Yurii est un jeune journaliste de 26 ans, qui a grandi en Sibérie et s’est consacré au journalisme d’investigation en Russie depuis quelques années. Il a commencé dans un journal de la ville Yekaterinburg (Sibérie occidentale) en 2016, s’intéressant en premier lieu aux affaires de prisonniers politiques de Russie, issus de différents domaines : journalistes, critiques du pouvoir ou simples citoyens, Yurii avait à cœur à médiatiser leurs situations.
Malgré son jeune âge et l’absence de diplôme de journalisme, il a très rapidement appris les ficelles du métier et s’est concentré sur ses enquêtes politiques. Yurii a toujours voulu parler et dévoiler les persécutions politiques que les Russes subissent. Selon lui, « il faut bien quelqu’un pour en parler » et ce, malgré une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Aujourd’hui hébergé à la Maison des journalistes, il se confie sur la censure russe et son parcours.
Enquêter pour la justice
Après Yekaterinburg, Moscou : le jeune homme est devenu journaliste pour le Grani.ru en fin 2016, un site d’informations généralistes en ligne depuis 2000. Fruit d’une collaboration franco-russe, le site auparavant basé à Moscou a été interdit sur le sol russe en 2012 mais continue de fonctionner et de produire des articles indépendants depuis l’étranger.
Yurii écrivait alors quotidiennement pour Grani.ru sur des scandales ou affaires politiques russes, biélorusses et ukrainiennes. S’il n’est pas très bavard, il explique qu’il n’avait point peur des répercussions fédérales malgré le danger. « Je voulais parler de notre vie de tous les jours et si possible, la changer et obtenir plus de justice dans notre pays. »
La censure ne lui faisait pas peur car il s’était armé contre elle. « Le système de censure en Russie est assez complexe, mais je le contournais facilement en ligne… » admet Yurii avec un petit sourire. « Mais en règle générale, les sites d’informations peuvent être rapidement bloqués par une simple décision d’un juge ou d’un procureur s’ils parlent des manifestations. Quant aux réseaux sociaux, ils sont totalement contrôlés par le gouvernement. »
Des exercices militaires russes pour préparer la guerre en Ukraine
Photo de Tetiana Shyshkina d’une manifestation contre la guerre en Ukraine.
Des techniques subsistent pour contrer le Kremlin. « Avec un bon VPN, vous pouvez plus aisément passer les mailles du filet. Il y avait toujours des personnes concernées par la guerre en Ukraine ou nos propres problèmes de société en Russie pour venir me parler. Je me souviens par exemple de la femmed’un prisonnier politique qui m’avait fourni un nombre conséquent d’informations sur les conditions de détention dans la prison de son mari, afin que cela soit rendu public. » Aujourd’hui hélas, Yurii n’a plus « aucun contact » avec ses collègues, pour des raisons qu’il ne tient pas à détailler.
La vie de Yurii bascule la même année, alors qu’il n’était âgé que de 20 ans. La guerre de Crimée avait débuté en 2014 et continuait de faire rage deux ans plus tard, un sujet particulièrement sensible pour le jeune journaliste. L’une de ses connaissances le contacte alors depuis la région de Pskov, lui écrivant qu’il avait observé des hommes de l’armée russe se soumettre à des exercices militaires.
Situé aux frontières de la Lettonie, l’Estonie et la Biélorussie, Pskov est un oblast russe à l’extrême-est du pays. Son contact s’interroge sur la cause des exercices dans la région, pensant que les soldats se rendraient par la suite en Ukraine.
Yurii a alors flairé la bonne information et ne perd pas une seconde pour enquêter. Après la publication de son enquête, un membre du Kremlin l’a contacté pour le menacer. Il a ensuite divulgué les informations personnelles de Yurii sur Internet, l’accusant d’avoir colporté et diffusé des fausses informations sur l’armée russe. S’ensuivit une campagne de harcèlement contre sa personne, comprenant agressions physiques, menaces de mort et d’emprisonnement. Yurii était victime de doxxing, des cyberattaques ayant pour but d’exposer vos données les plus vulnérables, l’empêchant de se réfugier chez lui après la fuite de son adresse.
Un procès expéditif et des menaces de mort
Le jeune homme comprend alors que sa vie est en danger et décide de fuir la Russie la même année, pour se réfugier en Ukraine. Passer la frontière n’a pas présenté de difficultés majeures, ne faisant pas encore l’objet d’un mandat d’arrêt.
Le jeune journaliste précise à plusieurs reprises qu’il demeure un citoyen engagé qui a à cœur de dévoiler la vérité. Il a passé deux ans dans la capitale ukrainienne en poursuivant ses investigations et en demandant l’asile à Kiev. Mais en 2018, après avoir participé à une manifestation contre la guerre, une enquête a été ouverte par le Kremlin.
Un procès s’est tenu par contumace dans la capitale russe, toujours pour divulgation de fausses informations. Sa demande d’asile a été rejetée par Kiev à la même période, sans qu’il n’obtienne la moindre justification. Il lui était désormais impossible de retourner en Russie après avoir été reconnu coupable à son procès, un mandat d’arrêt étant dorénavant actif à son encontre.
La Géorgie ne lui a pas accordé l’asile non plus et Yurii s’est alors tourné vers la France. « La France est un pays démocratique où la liberté de la presse est très forte, je me suis dit que votre pays pourrait m’aider. Je ne savais plus vers qui me tourner », explique-t-il d’un ton impassible.
Yurii compte bien continuer son travail de journaliste en France, mais n’est pas fermé à l’idée d’apprendre un nouveau métier. La Maison des journalistes représente pour lui une halte salvatrice, le temps de reprendre pied et de se protéger de la répression russe.
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/12/photo-1.jpg?fit=800%2C911&ssl=1911800Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-12-20 10:33:572022-12-20 10:34:00En Russie, parler de la vie quotidienne pour obtenir plus de justice
Près de trois mois après le début de la révolte populaire iranienne, le régime théocratique a décidé de mettre fin à la police des mœurs, présente sur le territoire depuis 2005. Les images des manifestations historiques continuent de faire le tour du monde, transmises par les journalistes et les citoyens. L’Iranienne Massoumeh Raouf, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs, revient pour l’Oeil de la MDJ sur l’influence cruciale des femmes sur les manifestations d’aujourd’hui, ainsi que celle, plus ténue, de l’Occident sur le gouvernement iranien.
Massoumeh Raouf a été arrêtée en septembre 1981 dans la rue. Pourquoi ? Elle était soupçonnée d’être sympathisante des Moudjahidines du peuple d’Iran par le régime, une accusation passible de torture et de mort, mais quotidienne dans le pays à cette époque. L’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran brave avec les armes le régime depuis près de 50 ans, et est devenu un courant politique et historique incontournable d’Iran. Massoumeh ne reverra jamais son frère, Ahmad Raouf, emprisonné la même année pour être un membre actif de l’Organisation, mais parviendra à contacter ses anciens compagnons de cellule afin de raconter son histoire.
Lors de son arrestation, « le guide suprême du régime Khomeini avait donné carte blanche à ses agents. Mon soi-disant “procès” n’a duré que dix minutes et le tout – sans avocat ni juge – a été bouclé en un rien de temps par un seul mollah, appelé “juge de la charia”. Sans aucun droit à la défense, j’ai été condamnée à 20 ans de prison. J’avais 20 ans. »
Incarcérée, Massoumeh s’évade en 1982 et devient un membre actif de la révolution à venir. Elle rejoint la France en juin 1985, pays dans lequel elle vit encore aujourd’hui et continue de militer pour la libération de l’Iran. Elle collabore également avec Conseil National de Résistance iranienne depuis les années 80, Conseil fonctionnant comme un gouvernement depuis l’étranger. Mais en 1988 un nouveau drame vient endeuiller son avenir, celui de l’exécution de son frère de 24 ans, à l’instar des 30.000 prisonniers politiques iraniens cette année-là. Trente ans plus tard, toujours profondément marquée par sa disparition, Massoumeh lui rendra hommage en 2018 à travers la bande-dessinée « Un petit prince au pays des mollahs », relatant le parcours de son cadet et publiée en France.
