Rencontre. En Iran, « la révolution contre l’apartheid des sexes » gronde

Lauréat(e) 2023 de l’Initiative Marianne, Asal Abasian est un(e) journaliste et activiste queer iranien(ne), au sourire lumineux et au tempérament obstiné. Depuis dix ans, iel se mobilise pour la communauté LGBTQIA+ en Iran, dont les voix ont une nouvelle résonnance depuis les manifestations et la mort de Mahsa Jina Amini. Iel a écrit de nombreux articles sur le sujet, notamment pour le journal Shargh Daily. En quelques questions, Asal revient sur la situation des personnes queer dans son pays.  

L’Œil : pouvez-vous décrire votre expérience en tant que journaliste non-binaire en Iran ?

Asal : L’atmosphère dans les équipes éditoriales en Iran est très patriarcale et misogyne. En tant qu’homosexuel(le), vous risquez donc toujours d’être exclu(e). La marginalisation dans l’environnement patriarcal des équipes de rédaction en Iran est un phénomène quotidien pour les minorités homosexuelles. Dans l’espace professionnel du journalisme, dans les médias persans, même exilés, il faut être très patient, infatigable et déterminé.

Pourquoi vous êtes-vous engagé(e) dans les luttes féministes et queer ? 

Être homosexuel n’est pas du tout un choix. On naît homosexuel, mais on peut néanmoins en devenir plus conscient avec le temps. C’était donc le cas depuis le début, mais c’est peut-être à partir de l’adolescence que je me suis intéressé(e) aux questions de discrimination sexuelle et que j’ai commencé à me rebeller contre le patriarcat. C’était le destin et non un choix. Peut-être que lutter contre l’apartheid des sexes est un choix, mais être une minorité de genre ne l’est pas, c’est une réalité qui nous accompagne depuis la naissance.

Quel événement a motivé votre militantisme il y a dix ans ? 

Il peut être intéressant de savoir que j’ai pris conscience de mon identité en tant qu’homosexuel(le) en lisant la traduction persane de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, livre censuré dans la République islamique. Plus tard, j’ai lu la version anglaise et j’espère pouvoir bientôt lire la version originale en français. C’était le début de mon chemin, qui s’est ensuite complété par l’étude de penseurs comme Judith Butler, philosophe américaine spécialisée dans les études de genre. 

En lisant les livres et les essais des philosophes du genre, j’ai compris que je devais accepter qui j’étais, contrairement à la marginalisation de la société patriarcale iranienne, et essayer de mieux la comprendre, et bien sûr, que je devais être infatigable dans cette démarche et ne pas avoir peur.

La journaliste et activiste Asal Abasian pour l’Initiative Marianne.

Pouvez-vous nous parler d’un événement ou d’une activité qui a eu un impact profond sur votre combat ?

Le mouvement de libération des femmes en Iran a plus d’un siècle. L’étude de ce parcours tumultueux a inspiré mon combat. L’évolution du mouvement des femmes après les ères Qadjar et Pahlavi a été une véritable source d’inspiration. En particulier les campagnes récentes telles que le million de signatures contre les lois anti-femmes, ou la campagne contre le hijab obligatoire, qui a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie et est devenue une demande publique de la société après le meurtre de Mahsa Jina Amini.

Après le meurtre de Mahsa Jina Amini, les manifestations ont été marquées pour la première fois par la présence visible de la communauté homosexuelle dans les rues, ce qui a réellement inspiré les luttes. Et ce, alors que le fait d’être homosexuel est passible d’exécution. Aujourd’hui, grâce aux médias sociaux, nous voyons la performance de la communauté queer sur la scène politique iranienne. Quelque chose qui n’avait pas un tel visage avant la révolution “femmes, vie, liberté”. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une révolution contre l’apartheid des sexes et que la question va au-delà de la lutte contre le hijab obligatoire. Mahsa Jina Amini est un symbole de courage. Son nom est le code de la lutte en Iran aujourd’hui ; pour lutter contre toutes les discriminations, contre l’apartheid des sexes, contre l’oppression. D’ailleurs, la campagne “Femmes, vie, liberté” est toujours d’actualité. Mes courageuses collègues Niloofar Hamedi et Elaheh Mohammadi sont toujours emprisonnées. J’espère que nos collègues du monde entier prendront conscience des difficultés du journalisme dans ce pays qu’est l’Iran.

Avez-vous un entourage qui vous soutient ?

Oui, mes parents ! Ils sont une source d’inspiration car, malgré leurs origines islamiques, ils ont été incroyables en acceptant mon identité queer et en me soutenant. Mes amis me soutiennent également et c’est ma grande chance ! La société iranienne est très homophobe, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien de mes amis et de ma famille, même si j’ai subi de nombreuses violences dans mes relations.

Pourquoi avez-vous décidé de participer à l’Initiative Marianne ? 

J’ai pensé qu’en rejoignant un programme international de défense des droits de l’homme, je pourrais être la voix des luttes à l’intérieur de l’Iran, la voix de mes courageuses sœurs. L’Initiative Marianne m’a apporté beaucoup de choses. Avant tout, j’ai appris comment et avec quels outils lutter pour la liberté à un niveau plus large. Ce programme m’a donné de la force, du courage et m’a permis d’élargir mes relations dans l’arène internationale.

Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.
Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétences et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.
Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Que devient votre association ?

Mon association s’occupe des personnes LGBTQI dans les pays persanophones d’Iran, d’Afghanistan et du Tadjikistan, et sa priorité est d’aider les homosexuels en danger. J’espère pouvoir défendre la communauté queer, en particulier les personnes en danger qui ont besoin d’être amnistiées. Cette fois-ci, dans le cadre d’une offre internationale et dans une zone plus large.

Pourriez-vous retourner en Iran si vous le souhaitiez, et pourquoi ?

Non, malheureusement, car être homosexuel en Iran est passible de la peine de mort et j’exprime ouvertement mon identité féministe homosexuelle. J’espère qu’après l’effondrement de la République islamique, je pourrai revenir vivre là-bas et y militer… Je peux contribuer à rendre l’espace de la communauté LGBTQI sûr et sans risque. Cela ne peut se faire qu’en créant une culture et en essayant de sensibiliser le public. J’espère pouvoir, un jour…

En attendant, Asal Abasian inspire par ses textes et travaille d’arrache-pied pour sensibiliser la communauté internationale à ses pairs incarcérés, qu’ils soient queers, journalistes et activistes. « Le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous, » avait-iel proclamé lors d’une table ronde à la MDJ le 15 novembre dernier.

Médias en Seine. Dans les cœurs des Français, la confiance règne ?

Ce mercredi 22 novembre s’est tenu le festival annuel « Médias en Seine », organisé par France Info et le groupe Les Echos-Le Parisien dans les locaux de la Maison de la Radio. Cette année, l’événement s’est concentré sur la confiance des Français envers les médias ainsi que l’EMI. Retour sur les grands débats et solutions rapportées par les journalistes et experts de l’information.

