résultats définitifs publiés dans le Journal officiel, donne les pourcentages suivants : Le FLN qui soi-disant a remporté les élections, n’a pu décrocher que 1.18% des voix, les islamistes du Mouvement de la société pour la paix (HMS), 0.85% et le Rassemblement national démocratique (RND), 0.81 %.

Bienvenu dans le monde à l’envers ! On a un pouvoir schizophrène qui, lui-même, met à nu la démocratie de façade. C’est la folie du pouvoir, une maladie dont seul Tebboune serait, dit-on, atteint. Dans un pamphlet publié sur sa page Facebook, Noureddine Boukrouh, ex ministre de Bouteflika a suggéré que le chef de l’État devrait être interné dans un asile psychiatrique. Sous le titre « Ce fou de Tebboune », le post a terriblement fait sensation sur les réseaux sociaux.

Connu pour être proche des services de renseignements-aile de l’ex DRS [Département du renseignement et de la sécurité], cet ex ministre n’a pas été inquiété alors que des activistes du Hirak ont été jetés en prison pour moins que rien. Mon propos n’est pas de souhaiter la prison aux politiques ou d’exiger des sanctions à leur encontre, ce serait une atteinte à la liberté d’expression. Toujours est-il que ce n’est pas Boukrouh qui va être emprisonné mais Nordine Aït Hamouda. Tout porte à croire que l’opération a été montée dans le cadre d’une guerre des services. Aït Hamouda aurait été attiré sur le plateau de Hayat TV dans un guet-apens. Ex député, Aït Hamouda est le fils du colonel Amirouche, maquisard kabyle tué par l’armée française, célèbre dans toute l’Algérie. Les hirakistes, des quatre coins du pays se réclament d’ailleurs de lui. L’un de leur slogan est « Nous sommes les enfants d’Amirouche, nous ne ferons pas marche arrière ». Acquis aux idées d’un courant berbériste non consensuel, on aurait fait dire, haut et fort, à Aït Hamouda, ce qu’on pressentait qu’il serait capable de dire dans un débat à forte portée idéologique : l’Histoire en l’occurrence. C’est, du reste, avec fougue qu’il dénonça comme « traîtres » Houari Boumediene, ancien chef de l’État, Messali Hadj, le père du nationalisme algérien et l’émir Abdelkader, icône de la résistance algérienne à l’occupation française lors de ses débuts. Toutes ces personnalités vitupérées par Aït Hamouda appartiennent au courant arabo-islamiste. Arrêté et mis sous mandat de dépôt, le fils du colonel Amirouche est accusé d’ « atteinte aux symboles de l’État et de la révolution », « atteinte à un ancien président de la République », « atteinte à l’unité nationale », « incitation à la haine et discrimination raciale ». Toutes les voix sensées ont appelé à la libération de l’ex député arguant que l’affaire devrait être recadrée par les historiens. Oubliés donc les projectiles tirés sur Tebboune. Ainsi, ce dernier est gommé par un ancien chef d’État. A défaut de débattre des problèmes du présent, les Algériens sont ainsi conviés à s’occuper du passé.Il est utile de souligner que ce n’est pas la première fois qu’une personnalité historique est la cible de calomnies. Sous Bouteflika, Messali Hadj a été également dénoncé comme « traître » par un ex chef d’un parti berbériste. Plus près de nous, en 2020, c’est Abane Ramdane, un des principaux dirigeants du FLN historique, qui a fait l’objet d’une accusation de traîtrise de la part d’un fonctionnaire arabophone exerçant au niveau de l’administration de la wilaya (département) de M’sila. En outre, de son vivant, Ben Bella avait estimé que le congrès de la Soummam, qui devait organiser la révolution algérienne et dont Abane fut l’architecte, avait été une « trahison ». Dirigeant d’origine kabyle, partisan de l’éviction des militaires de la scène politique, Abane a été également célébré par les hirakistes qui se sont reconnus dans son combat.

Le débat sur l’histoire : un débat culturel

Force est de constater que ce débat sur l’Histoire renvoie à un conflit culturel dont les protagonistes ne sont autres que les élites politiques arabistes et berbéristes. Chacun de ces deux camps voit dans l’histoire de l’Algérie une histoire habitée par une succession de traîtres quoique différents selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre. Aussi, depuis la présence romaine, la figure de la traîtrise est toujours liée à un ancien colonisateur. c’est pourquoi d’aucuns diront que l’aguellid (roi) Massinissa fut le « chien » de Rome. L’historien et anthropologue Alain Mahé a bien cerné le problème lorsqu’il écrit que « la singularité de ces affrontements culturels [entre militants arabistes et militants berbéristes] réside dans le fait que les militants d’une cause ne parviennent à flétrir la cause adverse qu’en faisant intervenir un élément tiers, en l’occurrence un conquérant ou un colonisateur. [1]». Le discours historique des berbéristes « conduit implicitement à l’équation : arabe = colonisé, mais il en va de même dans les représentations qu’entretiennent les populations arabophones sur l’identité berbère.[2] » Mais ces derniers propos sont à relativiser vu que le Hirak qui est lui même un phénomène culturel, a fait évoluer les choses.