Engagée dans la « Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988 », l’écrivaine se bat depuis de longues années pour faire traduire en justice les auteurs des crimes contre l’humanité qui ont été commis et qui sont commis en Iran en toute impunité.
Dans son dernier livre « Évasion de la prison d’Iran », paru aux Éditions Balland en février 2022, elle relate son parcours engagé et son évasion d’une prison de haute sécurité en 1982. Elle y décrit également la situation explosive en Iran et la révolution à venir. Les événements qui chamboulent la République islamique depuis le 16 septembre 2022, jour de la mort de Mahsa Amini, prouvent la justesse de ses propos. Retour sur des manifestations explosives et un régime liberticide.
La vie des journalistes iraniens en danger
Depuis le début des mobilisations, les journalistes iraniens font face à une augmentation des arrestations de leurs confrères et consœurs. L’écrivaine nous assure que « les journalistes risquent leur vie pour porter la voix du peuple, beaucoup ont été arrêtés ou sont simplement portés disparus. » Le 16 septembre 2022, jour de l’arrestation de la kurde Mahsa Amini pour avoir laissé dépasser une mèche de cheveux de son voile islamique, deux journalistes iraniennes décident de couvrir l’évènement. Niloofar Hamedi (journal Shargh) et Elahe Mohammadi travaillent toutes les deux à Téhéran et se sont rendues à l’hôpital Kasra de la capitale, où Mahsa Amini était soignée après sa détention par la police des mœurs.
« Plus tard dans la journée, et à peu près au moment de la mort d’Amini, Hamedi a tweeté une photo des parents d’Amini en train de pleurer à l’hôpital. Cette image s’est rapidement propagée avec les reportages d’Hamedi sur la mort d’Amini », donnant naissance à des manifestations nationales extraordinaires.
Malheureusement, Hamedia été arrêtée par les forces de sécurité le 21 septembre. Selon le journal Shargh, deux autres reporter et photographe de ses locaux ont été arrêtés. Ils sont aujourd’hui détenus à la tristement célèbre prison d’Evine. « Il n’y a pas de liberté d’expression en Iran, même pour les journalistes dans des médias officiels. Pour tout rapport et information qui ne plaisent pas au gouvernement et au guide suprême, arrestation, prison et torture les attendent. »
Les femmes, figure de proue de la révolution iranienne
Si le peuple soutient aisément les femmes journalistes (en particulier les jeunes générations prônant l’égalité des sexes), « le régime et ses agents sont misogynes et réactionnaires. Les femmes ont été les principales cibles de l’oppression et de la discrimination du régime », mais elles ont développé des armes et une grande résistance en accumulant des années d’expérience. Les Iraniennes « ont également appris par expérience que leurs droits ne se concrétiseront pas tant que ce régime sera en place », ce pourquoi elles battent le pavé, soutenues et saluées par la communauté internationale. « Elles sont organisées, inspirées, pleines d’abnégation et prêtes à apporter des changements fondamentaux », martèle Massoumeh Raouf.
« Les femmes iraniennes sont l’avant-garde et la force du changement et vont renverser ce régime, (…) le courage des femmes et des jeunes dans les rues de l’Iran a émerveillé tout le monde », se réjouit notre intervenante. « Malgré la répression, des rassemblements continuent de se tenir quotidiennement dans les universités du pays, des manifestations ont lieu dans diverses provinces, des raffineries sont en grève, des lycéennes et des collégiennes se photographient défiant le régime. Dans les universités, dans les rues et sur les tombes de martyre, ils crient : « jurons sur le sang de nos amis de résister jusqu’au bout. »
« La nouvelle génération, cauchemar du régime »
Autre signe révélateur de la résolution des manifestants, leurs slogans : “Mort à Khamenei !” “Mort à l’oppresseur, qu’il s’agisse du Chah ou du guide [suprême] !” “Liberté, liberté, liberté !” “Mort au principe du velayate faqih [pouvoir clérical absolu] !” Les Iraniens n’avaient pas osé s’exprimer en ces termes depuis plusieurs décennies. L’exemplaire organisation de leur mobilisation est à mettre en exergue pour l’écrivaine iranienne. « Malgré la répression, les unités de résistance de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) continuent de se développer dans tout le pays», explique-t-elle au micro de l’Œil de la MDJ. « Leurs activités comprennent la conduite de protestations populaires et la destruction des symboles de répression du régime. Ces unités, essentiellement composées de jeunes de la nouvelle génération, filles et garçons, sont le cauchemar du régime », se réjouit Massoumeh Raouf.
« Les femmes et les jeunes iraniens font progresser le mouvement de protestation chaque jour et chaque heure, malgré une répression massive et brutale, au prix de leur vie, de leur santé et de leur liberté. Ils endurent la torture et diverses formes de mauvais traitements, y compris des viols répétés, dans des prisons sales et surpeuplées, sans nourriture suffisante et avec des contacts limités avec leurs familles. » L’écrivaine revient également sur la violence de la répression à même les rues, arguant que « des agents agressent sexuellement des jeunes femmes dans les rues, d’autres en civil enlèvent des manifestants en plein jour. D’autres encore kidnappent des étudiants dans leur dortoir au beau milieu de la nuit, tandis que certains mobilisés sont battus jusqu’à ce qu’ils se rendent. » Mais rien n’arrête pour autant les citoyens, dont la plupart n’ont plus rien à perdre.
Une photo d’Hadi Yazdi Aznaveh.
Une situation que Massoumeh Raouf a elle-même vécu et qu’elle a relaté dans ses livres. Elle affirme avoir voulu écrire non pas pour « simplement faire une œuvre littéraire », mais parce que cela « faisait partie de ma lutte pour la justice et pour attirer l’attention du public sur la terrible situation dans mon pays. Depuis deux mois, en plus de 600 manifestants tués, plus de 30 000 personnes ont été arrêtées et jetées en prison. Leur moyenne d’âge est de 20 ans et sont en majorité des étudiants, certains mineurs. Les détenus sont battus, parfois à mort, violés et torturés. » Les arrestations sont accompagnées de procès expéditifs et parfois des peines de mort.
Des emprisonnements aussi arbitraires que les libérations, comme ce fut le cas le soir du match Iran-Pays de Galles à la Coupe du Monde le 25 novembre dernier : suite à la victoire des Iraniens, les autorités avaient annoncé la libération de 700 manifestants.
Le 6 novembre 2022, le Parlement iranien vote un texte pour pousser la justice à appliquer la « loi du talion » envers les manifestants, à 227 voix pour contre 63. Dans un communiqué signé par la majorité des députés, ces derniers ont comparé les manifestants à l’Etat Islamique et les ont qualifiés « d’ennemis de Dieu » méritant la mort. De son côté, l’Autorité judiciaire iranienne a annoncé que des procès se tiendront pour les milliers de personnes arrêtées durant les manifestations. Neuf condamnations ont par ailleurs déjà été prononcées.
