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Mortaza Behboudi, reporter franco-afghan : en prison, « on m’a fait avouer des crimes que je n’ai pas commis » 

Emprisonné plus de 280 jours dans de multiples prisons de la capitale afghane, le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi est de retour en France. Innocenté sur les accusations d’espionnage qui le visaient, il a été libéré le 18 octobre 2023 après 10 mois de prison. Ancien journaliste de la MDJ, il a accepté de témoigner pour l’Œil sur ses conditions de détention.

Il était détenu à la prison de Kaboul depuis le 7 janvier 2023. 284 jours plus tard, Mortaza Behboudi retrouve enfin la liberté. Journaliste depuis 2012, Mortaza Behboudi a travaillé pour plusieurs médias en Afghanistan. En France, il a collaboré et collabore avec les plus grands médias nationaux, tels que France Télévisions, Radio France, Libération ou encore TF1. 

Rendre compte de la réalité des talibans

Il avait dû fuir l’Afghanistan en 2015 après une tentative de reportage sur le marché de l’opium dans le sud de l’Afghanistan et sur sa ville natale, dans la province de Wardak. Il a obtenu un visa par l’ambassade de France à Kaboul et il a été accueilli à la Maison des Journalistes fin 2015.

Rien n’arrête cependant le jeune homme, qui retourne régulièrement dans son pays natal pour y témoigner de l’actualité. « En mai 2021, juste avant la chute de Kaboul, je suis resté trois mois. J’y suis retourné le 15 août avec France Télévisions pour aider les grandes chaînes occidentales. J’étais à la fois caméraman et fixeur. Nous avons fait une vingtaine d’aller-retour en Afghanistan depuis la prise de pouvoir, et j’ai travaillé pour une quinzaine de médias : France Télévisions, Radio France, TF1, Arte… Nous avons même reçu le prix Varenne et le prix Bayeux pour notre série de reportages « À travers l’Afghanistan, sous les Talibans » publié sur Mediapart. »

Lorsque le gouvernement chute et que les Etats-Unis ordonnent leur repli militaire en août 2021, Mortaza n’hésite pas une seconde et s’empare de sa caméra. « Je me suis dit que l’on avait cruellement besoin de journalistes locaux pour mieux informer sur la situation afghane », nous explique-t-il d’une voix assurée, soutenant notre regard. « Bien sûr, beaucoup de journalistes occidentaux y sont allés pour leurs reportages, mais ces derniers n’éclairaient pas vraiment la réalité des talibans. » 

Arrêté en plein reportage et accusé d’espionnage

« Il a été arrêté non pas en tant que journaliste, mais parce qu’il a des relations directes avec des opposants à notre régime », avait déclaré Zabihullah Mujahid, le porte-parole des talibans au pouvoir, dans un reportage de France Télévisions diffusé en juillet 2023. Pourtant, il avait été interpellé aux abords de l’université de Kaboul par un agent taliban en civil le 5 janvier, alors qu’il interrogeait de jeunes Afghanes avec son micro et sa caméra. 

Il explique être parti « afin de tourner plusieurs sujets pour Libération, France Télévisions et Radio France. Deux jours après mon arrivée, j’ai été arrêté au moment où je prenais en photo des étudiantes qui souhaitaient passer leur thèse, mais pour qui les études sont dorénavant interdites. » Emmené au bureau des services de renseignements, il sera emprisonné pendant dix mois dans quatre prisons de Kaboul, enfer qu’il relatera sur Mediapart. 

« Là-bas, j’y ai croisé quatre à six journalistes locaux et nationaux, notamment dans la prison de Shash-darak des services de renseignements des talibans où j’ai passé sept mois. Il y avait surtout des journalistes issus de la télévision : présentateurs, têtes d’affiche des chaînes télévisées locales, surtout du nord du pays. La plupart sont emprisonnés depuis des mois sans que leur famille ne soit informée de leur détention. » 

Des journalistes incarcérés aux côtés de membres de Daesh

Mortaza et son équipe en plein reportage.  © Mortaza Behboudi

« A Kaboul, une fois qu’on est incarcérés, personne n’est prévenu : c’est à la famille de faire ses propres recherches et d’envoyer des lettres au ministère de l’Intérieur et au central du renseignement. Il faut ensuite payer des gens pour obtenir une localisation précise. Quelques journalistes m’ont demandé si j’avais croisé certains de leurs proches dans les autres prisons. Ces dernières constituent les pires endroits d’enfermement dans le monde », affirme-t-il en balayant du plat de la main toute objection. L’espace d’un bref instant, Mortaza se plonge dans un souvenir douloureux, sans toutefois perdre le fil de son récit. 

« Nous y sommes torturés, nous ne voyons pas le ciel et n’avons accès à aucun service médical ou à un médecin. Nous sommes régulièrement maltraités et humiliés, surtout dans la prison du renseignement et de sécurité maximale, Shash-darak. » Là-bas, plus de 1 200 prisonniers politiques croupissent dans des cellules exiguës. Tous sont mélangés : politiciens, journalistes, activistes, membres de Daesh… Des bagarres éclatent souvent entre les détenus, faute de véritable surveillance de la part des gardiens.

