FRANCE. La journaliste d’investigation Ariane Lavrilleux en garde-à-vue

Mise à jour : La journaliste Ariane Lavrilleux a finalement été remise en liberté ce mercredi 20 septembre, après une garde à vue qui aura duré au total 39 heures. Sur franceinfo ce vendredi 22 septembre, elle dénonce “une attaque claire, nette et précise contre la liberté d’informer. Tous mes outils de travail, dont mon ordinateur, ont été perquisitionnés. On a utilisé des outils de cybersurveillance pour fouiller mes mails. C’est une expérience très violente”. Jeudi 21 septembre, un ancien militaire a été mis en examen notamment pour détournement et divulgation du secret de défense nationale. Il est considéré par la justice comme l’une des sources d’Ariane Lavrilleux.

C’est une nouvelle qui a bouleversé le monde du journalisme français : la journaliste de Disclose, Ariane Lavrilleux, a été placée en garde-à-vue et son domicile a été perquisitionné mardi 19 septembre. En cause, ses révélations sur les “Egypt Papers” et les concessions de la France à la dictature du maréchal al-Sissi, ainsi que sur les multiples ventes d’armes françaises à l’Arabie Saoudite, gardées secrètes jusqu’en 2019. La Maison des Journalistes dénonce cette attaque manifeste contre la liberté de la presse et la protection des sources des journalistes. 

“Les journalistes de Disclose enquêtent pendant plusieurs mois, et en équipe, sur des sujets d’intérêt général trop souvent délaissés. Crimes environnementaux, délinquance financière, santé publique, lobby industriel, vente d’armes, violences sexuelles… Nos enquêtes exposent les dérives et les abus de pouvoir. Elles permettent de demander des comptes aux responsables et d’obtenir un impact positif pour la société”, explique le site d’information. 

Disclose, journal d’investigation en accès libre

Fondé en 2018 par Mathias Destal et Geoffrey Livolsi, le journal compte une vingtaine de journalistes collaborateurs ayant mis en lumière de nombreuses affaires, notamment la vente d’armes françaises utilisées dans le conflit au Yémen. Depuis, les enquêtes de Disclose percutent et font trembler le pouvoir. 

Un site d’information dont les membres sont sujets à de nombreuses plaintes, et Ariane Lavrilleux n’y a pas échappé. Elle avait participé à la révélation d’un scandale d’Etat, l’Egypt Papers, ainsi qu’à 4 autres articles. Elle y aurait dévoilé “des informations confidentiel-défense” selon les enquêteurs de la DGSI. 

Mardi 19 septembre à 6h00, une juge d’instruction et des membres de la DGSI, la Direction générale de la Sécurité intérieure, ont perquisitionné son domicile avant de la placer en garde-à-vue, dans le cadre d’une procédure d’exception. 

“L’Egypt Papers” avait en effet révélé une mission militaire secrète de la France en Egypte, l’opération Sirli. Initiée en 2015 par la France, cette opération a fourni “du renseignement aérien à la dictature du maréchal Abdel Fattah al-Sissi.” 

“Des informations qui, sous couvert de lutte contre le terrorisme, ont servi à mener une campagne de bombardements systématiques contre des civils soupçonnés de contrebande dans le désert occidental, à la frontière avec la Libye”, rapporte Disclose. 

Des révélations qui avaient mené à des plaintes de plusieurs ONG contre l’Etat français et mis des bâtons dans les roues de ce dernier. D’autres articles signés par la journaliste avait dévoilé des ventes d’armes françaises ou d’avions Rafale à l’Egypte, des contrats discutables et aux lourdes conséquences pour les civils et communautés ethniques visées. 

Nous avons publié ces informations confidentielles car elles étaient, et elles restent, d’intérêt général. Elles éclairent le débat public sur la réalité des relations diplomatiques de la France avec des dictatures.” 

Elles jettent une lumière crue sur des armes, fabriquées dans notre pays, et retournées contre des populations civiles, au Yémen et en Égypte. Qu’importe si ces révélations sont gênantes pour l’État français : Ariane doit être libérée au plus vite, sans aucune poursuite,” assène Disclose par newsletter ce matin.  

Pour soutenir le site d’investigation, vous pouvez cliquer sur ce lien.

Crédits photo : Disclose, Ariane Lavrilleux.

Maud Baheng Daizey

Procédures-bâillons : bientôt une nouvelle législation européenne ?

Depuis 2020, les institutions européennes s’inquiètent de la protection des journalistes dans l’Union, sujets au harcèlement judiciaire. La directive anti-SLAPP, aussi appelée “Loi Daphné” et actuellement débattue au Parlement, a pour objectif d’empêcher que les journalistes soient victimes de procédures judiciaires abusives. Quels en sont les dispositifs ? Pourra-t-elle suffire à protéger la liberté de la presse ?

Vincent Bolloré, Yevgeny Prigozhin, le Royaume du Maroc, Patrick Drahi (propriétaire d’Altice Media), Camaïeu, Total… Depuis quelques années, des individus et des grands groupes usent des procédures abusives (ou infondées) pour faire taire les journalistes. 

Affaire la plus emblématique, le cas de la maltaise Daphné Caruana Galizia, journaliste d’investigation aguerrie et fondatrice du site d’information Running Commentary. Elle est connue pour avoir enquêté et exposé des affaires de corruption au sein du gouvernement maltais. De nombreux scandales mettaient en cause le Premier ministre de l’époque, Joseph Muscat, ainsi que l’entourage de ce dernier, provoquant l’ire de la population. 

Le 16 octobre 2017, Daphné est assassinée alors qu’elle était en voiture. Une bombe est placée sous cette dernière, qui explose à quelques mètres de son domicile. Un meurtre dont la nouvelle fait immédiatement le tour du monde. 

