Le 14 juillet vu des châteaux

[Par Armand IRÉ]

La prise de la Bastille, lieu d’incarcération de tous les “ennemis du roi” le 14 juillet 1789, consacre l’épopée de la Révolution française, celle de la victoire du peuple sur la royauté.

Parade militaire sur les Champs Elysées lors du 14 juillet. [Photo tirée de defense.gouv.fr]

Parade militaire sur les Champs Elysées lors du 14 juillet. [Photo tirée de defense.gouv.fr]


Dans le sang et la tête tranchée de leur souverain d’alors Louis XV, les Français se sont donc déclarés libres en publiant la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen. La France a ensuite assis sa puissance dans le monde en s’adossant de tout son poids à ses colonies africaines. Cette tutelle a fait du pays des droits de l’Homme la destination la plus prisée par les Africains dans le monde. Qu’ils soient immigrés, exilés, ou naturalisés, le 14 juillet, jour de commémoration de la souveraineté française, est jugée de la même façon par les Africains de France. Les quartiers de Château Rouge dans le 18e arrondissement et de Château d’eau dans le 10e ont été notre terrain de contact avec la diaspora africaine.

Louise M. est camerounaise de la région centre du pays des Lions qui ne sont plus indomptables, traînant un caddie bourré de denrées alimentaires et de produits éclaircissant vendus sous le comptoir, elle se dirige péniblement vers la ligne 4 du métro à Château Rouge. Malgré la lourde charge qu’elle traîne, elle se montre réceptive, mais sa réponse à notre question, à savoir que fera-t-elle le 14 juillet, est sidérante.
« Il y a quoi le 14 juillet ? , nous demande-t-elle avec un visage on ne peut plus sérieux.
– C’est la fête nationale française, madame.
– Aka ! Que c’est ma fête ? Je me rappelle même de celle de mon pays avant de parler de celle de la France ?
– Mais, madame, vous êtes en France ?!
– Oui, et alors ? »
Ce premier contact est en fait le résumé de toutes les conversations des Africains que nous interrogerons sur le 14 juillet français. Comme Louise, cette autre dame que nous avons croisée, médecin de son état propriétaire d’un pavillon en banlieue parisienne, elle ne se sent pas concernée par la célébration de la liberté retrouvée des Français.

Scène de marché à Château Rouge 18e arrondissement de Paris [Photo tirée de maps.google.fr]

Scène de marché à Château Rouge 18e arrondissement de Paris
[Photo tirée de maps.google.fr]

Aux encablures d’un restaurant ivoirien de Château d’Eau nous croisons un Sénégalais propre sur lui avec un air un tantinet “intello”. Il nous entraîne dans les dérives de la France en Afrique, où, selon lui, elle fait et défait les dirigeants, et finit par conclure sa longue tirade par la triste histoire du camp de Thiaroye, où des centaines de tirailleurs sénégalais revenus de la Deuxième Guerre mondiale ont été décimés par l’armée coloniale française alors qu’ils réclamaient que leur prime de démobilisation soit convertie en CFA au même taux de change qu’en métropole .
Autre décor, un café situé à l’entrée de la rue Labat de Château Rouge, l’un des quartiers africains de Paris. Ici, la clientèle est de toutes les origines du continent africain. Les Maghrébins sont attablés entre eux tandis que des Congolais, Camerounais et autres Ivoiriens parient sur des courses de chevaux autour d’une bière ou d’un café. Constat, ils s’en foutent royalement du 14 juillet, comme de leur premier pari il y a des années.
« Je suis en France depuis 18 ans, mes enfants sont français ainsi que leur mère, mais que voulez-vous que je fasse du 14 juillet ? C’est du carnaval, tout ça, on importe des troupes des armées africaines pour venir faire allégeance à l’armée française, leur véritable maître, et les chefs d’État invités reçoivent des tapes sur l’épaule en guise d’encouragement en tant que loyaux serviteurs des intérêts de la métropole », nous lance un congolais massif qui a gardé entier son accent kinois.

On nous lance au moment où nous prenons congé : «  Faites un papier sur les pensions des anciens combattants africains qui ont libéré la France et qui meurent de misère ».
Assurément, nous sommes vraiment les seuls en tant qu’Africains à nous intéresser à la fête nationale de notre pays d’accueil.