Les Français inscrits dans une relation paradoxale avec les médias

Le même jour, les résultats de la 37ème édition du baromètre La Croix sur la confiance des Français ont été rendus publics. Jean-Christophe Ploquin et Guillaume Caline, respectivement rédacteur en chef du journal La Croix et membre de l’institut de sondage Kantar, ont présenté les chiffres au festival. 

Les deux spécialistes dénotent d’abord une « consommation très diversifiée des médias », ainsi qu’un certain nombre de paradoxes : 58% des personnes interrogées font confiance à la presse quotidienne nationale mais 56% estiment que « les journalistes ne sont pas indépendants des pressions de l’argent et du pouvoir. » Il ressort du sondage une histoire d’amour-haine entre les Français et leurs médias. Les journaux télévisés et les chaînes d’informations en continu demeurent très plébiscités par les Français, bien que 57% d’entre eux se méfient des médias lorsqu’ils traitent des grands sujets d’actualité.

Fait intéressant, ce sont les – de 35 ans qui sont les plus enclins à payer pour une information de qualité, contrairement aux Français plus âgés : 55% se disent favorables à un soutien financier, contre 26% des plus âgés. « Lorsque l’info est sourcée, elle demande un coût, une valeur, ce pourquoi elle a un prix », explique Nathalie Sonnac, ex-membre du CSA. « Or les gens ne sont plus prêts à payer, ce pourquoi il faut revaloriser l’information. Le journaliste a un rôle à jouer avec ses connaissances, sa distinction des faits et participe à la fabrication de l’opinion française. Il existe par ailleurs deux leviers pour contrer la défiance : la régulation des réseaux sociaux et l’éducation aux médias et à l’information ».

Les JT, la presse régionale et la radio sont les médias dans lesquels les Français accordent le plus leur confiance. Pourtant, sur les 58% qui ont foi en la presse quotidienne nationale, 80% d’entre eux se tournent d’abord vers leurs proches pour s’informer. Enfin, 70% des Français usent des réseaux sociaux pour s’informer, mais seulement 25% d’entre eux font confiance à ces canaux.

© Maud Baheng Daizey
Présentation du baromètre par Jean-Christophe Ploquin et Guillaume Caline.

« Le baromètre sur la confiance dans les médias montre qu’il y a une défiance qui s’installe entre les citoyens et les médias », avait reconnu la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak lors de son intervention à Médias en Seine. « Aujourd’hui, indépendance comme pluralisme sont des enjeux clés pour resserrer ce lien de confiance entre les citoyens et les médias. Si nous voulons prendre soin de notre démocratie, nous devons prendre soin de ce bien commun qu’est l’information. »

« Il faut que les journalistes soient indépendants de leur actionnaire, économiquement et idéologiquement. Qu’il y ait un pluralisme d’opinions plutôt qu’une seule ligne avec que des personnes qui pensent la même chose dans le même média », a-t-elle proposé. Mais elle a réaffirmé son opposition « à une régulation européenne de la presse, ou à la création d’un super régulateur européen de la presse », comme discuté à la Commission européenne.

Pour Nicolas Charbonnier, directeur des rédactions du Parisien/Aujourd’hui en France et vice-président du Press Club de France, il ne faut surtout pas « oublier les lecteurs, nous avons aussi laissé la parole à ceux qui n’auraient pas dû l’avoir. Si on veut être sérieux, donnons la parole à des chercheurs, scientifiques et médecins » et non des pseudo-experts. « On nous reproche aujourd’hui de ne pas aller à Gaza, mais on ne peut pas y aller sauf avec l’armée israélienne, ce qui nous empêcherait de travailler convenablement. L’information et aller sur le terrain, ça coûte cher, il faut que le public s’en rende compte. Nous sommes des médiateurs, on dit ce que l’on observe sur le terrain. Tout cela, il faut l’expliquer dans une démarche de transparence », a-t-il avancé.

De nombreuses solutions sont déjà mises en place dans divers pays d’Europe, notamment ceux du Nord. La Norvège fait ainsi figure de proue dans sa liberté de la presse et la confiance envers les médias qu’elle inspire. Alors, quels enseignements tirer de ses pratiques du journalisme ? Pourquoi la Norvège est-elle si spéciale ?

La pandémie, amplificatrice de la méfiance

Des interrogations auxquelles « Médias en Seine » a accordé une oreille très attentive, par le biais d’une table ronde. Animée par la productrice radio Cathinka Rondan, et Nic Newman, chercheur senior à l’Institut Reuters, « Médias scandinaves : comment conserver la confiance du public » a débattu des différences systémiques entre la Norvège et la France sur le sujet.

Première différence notable, le traitement des informations comme la pandémie et l’impact sur la population : en France, la confiance n’a fait que baisser, avec une perte de 8% depuis 2015 (38 à 30 points), en particulier avec le coronavirus. Les Français avaient trouvé le traitement des informations très « anxiogène » selon le baromètre 2022, alors que les Norvégiens ont accru leur foi envers leurs propres médias (46 à 53 points). La France s’est vue perdre de l’intérêt envers l’information, aux antipodes du pays nordique où les gens sont plus enclins à payer pour rester informés que les Français. (39 contre 11%). 

Selon Cathinka Rondan, les journalistes norvégiens « avaient une vision plus positive de la pandémie et tentaient de mettre les solutions en avant. De plus, les journaux coûtent aussi moins chers, nos médias parlent directement aux enfants » avec de nombreuses émissions adaptées et un solide programme d’EMI dans les écoles. Des journaux télévisés sont diffusés tous les jours pour leur expliquer les informations, ou encore pour leur enseigner les méthodes d’analyse d’une image. L’éthique du journalisme est également une thématique chérie par les Norvégiens, qui se forment dès le plus jeune âge à l’éducation aux médias et à l’information.

« L’EMI, c’est aussi éduquer à l’usage des écrans et des algorithmes »

Une politique qui rentre en forte résonance avec la conférence réunissant le directeur du CLEMI Serge Barbet, la doctorante Medialab Manon Berriche, ainsi que la maîtresse de conférences en psychologie Séverine Erhel. Tous réclament un « enseignement transversal » de l’EMI en France, qui ne saurait reposer sur les seules épaules des professeurs d’histoire-géographie et documentalistes.

L’EMI peut en effet être assimilée à d’autres matières scolaires : le français, l’enseignement moral et civique, les Sciences Numériques et Technologiques, les Sciences Economiques et Sociales… Car il ne s’agit pas seulement d’apprendre à « lire » une image : il faut également savoir décrypter des données, ou bien comprendre le fonctionnement des algorithmes (pourquoi reçois-je telle information sur mes réseaux par exemple). 