A cause de ses enquêtes et révélations politiques, notamment sur l’entourage du Premier ministre Joseph Muscat (qui démissionnera en 2020), Daphné était la cible de 47 procédures judiciaires pour diffamation, qui auraient pu lui coûter des milliers d’euros en dommages et intérêts si elle avait été jugée coupable. 

Une situation désespérée et étouffante, reconnue par une enquête indépendante en 2021 : selon des magistrats maltais, le gouvernement a  « nourri un climat d’impunité favorisant l’assassinat de la journaliste », régulièrement sujette aux menaces de mort, et qui n’a jamais bénéficié de protection. Les menaces physiques allaient de pair avec l’intense harcèlement judiciaire dont elle a été victime jusqu’à sa mort. 

La loi anti-SLAPP, pourquoi faire ?

Les cas de procès abusifs ont en effet explosé en six ans, poussant l’Union européenne à réagir. La Pologne est le pays produisant le plus de SLAPPs (Strategic Lawsuit Against Public Participation), vite suivi par Malte puis la France. Pour rappel, la CASE, la Coalition contre les SLAPPs en Europe, a dénombré plus de 820 attaques abusives en justice depuis 2013. 

Une aberration pour l’Union européenne, qui lance en 2020 son plan pour la démocratie, sous la direction de la Commission européenne. Pour cela, la Commission prend des mesures en faveur « de la lutte contre la désinformation et de la liberté des médias. » 

Le meurtre de Daphné, qui a durablement marqué les esprits, conduit à des mesures plus concrètes, notamment la directive Anti-SLAPP de la Commission, surnommée « Loi Daphné ».

Elle impose « des règles communes concernant les garanties procédurales » à tous les Etats-membres. 

La directive permet aussi « le rejet rapide des procédures judiciaires manifestement infondées, les recours contre les procédures judiciaires abusives » ainsi que « la protection contre les décisions rendues dans un pays tiers. » 

Enfin, est prévue la création d’un « guichet unique » dans l’Union pour que les victimes puissent se signaler et obtenir de l’aide juridique. 

« Attendons de voir comment elle sera appliquée »

Le 27 avril 2023, le projet est présenté et débattu à la Commission européenne. Le 12 juillet, l’adoption de la directive est finalisée par un vote en Assemblée plénière lors du premier trilogue (négociations en trois actes entre la Commission, le Conseil et le Parlement). 

Pourtant aujourd’hui les négociations bloquent, notamment sur l’uniformisation de la directive entre les Etats-membres. 

Mais le rapporteur du Parlement Tiemo Wölken, espère pour sa part une adoption définitive d’ici décembre 2023. « Je pense que ce serait également un bon signe avant les élections européennes que nous indiquions une fois de plus que nous sommes vraiment du côté des plus faibles », avait-il déclaré en juillet dernier lors d’une conférence de presse sur les SLAPPs.

Depuis, de nombreux acteurs du monde politique, social et journalistique ont donné de la voix pour soutenir l’adoption de la directive. Pour le Premier secrétaire général du Syndicat National des Journalistes, Emmanuel Poupard, la directive demeure une petite victoire. 

Emmanuel Poupard explique pour la MDJ que « les pouvoirs publics européens se saisissent enfin de la question des procédures bâillons », qui minent le journalisme français. Le SNJ « espère néanmoins que la directive sera améliorée », bien qu’il voit sa création « d’un bon œil. » 

Il déclare également que le syndicat « attend une loi beaucoup plus protectrice, qui doit s’accompagner de mesures renforcées pour affirmer l’indépendance des journalistes. Et nous attendons de voir comment les pays vont l’appliquer, car il arrive que les Etats-membres réécrivent un peu les directives. »

Les Etats-membres, ennemis de l’anti-SLAPP ?

En effet, certains membres du Conseil des ministres de l’UE ont refusé la définition de « procédure bâillon » proposée par la Commission européenne, jugée « trop vaste ». La définition veillait à ce que les journalistes poursuivis dans leur propre pays puissent être protégés. 

Pour rappel, les SLAPPs sont majoritairement des affaires enregistrées dans un pays unique, et non pas plusieurs (les cas transfrontaliers). Mais les procédures transfrontalières, c’est-à-dire impliquant plusieurs Etats-membres, sont malheureusement les seules concernées par la directive

Par exemple, si les deux parties d’un procès-bâillon sont françaises mais que l’affaire impacte plusieurs Etats-membres (concernant des entreprises implantées à l’étranger notamment), le cas pouvait être considéré comme transfrontalier. 

Un point sur lequel le Parlement et le Conseil ne sont pas d’accord, préférant laisser les affaires nationales aux cours de justice compétentes. Il s’agissait pourtant d’un moyen pour la Commission d’englober le plus de SLAPPs possibles. 

Or, la plupart de ces procédures se réalisent dans un seul pays à la fois. Alors, comment protéger les journalistes lorsque les procédures sont exclusivement nationales ? Une question qui demeure malheureusement sans réponse à l’heure actuelle. Quant aux procédures transfrontalières, rendez-vous en décembre 2023, mois durant lequel le Parlement et le Conseil devront achever les négociations pour l’adoption de la directive.

Crédits photos : Civil Liberties Union for Europe

Maud Baheng Daizey

Rentrée 2023  : JARIS, un centre de formation qui prône l’inclusion 

En cette période de reprise scolaire, JARIS accueille pour sa rentrée 2023 treize nouvelles personnes en situation de handicap physique, psychique ou avec des troubles du développement. Focus sur un centre de formation unique en France, avec son fondateur, Eric Canda.

Un bénéficiaire de la formation JARIS, lors d’un atelier de montage vidéo ©JARIS

Il n’y a pas que les jeunes écoliers qui pourront entendre la traditionnelle cloche de l’école, synonyme de rentrée scolaire. Au sein du centre de formation JARIS Act’Pro, qui effectue sa 18ème rentrée depuis 2005, ce sont treize personnes, des hommes et des femmes, en situation de handicap physique, psychique, ou avec des troubles du développement et d’autres autonomes âgés de 18 à 35 ans qui sont accueillis ici.