L’influence peu exploitée des Nations unies et de l’Occident
Les Iraniens ne sont pas obligés de se battre seuls pour leurs libertés, loin de là. Pour Massoumeh et les milliers de manifestants, le soutien de la communauté internationale est indispensable. 30 000 personnes risquent ainsi leur vie et « les Nations unies doivent prendre des mesures urgentes pour aller visiter les prisons du régime. Ils doivent renvoyer le dossier des violations des droits humains par ce régime devant le Conseil de sécurité de l’ONU et au Tribunal international spécial », et y inclure « le meurtre atroce d’une soixantaine d’enfants et adolescents par les pasdarans (NDLR : les gardiens de la Révolution) du guide suprême Ali Khameneiet le massacre de prisonniers politiques en Iran. »
Jamais le peuple iranien ne pourra bénéficier d’un élargissement de ses libertés sans un changement de régime. D’autres mesures doivent être prises pour aider les femmes à faire tomber le régime : « les femmes iraniennes ont besoin de la solidarité et du soutien du monde entier, de voir les ambassades du régime iranien fermer, les relations diplomatiques et économiques avec le régime rompues. Ce régime devrait être expulsé des Nations unies, il n’est pas représentant du peuple iranien. »
Pour Massoumeh, une alternative démocratique au régime théocratique existe : Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance Iranienne (CNRI). « Elle possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons. »
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/12/massoumeh-raouf.jpg?fit=740%2C462&ssl=1462740Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-12-09 00:00:002022-12-09 11:11:03Iran : les femmes, « l’avant-garde de la révolution » nationale
Adnan Hassanpour a été emprisonné pendant 10 ans en Iran, de 2007 à 2016. Travaillant pour un hebdomadaire kurde, le journaliste avait été accusé et reconnu coupable d’espionnage et de « propagande séparatiste. » Condamné à mort en 2007, un juge avait converti la peine de mort en 31 ans de prison, qu’Adnan n’achèvera jamais. Il a passé les sept premières années d’incarcération dans la ville kurde de Sanandaj (ou Siné), puis deux ans dans la prison de Marivan, et enfin un an dans la région du Balochistan au Zāhedān.
La région se trouve au sud du pays, dont la capitale régionale est actuellement en pleine révolution. Ne manquant pas de courage, Adnan Hassanpour a continué de résister dans les multiples prisons qui l’ont accueilli. Considéré comme le « doyen » des journalistes prisonniers en Iran, il a notamment écrit une lettre pour dénoncer les sévices que les Kurdes subissent en prison et dans la vie quotidienne, déclenchant l’ire du gouvernement et du président Hassan Rohani.
Adnan a alors été envoyé encore plus loin dans le Balochistan, pour le punir et le priver de ses proches. Sa lettre sur les mauvais traitements et le harcèlement subis par les Kurdes avait été transmise aux médias, qui en avaient fait les gros titres pendant plusieurs semaines.
Toujours recherché à l’heure actuelle, Adnan Hassanpour s’était à nouveau attiré les foudres du régime en 2019 pour s’être exprimé sur trois plateaux télévisés : BBC Perse, Iran international et Radio Farda. Il y expliquait que de sérieuses manifestations rythmaient le quotidien du pays à l’époque, jusqu’en novembre 2019, où le prix du gaz avait ralenti la bonne tenue des manifestations.
Il avait cité Reuters et avait assuré que le gouvernement avait tué 1.500 personnes dans les rues, lors de ces grandes manifestations qui n’avaient pas été ébruitées sur Internet. Il a fini par se réfugier au Kurdistan irakien avant de rejoindre la France en septembre 2022. Trois amis avaient été accompagnés de la même manière par la Maison des journalistes quelques années plutôt, ce pourquoi il est venu s’y réfugier lorsque le régime iranien l’a poussé à l’exil.
Journaliste kurde iranien, Adnan est hébergé à la MDJ depuis deux mois. Face à la révolution qui fait trembler le pouvoir iranien depuis bientôt trois mois, il nous a accordé un entretien pour revenir sur les origines de ces protestations historiques.
Plus de 1 500 morts lors des manifestations de 2019
Adnan n’hésite pas à parler de « révolution » et non de « manifestations », jugeant que « ces protestations sont révolutionnaires, ce qui déplaît au gouvernement. » En effet, « les journalistes ont provoqué les manifestations. Deux femmes journalistes perses avaient diffusé la nouvelle de la mort de Masha/Jina Amini au grand public, ce qui leur vaut l’emprisonnement à l’heure actuelle. Si le public a pris la main, ce sont les médias qui ont déclenché les manifestations et ravivé la colère du peuple envers le régime. »
Les journalistes et autres acteurs des médias restent pleinement engagés, également pour eux-mêmes en portant leurs propres revendications à côté de celles du peuple. Être un journaliste en Iran rapporte peu ou prou, sans compter le niveau de dangerosité : « les journalistes kurdes ne gagnent pas d’argent, ils sont totalement bénévoles. Il n’existe aucun organisme, journal ou média kurde pour les financer. »
Quant aux journaux perses, leur situation financière est à peine meilleure. « Le journalisme n’est pas un métier valorisé en Iran », martèle Adnan Hassanpour. « Beaucoup de journaux et d’émissions télévisées ont été fermés par le gouvernement à cause des manifestations, et moult journalistes ont perdu leur travail. Pour preuve, la clôture du quotidien Jahan-é Sanat (“le Monde de l’industrie“)basé à Téhéran le 21 novembre 2022, condamnant 40 journalistes au chômage. »
Ce journal économique critiquait la situation financière du pays et n’a pas échappé à la censure. Les deux Iraniennes qui ont fait éclater l’affaire Mahsa (ou Jima de son prénom kurde) Amini, se prénomment Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi et travaillent à Téhéran. Elles sont aujourd’hui détenues à la prison d’Evine, soupçonnées par le régime d’avoir « des liens étroits avec la CIA. » Elles risquent la peine de mort pour avoir simplement fait leur travail.
Le pire reste à vivre pour les médias et journaux kurdes, qui n’ont aucun moyen de se défendre sans argent. Si une dizaine de médias de cette communauté minoritaire existaient dans le pays avant la mort de Mahsa Amini, ils ne sont plus que deux aujourd’hui, à l’influence très limitée.
Ils diffusent leurs informations sur les réseaux sociaux, de la même manière que la population se partage les vidéos des manifestations. « Des télévisions kurdes sont également installées au Kurdistan et en Europe pour échapper au régime. De plus, deux télévisions perses (BBC perse et Iran International), opposantes au régime, publient des informations sur les manifestations et les kurdes. Les médias kurdes ne survivent que sur les réseaux ou loin de Téhéran, loin de la prison. Les vidéos sont tournées et partagées par les citoyens et alimentent directement les manifestations. »
L’empreinte indélébile des Kurdes
Mais qui dirige ou motive les protestations ? Adnan Hassanpour est catégorique, « toute révolution en Iran débute avec les Kurdes et se diffuse ensuite à l’échelle nationale. » Pour preuve, le slogan des mobilisations actuelles « Femmes Vie Liberté », initié par la communauté kurde. « Ce slogan est issu des combattantes kurdes en Syrie contre Daesh, et a aujourd’hui été réapproprié par toute la Nation – surtout les jeunes – qu’on soit Kurde ou Perse », explique Adnan.
Si les deux journalistes ayant exposé l’affaire de la mort de Masha Amini sont Iraniennes, ce sont bien les femmes Kurdes qui ont battu le pavé les premières. Elles ont par la suite entraîné toute la population et inquiètent aujourd’hui le régime. « Toutes ces manifestations prouvent le courage du peuple. Malgré la loi islamique, les femmes ne portent plus le voile et la population chante « mort au dictateur », signe du trop-plein d’un peuple exténué.