« L’EMI permet de renforcer les capacités de compréhension du sujet sur tous les supports », a clamé Serge Barbet lors de la conférence. « C’est aussi un enjeu de salubrité publique : arrêtons de nous concentrer sur le temps d’écran pour se poser la question des pratiques de l’écran. Sont-elles bénéfiques, permettent-elles la socialisation, ou sont-elles délétères et renforcent-elles l’isolement, abaissent-elles la capacité d’attention ? »

Selon la chercheuse Séverine Erhel « l’EMI concerne aussi pour les parents, faut trouver des terrains communs pour que les parents puissent eux-mêmes se renseigner et s’informer, car ils sont parfois démunis par les réseaux sociaux. En tant que citoyens, il faut que nous prenions les rênes de ces derniers afin qu’ils soient décentralisés. »

Mais surtout, de solides connaissances en EMI permettraient aux citoyens d’avoir une meilleure perception et critique des médias français, comme le prouve la Norvège et la Finlande. À travers « Médias en Seine », des solutions ont pu être transmises et permettre de faire avancer la réflexion. Le baromètre Lacroix pourrait révéler en quelques années de nouveaux chiffres bien plus rassurants si la France investissait dans l’EMI, tant auprès des jeunes que des parents. 

Crédits photos : Médias en Seine, Maud Baheng Daizey

Maud Baheng Daizey

Table ronde. “Nous avons la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après”

Mercredi 15 novembre, la Maison des journalistes a accueilli le PEN Club Français pour une table ronde, à l’occasion de la journée mondiale des écrivains en prison. Orienté sur la liberté de la presse, l’événement a réuni des journalistes, écrivains et défenseurs de la liberté d’expression des quatre coins du monde. Parmi eux, l’émérite sociologue et écrivaine turque Pinar Selek, « harcelée par la justice de son pays » depuis plus de vingt-cinq ans.

Cette journée mondiale des écrivains emprisonnés a été instaurée en 1981 par le PEN Club international et est commémorée chaque année. La Maison des journalistes, qui accueille en ces murs des journalistes ayant parfois été incarcérés pour leur travail, est particulièrement concernée par cette journée. « C’est avec un immense plaisir que nous accueillons cette table ronde », a introduit Darline Cothière, directrice de la MDJ. « La MDJ, qui héberge et accompagne des journalistes depuis 20 ans, sait combien il est important de remuer la plume dans la plaie. Une telle table ronde à la MDJ avait donc tout son sens et ne pouvait être manquée. »

De gauche à droite : la poète Carole Carcillo Mesrobian, le président du PEN Club français Antoine Spire, l’activiste Asal Abasian et son interprète, ainsi que la directrice de la MDJ Darline Cothière.

Des centaines d’écrivains et journalistes morts ou emprisonnés en 20 ans

« Depuis 2004, 699 écrivains et journalistes ont été attaqués, emprisonnés et harcelés », explique le président du PEN Club Français, l’auteur Antoine Spire. Il a ouvert la table ronde en citant  quelques noms d’écrivains persécutés, notamment celui de María Cristina Garrido Rodríguez (emprisonnée à Cuba), ainsi que celui du Marocain Soulaimane Raissouni. Parmi ces 700 personnalités, 12 ont disparu et 28 ont été tuées. « Nous avons décidé de nous réunir à la Maison des journalistes car il s’agit d’un lieu hautement symbolique, qui donne l’asile à ces journalistes pourchassés pour avoir voulu faire leur métier. »

Mais aujourd’hui, la MDJ n’accueillait pas uniquement des journalistes. Autour de la table, Maryna Kumeda, autrice de Journal d’une Ukrainienne, ainsi que la poète ukrainienne Anna Malihon et la journaliste activiste Asal Abasian. Mais la première à s’emparer du micro fut Pinar Selek, mondialement reconnue pour ses travaux sociologiques sur la société iranienne et ses opprimés : les femmes, les personnes transsexuelles, les Kurdes. 

Chacune de ces femmes ont évoqué la nécessité du soutien de la communauté internationale envers les écrivains, et plus largement les intellectuels, harcelés ou emprisonnés. Sans cette communauté, leurs chances d’être libérés sont considérablement amoindries. A travers leurs expériences et celle relatée de leurs camarades, les journalistes et écrivains de la table ronde ont pu revenir sur l’importance des mobilisations étrangères, et sur soutien sans faille envers leurs confrères emprisonnés.

Ecrivaine et chercheuse, Pinar Selek a été accusée de terrorisme après s’être penchée sur le sort des Kurdes. Elle est arrêtée en 1998 par les autorités mais refuse de donner les noms des Kurdes ayant témoigné pour elle. Ses travaux sur la violence armée de l’État turque avaient également provoqué l’ire du gouvernement, à l’origine d’un harcèlement judiciaire s’étalant sur 25 ans. 

Réfugiée en France depuis 2011, Pinar Selek n’a jamais cessé de militer pour la paix, publiant des ouvrages pour préserver cette dernière. Particularité juridique de son pays, Pinar Selek a été acquittée à 4 reprises entre 2006 et 2014 par la justice. En janvier 2023, la Turquie émet un mandat d’arrêt international contre sa personne. Engagée dans les droits fondamentaux en France, elle est désormais une fervente militante du PEN Club français. Son nouveau roman, Le chaudron militaire turque, vient de paraître aux Editions des femmes.

Asal Abasian quelques instants avant son intervention.

Elle s’est exprimée sur « la banalisation des violences » politiques dans le monde, dont elle est un des innombrables exemples. Malgré son dernier acquittement en 2014, Pinar Selek a dû assister, impuissante, à la réouverture de son dossier par la Cour suprême de Turquie. Qualifiant son procès « d’une autre époque », Pinar Selek est théoriquement attendue au tribunal pour l’été 2024 à Istanbul. Elle risque la perpétuité.

A ses côtés, les ukrainiennes Maryna Kumeda, résidant en France depuis 17 ans, et Anna Malihon, réfugiée depuis moins d’un an et auteur de huit livres. Elle relate avoir été ballotée avec son fils depuis 2022, après  l’invasion de l’Ukraine. Pour elle, la solidarité internationale envers les écrivains et journalistes permet de sauver des vies, à l’instar du réalisateur ukrainien arrêté en Crimée Oleg Stenstov. Arrêté en 2014 alors qu’il manifestait contre l’annexion de sa Crimée natale, il avait été condamné à 20 ans de prison pour terrorisme lors d’un procès expéditif russe en 2015. Incarcéré dans une prison du nord de la Russie, Oleg Stenstov avait bénéficié du soutien de plusieurs ONG (Amnesty, RSF), gouvernements occidentaux, écrivains, cinéastes et acteurs de l’étranger. 