Le centre, situé au Plessis-Trévise dans le Val-de-Marne, mise depuis presque deux décennies sur l’inclusion. Son fondateur, Éric Canda, diplômé de l’École Nationale Louis Lumière, réalisateur de courts-métrages et lui-même en situation de handicap suite à une inflammation des articulations, a décidé d’ouvrir et de développer JARIS (« Journalistes Apprentis Reporters Interviewers Solidaires ») dans un but précis : garantir l’égalité des chances. 

Une salle de classe à l’intérieur du centre JARIS ©JARIS

« On sait que les personnes en situation de handicap peuvent rencontrer beaucoup  de difficultés dans l’apprentissage, puis dans la vie professionnelle par la suite, avec des entreprises qui ne s’adaptent pas toujours à elles. J’ai voulu créer JARIS avec toute une équipe qui soit la plus pédagogue possible pour que les personnes que nous accompagnons puisse vraiment avoir du concret dans et après leur formation », explique le cinéaste.

Les formations, qui concernent les domaines des médias, du journalisme, de l’audiovisuel, du cinéma, de l’image animée et du jeu vidéo se déroulent au total sur 490 heures réparties en 70 jours sur 4 mois, avec un stage de professionnalisation rémunéré de trois à six mois. Ce stage se déroule en immersion totale dans une entreprise adaptée selon le profil et le parcours du bénéficiaire. 

Un centre de formation qui s’adapte à tout type de handicap

18% :  ce chiffre a récemment été mis en lumière dans un communiqué publié par l’Unapei, premier réseau français de défense des personnes avec trouble du neuro-développement, polyhandicap et handicap : il s’agit du pourcentage d’enfants ou adolescents en situation de handicap qui « n’ont aucune heure de scolarisation par semaine ». Eric Canda, lui, ne peut pas supporter que des personnes puissent être pénalisées à cause de leur handicap.

« Notre priorité, c’est vraiment le bien-être général de tous nos bénéficiaires », insiste le fondateur de JARIS. Ainsi, le centre de formation est entièrement adapté à toute forme de handicap, avec par exemple une accessibilité prévue pour les personnes en fauteuil roulant, mais aussi une signalétique adaptée pour les personnes malvoyantes. 

Pour Éric Canda, toutes les spécialités proposées par JARIS ont des objectifs communs : « On a mis en place tout un panel de spécialisations qui permettent dans un premier temps d’acquérir les fondamentaux d’un métier, d’avoir un point de vue critique, mais aussi d’avoir une expérience concrète en entreprise avec le stage en immersion. Il permet de se professionnaliser dans les métiers de l’audiovisuel ». 

Un bénéficiaire de JARIS dans un studio de tournage. ©JARIS 

Une formation gratuite pour les bénéficiaires 

Pour dispenser ses ateliers, JARIS Act’Pro fait appel à des experts dans leur domaine. « Nous proposons à nos bénéficiaires des enseignements dispensés par des professionnels reconnus qui sont toujours en activité, comme la chroniqueuse Laëtitia Bernard, qui est non-voyante ou encore Yves Dewulf,  qui a été photographe et journaliste à France-Soir et qui est actuellement journaliste reporter d’images (JRI) à France 3. Il a plus de 10 000 reportages à son actif », développe-t-il. 

Chaque intervenant a une même mission : partager sa passion, tout en s’adaptant à chaque handicap. « En cette nouvelle rentrée, nous accueillons notamment deux personnes tétraplégiques. Nos locaux sont bien évidemment adaptés pour les recevoir et pour qu’ils puissent circuler en fauteuil. Pendant plusieurs rentrées, nous avons aussi eu plusieurs bénéficiaires qui sont autistes Asperger. La règle est simple : prendre le temps avec chaque élève et être le plus pédagogue possible », détaille Éric Canda.

C’est bien pour cela que le fondateur de JARIS préfère accueillir des effectifs réduits de douze personnes, (treize cette année, “au vu de la grande qualité des candidatures”),  afin que chacun puisse avoir un apprentissage à son rythme et personnalisé.

« Cette année, nous avons reçu 72 candidatures. Nous organisons différents entretiens, que cela soit en distanciel et en présentiel, afin que notre équipe soit sûre de la cohérence et du projet souhaité du candidat », distille Éric Canda. 

Dans les couloirs du centre de formation JARIS. ©JARIS 

JARIS accompagne ses bénéficiaires jusqu’à ce que ces derniers puissent trouver un emploi, ce qui peut parfois prendre deux, voire trois années. « Le coût de l’accompagnement s’élève à 12.500 euros par personne, mais il est intégralement pris en charge par nos partenaires médias, M6, France Télévisions, TF1, Radio France, Arte France ou encore France Média Monde, ainsi que Pôle Emploi et les différents conseils régionaux », précise Eric Canda. Les douze bénéficiaires n’ont ainsi rien à débourser. 

Des ateliers divers et variés 

Le centre de formation JARIS propose un large panel d’ateliers. Éric Canda a pris la décision de miser sur des cours pratiques et ludiques, comme des ateliers d’expression orale, de diction, de gestion du stress et de ses émotions, de comportement face à un interlocuteur, d’affirmation de soi, ou encore des mises en situation d’un entretien d’embauche. « Le but de ces ateliers, c’est vraiment que nos bénéficiaires se sentent le moins bloqués possible par leur handicap et gagnent de plus en plus confiance en eux », affirme le créateur de JARIS. 

