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Afrique du Sud : de la « xénophobie fratricide »

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Les mêmes causes (misère) produisant les mêmes effets (haine envers l’autre), les Sud-Africains sont revenus à la charge. Ils l’ont fait en mai 2008, ils récidivent en avril 2015, en accusant les étrangers africains d’être responsables de tous leurs maux. Parmi ceux-ci, ils citent la criminalité et le chômage, notamment.

©afriqueinside.com

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A ce titre, les étrangers africains sont molestés, tués et poussés, au mieux, à regagner leurs foyers. Leurs biens pillés ou détruits.

En 2008, les mêmes acteurs, c’est-à-dire la frange des citoyens sud-africains défavorisés, ont allumé les violences xénophobes, qui ont touché sept des neuf provinces du pays. Celles-ci ont été d’une telle cruauté qu’on avait déploré 62 morts, dont plusieurs victimes brûlées vives. Une vingtaine de Sud-Africains ont également péri, pris dans leurs propres pièges.

Pourtant, à l’époque, le pays affichait une bonne santé économique. La croissance, qualifiée de « robuste », caracolait entre 5% et 6%. Avec pour conséquence, un environnement propice à l’investissement privé massif. Un bon gâteau national à partager, entre tous, pensait-on !

Or, la réalité était moins lénifiante, car cette prospérité n’avait été profitable qu’à une « bourgeoisie noire » naissante, corrompue à tous les étages.  La situation des masses laborieuses allait donc de mal en pis, au point que les prix de logements dans les townships (villes-dortoirs) n’étaient plus accessibles à la bourse de plusieurs personnes.

Mais, comme c’est souvent le cas, partout au monde, l’angle d’appréciation conduisit les regards sur les étrangers africains, ces « métèques » qui volent les emplois des nationaux et favorisent la criminalité. L’étranger étant le bouc émissaire rêvé !

La première vague des violences xénophobes, en 2008, est partie de ce faux constat. Car, depuis, et,  chaque année, on parle de quelque 5 milliards de d’euros dont l’Etat est délesté, à titre de corruption. Et autres manœuvres frauduleuses. Au détriment de l’amélioration des conditions de vie des masses salariées. Les grèves à répétition déclenchées, depuis, sont à placer dans cette case.

La deuxième vague, celle qui court depuis début avril, participe de la même essence.

Le mal sud-africain est profond. L’économie du pays plonge, comme le montre la chute continuelle du PIB (Produit Intérieur Brut), depuis 2012 : 2,5 % en 2012 ; 1,9 % en 2013 et 1,1 % en 2014. Au mois d’avril 2015, le pays vient de perdre son rang de première puissance économique africaine au profit du Nigeria. Le PIB de ce dernier, en 2013, ayant atteint 372 milliards d’euros contre 280 milliards d’euros pour l’Afrique du Sud.

Une manifestation en l'honneur de Mandela ©latimes.com

Une manifestation en l’honneur de Mandela ©latimes.com

Le pays de Mandela doit, économiquement, se prendre en charge et changer ses orientations improductives. Les étrangers n’ont rien à voir dans sa dégringolade. Qu’ils se souviennent que ces Africains qu’ils déshumanisent, aujourd’hui, (Mozambicains, Malawites et Zimbabwéens) sont originaires des pays qui ont constitué, jadis, le « front line » (la ligne de front) pour combattre l’apartheid.

Apartheid est-il synonyme de racisme ?

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le débat est encore loin d’être clos à propos du mot « apartheid » employé récemment par le Premier ministre Manuel Valls, pour qualifier la situation qui prévaut dans les banlieues. Dans une interview du 7-8 février, accordée à « Ouest-France », portant le titre : « La mixité sociale ? Une solution illusoire », le professeur de sociologie Didier Lapeyronnie en donne sa vision.

Didier Lapeyronnie © PHOTO DESPUJOLS ERIC

Didier Lapeyronnie © PHOTO DESPUJOLS ERIC

Si l’enseignant désapprouve l’usage du terme au sens strict, il ne nie pas qu’il y a en France « des formes de ségrégation sociale et raciale. » Il en conclut, en affirmant qu’ « il y a une cécité française sur les réalités sociales. »

Dans sa plaidoirie, il démontre : « Quand les gens sont discriminés pour des raisons de pauvreté, ils finissent par organiser une sorte de contre-monde. » En cela, le professeur me donne à penser aux mouvements altermondialistes qui s’opposent avec véhémence aux Forums de Davos, en Suisse. D’un côté, les nantis qui s’organisent pour défendre leurs acquis afin de s’enrichir davantage ; de l’autre, les déshérités, écrasés, qui affûtent leurs réflexes de survie.

En France, ce combat est réel. Il ne s’y traduit pas seulement en termes matérialistes, mais aussi par la différence de couleur de peau que l’on désigne par le mot « racisme ». Un « gros mot » que tout le monde évite subtilement de prononcer… puisque il est grossier, par essence. A la place, on préfère utiliser un « euphémisme » élégant. Pourtant, Camus pensait que « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Un chat, c’est un chat.

Le professeur Lapeyronnie n’a pas dérogé à la règle. Pour contourner la difficulté, il a plutôt employé l’expression « ségrégation raciale » qui, sur le plan sémantique, fait glisser le sens en l’atténuant. Mais la formule qu’il propose, en guise de solution, est sans équivoque. N’épousant pas la thèse de la « mixité sociale », l’enseignant affirme : « Si on ne peut pas vivre ensemble dans le même quartier, on peut le faire dans une même société .» N’est-ce pas là de l’ « apartheid ? »

raaQu’est-ce que l’ « apartheid », sinon le fait de séparer les races dans leur espace résidentiel ? Le modèle est sud-africain : Blancs d’un côté, Noirs, Indiens et métis de l’autre. En France, Blancs d’un côté, Noirs, Arabes, et Blancs pauvres (assimilés), de l’autre…selon la proposition du professeur sociologue. C’est bonnet blanc et blanc bonnet.

La solution n’est pas dans la « séparation », mais plutôt dans l’ « élimination » des préjugés. C’est le poison. La solution est dans l’unité tant mentale que dans celle qui rapproche les gens dans la vie pratique de tous les jours, où les inégalités sont atténuées. Or, « Il est plus facile de désagréger un atome qu’un préjugé », disait Einstein. Mais, tout est possible, à travers l’éducation et la volonté de fraterniser … si un jour, la France des « Lumières » le veut.