En septembre 2019, le cinéaste est inscrit sur une liste d’échange de prisonniers avec l’Ukraine, signant la fin de son incarcération. « Sa libération est due au soutien étranger et notamment la France. Aujourd’hui, il fait partie d’une unité de l’armée en première ligne, comme bon nombre d’intellectuels, acteurs et scientifiques. » Certains meurent sur le front, d’autres dans leur maison bombardée.

« Je veux dédier une chaise vide à Victoria Amelina, auteur d’un livre sur les crimes commis par la Russie, et qui a été tuée fin juin par un missile russe », insiste Anna Malihon d’une voix ferme. Elle n’hésite pas à parler de « génocide intellectuel » des Ukrainiens, arguant que le pays a déjà connu des épisodes similaires. Le 3 novembre 1937, plus de 200 intellectuels ukrainiens sont assassinés par les soviétiques, privant le pays d’élite intellectuelle de l’époque. « Nous appelons cette génération « la renaissance fusillée » car l’Ukraine profitait depuis quelques années d’une plus grande liberté créative », rappelle la poète. 

Cri du cœur des intellectuels iraniens

Asal Abasian, activiste queer iranienne, a été contrainte de quitter son pays en octobre 2021. Ayant fait partie de la promotion 2023 de l’Initiative Marianne, elle aspire aujourd’hui à continuer son combat en France et dénoncer les exactions du régime iranien. 

Elle explique durant la table ronde qu’elle est triplement victime du régime, étant queer, femme et journaliste. « En Iran, j’ai été accusée et interrogée à plusieurs reprises sur mes activités, ce qui m’a forcé à fuir le pays en 2021 pour Istanbul, puis à venir à Paris » où l’Initiative Marianne lui a permis de laisser libre cours à son activisme. Bouleversée par la mort de Mahsa Amini, Asal Abasian se bat pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ depuis de longues années. Elle compte par ailleurs rejoindre le PEN Club français dans les prochains mois.

« Comme vous le savez, à l’annonce choc du meurtre de Mahsa Amini », arrêtée car son voile ne couvrait pas tous ses cheveux, « deux de mes collègues ont été emprisonnées pour 25 ans pour avoir donné les noms des hommes qui l’ont tué », explique Asal Abasian en lisant une lettre qu’elle a préparé à cette occasion. En Iran, « nous avons certes la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après », assène-t-elle avec conviction.

« Cette histoire n’est pas juste celle des écrivains de la capitale, le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous. »

Une supplication entendue par toutes les personnes présentes, et qui l’ont longuement applaudie. Des rencontres et échanges chargés d’émotions et surtout animés par la même cause, la même passion : la quête constante de vérité. Une quête que la Maison des journalistes soutiendra toujours aux travers de ses actions et au sein de ses murs. 

Crédits photos : Chad Akhoum, Banksy.

Maud Baheng Daizey

Au Bangladesh, des élections législatives sous haute tension 

Dimanche 12 novembre, un ouvrier de la ville de Gazipur est mort de ses blessures après avoir participé à une grande manifestation, violemment réprimée par la police. Il est le quatrième à mourir dans des affrontements en deux semaines, alors que tout un pays s’embrase. Des milliers de manifestants et membres de l’opposition ont été arrêtés en marge des manifestations historiques qui secouent le pays depuis plusieurs mois. Comment cette recrudescence de violences va-t-elle influer sur la tenue des élections législatives, prévues pour janvier 2024 ?

Le 19 novembre, la Cour suprême bangladaise a officiellement interdit au parti islamiste Jamaat-e-Islami de se présenter aux législatives. Il s’agit pourtant de l’un des principaux parti d’opposition. En réponse, de nouvelles grèves générales ont été annoncées dans tout le pays.

Des milliers d’arrestations de civils et politiciens durant de violents affrontements 

Nous avions évoqué dans un précédent article la régression des libertés civiles au Bangladesh, avec le journaliste Jamil Ahmed. Il était revenu sur le mouvement protestataire du Parti National du Bangladesh, ou BNP, contre le gouvernement actuel de la Ligue Awami. 

Aujourd’hui, la classe dirigeante du Bangladesh (composée du président Mohammad Shahabuddin et de la Première ministre Sheikh Hasina, tous deux membres de la Ligue Awami) jouit d’un pouvoir reclus et dictatorial qui ressemble beaucoup à celui de la Corée du Nord. Comme elle, la famille dirigeante de notre pays veut obliger chaque citoyen à faire preuve d’une loyauté totale envers le pouvoir”, avait-il expliqué dans sa tribune. Créée en 1949 et au pouvoir depuis 2009, la Ligue Awami n’a cessé de brimer les libertés civiles et fondamentales de la population, qui a vu sa coupe déborder. 

Fondée en 1949, la Ligue Awami est un parti politique bangladais qui joué un rôle prépondérant dans l’indépendance du Bangladesh en 1971. Au pouvoir jusqu’en 1975, elle a été évincée du pouvoir par un coup d’Etat militaire. Mais à la fin des années 1980, la Ligue s’allie avec d’autres partis (notamment le BNP, le Bangladesh National Party) de l’opposition du pouvoir en place jusqu’à la démission du président, le général Ershad en 1990. Depuis, la Ligue n’a cessé d’être en concurrence dans les urnes avec le BNP, jusqu’à s’imposer aux élections en 2008, 2014 et 2018. Aujourd’hui, la Ligue a le plus de sièges au Parlement et domine la vie politique du pays.

Entamées l’année dernière du fait de l’instabilité économique, les manifestations antigouvernementales n’ont cessé de s’étendre depuis, de même que la réponse policière. Effondrement de la monnaie nationale, salaires extrêmement bas des 4 millions d’ouvriers et ouvrières textiles du pays, inflation et accusations de corruption dans les plus hautes sphères politiques… Le cocktail ne pouvait qu’être explosif.  

La Première ministre Sheikh Hasina au Girl Summit 2014.

Lorsque le principal parti d’opposition BNP annonce publiquement boycotter les futures élections, il est alors suivi par des milliers d’électeurs. En jeu, le poste de Premier ministre, occupé depuis 15 ans par Sheikh Hasina, fille du premier président du Bangladesh. Les citoyens demandent aujourd’hui sa démission en vue des élections. Mais dès les premières mobilisations, les policiers n’ont pas hésité à ouvrir le feu sur les civils, résultant en la mort de plusieurs d’entre eux et des blessures pour des centaines d’autres. 

Le signal d’alarme a beau avoir été tiré ces dernières semaines par de nombreuses associations, le gouvernement ne semble pas adopter des directives plus douces envers ses opposants.