Des bénéficiaires de JARIS, lors d’un atelier de journalisme dispensé par le centre de formation. ©JARIS 

Le centre mise aussi beaucoup sur la dramaturgie, cet art de composer une pièce de théâtre… dont les treize bénéficiaires sont les principaux protagonistes. « C’est effectivement comme au théâtre, les douze personnes se mettent en scène en déterminant des obstacles qu’ils doivent eux-mêmes franchir », détaille Éric Canda. « Le premier aspect qui vient, c’est naturellement leur handicap. Ils doivent trouver les ressources pour le surmonter. Bien-sûr, on les accompagne, on ne les laisse pas livrer à eux-mêmes ! », sourit-il.

Accompagnés, notamment par Hélène Blondel, professeur de théâtre et de cinéma et comédienne depuis maintenant dix ans. « L’activité théâtrale permet de se surpasser et de repousser sans cesse ses limites, c’est un très bon exercice pratique, qui peut permettre à chacun de se découvrir des facettes parfois insoupçonnées », souligne Éric Canda.

Chaque semaine et à la fin de tout atelier, les participants de la formation JARIS sont évalués sur l’évolution des compétences acquises.  L’occasion de maintenir un suivi des connaissances assimilées par les bénéficiaires. 

Eric Canda se dit « très fier de la pérennité de cette structure, unique en France ». Il nourrit toutefois un petit regret : ne pas avoir réussi encore à trouver des partenariats pour développer d’autres structures semblables.

En 18 années d’existence, JARIS revendique plus de 80% de parcours d’insertion positifs. Le centre de formation a accompagné au total 240 personnes, « dont 196 sont actuellement en emploi ou ont repris des études », précise le site de JARIS. 
Si vous désirez postuler pour la prochaine session, vous pouvez vous rendre sur le site www.jaris.fr et cliquer sur l’onglet “inscription”. 
Des bénéficiaires de JARIS en pleine séquence de tournage. ©JARIS

Crédits photos : ©JARIS

Un article de Chad Akoum – Service Civique à la MDJ –

Les résidences de journalistes, fer de lance de l’EMI ?

Avec l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, la France prend conscience que les élèves saisissent mal ce que représente la liberté d’expression et de la presse. En réponse, le ministère de la Culture a lancé en 2016 les « résidences de journalistes », projets d’éducation aux médias et à l’information que l’on retrouve aujourd’hui dans toute la France. Véronique Holgado, responsable du service culture de la Communauté de Communes du Pays de Mormal,  nous détaille les missions des résidences. 

Réchauffement climatique, coronavirus, 5G, guerre en Ukraine… Les thématiques où foisonnent les fake news sont très nombreuses. Tant que des grands journaux ont créé de nombreux « fact-checkeurs » dans leur rédaction, et que des médias entièrement consacrés aux fausses informations sont nés. 

D’un autre côté, plus d’un Français sur deux ressentent de la « méfiance » envers les médias et l’information en général. Une situation dramatique qui peut être résolue grâce à l’EMI, l’Education aux Médias et à l’Information. Des programmes, séminaires et guides pratiques fleurissent dans toute la France, notamment les résidences de journalistes. 

Quatre mois consacrés aux conférences et formations

[Les résidences de journalistes sont portées par les DRAC, les Directions Régionales des Activités Culturelles. La résidence de journalistes est née d’un accord tripartite, incluant les DRAC, les collectivités territoriales et le ministère de la Culture. Au Pays de Mormal, « le territoire est engagé dans un CLEA », un Contrat Local d’Éducation Artistique, depuis 2016. Ainsi, deux résidences artistiques se tiennent tous les ans durant quatre mois chacune.]

Pendant ces quatre mois, les journalistes professionnels sélectionnés (un seul par résidence) ont pour objectif de toucher le public le plus large possible et de l’interroger sur des questions liées à la liberté d’expression et au journalisme. Pour Véronique Holgado, la résidence est née sur son territoire à la suite d’une journée de présentation du projet par la DRAC. « Nous vivons aujourd’hui dans un monde rempli d’informations, où les jeunes et moins jeunes sont confrontés à cette “avalanche” qu’ils ne savent pas toujours comment interpréter, ni quoi croire”, explique Madame Holgado. « Il nous semblait intéressant de tenter cette aventure avec une résidence EMI. » 

Plus de 1000 citoyens informés en deux mois 

Avec la journaliste Valérie Rohart, sélectionnée pour porter et animer le projet, la résidence rencontre un franc succès. Grand reporter RFI de 1989 à 2013, Valérie Rohart est une journaliste aguerrie et spécialisée dans les relations internationales. Elle obtient deux prix pour son reportage « Paroles de femmes afghanes » en 2003. 

Elle est la première journaliste à accepter une des missions à Dunkerque en 2016, puis au Pays de Mormal, où elle continue son programme d’EMI. En 2023, une nouvelle résidence testée durant deux mois avec la DRAC a vu le jour, et s’est tenue du 3 avril au 6 juin dans les différentes communautés du Pays de Mormal, dans le département Nord, frontalier de la Belgique.

Valérie Rohart y a animé huit conférences, créé et monté des reportages audio dans trois écoles et deux bibliothèques, conduit de nombreuses séances de formations EMI dans quatre écoles (collèges et lycées) ainsi que dans une association.

Plus de 1100 personnes ont pu bénéficier du dispositif en 2023 dans la région Hauts-de-France. Des interventions ont également été faites dans les maisons de retraite. Toutes les activités ont pour thème l’EMI, en passant par le décryptage d’un journal télévisé, la bonne pratique des réseaux sociaux, l’initiation au dessin de presse, le reportage, la définition du métier de journaliste…

« Ce fut une très belle réussite avec Valérie (beaucoup de demandes, de besoins, d’envies d’interventions) », commente Véronique Holgado. « A la suite de ce succès, nous avons donc décidé de nous engager dans ce type de résidence, en plus des résidences artistiques, pendant trois ans minimum, et sur le même schéma que le CLEA. » 

Une résidence bien organisée

« Nous préparons un appel à candidatures conjointement avec la DRAC et recevons les candidatures », nous explique Véronique Holgado. Un comité de pilotage composé de « techniciens, d’élus, de la DRAC, de l’Éducation nationale et d’autres partenaires, se charge d’analyser les candidatures et de sélectionner le ou la journaliste (après un entretien). » 

Photo de Nijwam Swargiary.