 

[Cliquez ici pour lire les autres réflexions des plumes de la MDJ]

Forum-France-Algérie : La France, pays européen le plus ouvert aux mariages mixtes

[Par Larbi GRAÏNE]

La France connaît depuis des années un changement démographique énorme, les Franco-algériens, qui sont actuellement au nombre de quatre millions d’individus environ atteindront bientôt les huit millions et l’islam confirmera sa place de seconde religion de France. La France ne sera plus comme avant car les identités y seront plurielles. On en voit déjà les prémisses au niveau des grandes villes. Il y a 20 % de mariage mixte en France contre 3 % en moyenne dans le reste de l’Europe. Ce sont là quelques unes des conclusions auxquelles est parvenu le Forum France-Algérie, qui organisait jeudi 26 juin à la mairie du XVème de Paris, une rencontre-débat sur le thème « la France à l’heure de la diversité. Quels impacts sur le modèle d’intégration républicain et l’identité ? ».

Photo tirée par www.algerie-focus.com

Photo tirée par www.algerie-focus.com

Comme il fallait s’y attendre la prestation de l’équipe algérienne de football en coupe du monde a retenu l’attention des cinq conférenciers invités : Karim Amellal, co-fondateur de Chouf-chouf.com, maître de conférences à Sciences Po, Nadir Kahia, Président de Banlieue Plus, Nacer Kettane, PDG de Beur FM, Fadila Mehal, Présidente d’honneur des Marianne de la diversité et Madjid Si Hocine, animateur du site l’Egalité d’Abord. Le débat a été modéré par Farid Yaker président du Forum France-Algérie.

Pour Madjid Si Hocine la question de l’identité a été posée tardivement en France, elle a été versée d’après lui au débat public suite à la guerre franco-allemande de 1870 où il s’agissait de séparer l’identique du différent. Selon lui une nouvelle catégorie de Français , les « néo-Français » (pas blancs et pas catholiques) fut alors mise à l’honneur. L’émergence plus tard du Front national a-t-il argumenté servira en même temps de venin, en polluant le débat politique, et d’aiguillon en favorisant la montée des courants opposés. « Sarkozy apparaît alors dans un contexte psychiatrique marqué par l’hystérie et un glissement vers l’islamophobie ».

De son côté, Nadir Kahia insiste sur l’importance de l’aspect historique, rappelant que la France a eu de la peine à intégrer dans son giron la Bretagne et la Corse. « Ce qui pose problème, c’est qu’on veut mettre les mêmes caractéristiques pour tout le monde , ce qu’une partie de citoyens n’est pas prêt d’accepter a-t-il soutenu. Et de citer l’exemple des habitants de Mayotte qui ne peuvent s’illustrer que différemment. « Les choses sont très simples, on les complique, ceux qui les compliquent sont les hommes politiques » accuse Nacer Kettane. Et de marteler quand j’ai lancé la radio Beur FM, la première page de Minute a proclamé en grosse manchette « l’invasion maghrébine » sur les ondes. Et de déplorer «  nous ne sommes pas dans le roman français ».

« Ce n’est pas l’identité arabe ou musulmane qui pose problème mais c’est la crise économique. Je pense que les choses vont s’empirer » s’alarme pour sa part une intervenante franco-algérienne, qui exerce en tant que journaliste dans la presse régionale. Elle réfute la thèse selon laquelle les Franco-algériens ne s’identifient pas à la France, du fait du soutien infaillible qu’ils expriment à l’égard de l’équipe algérienne de football, en lice au Mondial. « Nous défilons pour l’Algérie mais nous sommes prêts pour la France quand c’est la France qui joue » a-t-elle expliqué.

Madjid Si Hocine n’en exprime pas moins un avis opposé : pour lui les Franco-algériens sont victimes de l’exclusion plus que le reste des Français d’origine étrangère. Les Franco-portugais estime-t-il sont mieux intégrés alors que leur présence sur le territoire français ne date que des années 80. Or les Algériens ont foulé le sol français au début du XXe siècle. L’assimilation des émigrés autres que maghrébins s’est posée en termes socio-économiques mais pour les Algériens, l’assimilation s’est heurtée au paradigme socio-culturel » a-t-il argué. Il rassure : « ce n’est pas grave de ne pas chanter la Marseillaise ». Et de juger idiote cette question de savoir si l’on est Algérien ou Français (allusion aux déclarations d’officiels français), ça me rappelle la question stupide qu’on nous posait, enfants, ”est-ce que tu préfères ta mère ou ton père ? ”. Et d’ajouter «  tous ceux qui arrivent en France, l’ont fait pour de bonnes raisons ». Et d’appeler les communautés et l’islam de France à s’organiser.