Les homicides, les arrestations et la répression à répétition au Bangladesh ont des répercussions absolument terribles sur les droits humains, qui se matérialisent avant, pendant et après les élections”, a déploré Amnesty International dans son communiqué du 30 octobre. “Une fois encore, Amnesty exhorte les autorités bangladaises à cesser de réprimer les manifestant·e·s et à remplir leur obligation de faciliter les rassemblements pacifiques.” L’ONG a par ailleurs documenté les violences policières le mois dernier, notamment celles exercées sur le chef du BNP, Gayeshwar Chandra Roy.

L’opposition en berne : diviser pour mieux régner avant janvier 

Le 28 octobre 2023, le Parti Nationaliste du Bangladesh (BNP) a organisé un gigantesque rallye à Naya Paltan (quartier de la capitale Dhaka), devant leur bureau central. Le parti exigeait la démission du gouvernement de la Ligue Awami, et la mise en place d’un gouvernement intérimaire non partisan. “Il est à noter que le rassemblement pour le développement et la paix a été organisé par le parti au pouvoir, la Ligue Awami, pour contrer ce premier rassemblement”, dénote Jamil Ahmed. “Des milliers de militants de différentes régions du pays sont néanmoins venus à Dacca, capitale du Bangladesh, pour assurer le succès de la manifestation du BNP.”

Mais sur instruction du gouvernement, des contrôles de police ont été instaurés à l’entrée de la ville, tandis que les officiers ont procédé aux multiples arrestations de dirigeants et militants. Leurs voitures et téléphones ont également été fouillés. “Même la veille du rassemblement, la circulation des voitures et des bateaux a été interrompue sur ordre du gouvernement”, témoigne Jamil. Entre 100 et 150 000 personnes se sont rassemblées au rassemblement du BNP le 28 octobre, malgré les dispositifs policiers.

Aux alentours de midi, des charges policières ont déclenché des affrontements à l’intersection du quartier de Kakrail, du côté ouest du rassemblement pacifique. Les dirigeants du BNP et des ONG ont tenté de s’y opposer, en vain. « Vers 14 heures, la police et les hommes de la Ligue Awami ont attaqué et atteint la partie principale du rassemblement. À ce moment-là, la police a coupé l’électricité, l’Internet et les microphones, ce qui a entraîné l’arrêt complet du rassemblement », assure le journaliste bangladais.

La cheffe de l’opposition enfermée chez elle

« Les dirigeants et les militants du BNP ont tenté de se sauver de cette attaque barbare. Mais en raison de l’utilisation de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc par la police, un travailleur de Jubadal a été tué sur place et environ 3 000 militants ont été blessés. Il convient de noter qu’environ 28 journalistes ont été blessés. » La police a arrêté plus de 2 000 militants ce jour-là. 

Le secrétaire général du BNP, Mirza Fakhrul Islam Alamgir, a annoncé le programme suivant immédiat et les dirigeants du BNP ont quitté la zone d’assemblée et se sont enfuis. Le bureau central du BNP est fermé en raison de la présence de la police. 

« Selon les dernières informations, un total de 5 284 dirigeants et activistes du BNP et des organisations ont été arrêtés depuis le 28 octobre », relate Jamil Ahmed. « Parmi eux, le secrétaire général du BNP Mirza Fakhrul Islam Alamgir, le membre du comité permanent Mirza Abbas, Amir Khosru Mahmud, Shamsuzzaman Dudu, Selina et de nombreux autres dirigeants du BNP. Au total, 122 affaires ont été enregistrées, plus de 3 498 personnes ont été blessées et 10 personnes, dont un journaliste, ont été tuées. » 

Le secrétaire général Mirza Fakhrul Islam Alamgir est désormais accusé du meurtre d’un policier avec 164 autres membres du BNP, décédé lors des mobilisations du à Dacca. Ils encourent la peine capitale, c’est-à-dire la mort. Depuis, le BNP affirme qu’environ 1 200 de ses partisans ont été arrêtés depuis le 21 octobre.

Autre restriction inédite de liberté, l’assignation à résidence de Khaleda Zia, dirigeante du BNP et ancienne Première ministre du Bangladesh. Jugée comme une rivale sérieuse de Sheikh Hasina, Khaleda Zia a interdiction de se faire soigner à l’étranger depuis le début du mois d’octobre, malgré sa mauvaise condition de santé et les recommandations des médecins. Emprisonnée en 2008 pour corruption, elle se dit cible politique du gouvernement actuel.

Dans ce climat, comment assurer une bonne tenue des élections ? Une question à laquelle le gouvernement ne s’embarrasse pas à répondre.  Le 8 novembre, Mohammed Anisur Rahman, commissaire aux élections bangladaises, a assuré que ces dernières se tiendraient bel et bien à la date prévue.

Nous n’avons pas d’autre choix que de tenir l’élection d’ici le 28 janvier 2024, selon la Constitution. Nous sommes tous prêts à annoncer le calendrier des élections avant le 15 novembre”, a-t-il avancé dans un communiqué. Des élections sous haute tension donc, et qui ont de fortes chances de faire basculer la vie politique du pays.

Crédits photos : Russell Watkin, OHCHR

Jamil Ahmed, Maud Baheng Daizey

S’évader pour mieux penser : la réalité des journalistes exilés

Cet article a été publié dans Latitudes, le média belge collaboratif des journalistes en exil (membre d’En-GAJE) et des étudiant.es en journalisme de l’Université libre de Bruxelles (ULB/VUB). 

Mi-novembre 2022, l’Université de Mons accueillait l’ABSL En-GAJE (Ensemble – Groupe d’Aide aux Journalistes exilés). Trois journalistes sont venus raconter leur exil après une exposition bouleversante. De fervents défenseurs de la liberté de presse et d’expression, jusqu’à en devoir quitter leur pays.

Au sixième étage du nouveau bâtiment de l’UMons, le Rosa Parks, des professeurs, des élèves ainsi que des personnes extérieures visitent la pièce dédiée à l’exposition d’En-GAJE sur le thème des journalistes exilés. Des témoignages poignants sont affichés, accompagnés de photographies qui en disent long.

À 16h30, la présidente de la faculté des Sciences Humaines et Sociales, Manon Libert, saisit le microphone et annonce le commencement de la deuxième partie de l’évènement : la discussion en amphithéâtre avec trois journalistes recueillis par l’association.

Parmi le public qui s’installe dans la salle, le Club de la Presse Hainaut-Mons. Le journaliste Julien Crête prend le rôle de coordinateur de la soirée et s’apprête à introduire les invités. Ce dernier, connaissant leur passé tumultueux, entreprend ses questions avec délicatesse. Peu de gens se doutent de ce qu’ils vont être amenés à entendre.