Plus que la violence, le manque d’informations de l’extérieur ronge le moral des prisonniers. « Si vous voulez voir vos proches, il faut pouvoir payer. Si vous arrivez à obtenir une autorisation, vous aurez droit à une visite de 3 à 4 minutes, une fois par semaine et derrière des vitres blindées, de votre famille. » 

« Malheureusement, il n’y a pas d’organe de jugement ou de tribunal pour ces prisons. On ne connaît même pas les chefs d’inculpation qui ont conduit à notre emprisonnement. Nous ne savons même pas où nous serons transférés ni qui est en charge de notre dossier. »

Si Mortaza n’a pas vu le ciel durant dix mois, les cellules se sont enchaînées sans qu’il ne puisse rien contrôler. Déplacé à plusieurs reprises, il se remémore la confusion qui régnait au sein des prisonniers. « Je suis resté dix jours dans la première prison des renseignements, puis plus d’un mois dans la seconde, sept mois dans la troisième, et le reste du temps dans la quatrième. J’étais tout le temps soumis à des interrogatoires, afin de me faire avouer des crimes que je n’ai pas commis. » 

« Les sept premiers mois, je n’ai eu aucun contact avec l’extérieur. Je n’avais le droit à rien en tant que prisonnier politique, même pas à un stylo et à un morceau de papier. Lorsque j’étais dans la prison des services de renseignements, il n’y avait pas d’accès au téléphone et aucun droit de visite. » 

« Après mon transfert à la prison de sécurité maximale de Pul-e-Charkhi, j’ai pu appeler pour la première fois ma famille sur le téléphone public de la prison. » Pul-e-Charkhi est la plus grande prison du pays, surnommée « le Guantanamo afghan. » 

« J’ai donc contacté ma mère et ma femme pour les prévenir que j’étais vivant. Sur place, nous avons pu avoir des visites d’amis une fois toutes les deux semaines, ce qui reste dangereux : les visiteurs étaient surveillés sur leur trajet et dans leur ville. »

Des négociations difficilement réalisables avec les talibans

Malgré son isolement total, Mortaza n’est pas seul : à l’autre bout du monde, rédactions, associations et proches remuent ciel et terre pour le retrouver. Le journaliste a pu compter sur sa femme Aleksandra, dont les immenses efforts ont fini par payer. « Aleksandra était en contact permanent avec les rédactions françaises. Lorsque je n’ai plus donné signe de vie, elle a appelé tous les médias avec lesquels je travaillais à l’époque, ainsi que RSF. »

Une libération complexe à réaliser, car la France n’est plus présente en Afghanistan depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021. Les tentatives de négociations se sont faites à Doha, au Qatar, mais en vain. Le 6 février 2023, Reporters sans frontières avait indiqué dans un communiqué de presse avoir « épuisé toutes ses ressources » pour libérer Mortaza, bien qu’il ait réussi à « établir un canal de communication » avec les talibans.

« Personne n’a négocié pour mon cas », explique Mortaza. « Tout est passé par un juge taliban qui m’a forcé à avouer des choses pour me faire libérer. Toutes les charges ont été abandonnées, mais il m’a fait dire que mes reportages sur les talibans étaient soi-disant négatifs, ce qui expliquerait selon le juge les dix mois d’emprisonnement. » Une solitude qui impacte durement Mortaza, qui aurait pu rester enfermé de longues années. 

Maud Baheng Daizey

« Frémont » : Babak Jalali et les femmes, ses « sources d’inspiration »

En salle depuis le 6 décembre 2023, “Frémont” relate le parcours drôle et solitaire de Donya, Afghane réfugiée aux Etats-Unis depuis la prise de pouvoir des talibans. Filmé en noir et blanc par le réalisateur Babak Jalali, “Frémont” porte fièrement la parole des exilés, avec humour et nostalgie. Il a accepté de répondre aux questions de la Maison des journalistes, partenaire du film.

Agée de 20 ans, Donya est une réfugiée afghane qui travaille désormais dans une usine de cookies porte-bonheur à San Francisco. Traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle a été contrainte à quitter Kaboul suite à la prise du pouvoir par les talibans à l’été 2021. Dans le film, elle tente de lutter contre son insomnie et sa solitude dans sa nouvelle vie, avant de faire la rencontre d’un médecin qui l’accompagne dans son ouverture au monde. Sa vie bascule lorsqu’elle se voit confier la rédaction des messages de prédictions, teintés de philosophie, dans son entreprise. Durant 91 minutes, Babak Jalali invite le spectateur à suivre le voyage introspectif de Donya, en délivrant une réflexion attachante sur les relations humaines et l’exil. Le film a été récompensé par le Prix du jury au festival du film américain de Deauville, véritable consécration pour Babak Jalali.

L’œil de l’exilée

Un film réaliste, interprété par des acteurs (et surtout, par une actrice) dont la vie fait largement écho au scénario. Anaita Wali Zada, l’actrice principale, est une journaliste connue à Kaboul dans la vie réelle, au même titre que sa sœur. C’est par ailleurs du fait de son métier et d’être une femme qui travaille qu’Anaita est devenue une cible des talibans, la poussant à la fuite l’été 2021. Réfugiée aux Etats-Unis depuis, elle joue pour la première fois de sa vie dans “Frémont.” Proche sur de multiples points avec son personnage Donya, Anaita Wali Zada tenait à éveiller les consciences sur la situation afghane, et a trouvé en “Frémont” et Donya le parfait moyen de le faire. Grâce à son personnage, le spectateur découvre à travers l’œil de l’exilée une vie et une réflexion aux antipodes des siennes.

Pour le réalisateur Babak Jalali, il relevait de l’évidence de filmer son œuvre. Il a eu l’idée du scénario en 2017, avec Carolina Cavalli, réalisatrice italienne et scénariste du film. À l’origine, il devait être tourné en juin 2020, avant même que les talibans ne reprennent le pouvoir, mais l’épidémie de coronavirus a eu raison de leur planning. Rencontre.

Le réalisateur Babak Jalali.

L’Œil : pourquoi avoir décidé de réaliser un film sur une jeune Afghane qui a fui les talibans ? L’idée vous est-elle venue lors de leur reprise du pouvoir en 2021 ?