Le gouvernement ne presse plus autant les Iraniennes à porter leur voile aujourd’hui, l’on peut dire qu’il a été surpris de la colère du peuple. « Les Iraniens sont descendus par milliers dans la rue et ce chiffre n’est pas à prendre avec légèreté. » Adnan conserve une part franche d’optimisme en lui, assuré que « les manifestations d’aujourd’hui sont plus importantes que celles d’hier ou d’il y a quatre ans. »
Pour preuve, l’abolition de la police des mœurs ce dimanche 4 décembre. Elle avait été mise en place en 2006 pour faire respecter les codes vestimentaires du pays et s’en prenait aux femmes qui ne cachaient pas assez leurs cheveux à ses yeux. Ordonnée par le procureur général du pays, Adnan reste sceptique quant à l’application réelle de l’abolition. « Malheureusement, les informations publiées sur l’abolition de la police morale ne sont pas encore très fiables, car différents responsables iraniens ont fait des déclarations contradictoires à ce sujet », a-t-il déploré. « Nous pensons qu’ils veulent apaiser la société afin d’empêcher la poursuite des protestations. À mon avis, même si la police de la morale disparaît, les manifestations vont non seulement augmenter mais aussi s’étendre, car les gens seront sûrs qu’ils ont la capacité de faire reculer le gouvernement. Ce que les gens crient dans les rues, c’est la destruction du régime et, apparemment, ils ne veulent pas se contenter de réformes limitées. Pour moi, les réformes possibles ne seront prises au sérieux par le peuple que si elles incluent clairement la révision de la Constitution et la suppression du poste de Guide suprême (Khamenei). »
Fait intéressant, dénote Adnan après réflexion, la nature-même de ces nouvelles émeutes. Si la population avait auparavant pour but « la destruction du gouvernement », elle a aujourd’hui placé « l’axe féminin au centre de ses revendications. Elle cherche à détruire toute forme de retard traditionnel et conservateurs anti-femmes, anti-liberté et contre la justice et la rhétorique. Désormais, le people est contre toute forme de répression et discrimination. C’est cela, la révolution Jina. »
Une révolution qui attend encore le reste du monde
Il conserve par ailleurs de bonnes relations avec des journalistes et écrivains sur place mais depuis le début des heurts, d’importants problèmes d’électricité et d’Internet les empêchent de communiquer. Les premières coupures ont été remarquées à l’aube de la révolution, pour tenter en vain de la tuer dans l’œuf. Depuis, Adnan ne peut plus recevoir de vidéos de ses confrères et consœurs et ces derniers luttent pour les diffuser quand ils le peuvent.
Grâce à l’Organisation Kurde des Droits de l’Homme (Kurdistan Human Right Network) en place depuis des années en Iran, la liste d’écrivains et journalistes iraniens arrêtés, disparus ou morts continue d’être régulièrement mise à jour. Certains intellectuels ont été menacés d’une condamnation à mort pour avoir aidé les manifestants. Cette organisation a également travaillé en partenariat avec la Maison des Journalistes il y a de cela neuf ans, afin d’accueillir des journalistes iraniens et kurdes.
Mais que peut-on faire en tant que simples citoyens occidentaux ? « Il faudrait que les gouvernements arrêtent les relations politiques avec le régime iranien et apportent un soutien démocratique à la population. »
« Mais en tant que simple citoyen, vous pouvez toujours porter notre voix dans les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui constitue un soutien très conséquent pour nous, il s’agit en grande partie de sensibilisation de la communauté internationale. Les civils peuvent aussi faire pression sur leur propre gouvernement pour qu’il mette un terme aux relations politiques avec l’Iran et pousser le pays à écouter son peuple. »
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/12/unnamed.jpg?fit=1280%2C853&ssl=18531280Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-12-07 11:00:002023-03-07 11:26:51En Iran, la "Révolution Jina" pour combattre toutes les oppressions
Ce vendredi 2 décembre, la Maison des Journalistes a accueilli la conférence de presse de l’Institut Européen Ouïghour, la veille de la marche contre le génocide Ouïghour à Paris. La présidente de l’Institut Dilnur Reyhan, l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, le député Europe-Ecologie les Verts Yannick Jadot ainsi que la vice-présidente de l’Assemblée nationale Valérie Rabault (PS) sont venus soutenir la cause et s’exprimer au micro de la MDJ sur leurs prochaines actions législatives.
Après l’incendie d’un immeuble d’Urumti en Chine qui a fait 10 morts parmi la communauté ouïghoure, les Ouïghours en France ont voulu afficher leur soutien en organisant une grande marche contre le génocide samedi 3 décembre 2022, partant de Bastille. La marche avait pour objectif de rendre hommage aux victimes de l’incendie, apporter un soutien aux manifestations chinoises, ainsi que dénoncer l’inaction européenne et internationale face aux problématiques ouïghoures. « Cela fait plus de cinq ans » que le génocide se perpètre au su et vu de toute la communauté internationale, alors que « l’Europe peut faire peur aux gouvernements dictatoriaux. Jusqu’à quand va-t-elle rester amie avec ce régime totalitaire et génocidaire ? » s’est interrogée Dilnur Reyhan, aux côtés de Yannick Jadot, Valérie Rabault et Raphaël Glucksmann.
La Maison des journalistes, refuge pour les journalistes Ouïghours
Dilnur Reyhan, une femme énergique et à la voix claire, n’a pas mâché ses mots. Elle a assuré que « la politique sanitaire actuelle contribue à l’éradication des Ouïghours. La méthode génocidaire prend des formes différentes : ils meurent de maladie, de famine, de censure… L’incendie d’Urumqi en est la preuve. » Dilnur Reyhan certifie en outre qu’il y a eu non pas 10 mais 44 morts dans cet incendie, d’après des informations publiées par des membres de la communauté sur les réseaux sociaux chinois Yokou et WeChat, effacées depuis. La version officielle aurait été diluée pour ne pas plus provoquer la colère du peuple et l’indignation internationale.
Une manifestante Ouïghoure.
L’incendie n’est que la goutte qui fait déborder le vase. Depuis quatre mois, la région du Xinjiang où vivent la plupart des Ouïghours est sujette à un confinement des plus stricts, où les immeubles sont condamnés pour empêcher les citoyens de sortir et s’enfuir. Ils y meurent de faim et de manque de soins. Le drame d’Urumti « n’est ni plus ni moins que la suite de la politique génocidaire menée contre les Ouïghours », a affirmé Dilnur Reyhan. En Chine, les manifestations contre les strictes politiques sanitaires du gouvernement ont permis de faire souffler un vent nouveau sur les revendications ouïghoures, déjà un peu plus prises au sérieux en Chine qu’il y a quelques années. « Nous assistons à une prise de conscience des Chinois quant au sort de notre communauté, alors que depuis cinq ans le peuple était totalement indifférent à notre sort. » Quelques journalistes d’origine ouïghoure sont également hébergés à la Maison des journalistes, dédiée depuis 20 ans à l’accompagnement et le logement d’informateurs réfugiés du monde entier. « Une maison d’utilité publique et indispensable », saluera Dilnur Reyhan à la fin de la conférence de presse.
Marcher pour dénoncer
Pour l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, la lutte ne doit certainement pas s’arrêter là alors que les Chinois font entendre leur besoin de liberté. « C’est notre devoir de rappeler que ces crimes ne sont pas anecdotiques et à mettre sous le tapis », a-t-il martelé. Autrement, la France et la communauté internationale « seront complices de ces crimes. »
De gauche à droite : Yannick Jadot (EELV), Valérie Rabault (PS), Raphaël Glucksmann (S&D) et Dilnur Reyhan.
Selon le député du groupe Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, il demeure impératif que « toutes les démocraties dénoncent le régime chinois et expriment leur solidarité envers les détenus ouïghours dans les camps, ceux morts brûlés vifs dans l’immeuble d’Urumti », ainsi que « soutenir les jeunes Chinois qui se soulèvent aujourd’hui en descendant nous-mêmes dans la rue. » Un soutien clairement affiché par les centaines de citoyens français sur la place de la Bastille samedi 3 décembre. Raphaël Glucksmann a indiqué au micro de la Maison des journalistes qu’il était fondamental « de se retrouver ensemble en France et dans les rues, aux côtés des Chinois qui se démènent contre le régime. » Il a dénoté que « pour la première fois, les Han (NDLR : ethnie majoritaire et historique chinoise) sont solidaires des Ouïghours dans leurs manifestations. »
« En tant qu’européen, nous connaissons leurs intérêts. Nous nous devons désormais, en tant qu’êtres humains, d’être solidaires des autres. » Pour ce faire, l’eurodéputé a appelé au bannissement des produits issus de l’esclavage et à la surveillance des multinationales en relation avec des usines et entreprises chinoises, qui pourraient profiter de l’asservissement de la minorité musulmane pour produire à bas-coût.
Des avancées législatives françaises et européennes
Les deux députés et la vice-présidente se sont succédé par la suite au micro de la Maison des journalistes pour détailler leurs actions et engagements envers les Ouïghours depuis plusieurs années. Valérie Rabault a tenu à rappeler la création d’un groupe d’études ouïghoures, fondé à l’Assemblée nationale au sein de la NUPES fin novembre.