Karim Amellal, quant à lui, juge que « l’identité française est difficile à cerner ». Se référant à un ancien sondage, Amellal soutient que la plupart des Français auxquels on a posé la question de savoir ”qu’est-ce que l’identité française” ont répondu « c’est la sécurité sociale et le service militaire ». Selon lui, la France est en crise depuis 30 ans, cela coïncide avec l’ émergence des Néo-français ». Amellal a tiré quand même un satisfecit, en comparant la situation française à celle des États-Unis, «  ça va mieux en France, en Amérique les Noirs sont moins bien lotis qu’il y a dix ans » a-t-il lancé. Et de marteler « Cessez de parler de modèle d’intégration, ça n’a pas de sens, c’est anecdotique, anachronique et obsolète ». Le Pr Amellal plaide pour la création des médias afin de permettre l’expression des opinions. Pour lui « l’émigration est la chance de ce pays ».

28 juin, la Gay Pride défile à Paris : les photos de Athula Withanage

Photo crédits : Athula WITHANAGE

Photo crédits : Athula WITHANAGE

Une manifestation de protestation contre la discrimination des homosexuels et pour réclamer l’égalité des droits pour eux a eu lieu le 28 Juin dernier à Paris.

La grande foule composée d’organisations de défense des droits des homosexuels, des organisations des droits de l’homme, partis politiques de gauche, des organisations de femmes, des syndicats et des artistes ont participé à la manifestation de protestation.

Malgré la pluie qui tombait, la manifestation a commencé en face du parc du Luxembourg et a défilé jusqu’à la Bastille pour finir à Place de la République quatre heures plus tard.

Photo crédits : Athula WITHANAGE

Un concert pour la Maison des journalistes : François Morel en poète résistant

[Par Larbi GRAÏNE]

Dans la bonhomie d’une salle archicomble du théâtre de la Madeleine à Paris, François Morel a donné en cette soirée du 23 juin son mirifique spectacle « Le soir, des lions… » au profit de la Maison des journalistes (MDJ). Décliné sous forme d’un concert théâtralisé ou d’un théâtre musicalisé, c’est selon, le spectacle, haut en couleurs et en décibels, a vu la participation exceptionnelle de Juliette qui en est, en fait, la metteur en scène.

François Morel et Juliette, lors de la soirée dédiée à la MDJ. Crédit photo Jean François Deroubaix

François Morel et Juliette, lors de la soirée dédiée à la MDJ.
Crédit photo Jean François Deroubaix

En plus d’avoir eu la réplique à cette dernière, Morel, a évolué aux côtés de Lisa Cat-Berro (au saxophone), Muriel Gastebois, (à la batterie) et d’ Antoine Sahler (au piano). La musique est d’Antoine Sahler et de Reinhardt Wagner. Très complice, le public fin connaisseur n’a pas lésiné sur les chaudes ovations, à tel point que les comédiens s’étaient sentis gênés de terminer leur show dans les délais impartis. Il a fallu donc une rallonge pour dompter tous les caprices, ce à quoi les artistes s’y sont volontiers pliés. La scène très « symbolisante » rassemble juste l’essentiel d’un intérieur : un mur, les différents instruments de musique, un banc en bois, un nounours et un poste TSF. François Morel, c’est une certaine idée de la culture, ici française, s’entend. La référence à Apollinaire et à son symbolisme y est outrageusement affirmé. C’est même la transposition des poèmes apolliniens sur l’espace scénique. Il y a des allusions à la modernité et son compagnonnage bigarré formé d’éléments hétéroclites qui peuvent remonter, pour certains, jusqu’à l’âge classique. Comme dans Alcools où la machine à vapeur fait irruption dans un vers ciselé à l’ancienne, Morel évoque à l’ère du numérique, « La fille du GPS ». Il dressera un portait incisif, de cette femme-objet. Et François Morel de chanter « Elle est mon guide, elle est ma nourrice/Ma cicérone et mon mentor/Elle est mon gourou, mon inspiratrice/Ma muse à moi, mon sémaphore/ Et de marteler « La fille du GPS/Est une vraie maîtresse ». Les paroles sont presque des télégrammes, lancés sur une rythmique saccadée…