Babak Jalali : Le film n’est pas nécessairement l’histoire d’une jeune Afghane qui a fui les talibans. Il s’agit plutôt d’une jeune afghane qui recommence sa vie dans un nouvel endroit. J’ai toujours été gêné par la représentation des femmes afghanes dans les médias et le cinéma. Elles ont toujours été dépeintes comme un groupe opprimé sans pouvoir d’action. Elles sont toujours à la maison, ne travaillent jamais, n’ont jamais de rêves ou d’aspirations. Mais les femmes afghanes que j’ai rencontrées et connues au cours de ma vie ont toujours été farouchement indépendantes. Elles avaient des désirs et des souhaits. Elles ont eu des rêves. J’ai donc voulu montrer une jeune femme afghane qui, au fond, n’est pas très différente d’une jeune femme de n’importe quel autre pays en ce qui concerne ses désirs fondamentaux.

Qu’est-ce qui vous motive et inspire à parler des femmes et de l’oppression qu’elles peuvent subir ?

Ma motivation n’est jamais liée à l’oppression dont les femmes peuvent souffrir. C’est le courage et la force qu’elles possèdent qui m’inspirent. Oui, mes sources d’inspiration sont les femmes que j’ai connues. Je suis le petit-fils de femmes iraniennes, le fils d’une mère iranienne et le frère d’une femme iranienne. Et j’ai été témoin de la persévérance d’innombrables autres femmes qui se sont opposées à l’autorité et au statu quo et les ont remis en question. Je suis toujours admiratif du courage dont elles font preuve.

Avez-vous inclus des éléments de votre propre vie dans le film et pourquoi ?

Je dirais qu’indirectement, j’ai toujours inclus des éléments de ma propre vie dans les films que j’ai réalisés. Il s’agit rarement de scènes tirées directement de ma vie, mais elles sont le résultat de choses que j’ai vécues ou que j’ai entendues de première main de la part de ceux qui les ont vécues.

Que représente pour vous le prix du jury de Deauville ?

C’était merveilleux de recevoir le prix du jury de Deauville, surtout parce que cela signifiait que certaines personnes avaient été touchées par le film. Le festival attire un très grand nombre de spectateurs et c’était très émouvant de pouvoir le montrer devant eux. J’espère que ce prix contribuera à inciter davantage de spectateurs français à voir le film dans les salles de cinéma pendant sa sortie.

Le film “Frémont” de Babak Jalali est actuellement en salle dans toute la France. Avec Anaita Wali Zada, Jeremy Allen White, Hilda Schmelling.

Crédits photo : Babak Jalali.

Maud Baheng Daizey

Le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi libéré après plus de 9 mois de détention

Après exactement 284 jours d’emprisonnement à Kaboul, la justice talibane a ordonné ce mercredi 18 octobre la libération du journaliste Mortaza Behboudi. Un véritable soulagement pour ses proches.

Libéré et délivré. Âgé de 29 ans, le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi a appris ce mercredi 18 octobre sa libération, après plus de neuf mois de détention. Le collaborateur de France Télévisions, Arte, Radio France ou encore Médiapart et hébergé par la Maison des journalistes en 2015 a été acquitté par la justice afghane ce jour. L’ONG Reporters sans frontières (RSF), qui l’a accompagné tout au long de ces 284 jours derrière les barreaux s’est réjouie de sa libération.
« Lors d’une audience de la cour criminelle de Kaboul, ce jour, les juges ont prononcé son acquittement de toutes infractions, incluant , l’espionnage, le « soutien illégal à des étrangers » et l’aide au franchissement de frontières vers « l’étranger », réagit RSF.

Arrêté pour espionnage
Alors qu’il était arrivé à Kaboul (Afghanistan) le 5 janvier 2023 et qu’il effectuait des démarches pour obtenir une accréditation dans le but de réaliser un reportage, Mortaza Behboudi a été placé en détention deux jours plus tard. Il a été accusé d’espionnage par les Talibans. « Il a été arrêté pas en tant que journaliste, mais parce qu’il a des relations directes avec des opposants à notre régime », a déclaré Zabihullah Mujahid, le porte parole des Talibans au pouvoir, dans un reportage de France Télévisions, diffusé au début du mois de juillet.

Son arrestation, rendue publique par RSF un mois plus tard, avait provoqué une forte mobilisation des médias français en faveur de sa libération. Mortaza Behboudi est notamment co-auteur de la série de reportages « À travers l’Afghanistan, sous les Talibans » publiée sur Médiapart et récompensée l’année
dernière par le prix Bayeux des correspondants de guerre
et le prix Varenne de la presse quotidienne française.

« Le journalisme n’est pas un crime »
L’épouse de Mortaza Behboudi, Aleksandra Mostovaja, a tout de suite réagi à sa remise en liberté, dans un communiqué publié par Reporters sans frontières : « Avec la libération de Mortaza, la lumière est revenue dans mon monde et la vie peut désormais recommencer. Je suis reconnaissante pour tout le soutien reçu, pour avoir pu voir comment la personnalité de Mortaza a brillé même dans les moments les plus sombres. Personne ne devrait subir de détention arbitraire ni la douleur de ne pas savoir ce qu’il est advenu d’un être cher. Je le répète : le journalisme n’est pas un crime ».

Chistophe Deloire, le secrétaire général de RSF, a précisé que Mortaza Behboudi devrait regagner la France d’ici la fin de semaine.

Au total dans le monde, 514 journalistes et 23 collaborateurs de médias restent en détention, d’après Reporters sans frontières.

Mortaza Behboudi, enfin libre

Article de Chad Akoum


Photo en avant © Le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, le 16 octobre 2020, à Lorient (Morbihan). (QUEMENER YVES-MARIE / MAXPPP)

En Afghanistan, les talibans répandent encore et toujours la peur auprès des journalistes

Depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021 en Afghanistan, la liberté de la presse est quasi inexistante. Les médias sont sous l’étroite surveillance et le contrôle permanent de la milice talibane. Entre censure médiatique, persécutions, emprisonnements, tortures et assassinats de journalistes, le gouvernement a mis en place un véritable règne de la terreur qui traque les journalistes et les professionnels des médias pour les réduire au silence. Retour sur l’état de la liberté de la presse en Afghanistan deux ans après le retour au pouvoir des talibans

Le 15 août 2021, les talibans prenaient le contrôle de l’Afghanistan. Apparu pour la première fois en 1994, le mouvement taliban prône un retour à l’islam pur (proche de celui existant au temps du prophète), et s’appuie sur une interprétation extrémiste de la loi divine aussi appelée la charia.