Ce groupe d’études ne fait pourtant pas l’unanimité au sein des députés de gauche, les Insoumis s’étant abstenu de voter une résolution reconnaissant le génocide ouïghour par la Chine fin janvier 2022 (à l’inverse de la majorité de l’Assemblée). Valérie Rabault compte bien « remettre la question ouïghoure au cœur de l’actualité parlementaire », notamment par le biais du groupe d’études. Pour la vice-présidente de l’Assemblée, « défendre les Ouïghours, c’est défendre les démocraties qui se fragilisent à chaque fois qu’elles s’assoient sur les droits de l’Homme. »
Le député Yannick Jadot a quant à lui dénoncé la politique sanitaire et totalitaire chinoise, arguant qu’il ne s’agissait plus « d’une stratégie de confinement mais d’enfermement, de séquestration. » Il s’exprime depuis des années sur le génocide aux côtés de l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, l’un des premiers en France à dénoncer les exactions chinoises et les marques se fournissant dans les entreprises employant de force des Ouïghours. « La naïveté n’existe pas en politique, cela s’appelle de la cupidité ou du cynisme », a-t-il proclamé en parcourant la salle du regard. Il a ensuite pointé du doigt la responsabilité d’autres politiciens français, n’hésitant pas à qualifier l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin « d’agent du Parti Communiste Chinois en France, nous plaçant dans des rapports de dépendance vis-à-vis de la Chine. »
L’ancien Premier ministre est connu pour avoir bâti une forte relation avec le gouvernement chinois notamment dans les domaines commercial et entrepreneurial, ayant reçu la « médaille de l’Amitié » des mains du président Xi Jinping et participant régulièrement à des émissions télévisées chinoises. Yannick Jadot évoque les camps d’internement dans le Xinjiang en tant que « camps de concentration et d’esclavage », assurant que les droits humains des Ouïghours ne sont absolument pas respectés.
Le député européen Raphaël Glucksmann en a également profité pour rappeler que deux textes législatifs seront prochainement discutés au Parlement européen, portant sur l’asservissement des Ouïghours. Le premier aura pour objectif l’instauration d’un « devoir de vigilance » de la part des entreprises en Europe, espérant « mettre fin à l’impunité des grands groupes » se fournissant dans les camps de concentration et travail forcé. Le second pourrait quant à lui prendre la forme d’une norme européenne pour interdire les produits nés de l’esclavage ouïghour sur le sol de l’Union, avec un renvoi systématique des produits visés. Encore faudra-t-il que le Parlement européen vote en faveur desdits textes.
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/12/PHOTO-2022-12-06-12-11-02.jpg?fit=1024%2C768&ssl=17681024Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-12-06 11:41:262022-12-06 11:55:38La Maison des journalistes aux côtés de l'Institut Européen Ouïghour
Le 15 août 2021 semble avoir signé la mort de la presse en Afghanistan avec le retour au pouvoir des Talibans. Abandonné à son sort par l’OTAN et les Etats-Unis, le pays sombre depuis plus d’un an dans un obscurantisme total. Si le régime promettait vouloir respecter les droits de l’Homme, ses nombreuses politiques exclusives et autoritaires n’ont cessé de prouver le contraire. En un an, les médias afghans ont subi tant de répression que plus de 50% d’entre eux ont disparu. Des dizaines de journalistes ont été contraints de fuir le pays pour échapper au régime, sans pour autant renoncer à l’Afghanistan et à leur liberté. Comment s’organisent-ils à l’étranger et en Afghanistan pour faire entendre leurs voix et continuer leur travail sans risquer la prison ?
En septembre 2021, le gouvernement Taliban impose une directive contenant 11 articles pour censurer et contrôler la presse et les journalistes afghans. Ils utilisent les organes de presse pour répandre leurs propres informations, rendant le travail des journalistes très éprouvant. Selon le rapport du SIGAR, l’Inspecteur Général Spéciale pour la Reconstruction de l’Afghanistan, « des lois ont été promulguées pour prohiber la publication ou la diffusion d’informations considèrent contre l’Islam ou le régime. »
Plus de la moitié des médias fermés en Afghanistan
Depuis la prise de pouvoir, au moins 80 journalistes ont été arrêtés et tous subissent la censure. Plus de 51% des organes de presse ont été fermés et 80% des femmes journalistes se sont retrouvées sans emploi en 15 mois. Ainsi, 10 provinces sur 34 d’Afghanistan sont dépourvues de femmes journalistes. Zan et Bano TV, deux médias privés qui étaient dirigés par des femmes, ont dû stopper leurs activités et licencier leurs équipes, majoritairement féminines.
Le cas le plus récent est Kaboul News TV, une des plus grandes chaînes d’information du pays. Elle a été fondée par l’ancien chef de cabinet de l’ancien président Karzai, Karim Khorram. Durant ces dernières années, la chaîne était en opposition avec le gouvernement du président Ghani, mais a été fermée en 2021 sous la pression exercée par les Talibans et de difficultés économiques.
Depuis plusieurs mois, les femmes et filles ont vu leur liberté se réduire comme peau de chagrin. Elles n’ont désormais plus le droit d’aller à l’école ou d’exercer leur profession et les journalistes afghanes encore en place luttent pour garder cette dernière. Nous avons pu échanger avec l’une d’entre elles ainsi que des confrères désormais basés au Pakistan, pays limitrophe, sur leur condition actuelle et leurs moyens de lutte contre la censure et le régime.
Facteur révélateur de leurs difficultés, les multiples obstacles rencontrés afin d’entrer en communication avec eux : les numéros de téléphones des journalistes réfugiés au Pakistan ne sont joignables que sur une période donnée, avant qu’ils ne soient redistribués à d’autres personnes.
Deux contacts n’ont ainsi jamais répondu à nos appels, leur visa ayant expiré et leur numéro de téléphone donné à un autre réfugié. D’autres n’ont pas la mainmise sur leur téléphone, leur frère ou des inconnus répondant à leur place.
La double punition de la femme journaliste afghane
Heureusement, certains ont pu répondre à nos appels. Banafsha Binesh est une Afghane vivant toujours à Kaboul et travaillant pour TOLOnews, première chaîne d’information télévisée d’Afghanistan. Il nous faudra attendre le second appel qu’elle soit seule pour l’interviewer et obtenir des réponses sans détour.
Banafsha Binesh pour TOLOnews
« Nous travaillons dans de très mauvaises conditions », déplore-t-elle au combiné. « La censure est extrêmement stricte et les interdits dans notre travail se multiplient. Par exemple, j’ai couvert il y a quelque temps un événement des Nations-Unies concernant la situation des Afghanes. Des représentants y critiquaient l’agenda et les politiques talibanes et nous avons reçu l’interdiction de diffuser notre reportage car nous n’avons pas le droit de critiquer le régime. » Avec sang-froid et fierté, Banafsha Binesh nous assure ne pas vouloir être anonymisée car elle se bat « déjà contre les Talibans depuis Kaboul. »
Mais pourquoi continue-t-elle de travailler malgré la censure et le danger ? En-dehors de la nécessité de « faire entendre la voix des femmes et du peuple afghan », la journaliste explique être la seule à supporter financièrement sa famille. Sans elle, personne ne mangerait. TOLOnews n’a pas échappé à la répression et a réduit le nombre de ses employés d’elle-même, mais Banafsha Binesh est parvenue à conserver son poste.