Objets fétiches
L’univers de Morel est hanté par les objets fétiches, qui sont tellement ressemblants à l’être humain qu’ils en deviennent l’incarnation. Le comédien raille les mœurs bourgeoises en même temps qu’il décrit l’atmosphère fantasque dans laquelle les gestes quotidiens ont été entraînés à l’automatisme dans une relation de maître à esclave. L’ambiguïté du poème morelien tient à l’érotisation de la relation avec le GPS « Je l’imagine au lit/Conduisant mes caresses/Palliant ma gaucherie/Avec délicatesse/J´entends sa voix terrible/Au milieu des ébats/M´enjoignant, inflexible/D´aller au nirvana ». Dans la même veine, Juliette raconte l’histoire de « la robe noire » suspendue dans un placard à coté d’un « costard ». Du reste le récital ou le récit se moque de lui-même. Morel se joue de tout, même de la mise en scène, en laquelle il paraît avoir de bonnes raisons de douter. Au vu de sa pratique du soupçon, le spectateur en vient à avoir l’impression qu’il risque de sortir du récit, c’est-à-dire de délirer ! Morel, tout en fixant le public, fronce parfois les sourcils, on voit ses joues tressaillir, son front s’assombrir, avant de se diluer dans un large sourire. Tout se mêle le grotesque, l’absurde, le comique, le tragique dans une tentative de déconstruction des apparences, le tout dans un décor de salle de music-hall. « Le soir, des lions… », est construit sur un oxymore par omission, comme on dira un mensonge par omission, le soir les hommes sont des lions mais le matin, ils sont des cons (c’est son explication), allusion à un quotidien amer. Sur les SDF il aura une pensée « Il était un petit homme/ Pirouette cacahuète/ Il était un petit homme/ Qui avait un’ drôle de maison/Sa maison est un carton/ Pirouette cacahuète/ Sa maison est un carton/Au-dessus d’un’ bouche d’aération » et plus loin « C’est à cause du baromètre/ Pirouette cacahuète/ C’est à cause du baromètre/ Qu’il est mort un soir de tempête/On l’a mis jusqu’à perpette/ Pirouette cacahuète/ On l’a mis jusqu’à perpette/ Dans une éternelle couchette/Ce qui fait qu’il a moins froid/ Pirouette cacahuète/ Ce qui fait qu’il a moins froid/ Dans son joli cercueil en bois ». Au delà de la mort et de la résurrection, ce fut un concert plaisant, sensationnel, une soirée vibratoire, rythmée par un dialogue entre les mots et la musique, d’où l’on sort totalement grisés.

Salle comble au Théâtre de la Madeleine pour le très beau spectacle de François Morel, le 23 juin 2014. Merci à tous ceux qui se sont mobilisés et déplacés à l’occasion de ce bel évènement, nos partenaires, nos amis, les résidents… Quelques images des échanges qui ont suivis par le photographe Jean-François Deroubaix. (Darline Cothière, Directrice de la Maison des journalistes)

Faut-il sanctionner les policiers de la « soirée négro » ?

[Par René DASSIE]

Une des photos publié sur Facebook par un des policiers

Une des photos publiées sur Facebook par un des policiers

Cinq policiers du Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne organisent en début du mois une fête déguisée entre collègues. La soirée a été baptisée « negro ». Ils ont tous le visage peint en noir, arborent des dreadlocks ou des coupes afro. L’un d’entre eux publie des photos de la soirée sur son profil Facebook. Ces clichés montrent l’un des participants en boubou, mimant un singe qui gesticule près des bananes, mais aussi le groupe tout entier esquissant un sourire, de manière à bien faire ressortir le contraste entre leurs dents blanches, et l’obscurité de leurs visages noircis. Les accoutrements sont directement issus de l’imagerie coloniale.

Informé par une collègue des policiers qui n’était pas de la partie et qui se dit outrée par leur attitude, l’animateur Claudy Siar, ancien délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer et producteur sur RFI, republie sur son compte Facebook des captures d’écran de la soirée, pour alerter l’opinion. En une semaine, les clichés ont largement circulé sur les réseaux sociaux.
Alors qu’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) est ouverte, un des policiers mis en cause tente de minimiser les faits, arguant qu’ils « voulaient juste s’amuser » entre amis et « faire une soirée négro ». Une explication qui ne convainc guère.