Le 27 septembre 1996, les talibans s’emparent de Kaboul et prennent le contrôle du pays pour la première fois, où ils font régner la peur et imposent des lois strictes. Le théâtre, la musique, le sport et la télévision sont interdits. Les femmes sont privées d’éducation et n’ont plus le droit de travailler. Les exécutions publiques font partie du quotidien.

Mais les attentats du 11 septembre 2001 réveillent la colère des Etats-Unis, marquant le début de la guerre d’Afghanistan. Le 13 novembre 2001, les soldats américains, aidés par l’Alliance du Nord, libèrent Kaboul, la capitale afghane. Le régime taliban s’écroule après cinq ans de terreur.

Le 1er mai 2021, les Etats-Unis annoncent officiellement le retrait de leurs derniers soldats présents sur le sol afghan, et les talibans ne tardent pas à s’emparer du pouvoir pour la deuxième fois. 

À leur retour au pouvoir en août 2021, ils avaient pour objectif de séduire les médias et de faire oublier le souvenir de leur premier régime (1996-2001). Ils se sont ainsi montrés souriant, posant pour des selfies, mangeant des glaces, répondant à une interview télévisée avec une femme journaliste, ou encore faisant des tours d’autos tamponneuses et de manège dans un parc d’attractions à Kaboul.

Alors qu’ils avaient déclaré vouloir faire partie de la communauté internationale, évoqué un « gouvernement inclusif », et promis que « les droits des minorités et de tous les citoyens seront garantis par le système à venir », le gouvernement mène une politique de répression médiatique qui ne laisse aucune chance de survie à la liberté de la presse

Les autorités multiplient les menaces envers les médias, qu’elles considèrent comme des « ennemis » du régime en vigueur. Interdictions de travailler, arrestations, emprisonnements, tortures, et assassinats de journalistes se succèdent en Afghanistan.

Lorsqu’ils accèdent au pouvoir en 2021, les talibans établissent 11 règles à respecter pour les journalistes. Parmi elles, on retrouve l’interdiction de diffuser des sujets contraires à l’islam et celle de critiquer le gouvernement, de près ou de loin.

Être journaliste en Afghanistan, un métier de tous les dangers

En Afghanistan, les journalistes risquant des accusations « d’immoralité ou de conduite contraire aux valeurs de la société ». De nombreux journalistes sont traqués par la milice talibane et sont forcés de se cacher ou de prendre la fuite.

Certains journalistes afghans formulent des demandes d’asile ou de visa, mais ces requêtes peuvent être des procédures longues et incertaines. Des centaines d’entre eux ont fui l’Afghanistan et se sont rendus en Iran et au Pakistan dans l’espoir d’y obtenir un visa pour un pays sûr, comme la France. 

En ce qui concerne les journalistes étrangers, il est difficile de se rendre en Afghanistan, notamment en raison de la difficulté à obtenir un visa.

L’ambassade de France en Afghanistan étant fermée, « le respect des droits fondamentaux et la sécurité des personnes ne sont pas assurés » en cas d’arrestation ou de détention, comme l’indique le site internet du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. 

Selon les derniers chiffres datant de 2022, plus de 60 % des journalistes ont perdu leur emploi. Près de 40 % des médias afghans ont disparu. La presse écrite est entièrement contrôlée par le gouvernement et c’est environ la moitié des radios qui ont cessé leurs activités.

Les journalistes femmes ont quasiment disparu du paysage médiatique afghan: plus de 80 % d’entre elles n’ont plus de travail. Dans 15 des 34 provinces du pays, il n’y a plus aucune femme journaliste en activité.

L’Afghanistan occupe la 156e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse de RSF en 2022. Le pays était passé de la 150e place (en 2012) à la 122e place (en 2021). 

Dès les premières semaines qui ont suivi leur prise de pouvoir, les autorités se sont attaquées aux journalistes. L’assassinat de Dawa Khan Menapal, ex-journaliste et ancien porte-parole adjoint du président afghan Ashraf Ghani, marqua le début d’une longue série d’assassinats et de violences envers les journalistes.

Dawa Khan Menapal, figure emblématique des médias à Kaboul, n’hésitait pas à critiquer le gouvernement à travers les réseaux sociaux. Il a été assassiné par la milice talibane lors de la prière du vendredi, le 6 août 2021. Quelques jours avant lui, Fazal Mohammad, un policier qui publiait des vidéos humoristiques sur internet, a également été tué par les talibans suite à ses commentaires en ligne.

En septembre 2021, les journalistes Taqi Daryabi et Nematullah Naqdi ont été tabassés par les autorités. Les deux hommes couvraient une manifestation de femmes pour défendre leurs droits à travailler et étudier à Kaboul. Ils ont été arrêtés puis violemment frappés à coups de bâtons, de câbles, et de tuyaux

Les journalistes Taqi Daryabi et Nematullah Naqdi tabassés et frappés avec des câbles par les talibans le 8 septembre 2021. WAKIL KOHSAR VIA GETTY IMAGES

Le 1er décembre 2022, les talibans avaient annoncé avoir interdit deux grands médias présents dans le pays, The Voice of America et Radio Azadi, la branche afghane de Radio Free Europe/Radio Liberty. Leurs sites internet respectifs avaient été suspendus. 

Depuis le 1er janvier 2023, deux journalistes ont été tués en Afghanistan, et cinq ont été emprisonnés.

Le 14 février 2023, les autorités ont organisé une descente dans les locaux de la chaîne de télévision afghane, Tamadon TV, où le personnel a été violemment agressé.