« J’en garde encore aujourd’hui les traces sur mon corps »

Emmanuel Nlend-Nlend, pourtant fier de ses origines, explique comment il a été amené à quitter le Cameroun. Il était animateur pour « Radio Soleil », il adorait se lever le matin et faire sourire ses auditeurs. Il se servait aussi de son poste pour « gueuler » les éléments qui n’allaient pas dans son pays. Une même présidence depuis quarante ans, un taux de chômage démesuré…

C’est lors d’un matin presque comme les autres que plusieurs hommes en uniforme débarquent dans les bureaux de la radio camerounaise. Emmanuel est embarqué de force et subit deux semaines de torture. « J’en garde encore aujourd’hui les traces sur mon corps », confie-t-il, en tentant de capter le plus de regards possible autour de lui. Alors, pour éviter le pire, il doit fuir. C’est avec une certaine émotion dans la voix qu’il annonce avoir dû laisser son fils de dix mois au pays.

Pas un choix

Lorsqu’un membre du public demande aux journalistes : « Quelles raisons vous ont poussés à choisir de quitter votre pays ? », Joséphine-Jones Nkunzimana affirme que si elle est arrivée en Belgique, ce n’est pas par choix, elle n’a pas réfléchi et ne savait même pas qu’elle était en train de prendre une décision radicale.

Elle travaillait également pour une radio au Burundi et utilisait régulièrement les réseaux sociaux pour y dénoncer les atrocités de son gouvernement. « Je me demande comment les humains peuvent être aussi méchants … Un vrai journaliste se doit de dire la vérité », continue-t-elle.

Fatimetou Sow rajoute : « On l’a dans le sang. » Cette dernière était connue de tous en Mauritanie étant donné que son visage apparaissait tous les soirs sur les écrans lors du journal télévisé. « Je profitais de ma notoriété pour sensibiliser la population sur des sujets comme le mariage forcé et l’esclavage. »

Cela n’a évidemment pas plu aux autorités mauritaniennes. L’incompréhension se lit dans ses yeux lorsqu’elle explique : « Après le mariage c’est le gavage, et après le gavage c’est l’excision. »

Préserver l’identité professionnelle

Lors du vernissage de l’exposition, l’initiateur de Ensemble – Groupe d’Aide aux Journalistes exilés, Jean-François Dumont, raconte la naissance de l’association : « Au départ, il s’agissait de venir en aide à ceux qui était privés de la liberté d’informer. Aujourd’hui, nous leur permettons aussi de préserver leur identité professionnelle, notamment en publiant dans Latitudes. »

« Avancer sur nos libertés »

Alors que Fatimetou et Emmanuel adoptent une position pessimiste quant à l’avenir de leurs pays respectifs, Joséphine, elle, s’exprime pleine d’espoir : « Je pense que dans les années à venir, nous auront des gouvernants qui nous permettront d’avancer sur nos libertés. »

Ils ont tous les trois affirmé que les réalités des Belges différaient nettement des leurs. Ici, la liberté d’expression est commune, même si cette chance n’est parfois pas suffisamment mesurée par les journalistes.

Néanmoins, il faudra se battre éternellement pour empêcher de faire vaciller ce droit si fragile.

Cet article a été rédigé par l’étudiante Emma Consagra de l’option Information et Communication de l’UMons, dans le cadre d’un atelier coordonné par Lorrie D’Addario et Manon Libert.

En Haïti, le journalisme « n’est pas le 4ème pouvoir » du pays

Alors qu’un tribunal kenyan vient de prolonger la suspension de l’envoi de 1000 policiers pour sécuriser Haïti, celle-ci ne cesse de sombrer dans une extrême insécurité. Depuis la mort de Jovenel Moïse en 2021, les médias haïtiens traversent un nouveau chemin de croix. En plus des violences qui touchent régulièrement les journalistes, les financements et l’aide au développement des médias ont été fortement réduits. L’Etat n’assume plus ses devoirs envers eux, conduisant à la fermeture de plusieurs journaux télés/écrits. Face à la fragilisation et à la disparition des médias dits classiques, des journaux en ligne et via les réseaux sociaux tentent d’émerger. Seront-ils suffisants à maintenir la liberté d’informer ? 

Toutes les professions intellectuelles menacées en Haïti

Pour Gary Victor, journaliste et écrivain haïtien, « dans cette situation de grande insécurité qui prévaut en Haïti, les premiers touchés sont les professions intellectuelles qui payent les pots cassés. » Il explique lors d’une interview avec France Info Outre-Mer du 14 octobre 2023 que les auteurs, journalistes, artistes sont régulièrement sujets aux pressions et aux menaces de la part des gangs. 

« Nous sommes obligés de montrer des brigades de vigilance […] la population se sent abandonnée », autant par la communauté internationale que par le gouvernement haïtien. Plus de 200 000 civils sont déjà des déplacés internes (majoritairement de la capitale) et pour Gary Victor, « l’exil colle à la peau » des Haïtiens. 

Lui-même admet ne plus pouvoir écrire partout et avoir quitté la capitale pour être plus tranquille. « C’est très difficile. L’énergie demandée pour ta sécurité consomme beaucoup de temps. Mais même en temps de guerre, il faut trouver les ressources en soi pour continuer d’écrire et rapporter les faits, tel un soldat en guerre. L’écrivain doit absolument témoigner car s’il ne témoigne pas, il n’existe pas en tant que tel ou en tant qu’artiste. » Une règle qui s’applique autant aux journalistes.

Un autre journaliste correspondant, qui souhaite rester anonyme, témoigne de la hausse gravissime des violences. Il avait reçu et reçoit toujours des menaces de mort depuis la mort de Jovenel Moïse. « Malheureusement, ayant fait face à des menaces de mort, je dois m’auto-censurer pour me protéger et protéger ma famille en Haïti. C’est le cas de nombre de mes confrères, dont leur vie dépend. »

 Il explique tenir « par vocation » et parce qu’il considère que le journalisme « a une utilité sociale » dont on ne pourrait se départir. « Diffuser des informations cruciales peut transformer une société et créer des prises de consciences, c’est ça qui nous motive », explique-t-il en évoquant ses confrères et consœurs. 

D’autres acteurs de la presse témoignent pour la MDJ. Pigistes ou journaliste pour un média, tous ont dû arrêter de travailler pour au moins un journal ayant cessé toute activité. Beaucoup d’autres ont vu le jour ces dernières années, sans pour autant être approuvés par toute la profession.