On connait le principe des soirées déguisées : par le jeu des maquillages et des tenues vestimentaires, les participants tentent de se mettre dans la peau d’un personnage, ou d’incarner une idole. Et parfois, avec succès. L’allure, la tenue vestimentaire étant depuis longtemps imprimées dans la mémoire collective, certains réussissent à bluffer leur monde. Les faux Mickael Jackson, Marilyn Monroe, Elvis Presley, etc. cela n’ont jamais choqué personne, bien au contraire. Des sites comme cmonanniversaire.com (http://www.cmonanniversaire.com/soiree-thematique.aspx) proposent même des idées originales pour réaliser ce type de délires.

Cependant, la soirée des policiers du Kremlin-Bicêtre ne rentre pas dans cette catégorie de distractions. Il s’agit bien d’un dérapage raciste, comme le relève Sihame Assbague et Franco Lollia du Collectif stop le contrôle au faciès, dans une tribune publiée vendredi dans le plus du Nouvelobs (http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1214087-des-policiers-font-une-soiree-negro-ni-marrant-ni-anodin-il-s-agit-bien-de-racisme.html). « Ce n’est ni marrant ni anodin de se grimer en noir et de mimer un singe », analyse les auteurs.

Car la comparaison entre le Noir et le singe renvoie à un vieux poncif raciste qui malheureusement résiste au temps. Elle trouve sa source dans le racialisme scientifique du 19e siècle. De nombreux anthropologues de cette époque assimilent volontiers le Noir au chaînon manquant dans l’évolution des espèces, entre l’homme et les primates. On sait les conséquences d’une telle déshumanisation : les Africains sont régulièrement photographiés en présence d’animaux, souvent des singes. On les exhibe dans des foires coloniales, qui attirent des millions de visiteurs. On connait l’histoire de la Vénus Hottentote, de son vrai nom Sawtche, arrachée à sa terre natale, l’Afrique Australe, pour être exposée comme une bête exotique dans des foires des capitales européennes, avant d’être prostituée puis reléguée au rang d’objet d’étude scientifique. Apres sa mort, son corps sera disséqué, dans l’optique de prouver « l’infériorité de certaines races ». Ce n’est qu’en 2002 après près d’une décennie de refus arguant qu’elle fait partie du patrimoine inaliénable de l’État et de la science, que la France consent à restituer sa dépouille à l’Afrique du Sud qui souhaitait lui offrir une sépulture et lui rendre sa dignité. Les victimes de cet obscurantisme criminel d’inspiration pseudoscientifique se comptent par milliers.

On pensait eu égard aux progrès de la science qui a définitivement établi qu’il n’existe qu’une seule race humaine en dépit des variations morphologiques, qu’une telle déshumanisation serait oubliée.
Malheureusement, les mauvaises habitudes ont la peau dure. Les footballeurs noirs, qui évoluent comme professionnels sur les stades occidentaux depuis la fin des années 70 sont régulièrement la cible des franges les plus radicales des supporters qui leur jettent des bananes et poussent des cris de singes. Le gardien franco-camerounais Joseph-Antoine Bell, le défenseur ivoirien Marc-André Zoro, et très récemment Daniel Alves, défenseur du FC Barcelone en ont fait les frais.

En fin d’année dernière, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, qui défendait la loi sur le mariage pour tous a été accueillie à Angers dans le Maine et Loire par des enfants visiblement manipulés par leurs parents, qui lui tendaient des bananes et la traitaient de guenon.

Le dérapage raciste des policiers du Kremlin-Bicêtre, qui intervient dans un contexte de délitement du lien social et d’une montée exponentielle des extrémismes xénophobes ne saurait donc être considéré comme un fait anodin. Il est d’autant plus grave qu’il émane de personnes dépositaires de l’autorité publique. Comment pourraient-ils faire leur travail en toute objectivité et impartialité si d’avance ils considèrent une partie de la population, comme des sauvages ?

«Si les policiers à qui incombe la lutte contre le racisme sont plus occupés à se moquer des Noirs qu’à les défendre, en effet, cela pourrait expliquer pourquoi les choses n’avancent guère dans ce domaine», dénonce Louis-Georges Tin, le président du Collectif des associations noires de France (Cran), cité par Le Figaro.