Reporters sans frontières (RSF) a réagi et leur a demandé de libérer les journalistes et de respecter la liberté d’informer. Ce n’est pas la première fois que les talibans ciblent les chaînes de télévision ou de radio.

En effet, le 12 février 2023, la seule radio pour femmes qui diffusait des programmes éducatifs destinés aux filles, Radio Sahar, a elle aussi reçu l’interdiction d’émettre.

Le 11 mars 2023, une explosion à la bombe a tué un agent de sécurité et fait huit blessés dont cinq journalistes afghans lors d’une cérémonie en l’honneur de la  « Journée nationale des journalistes » à Mazar-I-Sharif, dans le nord de l’Afghanistan. 

Entre 2022 et 2023, plusieurs journalistes ont été arrêtés sur le sol afghan: Mohammad Yaar Majroh, reporter de ToloNews, l’une des principales chaînes de télévision du pays, Khairullah Parhar, de la chaîne de radio et télévision Enikass, ou encore Mortaza Behboudi, reporter franco-afghan dont l’arrestation a été largement médiatisée.


Le 7 janvier dernier, Mortaza Behboudi, âgé de 29 ans, a ainsi été interpellé par une patrouille de combattants avant d’être accusé d’espionnage, puis placé en détention. Sa femme, Reporters sans frontières (RSF) et de nombreux médias français tels que France 2, Mediapart, Libération, Arte, ou encore Radio France (pour lesquels il a travaillé) se sont mobilisés et réclament toujours sa libération de prison à ce jour.

La Maison des Journalistes se tient également aux côtés de Mortaza Behboudi.

Sous les talibans, les journalistes vivent dans la peur, un quotidien synonyme de censure et de persécutions. Certains se cachent, d’autres tentent de trouver refuge ailleurs. Force est de constater que la répression médiatique n’est pas prête de s’arrêter au vu des récents événements.

URGENT. Le journaliste et ancien résident de la MDJ Mortaza Behboudi capturé en Afghanistan

Ce matin 6 février 2023, la nouvelle de la détention du journaliste Mortaza Behboudi en Afghanistan il y a 30 jours, alors qu’il effectuait un reportage seul, a été rendue publique. Reporters sans Frontières et 14 médias français s’indignent de cet enlèvement et réclament sa libération immédiate dans une tribune, de même que la Maison des journalistes.

Mortaza Behboudi retenu à Kaboul

Selon les dernières informations de Reporters sans Frontières, le journaliste est détenu à la prison de Kaboul depuis le 7 janvier 2023, alors qu’il était arrivé sur le sol afghan seulement deux jours plus tôt. L’organisme indique dans son communiqué de presse avoir « épuisé toutes ses ressources » pour libérer Mortaza, bien qu’ils aient réussi à « établir un canal de communication » avec les Talibans. Il ferait l’objet d’une accusation d’espionnage. Journaliste-photographe depuis 2012, Mortaza Behboudi a travaillé pour les médias Ava press, Bakhtar news et pour son propre journal Bazar

© QUEMENER YVES-MARIE

Il avait dû fuir l’Afghanistan en 2015 après une tentative de reportage sur sa ville natale, dans la province de Wardak. Il avait alors été arrêté par un groupe de Talibans, qui avait confisqué son matériel et ses papiers d’identité. Inquiet pour le contenu de ses pellicules qui pouvaient lui attirer des représailles, Mortaza s’était enfui en Iran de crainte pour sa vie. S’étant déjà rendu en France au nom de l’ambassade afghane basée à Paris, le journaliste photographe avait été invité la même année à l’événement Paris International Model United Nations, où il en profita pour faire une demande de visa et d’asile en France. Il avait alors été accueilli à la maison des journalistes fin 2015.

Un professionnel de l’Afghanistan depuis son plus jeune âge

« Nous appelons le régime des Talibans à mettre un terme à cette situation insensée. Mortaza Behboudi est un journaliste réputé, respecté et apprécié de ses consœurs et confrères. Nous espérons que notre message portera jusqu’à la capitale afghane dans les bureaux des autorités qui ont pris la décision de son arrestation et qui détiennent la clé de sa libération », a déclaré Reporters sans Frontières ce matin. « Il collabore avec de nombreux médias français et francophones : France Télévisions, TV5 Monde, Arte, Radio France, Mediapart, Libération, La Croix, notamment. Il est coauteur de la série de reportages « À travers l’Afghanistan, sous les Talibans », publiée sur Mediapart et qui a été primée en 2022 par le prix Bayeux des correspondants de guerre et le prix Varenne de la presse quotidienne nationale. Il a contribué au reportage « Des petites filles afghanes vendues pour survivre », diffusé sur France 2, qui sera également récompensé en 2022 au Prix Bayeux », peut-on lire sur le site de France Info.

Choquée d’une telle détention arbitraire, la Maison des journalistes apporte son soutien inconditionnel à Mortaza Behboudi et appelle à sa libération immédiate.

La fin de l’espoir pour les journalistes afghans ?

Alors que l’actualité en Ukraine et en Iran accapare l’attention des médias, les journalistes afghans ayant fui au Pakistan après la chute de Kaboul espèrent toujours un visa occidental qui les mettrait tout à fait hors de danger. Or d’après un récent règlement pakistanais, certains pourraient être renvoyés aux mains des talibans à partir du 31 décembre.

Le mois d’août 2022 a donné l’occasion à nombre d’organisations de journalistes de faire un bilan pour la presse de la gouvernance talibane. Du fait de la censure et de la fermeture de près de 220 médias sur 547, « 60% des 12000 journalistes exerçant avant août 2021 ont cessé leur activité », précise Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans Frontières (RSF)… Et des centaines, parce que leur profession est parmi les plus exposées à des représailles, ont fui le pays.