La liberté de la presse haïtienne malmenée par ses médias

© Logan Abassi/UN/MINUSTAH

C’est le cas de Mederson Alcindor, journaliste reporter pour Radio Nativité Internationale. « Avec les nouvelles technologies de l’information et de communication, les avancées du numérique, et surtout les réseaux sociaux, il devient de nos jours très facile pour quiconque, parfois sans formation ou à des fins malhonnêtes, de créer un site Web, une page Facebook et de commencer à informer la population. » 

« D’ailleurs, les médias en ligne jouent un rôle crucial dans l’information car elles permettent à la population d’y avoir accès en un temps record. Mais ils se contentent de relayer les nouvelles tirées soit d’un communiqué de presse, d’un tweet ou d’une publication faite sur la page Facebook d’une personnalité sans même parfois les vérifier. »

Mederson Alcindor affirme que ces petits médias, qui ont besoin de publicité et d’exposition pour survivre, sont « constamment » à la recherche de scoops, quitte à verser dans la désinformation. « Ils sont donc obligés de se forger une audience, grâce à l’instantanéité de l’information qu’ils donnent, et des titres accrocheurs. Ils se réfugient dans le déni total du code déontologique du métier de journaliste, et ont un comportement qui jette le doute sur la profession. »

« Pourtant, ils ne peuvent pas remplacer les médias traditionnels ni garantir la liberté d’expression et de la presse du fait de leurs limites. Quelques rares peuvent oser rêver d’avoir un personnel opérationnel, un lieu de travail, ainsi que des matériels et des équipements du métier. » Cela ne demeure pourtant qu’une chimère, les journalistes haïtiens gagnant en moyenne 200 euros par mois.

De plus, « avoir une page Facebook est considérée comme une condition légitime pour se déclarer média en ligne. Nous ne parlons pas encore d’avoir un site Internet, un blog, des équipements visuels pour couvrir un évènement, et même d’en réaliser le montage ! Tout ceci pour dire combien ces derniers fonctionnent dans l’amateurisme le plus complet », tranche le reporter. 

D’autres cependant trouvent la grâce aux yeux de nos journalistes interrogés, tels que « Ayibopost, Haïti Info Pro (HIP), Clin d’œil Info (CDI), Passion Info Plus (PIP), Radio Télé Métronome,  Juno 7, Le Nouvelliste, Le Facteur Haïti, RFM, Vant Bèf Info (VBI) et Gazette Haïti News. »

« La plus ancienne association de journalistes n’a pas de site internet »

« Le journalisme haïtien est confronté à des problèmes structurels en plus des difficultés économiques », martèle-t-il. Ne gagnant qu’un misérable salaire et face à la fermeture des médias traditionnels, ainsi « qu’un taux d’inflation de 48,3% », les journalistes doivent redoubler d’efforts pour être visibles. « Beaucoup sont obligés de prendre le statut de journalistes auto-entrepreneurs. »

« Ils vont se déclarer indépendants et ouvrir une page Facebook et YouTube, qui sera considérée comme un média. Cela leur donne une meilleure visibilité et la possibilité d’engranger des revenus supplémentaires. » Mais pour cela il faut buzzer et rapporter les informations les plus récentes, amenant aux problèmes déontologiques cités par nos intervenants. 

« Sans compter que les médias ne sont plus subventionnés » depuis des années, à l’exception des médias proches du gouvernement. « Tout cela impacte forcément sur la qualité de l’information. »

Mais n’y-a-t-il donc pas de régulation dans le monde de la presse haïtienne ? Pas vraiment, déplore le correspondant RFI. « La plus ancienne association de journalistes, AJH, ne possède même pas de site internet ni de véritable adresse postale. Nous n’avons pas de conseil de presse, de syndicat, pas d’organe spécifique pour distribuer et contrôler la carte de presse (qu’il suffit d’obtenir en ouvrant un média, comme une page Facebook)… Et il y a une absence totale d’associations dans le métier, ainsi que d’organes de formation en journalisme compétents. »

Le journaliste chevronné insiste, la réglementation et la déontologie des médias sont peu ou prou respectées par les journalistes, « car il n’existe aucune structure coercitive. Un journaliste haïtien qui commet une faute professionnelle ne risque quasiment rien ! », lance-t-il avec un rictus. « Il n’y a actuellement pas de législation sur la création des médias, ce pourquoi ils fleurissent autant. »

« Il faut développer et repenser l’enseignement du journalisme en Haïti, leur donner du matériel et les moyens techniques de réussir. Il faut réguler la profession et créer une commission de la carte de presse, ainsi que des syndicats et associations aux actions concrètes. Mais les médias ne veulent pas pour la plupart s’y plier, ils préfèrent leur liberté. »

Mais Guy Edvard Simon, journaliste reporter dans la ville de Jérémie à Grand’Anse (est), n’est pas aussi fermé à l’avènement des petits médias. « Non, les nouveaux médias en ligne ne peuvent pas garantir la liberté d’expression. Mais ils font néanmoins partie de ceux qui peuvent le faire ! « Ensemble nous sommes plus forts », c’est un dicton d’ici. Si nous élevons notre voix ensemble, anciens comme nouveaux médias pourront peut-être garantir la liberté de la presse. Mais si le journalisme est le 4ème pouvoir, il ne l’est pas en Haïti. » Pour l’instant.

Crédits photos : © Logan Abassi/UN/MINUSTAH

Maud Baheng Daizey

« Être journaliste en Haïti, c’est être un héros »

Lundi 23 octobre, le Rapporteur Spécial de l’ONU en Haïti a publiquement dénoncé la hausse des violences en Haïti, alors que 5 millions d’habitants ont besoin d’assistance humanitaire. Dans l’ouest du pays et à la capitale, les gangs font régner le chaos et terrorisent la population. Entre janvier et octobre 2023, plus de 2 800 personnes auraient été tuées. Les médias locaux tentent tant bien que mal de couvrir les événements mais ne bénéficient d’aucun soutien, et beaucoup de journaux télé, radio et papier ont dû fermer boutique. Avec une telle insécurité, comment garantir la pratique du journalisme ? 

L’ONU a validé l’envoi de forces internationales pour maintenir l’ordre, sans qu’il n’y ait plus d’avancées. Les frontières restent fermées à la circulation des hommes avec la République dominicaine, qui avait pris cette décision le 15 août dernier, face à la recrudescence de violence. Plus de 200 000 Haïtiens ont dû fuir les villes, en particulier Port-au-Prince, et ont perdu leur logement. Un millier d’hommes du Kenya devaient être envoyés pour rétablir l’ordre (sous l’égide de l’ONU), mais les parlementaires du pays ont suspendu la décision, de crainte d’ingérence étrangère. Suspension confirmée par un tribunal kenyan le 24 octobre dernier, laissant Haïti se débrouiller seule.

Mais la capitale n’est pas la seule à être menacée : les multiples attaques dans la région rizicole de l’Artibonite font craindre une perte des récoltes, dans un pays où plus de 100.000 enfants sont en état de malnutrition sévère. « De plus en plus de parents ne parviennent plus à nourrir convenablement leurs enfants ni à leur prodiguer les soins appropriés, et l’escalade terrible des violences perpétrées par les groupes armés les empêche de se rendre dans les centres de santé », selon le Représentant de l’UNICEF en Haïti, Bruno Maes.