« Nous devons continuer notre travail et montrer à la communauté internationale que les Afghanes n’ont pas abandonné leur vie. Elles continuent de se battre pour leur liberté, la démocratie et à tenir tête aux talibans. Elles sont toujours vivantes ! », clame-t-elle d’une voix franche. « Si les Talibans ne nous laissent pas travailler, nous nous tiendrons debout et nous refuserons d’être dévalorisées. »
Avant les Talibans, la jeune femme a expérimenté ce qu’elle qualifie de « vrai journalisme » lors de ses multiples reportages et refuse de s’en détourner. « Avec [mes] collègues, nous élevons les voix du peuple qui vit sous la menace constante. Nous nous sentons comme des activistes, dans un sens. »
De la prison pour une interview
Mais son courage est quotidiennement menacé. Elle est terrifiée chaque matin à l’idée de se rendre à son bureau, étant à la fois femme et journaliste. « Un jour, alors que j’effectuais avec mon cameraman un reportage sur la terrible situation économique des Afghanes, nous avons été brutalement interrompus. J’interrogeais une vendeuse de crème glacée à Kaboul lorsque le Département des Renseignements du 8ème district de la ville est arrivé pour nous arrêter. Nous avons été emprisonnés pendant quatre heures, menacés et torturés. Ils nous ont interdit de faire des interviews et de donner une image négative du gouvernement. Nous n’avons pu diffuser notre travail. »
Banafsha Binesh et son caméraman.
Il ne s’agissait pas de l’unique intervention des Talibans durant ses heures de travail, loin de là. Binesh témoigne qu’à plusieurs reprises le régime a interrompu et coupé ses interventions en live, notamment lorsqu’elle interviewait des réfugiés ou des étudiants devant les écoles. Ce jour-là, « ils sont venus m’empêcher de parler avec les étudiants et les filles sur place, je n’ai pu que les saluer avant de devoir partir. » Elle ne peut d’ailleurs pas apparaître à l’écran sans son hijab et son masque.
Mais Banafsha Binesh et ses compatriotes ne peuvent remporter cette lutte seuls, martèle-t-elle à de nombreuses occasions. « C’est le rôle de la communauté internationale de mettre la pression sur les Talibans. Elle les rencontre tous les jours à Doha au Qatar, qu’attend-t-elle pour les obliger à respecter les droits des femmes, la liberté d’expression ? Nous ne pouvons plus aller dans les parcs ou au hammam, nous ne pouvons plus nous instruire ou faire des activités culturelles. Nous ne pourrons avancer sans la communauté internationale. Les journalistes du monde entier doivent aussi pouvoir porter l’attention sur l’Afghanistan et la condition des femmes ici, il en va de notre responsabilité. »
Tenter de remettre un pied à l’étrier du journalisme
D’autres journalistes n’ont eu d’autre choix que de s’enfuir loin du régime et de trouver refuge au Pakistan. La situation n’est hélas guère plus brillante pour eux, comme en témoignent les deux Afghans avec qui nous avons pu communiquer et qui ont tenu à rester anonymes.
Le premier d’entre eux est basé au Pakistan depuis 15 mois et travaillait auparavant pour Itlat-E-Rooz Dailyen tant que journaliste d’investigation et de la paix. Wahid Haderi et quatre membres de sa famille ont fui leur pays d’origine en août 2021. Il relate que ces derniers mois, les journalistes réfugiés étaient arrivés par des visas médicaux et de tourisme. « Mais sans un visa de journalistes, nous ne pouvons travailler au Pakistan. Il coûte environ 1000 dollars si on veut passer par un intermédiaire, une somme bien trop importante lorsqu’on a fui avec ce qu’on avait sur le dos et sans travail. »
Wahid Haderi au travail
« La plupart des journalistes qui ont un visa ne l’ont que pour trois ou six mois et même le mien est arrivé à expiration. Le Pakistan a annoncé fermer les frontières et nos collègues n’ont d’autre choix que de passer la frontière illégalement. A la fin de l’année, ils risqueront trois ans de prison ou la déportation en Afghanistan, mais que peuvent-ils faire ? Beaucoup ont à charge une famille et ils ont plus de chance de répondre à leurs besoins depuis le Pakistan qu’en Afghanistan. »
Risquer la mort sur place ou tenter une maigre chance ailleurs, voilà ce qu’exprime notre intervenant. Il évoque des aides internationales aux conditions d’accès trop spécifiques pour véritablement aider les journalistes afghans.
« Quelques organisations comme Amnesty International ou le Comité de Protection des Journalistes fournissent des aides financières, mais vous devez prouver que vous êtes en grand danger pour les obtenir. Or, la plupart ont fui sans aucun document légal pour sauver leur peau. Et quand bien même vous parvenez à toucher les aides, elles ne sont jamais suffisantes pour survivre plus de quelques semaines. Il faut par ailleurs que vous ayez été torturé ou emprisonné, pas simplement menacé. Ils sont pourtant tous victimes de problèmes mentaux ou psychologiques parce qu’ils sont traumatisés. Beaucoup n’arrivent toujours pas à évoquer leur vécu et leur fuite. »
Wahid Haderi en reportage sur la liberté de la presse en Afghanistan
Même son de cloche au micro de notre troisième journaliste. Lui aussi s’est réfugié au Pakistan pour échapper à la mort promise par les Talibans, mais le pays n’est pas sûr pour les journalistes. « Nous nous sentons menacés ici aussi, nous ne pouvons pas non plus critiquer le gouvernement du Pakistan. Des groupes terroristes comme Daesh et les Talibans eux-mêmes ont de l’influence et des soutiens au Pakistan. Nous pouvons toujours être emprisonnés par Islamabad pour nos opinions ou à la suite de l’expiration de notre visa. Nombre de journalistes ne peuvent désormais même plus louer un appartement », se désole-t-il. « C’est une situation cauchemardesque. » Il a beau avoir demandé un visa à la France et l’Allemagne en février dernier, aucune réponse ne lui est parvenue.
Il nous confie attendre simplement de nous « qu’on nous laisse être entendus et de pouvoir travailler sans être menacés de mort ou de torture. » Près de 350 journalistes et acteurs des médias sont actuellement réfugiés au Pakistan et demandent à la communauté internationale de s’occuper de leurs dossiers d’asile.
Il s’agit de leur donner une réponse le plus rapidement possible, afin qu’ils puissent prendre un nouveau départ et avoir une vie normale. Ils doivent également être informés de leurs dossiers et visas qui nécessitent beaucoup de temps pour être examinés afin de les sortir de leur situation désespérée. Leur vie est en jeu.
Ces journalistes doivent être soutenus par la communauté internationale, sur la base d’un mécanisme clair et transparent, afin que leur voix puisse être entendue dans le pays. Les journalistes en danger en Afghanistan doivent également être évacués, et leur dossier d’asile doit être examiné dans un pays approprié.
Après tout, l’Afghanistan n’est pas figé dans l’immobilisme politique. Le fait que le gouvernement taliban ait conservé son bureau politique au Qatar signifie qu’ils veulent négocier dans de nombreux cas, ils ont des réunions régulières avec les représentants du bureau politique de l’Émirat islamique et des sections politiques européennes. Ces visites ont permis de faire comprendre aux talibans que le maintien de leur pouvoir politique dépend de l’acceptation des droits fondamentaux des citoyens.
Les questions de la liberté et des droits de l’homme, en particulier la liberté d’expression, ont été abordées avec les représentants politiques de ce groupe. Et cela a ouvert la voie à une conversation politique, conversation qui a abouti à la création d’un gouvernement global et à la fin de quarante ans de violence.
Maud Baheng Daizey et Noorwali Khpalwak
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/11/PHOTO-2022-11-22-18-24-51.jpg?fit=1080%2C608&ssl=16081080Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-11-23 09:35:452022-11-23 23:22:33Afghanistan : cri d’alarme des femmes journalistes
Du 24 au 26 novembre prochains se tiendront les Assises du journalisme à Bruxelles, la première édition européenne des Assises. Fondées par Jérôme Bouvier, ancien chef de rédaction de RFI, elles ont pour vocation de penser le futur journaliste et réconcilier le public avec ce dernier, alors qu’une crise de confiance et de conscience ébranle la profession depuis quelques années.
Dans un pays comptabilisant plus de 35.000 journalistes dotés de la carte de presse, il paraissait indispensable à Jérôme Bouvier de créer un espace d’échanges de la profession. Journalistes, éditeurs et citoyens sont donc conviés une fois par an depuis 2007 à venir s’interroger sur la définition du métier de journaliste et ses moyens de production. Mais en quoi consiste ce rendez-vous annuel et quels sont ses plus grands défis ?