Composé d’un binôme dont Véronique Holgado fait partie, le service culture a pour vocation d’accompagner le ou la journaliste dans son projet. Madame Holgado est donc la responsable du service culture, et est accompagnée d’une médiatrice. Celle-ci « est plus sur le terrain et elle suit plus précisément les résidences, même s’il nous arrive à toutes les deux de les accompagner. » 

Une fois la candidature de Valérie Rohart validée, le service culture a contacté différents partenaires : « collèges, lycées, bibliothèques, municipalités, EHPAD… » détaille Véronique Holgado. 

« Nous avons convenu de rendez-vous et les avons mis en contact. Nous sommes très souvent présentes, l’une ou l’autre au 1er rendez-vous mais ensuite, le ou la journaliste est autonome et gère elle-même son planning (nous avons un Google agenda commun). Nous nous retrouvons sur des temps forts, des moments où elle a besoin de notre présence », notamment pour les bilans. « Nous essayons d’être présentes et disponibles au maximum », précise-t-elle. 

Une édition 2023 qui a rencontré un fort succès, et qui assure un bel avenir à la résidence. « Il y a beaucoup de demandes notamment par les CM (écoles primaires) avec qui nous sommes en lien grâce à la conseillère pédagogique de l’Éducation nationale du premier degré. » 

Même son de cloche du côté des plus âgés : « Les résidents en EHPAD ont beaucoup apprécié les interventions de Valérie et nous avons aussi remarqué que nous touchions un nouveau public, qui ne vient pas forcément sur nos spectacles. Il y a de la demande en ce qui concerne ce type d’interventions. » 

Pour 2024, la résidence basée sur l’essai 2023 sera pérennisée au vu de son succès. Le ou la journaliste « utilisera également le média vidéo et créera des petits films et des bandes-son. » Jusqu’alors, seuls les médias écrits et radio étaient exploités. 

De nouvelles collaborations viendront aussi nourrir les prochaines éditions : « nous sommes en lien avec Laurence Gaiffe de l’ESJ de Lille (NDLR : journaliste et responsable pédagogique), avec qui nous montons un partenariat EMI, en collaboration avec le Centre Social de Landrecies » toujours dans le département Nord, détaille Véronique Holgado. 

« Le partenariat se constitue d’une journée de sensibilisation à l’EMI pour les encadrants, les personnels du Centre Social, nous-même et d’autres partenaires. » Il comporte également « cinq à huit séances de stage vidéo EMI avec des reporters du Centre social de Landrecies (aux côtés un journaliste qui leur fera faire des interviews et de l’éducation à l’image). » 

Un programme exhaustif qui finira par recouvrir tous les champs du journalisme. Grâce à un tel dispositif, les résidents du Pays de Mormal peuvent bénéficier d’une véritable éducation aux médias, de façon plus égalitaire et sans égard pour l’âge. Pas de doute, les résidences de journalistes pourraient devenir le meilleur outil pour l’EMI en France. 

Crédit photo : Ministère de l’Education, Académie de Nice.

Maud Baheng Daizey

Wagner : comment la mutinerie a-t-elle été traitée par les médias russes ?

Du 24 au 25 juin, le chef de la milice paramilitaire Evgueni Prigojine a lancé une offensive en Russie à la surprise générale, prêt à s’emparer de Moscou. Mais moins de 24 heures plus tard, Prigojine a finalement accepté de faire demi-tour après un accord avec Poutine. Cette tentative de coup d’Etat a fait couler beaucoup d’encre, tant à l’étranger qu’en Russie : comment les médias d’Etat et la presse indépendante russes ont-ils analysé le sujet ?

Mais quel était le véritable objectif de Prigojine avec cette attaque, dont seuls les dégâts matériels sont connus ? Pour comprendre l’imbroglio, il faut remonter à l’origine-même de la création de Wagner, en 2014.

Bien qu’elle opère pour servir « les intérêts de la Russie » en Ukraine et dans plusieurs pays d’Afrique, la milice Wagner n’a sur le papier aucune légitimité. En Russie, les sociétés militaires privées sont illégales.

Depuis janvier 2023, les Etats-Unis considèrent même Wagner comme « organisation terroriste. » Malgré cela, Prigojine continue d’opérer au nom du Kremlin à l’étranger.

Mais depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2021, les relations entre la milice et l’Etat s’effritent. Evgueni Prigojine réclame plus de reconnaissance et d’indépendance, accusant les autorités de tuer ses hommes, s’attirant l’ire du président russe.

« Une atmosphère d’incertitude » en Russie

Des tensions entre les deux hommes cristallisées durant le week-end du 24 au 25 juin, où les troupes Wagner se sont emparés de la ville de Rostov et ont menacé de prendre Moscou. Le directeur de l’école de journalisme Mohyla à l’université nationale de Kiev, et cofondateur du site « StopFake.org », Yevhen Fedchenko a accepté de répondre à nos questions. Fier d’une vingtaine d’années d’expérience dans le journalisme, l’Ukrainien se concentre aujourd’hui sur le signalement des fakes news, notamment russes et ukrainiennes. 

Selon lui, la couverture médiatique russe a été « très incertaine » du début jusqu’à la fin de l’insurrection. Il évoque le « bruit de l’information » pour parler de la couverture de la rébellion de Wagner et de l’invasion russe en Ukraine : pléthore d’informations inondant les réseaux sociaux russes (Telegram) ainsi que les médias, sans que des conclusions concrètes ne soient tirées. 