Le journaliste afghan Ramazan réfugié en France continue de recevoir des menaces de la part des talibans sur son téléphone. Il a longtemps documentés les violences talibanes sur la population gazara, et était visé depuis de longues années par les talibans.

Depuis août 2021, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a reçu près de 9000 demandes d’aide. Le groupe de travail « Afghanistan » créé par le Syndicat national des journalistes (SNJ) dès le 15 août 2021 a quant à lui demandé au ministère français des Affaires étrangères l’évacuation urgente de centaines d’entre eux. Et de fait, près de 250 journalistes ont été accueillis en France avec leurs familles.

Mais quid des autres ? Marzia Khodabakhsh, 27 ans, était productrice de l’information à la télévision Ariana News, média aujourd’hui contrôlé par les talibans. « Mon employeur m’avait depuis longtemps fourni une voiture blindée, parce que j’avais reçu des menaces de mort, et il changeait souvent mon
planning pour que les talibans ne repèrent pas mes horaires.
» Elle a fui au Pakistan en février 2022, et a demandé un rendez-vous à l’ambassade de France dès son arrivée. « Je n’ai même pas reçu de réponse à mon mail », témoigne-t-elle, angoissée par le silence des autorités françaises.

Lors d’une rencontre, fin octobre 2022, au ministère français des Affaires étrangères (MAE), Nicola Edge, une militante du SNJ a de fait cru sentir un désengagement des autorités françaises sur le dossier afghan. « Ils nous ont dit “Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a aussi l’Ukraine », raconte-t-elle, dépitée, ajoutant que le SNJ avait évoqué les très longs délais d’attente de rendez-vous auprès des ambassades de France au Pakistan et en Iran. Les journalistes afghans auraient plutôt besoin que les pays qui en août 2021 avaient fait de grandes annonces sur la nécessité de sauver les défenseurs des valeurs démocratiques et la liberté de la presse déploient plus de moyens pour leur venir en aide.

Or, nombre de journalistes au Pakistan n’ont, comme Marzia Khodabakhsh, même pas eu de réponse à une demande de rendez-vous envoyée il y a six à dix mois. Et ceux qui ont eu le précieux rendez-vous attendent aussi leur visa, tandis que leur situation économique se détériore. « Certains sont dans une extrême précarité, sans ressource aucune, témoigne Nicola Edge. Il y a des femmes seules à la rue au Pakistan, si démunies que quelques-unes ont fait des tentatives de suicide. Elles campent dans des parcs et ont vu leurs tentes lacérées par la police pakistanaise. »

Samiullah Jahesh, 33 ans, un autre journaliste d’Ariana News, est arrivé au Pakistan en janvier 2022 avec sa femme et son fils de trois ans. Il a pu déposer sa demande de visa à l’ambassade de France le 28 juin et n’a pas reçu de réponse. « Je suis acculé financièrement, j’ai épuisé toutes les possibilités d’emprunt auprès de ma famille et de mes amis, le loyer, l’électricité coûtent cher, et le Pakistan ne nous permet pas de travailler. » D’autres témoignent qu’ils rationnent le pain sec et ne mangent plus à leur faim.


Des menaces continues

Mais Samiullah Jahesh craint surtout pour sa vie. Depuis qu’il est à Islamabad, il a reçu des menaces de mort via WhatsApp, et a changé trois fois de domicile afin « de ne pas être repéré par des Pachtouns du Pakistan qui pourraient indiquer ma localisation aux talibans ». Ces messages inquiétants sont le quotidien des journalistes. Marzia Khodabakhsh en a reçu aussi. « Dans un message vocal, un taliban me disait “Où que tu sois, on te trouvera et on te découpera en morceaux”. Ma situation psychologique et morale s’est détériorée, j’ai très peur », dit-elle la voix tremblante. Les menaces emploient aussi d’autres canaux.

Mohammad Eivaz Farhang, 33 ans, travaillait pour le quotidien Hasht-e sobh (« Huit heures du matin », en français) publié en ligne depuis l’étranger. Il s’est senti encore plus menacé lorsque les talibans ont fermé le domaine Internet du journal, et que le porte-parole de l’Émirat islamique d’Afghanistan, Mujahid Zabiullah, a tweeté pour dénoncer les « dizaines de nouvelles que nous entendons dans les médias occidentaux, et des journaux comme Hasht-e Sobh », en concluant: « notre peuple connaît les ennemis de cette nation ». Ces menaces directes ou voilées amplifient le sentiment de danger chez les journalistes, qui savent qu’ils ne sont pas les seuls à être désignés comme « ennemis de la nation » : les militants, artistes, politiciens, juges y ont droit aussi.

En attente d’un visa français depuis des mois à Islamabad, les journalistes afghans se réunissent souvent ensemble pour travailler ou faire avancer collectivement leurs dossiers.

Mais les journalistes connaissent le lourd tribut qu’ils ont payé dans l’exercice de leur profession : chacun a eu un ou plusieurs collègues tués par balles ou dans l’explosion de leur voiture, et un grand nombre connaît des troubles de stress post-traumatique… Retourner en Afghanistan n’est donc pas une option, mais rester au Pakistan non plus. « Se retrouver en exil dans un pays dans lequel le régime qu’on est en train de fuir a des correspondants, c’est-à-dire des gens qui peuvent exporter la répression, c’est extrêmement périlleux, et c’est le cas pour le Pakistan s’agissant des journalistes afghans, car on sait les liens étroits entre les talibans et ce pays », alerte Christophe Deloire, de RSF.


Un prochain visa pour l’enfer

Mais si les portes d’un autre exil restaient fermées aux journalistes, l’option « rester au Pakistan » leur sera aussi bientôt interdite. Le ministère pakistanais de l’Intérieur a en effet annoncé le 29 juillet dernier un durcissement de sa politique à l’égard des étrangers, indiquant qu’après le 31 décembre 2022, « des actions seront engagées contre les étrangers en séjour prolongé dépassant plus d’un an », et qu’une peine de trois ans pourra être prononcée pour les étrangers en séjour irrégulier. Ou l’expulsion.