L’information, pilier d’une société démocratique
Jérôme Bouvier, cheveux bruns, lunettes claires et moustache blanche, est président depuis 16 ans de l’association Journalisme et Citoyenneté, qui produit les Assises. Il possède deux sites, journalisme.com pour accompagner toutes les activités de l’association – et depuis deux ans Mediaeducation.fr, centré sur l’éducation à l’information. Les sites d’information sont connectés mais demeurent deux entités séparées, ayant un objectif commun : apprendre aux citoyens à s’informer et à faire confiance au travail des journalistes.
Jérôme Bouvier, fondateur des Assises.
Jérôme Bouvier est un journaliste de renom, ayant été chef de rédaction à RFI, médiateur de Radio France ainsi que conseiller au cabinet du ministère de la Culture de 2015 à 2017. « Il ne peut pas y avoir une profession comme la nôtre tant critiquée sans avoir un moment de rassemblement », assure le président de Journalisme et Citoyenneté. Pour lui, les Assises étaient une nécessité dans un métier aussi méprisé, ce pourquoi il s’est tant battu pour leur donner vie.
Les Assises ont d’abord été organisées en itinérance en 2007, car Jérôme Bouvier a fait le choix des régions plutôt que celui de la capitale. Metz, Strasbourg, Tours, le Forum fait le tour de France. Des éditeurs, journalistes et citoyens sont invités à venir débattre et échanger gratuitement aux Assises sur les questions de liberté de la presse et l’attrait pour l’information. Forte de son succès en 2007, la première édition du forum avait conduit aux états généraux de la presse écrite diligentés par l’ancien président Nicolas Sarkozy. À partir de 2009, séduit par l’initiative, le Conseil de l’Europe proposera à Jérôme Bouvier de tenir une édition à Strasbourg.
En 2015, les Assises s’installent à Tours pour de multiples raisons. Jérôme Bouvier répond que la ville héberge déjà une des 14 écoles reconnues par la profession, l’École Publique de Journalisme de Tours, située à moins d’une heure de Paris en voiture, permettant aisément des allers-retours. Les élèves de l’EPJT mettent ainsi la main à la pâte pour préparer et animer chaque édition de Tours. Depuis 7 ans maintenant, Tours est devenue LA ville des Assises françaises du journalisme.
Leur mission est simple : « réinstaurer la confiance en apprenant aux citoyens à bien s’informer », un enjeu démocratique majeur qui passe par l’éducation à l’information. Des prix sont décernés aux meilleures initiatives à l’éducation, des workshops sont organisés avec le public, des visites dans les hôpitaux et les prisons sont planifiées. Plus de 1.000 jeunes passent ainsi chaque année dans les ateliers des Assises aux côtés des adultes. Si elles constituent un lieu d’échange autour du métier de journaliste, les Assises peuvent également être un refuge. Jérôme Bouvier le confirme d’une voix certaine, lui et son équipe sont les seuls à proposer de tels rendez-vous de la profession, validés par la communauté internationale des journalistes. Bien évidemment, « les Assises ne suffisent pas à résoudre pour autant la crise de confiance entre les journalistes et le public », mais constituent un excellent point de départ. Elles ont par ailleurs contribué à la naissance d’autres collectifs en vue de dialoguer avec le public.
Le renouveau européen
Depuis le début d’année 2022, le gouvernement d’Emmanuel Macron évoque régulièrement la nouvelle tenue des états généraux, sans pour autant les concrétiser. Sans faiblir, le patron de Journalisme et Citoyenneté exprime avec fermeté son envie de transposer « toute la matière de réflexion des assises » aux états généraux. Son équipe et lui-même seraient honorés d’y participer à nouveau, notamment pour parler de leur baromètre sur l’utilité du journalisme, créé il y a six ans. Selon ce baromètre et Jérôme Bouvier, « la défiance envers les journalistes est toujours aussi forte, mais leur utilité est perceptible selon 92% de la population. Les journalistes sont remis en cause mais pas le journalisme. Si on veut regagner la confiance du public, il faut prouver notre utilité sociale et démocratique », martèle l’ancien conseiller au cabinet de la ministre de la Culture.
Il compte bien mettre en lumière cette utilité en novembre dans les locaux de l’IHECS, à Bruxelles. Cette édition, la première européenne, a été influencée par la guerre en Ukraine mais était en construction depuis un long moment déjà. « La grande soirée des Assises sera consacrée à l’Ukraine en partenariat avec Reporters sans frontières, ainsi que des journalistes ukrainiens et européens couvrant la guerre. Les questions relatives à la couverture de la guerre, les manipulations d’opinion et le rôle des médias seront au cœur des discussions », détaille Jérôme Bouvier.
Le principal objectif ? Tenter de répondre au manque manifeste d’intérêt pour l’information d’une partie de la population, toute classe d’âge confondue. De multiples réflexions seront également abordées, notamment sur les nouveaux acteurs de la démocratie. « Avant, les collègues discutaient et argumentaient avec l’État », se remémore Jérôme Bouvier, « mais dans cinq ou 10 ans nous risquons d’avoir à discuter avec les multimilliardaires de la même trempe qu’Elon Musk. » Aujourd’hui, « une frange de la population tourne le dos aux journalistes malgré le fact-checking, notamment au niveau des vaccins. Ce n’est plus ‘voir pour le croire’ mais ‘je ne vois que ce je crois’ », se désole notre intervenant. Il veut recentrer le rôle du journalisme autour de l’essentiel, l’information. « Nous ne sommes pas là pour penser à la place des citoyens, mais pour rassembler des informations vérifiées et vérifiables pour leur laisser se forger leur propre opinion. » Comment s’en prémunir et obtenir des informations objectives ? Des réponses seront peut-être apportées entre le 24 et 26 novembre prochains.
La Tunisie, berceau des Assises africaines
La France n’est pas le seul pays à avoir besoin de soutenir ses journalistes et de leur permettre de se retrouver, loin de là : de nombreux journalistes au-delà de la Méditerranée avaient fait part de leur intérêt à faire naître et grandir leurs propres Assises dès la première édition. En Tunisie, alors que Kaïs Saïed s’est arrogé tous les pouvoirs et exerce une pression de plus en plus forte sur les médias nationaux, les Assises internationales de Tunis ont vu le jour en 2018, bien avant les nouvelles réformes du président. Jérôme Bouvier ne peut s’empêcher de dénoter une grande différence de traitement entre l’édition de 2018 et celle de mars 2022.
Le premier forum avait été ouvert par le Premier ministre de l’époque en personne, et l’association avait pu constater « une véritable adhésion voire une fierté » de la part des Tunisiens à l’événement. Le pays a été choisi par l’association car il a vu naître le Printemps Arabe et il n’y avait pas meilleur pays pour le forum des journalistes africains et arabophones. Le ton de la seconde édition a néanmoins été plus austère, marquée par l’absence de représentants du gouvernement. Jérôme Bouvier assure cependant ne ressentir « aucune hostilité » de la part des autorités tunisiennes, ne recevant « pas un dinar pour tenir les Assises. »
En 2021, Maroc Hebdo a critiqué l’image « complètementerronée » de Jérôme Bouvier concernant la liberté de la presse au Maroc, arguant que les journalistes marocains invités à certaines conférences « ne sont plus liés à l’exercice du métier de journaliste que depuis l’extérieur du Maroc. » Sur un ton légèrement ironique, l’ancien directeur de rédaction de RFI assure qu’il « y a bien eu des incidents verbaux entre des journalistes marocains lors de la seconde à Tunis, lors des focus sur le Niger, le Yémen et le Maroc pour parler de leur presse muselée. » Certains intervenants ont eu des propos très critiques sur la liberté d’expression et de presse, alors que le Royaume du Maroc est très sensible à tout commentaire. « D’autres journalistes ne l’ont pas accepté », explique-t-il par téléphone. Selon lui, les accusations entre les deux camps de journalistes témoignent de la fracture du monde des médias au Maroc. « C’est un débat qui les concerne, mais les journalistes sont emprisonnés au Maroc et les vifs échanges ne concernaient que les Marocains. » Il rappelle que la seconde édition de Tunis ne constituait pas « une agression envers le régime, mais une réflexion. »
Pour vous inscrire aux Assises de Bruxelles, vous pouvez cliquer ici.