Yevhen Fedchenko n’hésite pas à parler de « fausse rébellion » de la part de Prigojine, qui tentait de sauver Wagner « car il se savait en faible posture. » S’il avait vraiment voulu prendre le pouvoir, « Prigojine aurait réussi. Je pense qu’il a voulu s’introduire sur la scène internationale, faire de lui-même un nouveau partenaire pour les pays étrangers qui n’apprécieraient pas Vladimir Poutine. » 

Car avant qu’il n’envahisse l’Ukraine, Poutine était vu comme un président « prévisible » et consistant. Aujourd’hui, l’image n’est plus la même et les médias « ne semblent plus aussi assurés de prendre sa défense », affirme Yevhen Fedchenko.

Toujours selon le journaliste ukrainien, les médias russes auraient « amplifié » ce message, où les Russes et la communauté internationale doivent choisir « entre Poutine et Prigojine dans un futur incertain. » Car « si les mercenaires sont capables de s’emparer de certaines villes et du pouvoir, cela signifie que Poutine n’a pas le contrôle total du pays. » 

Toutefois, il y a bien un fil rouge dans la couverture médiatique russe, à savoir la « surprise et l’incertitude » : si auparavant les médias mettaient en avant l’autorité totale de Poutine, ils ont opéré un changement d’attitude avec l’incident Wagner. Tout d’abord, « les journalistes Russes reçoivent toujours des directives quant à leur couverture médiatique. Mais lors de la rébellion de Wagner, le Kremlin n’a pas eu le temps de le faire, les laissant dans le flou. »

Presse d’état : Poutine donne le « la »

« Qui devaient-ils soutenir ? Poutine ou Prigojine ? » Ils ont alors choisi une forme de « neutralité », en ne donnant que des informations générales relayées sur Telegram. Les mots « insurrection, rébellion, mutinerie » n’ont pas été utilisés, mais plutôt des « euphémismes » comme le note le fondateur de « StopFake », notamment en évoquant des « problèmes » et « tensions » entre Poutine et Prigojine. 

La méfiance régnait du 24 au 25 juin : toute l’opération « aurait pu s’agir d’un faux coup afin de débusquer des traitres », tant dans les rangs de Wagner que dans les médias du pays. Et si Wagner était parvenu à prendre réellement le pouvoir, leur défiance aurait pu signer la fin de leur journal.

Certains médias, notamment Komsomolskaïa Pravda, n’ont pour autant pas hésité à parler d’insurrection dès le dimanche 25 juin, le lendemain de la première prise de parole de Vladimir Poutine. Le président russe avait alors promis que les « traîtres à la Nation » seraient punis et évoqué un « coup de poignard dans le dos » de la part de Wagner. 

Aujourd’hui, les journaux n’hésitent plus à parler de « mutinerie » et « rébellion ratée », à l’instar de Rossiyskaya Gazeta (journal d’Etat), après l’allocution de Vladimir Poutine aujourd’hui et une fois le ton donné. Mais le sujet demeure néanmoins très peu documenté pour certains quotidiens, notamment Izvestia : seulement une poignée d’articles sur la rébellion ont été écrits, et le nom de Wagner y est très peu évoqué, avec un discours plus clément. 

Le quotidien évoque par exemple la « bravoure et le courage » des soldats Wagner en Ukraine et en Afrique, rappelant que la rébellion « n’est pas allée jusqu’au bain de sang fratricide » et que la guerre civile a été évitée. Pas de critique ni d’interrogations pour ces quotidiens, simplement soulagés de la résolution du conflit.

Alors, Evgueni Prigojine murmure-t-il toujours à l’oreille de Vladimir Poutine ? Rien n’est moins sûr. Le chef de la milice paramilitaire est arrivé hier après-midi en Biélorussie avec quelques-uns de ses hommes, et a assuré que les opérations de Wagner en Ukraine et en Afrique ne seraient pas interrompues. Reste à savoir si la clémence de Poutine durera éternellement.

Maud Baheng Daizey

France : faire de l’éducation aux médias « une vraie politique publique »

Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance. En Europe comme en France, acteurs de la presse, du monde associatif et éducatif se mobilisent pour redonner le goût de l’information au public.

En France, l’éducation aux médias (EMI), bien qu’assez récente, se cristallise dans l’espace éducatif. Des associations et des programmes sont mis en place, alors que les campagnes de désinformation massive en ligne prolifèrent en Europe. Comment les citoyens français se protègent-ils de telles menaces ?

Des actions françaises entièrement dédiées à l’EMI

Lors de la création d’Entre les lignes en 2010, Olivier Guillemain voit clair dans sa mission. « Nous avions l’idée avec ma cofondatrice [Sandra Laffont, NDLR] de rétablir le lien de confiance entre les citoyens et les médias car nous étions passionnés par notre métier et nous voulions transmettre ce goût de l’information. »

A ce moment, un climat de méfiance envers les médias s’installe durablement en France, malgré une bonne situation de la liberté de la presse.

Un paradoxe « toujours valable aujourd’hui. Il n’y a jamais eu autant de médias et nous n’avons jamais eu autant de mal à nous informer. »

Pour l’association, il est primordial que les jeunes possèdent « les outils pour faire le tri et développer un esprit critique. Nous voulions aussi sensibiliser sur le pluralisme des médias en France, nos ateliers permettent de découvrir de nouveaux médias. Nous avons choisi de nous focaliser sur les jeunes pour leur donner les bons réflexes dès le début de leur vie citoyenne », explique avec engouement Olivier Guillemain.

Des collégiens devenus journalistes

Si « Entre les lignes » bataille seule les premières années pour mener sa mission à bien, l’année 2015 signe un tournant pour l’association.

« En 2010, l’EMI n’était pas du tout un thème porteur, nous étions très peu d’acteurs. Nous ne bénéficions pas de financement public, mais nous avons assisté à un vrai point de bascule avec les attentats de 2015 et Charlie Hebdo. »

Après les attentats, des campagnes de désinformation se sont mises à pulluler sur les réseaux, poussant les pouvoirs publics à s’intéresser de plus près à l’éducation aux médias.