C’est donc à juste titre que le Collectif stop le contrôle au faciès demande des sanctions.

20 juin : Réflexions en marge de la Journée des Réfugiés

À l’occasion de la Journée Mondiale du Réfugié 2014, une recueilli des témoignages de reporters de la Maison des journalistes :

 

Dessin de Liza Donnelly - de L'exposition internationale L'Exil de la Maison des journalistes (2011)

Dessin de Liza Donnelly – de L’exposition internationale L’Exil de la Maison des journalistes (2011)

“Être réfugié dans un pays étranger?” ne revient pas à cesser les hostilités à l’encontre de nos persécuteurs mais c’est se donner les moyens de les poursuivre depuis un lieu où l’on est invincible. 

Larbi Graïne (Algérie)  

 

Le refuge est le résultat d’un long processus d’exil. Trouver refuge, c’est toujours un moment d’exaltation dans la vie d’un exilé.
Certes, ce n’est pas une fin en soi, mais c’est un temps de soulagement et d’allégresse. C’est pourquoi en tant qu’exilé et demandeur d’asile je suis en attente d’une régularisation. Je tiens à travers ces quelques lignes malformées soutenir par mes mots solidaires, tous les exilés et autres réfugiés du monde.

Jean Mati (Congo RDC)

 

Etre réfugié en France change le statut de journaliste : quand on est dans son Pays, on peut travailler aussi comme correspondant pour des médias français, alors qu’une fois réfugié en France, on a du mal à s’intégrer dans ces mêmes médias.

Djibril Diaw (Mauritanie)

 

En ce qui concerne l’accueil et la condition des réfugiés en France, si je m’appuie sur l’exemple de la MDJ où j’ai moi-même été hébergé pendant six mois, je ne peux que tenir des propos élogieux quand à l’accueil des réfugiés en France.

J’ai rencontré des réfugiés reçus par d’autres structures françaises. Ils étaient moins « chouchoutés » qu’à la MDJ mais ce n’était pas la misère du tout.

Mes 2 enfants, eux, étaient réfugiés aux USA et croyez-moi, ils n’avaient aucune aide matérielle. Par contre, ils étaient autorisés à travailler tout de suite, contrairement à la France où il faut d’abord obtenir son statut de réfugié pour pouvoir travailler légalement.

Aux Etats Unis, les réfugiés n’ont pas de soins gratuits comme en France, n’ont pas d’argent de poche comme en France où on nous accorde 280 euros (en tout cas en mon temps en 2003 – 2004 NDLR : 350 Euros ajd). Mes enfants n’avaient RIEN de tout ça !!!

Soro Solo (Cote d’Ivoire)

 

Le monde d’aujourd’hui est très difficile pour nous, les réfugiés, même s’il peut nous offrir de meilleures opportunités.

Être réfugié signifie pour moi vivre dans un limbe, entre le monde d’aujourd’hui et celui d’autrefois.

Mon corps est ici, même si mon âme reste toujours dans mon pays.

Je ne peux pas rentrer dans mon Pays, parce que de 2006 à 2008 j’ai été en prison en Iran. Lors de ma libération, j’ai continué à collaborer clandestinement avec des organisations humanitaires, en envoyant des rapports sur la situation humanitaires dans le Kurdistan Iranien.

Rebin Rahmani (Kurdistan d’Iran)

 

Ma situation de réfugié a changé mon métier de journaliste. Je suis plus libre d’écrire mes opinions sans craindre de persécutions, de représailles et de menaces de mort. Je suis réfugié en France parce que j’ai échappé à une tentative d’assassinat par rapport à mon travail de journaliste.

Benson Sérikpa (Cote d’Ivoire)

 

Je suis réfugié en France car étant journaliste, ce pays reconnait les droits de l’homme notamment ceux relatifs à la liberté d’expression dans les médias.

John Chitambo Lobe « Rigolo » (Zambie)

 

Ma situation de réfugiée a beaucoup entamé ma fonction de journaliste. Surtout dans la mesure où le récépissé que nous délivre la préfecture ne nous permet pas de circuler librement. 

Carole Attioumou-Serikpa (Cote d’Ivoire)

 

Comme réfugiée politique en France, je dois remercier le gouvernement français pour m’avoir aidée à sortir de ma grave situation.