Maud Baheng Daizey
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/11/AJBrussels2022_Visual-scaled-1.jpg?fit=2560%2C1978&ssl=119782560Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-11-10 13:02:412022-11-16 11:47:12Les Assises du journalisme : prouver l'utilité sociale et démocratique des journalistes
Invitée à La Maison des journalistes à l’occasion de son exposition photo « Portrait(s) d’une Résistance », Justyna Mielnikiewicz, photographe polonaise installée à Tbilissi (Géorgie) a été interviewée par Manar Rachwani, Journaliste syrien actuellement résident de La MDJ.
M.R :Généralement, les gens admirent les photos, mais s’intéressent peu à la personne derrière l’objectif. Selon vous, quelle est la différence entre un photojournaliste et un journaliste, et comment pourriez-vous décrire votre expérience en tant que photographe de guerre ?
J.M : La photographie est un outil de communication dont disposent les journalistes, à travers lequel ils peuvent transmettre au monde des fragments de nos réalités. J’ai capturé ces cinq dernières années l’évolution de l’invasion russe et ses conséquences sur la vie quotidienne du peuple ukrainien. C’était important pour moi de dévoiler la réalité d’une vie en guerre et de raconter l’histoire d’une résistance qui dure depuis 2014. J’ai vécu sous l’ombre de l’invasion russe en Géorgie et notamment en Ukraine. Ma motivation pour documenter la guerre est surtout personnelle avant d’être professionnelle. Je raconte tout simplement les difficultés des deux pays qui m’ont accueillie. Je considère que la technologie permet de faciliter la communication dans le monde, ma mission est de donner une voix à l’Ukraine et la Géorgie. Ces deux pays manquent de moyens nécessaires pour transmettre leurs propres messages. Depuis le début de l’invasion russe, de nombreuses fausses informations sur l’Ukraine ont été diffusées sur internet. La Russie a le pouvoir d’orchestrer de diverses campagnes de désinformation sur la guerre en Ukraine. En tant que photographe, je désire partager la vérité.
M.R :On parle souvent de l’objectivité et surtout de l’obligation de neutralité en journalisme. Selon vous, est-ce que chaque journaliste doit disposer d’un message particulier à transmettre ?
J.M : En tant que journalistes, l’objectivité est un outil que nous devons appliquer et respecter dans nos recherches. Il faut partager l’information sans faire intervenir des préférences personnelles. C’est à nous de restaurer la crédibilité des médias, et dévoiler les vérités. Toutefois, il est difficile d’atteindre l’objectivité dans certaines situations, surtout face à des événements monstrueux.
M.R :Que représente pour vous cette exposition de vos portraits à la Maison des journalistes ?
J.M : Voir mes portraits tirés en grand format et exposés sur la façade de la MDJ me fait très plaisir, cela les rend beaucoup plus accessibles, en effet, les passants s’arrêtent et peuvent découvrir les photographies directement, contrairement aux galeries. De plus, j’admire beaucoup le travail de cette structure qui défend les journalistes menacés. La France se mobilise beaucoup plus que la Géorgie et l’Ukraine pour les journalistes.
Quelques pages du livre “Ukraine Runs Through it (2019)” de Justyna Mielnikiewicz
M.R :Les photos affichées sur la façade de la MDJ ne sont qu’une petite partie des portraits que vous avez pris lors de votre déplacement en Ukraine. Quelle est la particularité de ces photos et est-ce qu’elles montrent les différents aspects de la guerre ?
J.M : La guerre n’est qu’une partie de la vie parmi tant d’autres, et elle n’empêche pas les habitants du pays de pratiquer leurs activités et d’assurer les responsabilités quotidiennes : faire les courses, emmener les enfants à l’école, etc.. Ces aspects de la vie, certes, impactés par la guerre, continuent d’exister.
Le but de ces photographies est de montrer que la vie de ces femmes et ces hommes continue malgré la pression du conflit, afin que chacun puisse s’identifier dans leur quotidien et de se retrouver dans leur histoire.
Dans mon travail, j’essaye de mettre en avant la résistance de tous ces gens ordinaires face à cette guerre qu’ils sont en train de subir, et essentiellement les femmes, afin de déconstruire les idées reçues et démontrer que la guerre n’est pas qu’une affaire d’hommes.
M.R :En tant que photographe qui documente la vie en Ukraine depuis 2014, est-ce que vous étiez surprise par la résistance Ukrainienne, ou vous vous y attendiez ?
J.M : En 2014, un grand nombre d’Ukrainiens s’est porté volontaire dans l’armée et l’État ne pouvait pas fournir l’équipement à tout le monde. Donc les Ukrainiens ont organisé plusieurs campagnes de collecte de fonds afin de se procurer des armes, des gilets de sauvetage et des médicaments. C’est en restant unis qu’ils ont réussi à résister face à l’invasion russe. Actuellement, l’armée de l’Ukraine est mieux équipée et mieux gérée, mais les Ukrainiens continuent à faire des dons et d’aider de toutes les manières possibles. Par exemple, une de mes amies a perdu son compagnon durant le conflit de 2014. Suite à ce drame, elle a décidé de travailler dans le bureau des personnes disparues à Dnipro en tant que bénévole en parallèle de son travail à l’Université. Quand la guerre a éclaté en 2022, elle a commencé à récolter les dons pour les réfugiés et à préparer les médicaments pour les soldats. Les gens qui sont bien informés sur la situation de l’Ukraine, savent très bien que les Ukrainiens ont toujours résisté face à l’occupant russe.
M.R :Est-ce que vous avez peur que le monde commence à oublier la guerre en Ukraine et à négliger la souffrance du peuple ukrainien ?
J.M : Je pense que c’est un souci qui vient avec chaque guerre. Les guerres en Syrie et Afghanistan ont été oubliées au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. J’espère que le monde n’oubliera pas l’Ukraine et que le peuple ukrainien continuera à écrire son histoire.
Justyna Mielnikiewicz avec Darline Cothière, directrice de la MDJ, et Alberic De Gouville, président de la MDJ
« Portrait(s) d’une Résistance – Ukraine 2004-2022 » est une exposition de photographies de la photographe-documentaire Justyna Mielnikiewitcz, mise en place par la Maison des journalistes en partenariat avec L’Institut polonais de Paris, le Centre Culturel Ukrainine et la communauté des bellaruss à paris
Justyna Mielnikiewicz, photographe polonaise, vit à Tbilissi, en Géorgie, depuis 2003. Ses travaux ont été publiés dans le monde entier entre autres par le New York Times, Newsweek, Le Monde, Stern et National Geographic. Elle a été lauréate du World Press Photo, de la Bourse Canon de la Femme Photojournaliste , du prix du jeune photographe du Caucase de la Fondation Magnum, de l’Aftermath Project Grant et du Eugene Smith Fund. La plus grande partie de son travail est consacrée à des projets personnels de long terme, publiés sous forme de livres: Woman with a MonkeyCaucasus in Short Notes and Photographs (2014), Ukraine Runs Through it (2019). Ce dernier a été présélectionné parmi les 20 meilleurs livres par Paris Photo et Aperture. Justyna Mielnikiewicz est représentée par l’agence MAPS
https://i0.wp.com/www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2022/08/DSCF3091-scaled.jpg?fit=2560%2C1443&ssl=114432560Rédactionhttps://www.oeil-maisondesjournalistes.fr/wp-content/uploads/2018/03/logo-oeil-mdj.jpgRédaction2022-08-16 16:21:252022-08-17 08:46:02« Portrait(s) d’une Résistance » La MDJ reçoit la photographe Justyna Mielnikiewicz. INTERVIEW
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