Près de 30 places perdues dans le classement RSF en un an

Pour le site d’informations en ligne Haïti Libre, fondé dans les années 2000, la situation critique pèse sur l’objectivité des journalistes. « L’information diffusée par nos médias haïtiens est fortement influencée par les aspects commerciaux, la pression de divers groupes d’intérêts, la crainte de représailles politiques, sans parler des menaces de mort ou d’enlèvement. De plus, ne le cachons pas, nos médias dans ce pays souffrent d’un manque criant de ressources qualifiées et doivent, de surcroît, exercer leur mission d’information dans une situation post-séisme, ce qui ajoute beaucoup de stress quotidien. »

Anderson D. Michel, journaliste haïtien et réfugié politique en France, a accepté de répondre à nos questions. Bien qu’exilé, cet ancien résident de la MDJ continue à travailler pour plusieurs médias, mais officieusement « car ma situation peut mettre mes proches en difficulté sur place. » Il collabore aussi avec l’École de la Radio et Guiti News. « C’est également complexe pour mes collègues de collaborer explicitement avec moi, ce pourquoi je reste dans l’ombre. »

Classé 99e sur 180 du classement RSF, Haïti est devenu ces dernières années un pays où il ne fait pas bon vivre pour les journalistes. Premier obstacle de taille à l’accomplissement du travail d’Anderson, les menaces qui pèsent sur lui et ses confrères. Selon lui, « les journalistes haïtiens ne sont pas protégés par les lois, contrairement aux européens. » Si Haïti est bel et bien dotée de l’article 28.1 de la Constitution de 1987 garantissant l’exercice du journalisme, la protection de la liberté de la presse est plus ténue. Aucun article de loi ne la garantit explicitement, elle ne s’exerce que par la liberté d’expression.

« Cela devient très précaire pour mes confrères et consœurs au niveau juridique et économique », en plus des pressions et de la censure. Lui-même s’y soumet volontairement pour protéger sa famille, de nombreux sujets demeurant tabous : la corruption des juges, les gangs, la sécurité… Les journalistes sont « libres » d’en parler (ou plutôt libres de s’exposer), mais pas n’importe comment s’ils ne veulent pas risquer leur vie.

« Cinq à six journalistes sont tués tous les ans. Récemment, la journaliste émérite Marie Lucie Bonhomme a été enlevée puis libérée quelques heures après, sans qu’il n’y ait d’enquête ouverte ni même d’explications. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres : pas un seul crime envers les journalistes n’a été puni depuis plusieurs années. »

© Sergey Nemirovsky

Anderson est formel, « le simple fait de sortir représente un risque mortel : nous sommes la cible des gangs, des politiques et parfois même de la police. Les violences peuvent être des agressions, des critiques, voire de la censure. » Lui-même se soumet volontairement à la censure pour protéger sa famille. « Certains policiers appartiennent à un gang ou fraternisent avec ces derniers, nous ne pouvons avoir confiance ni nous tourner vers personne. » Un fait déjà rapporté par le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) basé en Haïti. 

« La Police nationale d’Haïti (PNH) ne pourra obtenir des résultats durables que lorsque la sécurité publique sera rétablie et que l’Etat reprendra ses fonctions, en particulier dans les quartiers défavorisés où sévissent les gangs », a pour sa part déclaré Maria Isabel Salvador, Rapporteur Special de l’ONU ce 23 octobre.

La précarité économique, sociale et sécuritaire des journalistes

Des attaques que Radio Télé Zénith, média d’opposition au pouvoir, a violemment expérimenté. « Il a été la cible d’une attaque armée de plusieurs individus cagoulés. Le local a été criblé de balles et les journalistes employés ont décidé de prendre la fuite, faute de protection. » Il existe « plus d’une centaine de groupes armés dans le pays, principalement basés à Port-au-Prince, qu’ils contrôlent à 80%. »

Aux agressions, la censure et à l’absence de protection juridique, s’ajoute la précarité économique des acteurs de la presse : « beaucoup vont sur le terrain sans équipement, qu’ils ne peuvent pas acheter », confie Anderson. « La plupart de mes collègues gagnent moins de 200 euros par mois en tant que journaliste. Il est devenu impossible de vivre de son métier ou de réaliser certains reportages. Ils sont en situation d’extrême précarité », appuie-t-il d’une voix ferme.

C’est bien pour toutes ces raisons qu’il considère qu’il « n’y a pas de liberté de la presse en Haïti : non pas parce qu’il n’y a pas de médias, mais bien parce que les journalistes ne sont pas libres dans leur travail et mouvements. »

Même son de cloche pour Mederson Alcindor, ancien journaliste reporter pour Radio Nativité Internationale à Port-au-Prince. Il est aujourd’hui rédacteur en chef adjoint de l’agence Clin d’œil Info (CDI), et rédacteur HIP (Haiti Info Pro). Il affirme privilégier le télétravail pour des questions de sécurité. « Je me déplace s’il y a un évènement d’intérêt général (conférence de presse du gouvernement ou d’autres officiels, interview avec des sources clés, couverture de manifestation entre autres). » 

« Dans les zones contrôlées par les hommes armés, il est très difficile voire impossible parfois pour les travailleurs de la presse de pratiquer ou d’avoir accès à certaines informations. Et depuis la dégradation du climat sécuritaire, un nombre incalculable de travailleurs de la presse ont quitté le pays. »

« La conjoncture sociopolitique, économique et sécuritaire d’Haïti n’est pas sans conséquence sur les médias car les entreprises commerciales sont frappées de plein fouet par la crise multidimensionnelle et alarmante. Les médias pour lesquels je travaille ne sont pas exempts », conclut tristement Mederson Alcindor. 

Des gangs désormais populaires

Comme si les difficultés des journalistes n’étaient pas assez grandes, la croissante popularité de certains membres et chefs de gang commence à peser lourdement dans l’opinion publique. Y voyant une certaine légitimation, les bandits n’hésitent pas à se mettre en scène dans des clips musicaux enregistrant des milliers de vues et d’abonnés. « Ils sont sur tous les réseaux sociaux : Twitter, Tik Tok, Facebook… Ils ne se cachent pas, dévoilent leur visage, car ils vivent dans l’impunité la plus totale. Certains sont devenus des blogueurs ou des stars des réseaux sociaux ! » A l’instar d’Izo Lucifer, accusé de multiples assassinats mais avec 80.000 abonnés sur Tik Tok

Pourtant, les journalistes haïtiens continuent d’accomplir leur travail malgré les difficultés. « Ils font du journalisme par vocation, alors qu’il n’y a rien pour encourager les jeunes à faire ce métier maintenant. Être journaliste en Haïti c’est être un héros, car tu sais que ta vie est en danger sitôt que tu prends un micro. Le prix de l’info en Haïti est payé par la vie de plusieurs journalistes », conclut Anderson. 

Crédits photos : © Sergey Nemirovsky, © Cindy Régis Page Facebook.

Maud Baheng Daizey