Un déluge de répression

Tout ce tintamarre fait autour de l’émir Abdelkader survient sur fond d’un déluge de répression visant les marches, les partis, les associations, les militants du Hirak, du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et les autonomistes. L’Algérie n’est pas loin d’atteindre 400 prisonniers politiques. Même Fethi Gheras, chef de file du MDS, héritier du communisme algérien, s’est vu arrêté à son domicile. Cette opération spectaculaire vise à semer la terreur dans la population. Ce n’est pas que le multipartisme soit menacé, c’est qu’il n’existe pas. Mêmes divisés en pro et anti-Tebboune, les généraux algériens, semblent penser qu’ils sont en mesure de réduire le Hirak et neutraliser le MAK en Kabylie, et ce, peut-être en favorisant les autonomistes avant de se retourner contre eux. L’accusation de terrorisme qui vise le mouvement indépendantiste ne peut s’expliquer pour le moment que de cette façon.

[1] Alain Mahé, Histoire de la Grande Kabylie, XIXe-XXe siècles. Anthropologie historique du lien social dans les communautés villageoises, Bouchene, Paris, 2001, pp. 478-479.

[2] Ibid.

Larbi Graïne https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2021/02/logo-rond-twitter.png?resize=36%2C36&ssl=1

Journaliste algérien établi en France

D’autres articles 

RD Congo-Rwanda, à l’heure de vérité biaisée

Une information remplace vite une autre. Si vite. Il n’en sera pas ainsi du désir commun des présidents rwandais Paul Kagame et congolais Félix Tshisekedi de « tourner la page » d’un passé lourd de sang versé, de cris des femmes violées, de vies à jamais détruites. Par dizaines de milliers.

Un passé qui dure près d’un quart de siècle. Au détriment des populations congolaises, humiliées. Un passé qui demeure une vraie plaie à vif dans leur mémoire collective. Un tel passé ne s’efface pas d’un revers de main.

Les deux présidents s’exprimaient ainsi à Gisenyi au Rwanda et à Goma au Congo, respectivement vendredi 25 et samedi 26 juin 2021.

On ne peut commenter avec justesse cette information, sans la ramener, en gros, autant dans son cadre contextuel historique que dans celui des agendas politiques, « cachés », de chacun des deux hommes.

Car, il n’existe pas de vérité politique, toute nue, sans un sens biaisé. Le sociologue Max Weber ne dit pas autre chose, dans son ouvrage « Le savant et le politique », quand il affirme que les « vertus politiques ne sont pas compatibles avec les vertus scientifiques ». C’est que, ici, on peut mentir, là-bas, on cherche la vérité.

Les relations exécrables entre Kigali et Kinshasa commencent, masquées, en 1996. Le président Pasteur Bizimungu, le prédécesseur de Kagame, appelle alors à la convocation d’une deuxième Conférence internationale de Berlin, afin de revoir les frontières de l’Afrique. Allusion faite à l’est de la RD Congo, qui appartiendrait au Rwanda. Il s’agit là d’un irrédentisme manifeste (réclamation d’annexion des territoires), proche de la provocation.

Politique de « petits pas »

En dépit de tout, les présidents rwandais Kagame, l’ougandais Museveni et le rebelle congolais Laurent Kabila se joignent, pour mettre à bas, militairement, le régime dictatorial de Mobutu, visiblement détesté par les Américains. 

En mai 1997, Kinshasa tombe, mais une année après, les violons ne s’accordent plus entre partenaires, dont chacun a un agenda caché. Le Rwandais dans son projet d’extension territoriale, ainsi que la subtilisation des minerais précieux, l’Ougandais plus pour cette deuxième préoccupation et le Congolais pour un règne libéré du joug, surtout, du partenaire rwandais. Pour ce faire, il les congédie tous sans ménagement, en juillet 1998.

La situation fait des vagues, surtout du côté rwandais. A Kigali, où on croyait être en mesure de longtemps manipuler Laurent Kabila, pour mener à bon port leur projet d’annexion par une politique de « petits pas », il leur fallait imaginer une autre stratégie. Ils en vinrent ainsi à l’idée d’allumer le feu dans les deux provinces du Kivu, partie qui les intéresse. Avec l’espoir de parvenir à long terme à l’annexion de ce territoire, par voie référendaire. Le cardinal Ambongo, archevêque catholique de Kinshasa, l’atteste, après y avoir effectué une visite pastorale.

Le président rwandais s’était-il déjà départi de ce projet, pour inaugurer aujourd’hui une ère nouvelle d’harmonie dans les relations entre les deux pays ? Pas si sûr. La posture du président congolais, elle, est des plus simples à analyser. Arrivé au pouvoir par fraude électorale, sous la supervision indirecte de Kagame, c’est l’homme-lige au pouvoir de Kigali. En béni-oui-oui.

« Tournons la page », ont-ils dit. Vérité biaisée ! Car, Tshisekedi possède aussi son agenda caché. Celui de berner son peuple, en attente du vote en 2023. 

Jean-Jules LEMA LANDU

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

D’autres articles