« Nous avons alors reçu des financements publics ainsi que le soutien de l’Éducation nationale, du ministère de la Culture et de la DILCRAH. Vint ensuite le financement par les fondations privées. »

« Aujourd’hui nous comptons 240 bénévoles dans nos équipes, pour 430 interventions en 2022 dans 44 départements. Nous souhaitons que l’EMI devienne une vraie politique publique, car le public adulte en a besoin aussi. Nous avons prêché dans le désert pendant longtemps les premières années, aujourd’hui nous remarquons une volonté solide de la part de tous les acteurs de l’EMI », constate Olivier Guillemain, plein d’entrain et d’espoir pour la jeunesse française.

Renvoyé Spécial

Loin d’être étrangère dans le domaine, la Maison des journalistes est un acteur important de l’éducation aux médias. Elle entretient depuis 2006 un partenariat avec le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) et le ministère de l’Éducation nationale.

Ce partenariat productif permet aux journalistes de la MDJ de rencontrer des lycéens pour discuter de leur parcours et de leur métier, en France métropolitaine comme en Outre-mer.

Plus de 10 000 élèves ont ainsi pu entendre le récit de ces journalistes et échanger avec eux. La MDJ et le CLEMI comptabilisent plus de 100 interventions conjointes avec des journalistes syriens, tchadiens, afghans, soudanais, irakiens, marocains ou encore yéménites.

Tous viennent exprimer devant les élèves la difficulté d’exercer leur métier dans leur pays d’origine. D’une richesse exceptionnelle, ces rencontres offrent aux élèves un contact direct avec l’actualité, un témoignage qui permet d’incarner des concepts souvent abstraits, une prise de conscience de l’importance de la liberté d’expression et de la pluralité dans les médias.

Inviter à la discussion pour permettre la critique

« Nous proposons cinq ateliers différents de deux heures chacun », relate le directeur de l’association. L’atelier rencontrant le plus de succès demeure « démêler le vrai du faux sur Internet », mais il assure non sans humour « se battre pour faire vivre les autres thèmes aussi. »

« Les jeunes apprécient cette approche où nous partons des usages du public en s’interrogeant sur leur quotidien. Le journaliste partage son expérience et vice-versa. Des collégiens ayant participé à des ateliers il y a quelques années sont même devenus journalistes aujourd’hui ! » Signe que l’éducation aux médias est un enseignement contemporain incontournable.

Si les premières années étaient consacrées aux élèves de collège et lycées, l’action de l’association s’est élargie aux élèves de primaire. « C’est au collège et au lycée que les usages numériques sont les plus développés », explique l’ancien journaliste.

« Aujourd’hui cet usage se fait de plus en plus tôt, les enfants de 10 ans sont sur les réseaux malgré l’interdiction pour les moins de 13 ans. Il faut les protéger aussi. Nous ne parlons pas de fake news avec eux mais de rumeurs, nous créons du contenu sur-mesure pour les plus jeunes. »

« Nous partons des usages des gens en face de nous : nous nous adaptons en fonction du primaire, collège, lycée… Selon leurs pratiques et usages. Nous ne les jugeons ni ne les culpabilisons sur leurs pratiques, car il y a des bonnes sources d’infos sur les réseaux sociaux – il faut simplement pouvoir les identifier. »

Et de rappeler que les parents ont un rôle à jouer. « Nous les encourageons à discuter avec leurs enfants, en leur expliquant comment bien s’informer. Certaines interventions peuvent déclencher des discussions avec les enseignants et les parents, qui ne savent pas vraiment ce que font leurs enfants en ligne. Les parents constituent un public qu’on n’oublie pas, nous organisons des ateliers avec les adultes en médiathèque ou des centres sociaux pour les sensibiliser. »

L’association est fière des « retours très encourageants » des enseignants et de certains parents, et cherche à étendre son dispositif au niveau national. Elle a mis en place un laboratoire d’EMI en 2020, englobant 12 écoles primaires dans huit départements métropolitains et en Guadeloupe.

Une initiative des plus bienvenues en France, où le gouvernement ne se penche que depuis quelques années sur la question. Qu’il s’agisse d’une collaboration internationale ou de mesures gouvernementales, l’Etat français semble être en décalage avec ses concitoyens sur l’éducation aux médias : aucun programme institutionnel n’a encore été mis en place, malgré l’urgence de la situation.

Maud Baheng Daizey

Assises du journalisme, ou comment préserver l’indépendance de la presse

Campagne de désinformation, fake news, concentration des médias, baisse de la confiance envers les journalistes… En 2023, le monde du journalisme fait face à de nombreux défis mettant à mal son indépendance.

En Europe comme en France, acteurs de la presse et politiciens se réunissent et tentent de redonner « le goût de l’information » au public.

Dernière rencontre en date, les Assises du journalisme à Tours du 27 mars au 1er avril, où journalistes et représentants de la Commission européenne ont pu faire part de leur avancée dans le domaine.

Six jours de réflexion et de partage entre les journalistes, associations d’éducation aux médias et citoyens, cette 16ème édition s’est consacrée à la préservation de l’indépendance des médias et la protection des journalistes.  

Media Freedom Act, texte européen « novateur »

Aux Assises de Tours, la porte-parole de la Commission européenne en France Adina Revol, s’est attardée sur ce nouveau règlement. Elle a vanté un « texte novateur » dans la lutte contre la désinformation et la protection des médias.

À l’heure de la concentration des médias et des menaces envers les journalistes sont de plus en plus nombreuses, comment l’Europe compte-t-elle préserver l’indépendance de sa presse ?