« La durée de mon visa pakistanais est courte, s’alarme Samiullah Jahesh, et si l’ambassade de France ne me donne pas un visa rapidement, le Pakistan me renverra aux mains des talibans. Et vous savez ce que ceux-ci me feront », conclut le journaliste, qui se dit rongé par la tension morale.

D’une manière générale, tous les journalistes ayant dénoncé dans leurs reportages les actes terroristes des talibans sont exposés à des représailles. Et ce n’est pas le récent bilan de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (Unama), qui va pouvoir les rassurer, qui a déclaré le 2 novembre avoir enregistré « plus de 200 violations de droits humains à l’encontre des journalistes depuis août 2021 ». Des chiffres qui incluent « arrestations arbitraires, mauvais traitements, menaces et intimidations ».

« Du fait de cette date butoir pakistanaise, l’attente du SNJ lors de la dernière réunion au ministère français des Affaires étrangères était la délivrance en urgence de visas par la France, raconte Nicola Edge. Mais nos interlocuteurs ne semblaient pas vouloir prendre de mesure particulière. »


Sortir de l’impasse

Le 20 novembre, une vingtaine de journalistes afghans a donc envoyé une lettre au ministre français de l’Intérieur, Gérard Darmanin, lui demandant « d’accélérer le processus de délivrance de visas ». L’un d’eux, Tariq Peyman, qui a fui la ville d’Hérat avec sa femme également journaliste, n’a cependant qu’un maigre espoir que le président français « conformément à ses engagements, sauvera la vie des journalistes afghans en danger. »

« C’est pourtant la responsabilité des démocraties que de défendre ceux qui représentent la démocratie », déclare Christophe Deloire. Mais il invite aussi le Pakistan à exercer ses propres responsabilités. « Quels que soient ses liens avec le régime des talibans, ce pays se déshonorerait à renvoyer des journalistes dans un pays qu’ils ont fui parce qu’ils étaient en danger. »

Du côté du groupe Afghanistan du SNJ, on sent que la tension monte chez les journalistes. « Certains nous écrivent tous les jours, ils n’en peuvent plus », témoigne Nicola Edge. Elle rappelle que notre pays a évacué environ 4000 Afghans depuis la chute de Kaboul, tandis que l’Allemagne en accueillait 15000 et que ce même pays vient de lancer un programme qui prévoit 1000 évacuations par mois pendant trois ans. « On aurait aimé que la France engage un programme de ce genre », regrette pour sa part Patrick Kamenka, du SNJ-CGT.

« Si on n’aide pas les journalistes afghans, une génération complète disparaît avec les compétences qu’elle a développées depuis vingt ans », relève Elyaas Ehsas, un reporter afghan en exil en France. « L’avenir du journalisme en Afghanistan, ironise-t-il, est-ce un groupe de talibans paradant sur un plateau télé ? » Il ajoute: « Toutes ces puissances qui ont occupé l’Afghanistan pour, selon leurs dires, y instaurer la démocratie, pour aider la société civile à s’organiser, vont-elles abandonner à leur sort ceux qui ont fait vivre ces valeurs pendant vingt ans, ceux qui portent la voix d’un peuple entier, privé pour l’heure de presse libre ? » Marzia Khodabakhsh, Samiullah Jahesh et leurs collègues attendent désespérément à Islamabad une réponse à ces questions.

Frédérique Le Brun, avec Elyaas Ehsas.

Afghanistan: women’s journalists cry of alarm

August 15, 2021 seems to have marked the death of the press in Afghanistan with the return to power of the Taliban. Abandoned to its fate by NATO and the United States, the country has been sinking for more than a year into total obscurantism. The regime promised to respect Human Rights, but its numerous exclusive and authoritarian policies have proven the opposite. In one year, the Afghan media have suffered so much repression that over 50% of them have disappeared. Dozens of journalists have been forced to flee the country to escape the government, without giving up on Afghanistan and their freedom. How do they organize themselves both abroad and in Afghanistan to make their voices heard and keep working and avoiding jail ?

In September 2021, the Taliban government imposed a directive containing 11 articles to censor and control the Afghan press and journalists. They use the media outlets to spread their own information, making the work of journalists very difficult. According to the report of SIGAR, the Special Inspector General for the Reconstruction of Afghanistan, “laws have been enacted to prohibit the publication or broadcast of information considered against Islam or the regime.

More than half the media closed in Afghanistan

Since the takeover, at least 80 journalists have been arrested and all are subject to censorship. More than 51% of media outlets have been closed and 80% of women journalists have been left without jobs in 15 months. As a result, 10 out of 34 provinces in Afghanistan have no female journalists. Zan and Bano TV, two privately owned media outlets that were run by women, had to stop their activities and lay off their mostly female staff.

The most recent case is Kabul News TV, one of the largest news channels in the country. It was founded by former President Karzai’s former chief of staff, Karim Khorram. In recent years, the channel was in opposition to President Ghani’s government, but was closed in 2021 due to pressure from the Taliban and economic difficulties.

For several months, women and girls have seen their freedom shrink. They are no longer allowed to go to school or practice their profession, and the Afghan journalists who are still in place are fighting to keep their jobs. We were able to talk to one of them as well as colleagues now based in neighbouring Pakistan about their current condition and their means of fighting against censorship and the regime.

The many obstacles encountered in getting in touch with them are a sign of their difficulties: the telephone numbers of the refugee journalists in Pakistan can only be reached for a given period of time, before they are redistributed to other people.

Two contacts never answered our calls because their visas had expired and their telephone numbers had been given to another refugee. Others do not have control over their phones, with their brother or strangers answering for them.