Priyanka S. Wikesinghe (Sri Lanka) 

 

Qu’est-ce que signifie être réfugié dans un pays étranger ? C’est le contraire de l’idée qu’on peut avoir : dans mon pays je vivais comme un réfugié, il n’y avait pas de travail, pas d’assurance maladie, aucune droit, vu qu’on pouvait être emprisonné à n’importe quel moment pour n’importe quelle raison. En France les droits de l’homme sont respectés. En plus, être ici est une opportunité pour moi de connaître une autre langue et une autre culture.

Muzzafar Salman (Syrie)

 

Etre réfugié signifie la naissance d’une nouvelle vie.

Nart Abdalkareem (Syrie)

 

Etre réfugié : le combat reste le même mais dans un contexte différent.

Sékou Chérif Diallo (Guinée Conakry)

 

Etre réfugié dans un pays étranger signifie avoir été accepté, et c’est un dernier recours, pour quelqu’un qui supportait difficilement sa situation dans son pays.

Pour un réfugié, l’amour de la liberté est ce qui guide la vie.

Dès que je suis arrivé comme réfugié en France, mon travail a changé. Maintenant je peux écrire plus librement.

La situation des réfugiés en France est meilleure que dans d’autres pays. Il existe de nombreuses associations en France pour aider les réfugiés.

 Majid Sedghi (Iran)

 

Journalistes réfugiés, le combat continuel : « Il faudrait une politique d’écoute »

À l’occasion de la Journée Mondiale du Réfugié 2014, René Dassié, journaliste d’origine camerounaise réfugié en France depuis 2004 (cliquez ici pour écouter son historie – audio), fait le point sur la situation de la liberté de la presse au Cameroun ainsi que sur la condition des professionnels de l’information en exil en France.

Propos recueillis par Lisa Viola Rossi (lisaviola.rossi @ maisondesjournalistes . org )

atangana

René Dassié et Michel Thierry Atangana (1er mars 2014)

Après dix ans d’exil en France, vous ne pouvez toujours rentrer au Cameroun. Pourquoi ?

Aujourd’hui on peut publier dans un journal sans condition, mais après la publication on peut être soumis à des pressions de toutes sortes, à l’heure qu’il est beaucoup de journalistes camerounais continuent à être persécutés. Dernièrement, il y a 2 ans, l’un d’entre eux est décédé en prison […] Il y a également une pression économique sur les médias. Ils ne  reçoivent pas la publicité des entreprises : elles ont peur de recevoir des redressements fiscaux de la part de l’Etat […]

Ecoutez la réponse intégrale :

 

Est-ce que vous pouvez continuer vos activités professionnelles et militantes ici en France en tant que journaliste réfugié ? 

Je suis diplômé de Sciences Po Paris, mais malgré cela je n’arrive pas à trouver du travail. Les entreprises de presse quand je leur présente mon CV ne comprennent  pas ce qu’est le statut de réfugié politique […]. Le journalisme est la seule chose que je sais faire : donc si la situation se poursuit comme cela, peut-être que j’envisagerais de quitter la France pour aller dans un Pays où les étrangers diplômés sont mieux accueillis. […] Récemment en enquêtant sur le cas de Michel Thierry Atangana, j’ai constaté qu’au Cameroun il y a beaucoup de prisonniers politiques. J’ai donc mis en place avec des amis un comité de libération de ces prisonniers. […] Ce combat, c’est une façon aussi pour montrer notre reconnaissance au Pays qui nous a vu grandir. […]

Ecoutez la réponse intégrale :

 

Si vous aviez la chance de rencontrer un chef d’État ou un membre du gouvernement français et / ou européen, quel sujet concernant la condition des reporters réfugiés aimeriez aborder avec lui ?

Les journalistes réfugiés sont des personnes qui ont beaucoup d’expérience, de savoirs et de savoirs-faire, ils peuvent aussi apporter du sang neuf dans l’Etat qui les a accueilli : tout ce qu’ils ont appris ailleurs, ils peuvent s’en servir ici. […]. Il faudrait une véritable politique d’écoute et ensuite d’insertion.  Il faudrait nous donner la chance de montrer notre reconnaissance aux Etats qui nous accueillent. […]

Ecoutez la réponse intégrale :

René Dassié reporter au Messager, Cameroun, avec David Sasson ancien ambassadeur d’Israël à Yaoundé