Le 16 septembre 2022, la Commission européenne esquisse une réponse et adopte le « Media Freedom Act (MFA) » pour protéger le pluralisme sur le continent.  Sans détour, la porte-parole a assuré que le MFA « faisait partie du plan d’action pour la démocratie européenne » initié en 2020.

Des dispositions ont donc été mises en place afin de lutter contre les ingérences politiques et de garantir un « financement stable » des médias publics.

La transparence des rédactions est également mise à l’honneur, grâce à une série de mesures « visant à protéger l’indépendance des rédacteurs et à divulguer les conflits d’intérêts. »

Les Etats-membres ont désormais l’obligation de prévoir des fonds pour les médias publics, s’exposant autrement à des sanctions.

La porte-parole en a profité pour informer le public des récentes propositions faites par la Commission européenne pour lutter contre les logiciels-espions, qui une fois consolidées et acceptées, feront partie intégrante du règlement.

Des avancées européennes positivement accueillies, mais encore fragiles selon Cécile Dubois, co-présidente du Syndicat de la Presse Indépendante d’Informations en Ligne.

Elle a tenu à saluer un règlement européen particulièrement attendu, protégeant d’autant plus la presse « des régimes libéraux ».

Elle a également félicité la Commission d’avoir inscrit dans son règlement les droits fondamentaux des éditeurs et journalistes, une première dans le droit européen mais qui devront s’accompagner de mesures plus impactantes.

Rien dans le texte ne protège les journalistes et lanceurs d’alerte des menaces civiles et privées, qui conduisent parfois à leur mort pour tuer leurs investigations.

De nombreux ateliers, débats publics, diffusions de documentaires et expositions ont ponctué ces journées d’information. Participante active des Assises, la Maison des Journalistes a eu le plaisir de se joindre le 30 mars à une rencontre avec les élèves du club journal du lycée Jean Monnet de Joué, à Tours.

L’occasion pour évoquer l’essence et les travaux fournis par l’œil de la MDJ, autrefois l’œil de l’exilé, et plateforme dédiée aux journalistes du monde entier.

Albéric de Gouville, président de la MDJ, Alhussein Sano, journaliste guinéen réfugié et Samad Ait Aicha, journaliste marocain, étaient présents pour répondre aux questions des étudiants.

Ils ont tous deux parlé de leur vie et de leur travail au Maroc et en Guinée Conakry, n’omettant pas les poursuites judiciaires et les menaces qu’ils ont subi. Touchés, les élèves ont longuement applaudi les deux journalistes après une série de questions.
Alhussein Sano et Albéric de Gouville.

Des assassinats de plus en plus nombreux

En 2022, 86 journalistes ont été tués, soit un tous les quatre jours et la moitié en-dehors de leur vie professionnelle. Pourtant, tous ont perdu la vie pour avoir couvert un sujet sensible.

Un reflet bien triste de l’état de l’indépendance de la presse dans le monde, menacée de toutes parts. Mais alors, comment protéger les professionnels des médias et leur travail ?

Les Assises ont donné la parole à Laurent Richard, fondateur de Forbidden Stories, et sa journaliste Cécile Andrzejewski pour détailler les missions de Forbidden, un consortium constitué de journalistes du monde entier.

L’objectif ? Terminer les enquêtes des journalistes massacrés, afin que leur travail ne disparaisse pas en même temps qu’eux. Ils ont dévoilé de grands scandales tels que l’affaire Pegasus en 2021 et Story Killers en 2022. L’affaire avait exposé des entreprises d’influence perturbant les périodes électorales de multiples pays.

Le projet a été initié en 2017, suite à la mort de la journaliste maltaise Daphné Caruana, assassinée la même année. Journaliste d’investigation, Daphné Caruana enquêtait sur une affaire de corruption avant que l’on ne piège sa voiture avec une bombe.

« Je voulais rendre les tueries de journalistes contre-productives »

Sa mort avait suscité l’émotion et l’indignation internationale, poussant les journalistes à se rassembler et collaborer avec des ONG et associations. En six ans, de nombreuses enquêtes ont permis de dévoiler des secrets étatiques et internationaux.

Selon Laurent Richard, « les journalistes sont toujours tués à cause de sujets sociétaux majeurs : corruption, environnement ou encore abus de pouvoir », sujets trop importants pour s’éteindre avec leur auteur.

Grâce à sa « safebox network », un coffre-fort numérique, les journalistes d’investigation peuvent désormais télécharger et stocker leurs données d’enquête n’importe où dans le monde. Une fois déposées dans le coffre, elles ne deviennent accessibles qu’aux journalistes du consortium.

De cette façon, les menaces et pressions que subissent les journalistes finissent par être inutiles. À travers Forbidden Stories, Laurent Richard tenait à « rendre les tueries de journalistes contre-productive en enquêtant après le disparu. »

Il a toutefois assuré que Forbidden « n’est pas une assurance-vie, nous n’offrons pas de protection physique » aux journalistes lanceurs d’alerte.

Mais comment s’assurer que la « safebox network » ne sera pas compromise ou victime d’une cyberattaque ? Pour la MDJ, Laurent Richard a détaillé que le système « était sécurisé par SecureDrop (plateforme développée par les équipes d’Edward Snowden), et n’est accessible qu’en passant par Tor. »

Ils sont également conseillés par des experts en cybersécurité. « Avec l’affaire Pegasus, nous sommes entraînés » à ce genre de problématique. « Nos journalistes sont déjà menacés, alors nous travaillons avec les solutions les plus sûres aujourd’hui. »

Une façon efficace et durable de préserver la liberté et l’indépendance de la presse à travers le monde.

Problématique de plus en plus alarmante à laquelle la Commission européenne tente aujourd’hui de répondre avec le règlement « Media Freedom Act », contenant des dispositions prometteuses. D’autres mesures (telle l’éducation aux médias) demeurent néanmoins incontournables pour relever ce défi.

Maud Baheng Daizey