The double punishment of the Afghan woman journalist

Fortunately, some were able to answer our calls. Banafsha Binesh is an Afghan woman still living in Kabul and working for TOLOnews, Afghanistan’s leading TV news channel. We had to wait until the second call when she was alone to interview her and get straight answers.

Banafsha Binesh for TOLOnews.

We are working in very bad conditions,” she tells us. “Censorship is extremely strict and there are more and more bans on our work. For example, a while ago I covered a UN event on the situation of Afghan women. Representatives were criticising the Taliban agenda and policies and we were banned from broadcasting our story because we are not allowed to criticise the regime.” With composure and pride, Banafsha Binesh assures us that she does not want to be anonymised because she is “already fighting the Taliban from Kabul.

But why does she continue to work despite censorship and danger? Apart from the need to “make the voices of women and the Afghan people heard“, the journalist explains that she is the only one who can support her family financially. TOLOnews has not escaped the repression and has itself reduced the number of its employees, but Banafsha Binesh has managed to keep her job.

We must continue our work and show the international community that Afghan women have not given up their lives. They continue to fight for their freedom, democracy and to stand up to the Taliban. They are still alive !“, she says in a straightforward voice. 

Before the Taliban, the young woman experienced what she calls “real journalism” in her many reports and refuses to turn away as she and her colleagues “raise the voices of the people who live under constant threat. We feel like activists, in a sense.

Prison for an interview

But her courage is threatened daily. She is terrified every morning to go to her office, being both a woman and a journalist. “One day, while I was reporting with my cameraman on the terrible economic situation of Afghan women, we were brutally interrupted. I was interviewing an ice cream vendor in Kabul when the 8th District Intelligence Department arrived to arrest us. We were imprisoned for four hours, threatened and tortured. They forbade us to do interviews and to give a negative image of the government. We were not allowed to broadcast our work.”

Banafsha Binesh and her cameraman

This was not the only intervention by the Taliban during her working hours, far from it. Binesh testifies that on several occasions the regime interrupted and cut off her live broadcasts, especially when she was interviewing refugees or students outside schools. On that day, “they came and prevented me from talking to the students and girls there, I could only greet them before I had to leave.” She cannot appear on screen without her hijab and mask.

But Banafsha Binesh and her compatriots cannot win this fight alone, she insists on many occasions. “It is the role of the international community to put pressure on the Taliban. It meets them every day in Doha, Qatar, so what is it waiting for to force them to respect women’s rights and freedom of expression? We can no longer go to the parks or the hammam, we can no longer get an education or do cultural activities. We cannot move forward without the international community. Journalists from all over the world must also be able to focus on Afghanistan and the condition of women here, it is our responsibility.”

Getting a foot in the door of journalism

Other journalists have had no choice but to flee the regime and seek refuge in Pakistan. Unfortunately, the situation is not much better for them, as the two Afghans with whom we were able to communicate, who wished to remain anonymous, can testify.

The first of them has been based in Pakistan for 15 months and used to work for Itlat-E-Rooz Daily as an investigative and peace journalist. Wahid Haderi and four members of his family fled their home country in August 2021. He says that in recent months, refugee journalists had arrived on medical and tourist visas. “But without a journalist visa, we cannot work in Pakistan. The country does not issue journalist visa, and for a normal tourist, people should pay $1,000 to brokers, wich is far too much money when we fled with what we have on our backs and no work.”

Wahid Haderi at work

Most journalists who have visas have them for only three or six months and even mine has expired. Pakistan has announced that it is closing the borders and our colleagues have no choice but to cross the border illegally. At the end of the year, they will face three years in prison or deportation to Afghanistan, but what can they do? Many have families to support and they have a better chance of meeting their needs from Pakistan than from Afghanistan.” Risking death on the spot or taking a slim chance elsewhere is what our speaker is saying. He said that international aid was too specific to really help Afghan journalists. 

Some organizations like Amnesty International or the Committee to Protect Journalists provide financial aid, but you have to prove that you are in great danger to get it. Most of them have escaped without any legal documents to save their lives. And even if you manage to get the money, it is never enough to survive for more than a few weeks. And you have to have been tortured or imprisoned, not just threatened. But they all suffer from mental or psychological problems because they are traumatized.” Many still cannot talk about their experiences and their escape.

Wahid Haderi reports on press freedom in Afghanistan

The same sound is heard from our third journalist. He too has fled to Pakistan to escape the death promised by the Taliban, but the country is not safe for journalists. “We feel threatened here too, we can’t criticise the Pakistani government either. Terrorist groups like Daesh and the Taliban themselves have influence and support in Pakistan. We can still be imprisoned by Islamabad for our opinions or as a result of our visa expiring. Many journalists can no longer even rent a flat,” he says. “It’s a nightmare situation.” Although he applied for a visa in France and Germany last February, he has not received any reply.

He confides that he simply expects us “to be heard and to be able to work without being threatened with death or torture.” About 350 journalists and media workers are currently refugees in Pakistan and are asking the international community to take up their asylum cases.

They need to be given an answer as soon as possible, so that they can make a fresh start and have a normal life. They also need to be informed about their cases and visas, which take a long time to be processed in order to get them out of their desperate situation. Their lives are at stake.

These journalists need to be supported by the international community, based on a clear and transparent mechanism, so that their voices can be heard in the country. Journalists in danger in Afghanistan must also be evacuated and their asylum cases examined in an appropriate country.

After all, Afghanistan is not frozen in political immobilism. The fact that the Taliban government has kept its political office in Qatar means that they are willing to negotiate in many cases, they have regular meetings with representatives of the Islamic Emirate’s political bureau and European political sections. These visits have made it clear to the Taliban that their continued political power depends on the acceptance of the basic rights of citizens.

Issues of freedom and human rights, especially freedom of expression, were discussed with the group’s political representatives. And this opened the way for a political conversation, a conversation that led to the creation of a comprehensive government and the end of forty years of violence.

Maud Baheng Daizey and Noorwali Khpalwak