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Ali al-Muqri : « Au milieu des lycéens je me sens en famille »

[Par Bernadette COLSON]

Jeudi 7 avril 2016, le romancier et journaliste yéménite Ali al-Muqri ne cache pas son plaisir de se trouver devant les lycéens du lycée Albert Einstein de Sainte Geneviève des Bois. « Je suis heureux de vous voir car vous avez l’âge de mes enfants que je n’ai pas vus depuis onze mois, dit-il. Alors, ici, je me sens en famille ».

Le 14 octobre dernier, il était l’invité de l’Institut du monde arabe afin d’y recevoir la mention spéciale du prix de la Littérature arabe pour son livre « Femme interdite ». Des amis lui ont conseillé de rester à Paris. La guerre et l’empêchement d’écrire lui ont fait accepter cet exil, explique-t-il aux jeunes avec qui, durant deux heures, il feuillettera son album de photos de famille, en toute confiance, leur livrant ainsi ce qu’est l’âme d’un écrivain qui défend sa liberté d’expression.

(Source : MDJ)

(Source : Lisa Viola Rossi / MDJ)

« La guerre est cruelle ». Le conflit entre les Houthis alliés à l’ancien président Saleh et la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite qui soutient le président Hadi a fait un grand nombre de victimes et jeté des milliers de personnes sur les routes.

Bombardements, tirs d’artillerie à l’aveugle sur les zones civiles, attentats d’Al Qaïda dans la péninsule arabique qui reprend de la vigueur sur ce terreau chaotique, la population du Yémen subit cette violence au quotidien, contrainte à une vie précaire sans eau ni électricité depuis plus d’un an. « Le camp militaire à côté de chez nous, à Sanaa, a été bombardé et nous nous sommes retrouvés à la rue, nous avons déménagé à Ta’izz ». Ali Al Muqri ne parvient plus à écrire.
Or, l’écriture est son « obsession personnelle » depuis l’âge de 18 ans. Son premier roman « Black Taste, black Odour » en 2009 parle des Achdam, minorités noires arabisées victimes du racisme et du dégoût qu’inspirait à la société yéménite leur vie de marginaux.

A travers « Le beau juif » dont il situe l’intrigue au XVIIème siècle, il n’hésite pas à dénoncer l’intolérance religieuse, le conflit des religions et les nombreuses vexations subies par la communauté juive. Celle-ci, extrêmement réduite aujourd’hui, lutte encore pour sa survie alors que sa présence est inscrite dans l’histoire du pays.

(Source : Liana Levi)

(Source : Liana Levi)

(Source : Liana Levi)

(Source : Liana Levi)

Le judaïsme a été la première religion monothéiste à pénétrer au Yémen ; ce fut même à la fin du IVème siècle la religion officielle du royaume Himyarite qui gouvernait la région. Avec

« Femme interdite », Ali al-Muqri dénonce une société hypocrite qui enferme les femmes dans une non-existence. Avec de tels sujets, les menaces de représailles se sont accumulées sur l’écrivain. Tous ses livres ont été publiés au Liban par l’éditeur Dar al-Saqui de Beyrouth.
« Le beau juif » et « Femme interdite » ont été traduits en français aux éditions Liana Lévi.
Sa bibliographie reflète une autre obsession d’Ali al-Muqri, celle de la liberté « aussi indispensable que l’air qu’il respire ou que l’eau qui lui donne vie ».

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(Source : Lisa Viola Rossi / MDJ)

 

Pour comprendre d’où lui vient cette soif à épancher, peut être faut il remonter le cours de son enfance et en évoquer quelques épisodes. Celui d’un garçon, né en 1966, qui faisait le trajet à pied de son village jusqu’à l’école, à une heure et demie de marche de sa maison, et parfois s’enfuyait pour aller au cinéma car il y avait trop de punitions en classe. Celui encore du gosse ami avec les Achman car il trouvait qu’ils étaient plus libres que lui. Celui enfin de cet enfant qui, parce qu’il était encore tout jeune, pouvait entrer dans la prison des femmes, à côté du restaurant où il travaillait, leur apporter leur nourriture et les observer. « Cette expérience m’a fait réfléchir. Avec ces femmes là, j’ai pris une leçon sur la liberté ».

Depuis, il lutte contre la dictature de la pensée unique ; dans ses ouvrages, il convoque l’histoire qui a fondé son pays comme pour sortir de l’amnésie ceux qui prêchent une culture dominante et enterrent la diversité des êtres humains.

(Source : MDJ)

(Source : Lisa Viola Rossi / MDJ)

Aux lycéens qui lui font face ce jeudi 7 avril, il n’hésite pas à dire que ses enfants lui manquent et qu’il est toujours inquiet d’apprendre des mauvaises nouvelles. « Celui-là avec ses cheveux longs, dit-il en désignant un jeune assis en face de lui, il m’évoque mon fils qui s’était laissé pousser les cheveux mais a été contraint de les couper. C’est un souvenir qui fait mal ». Non sans fierté, il nous présente la photo de sa fille, prise lors d’une manifestation de rue du « printemps arabe » en 2011, elle arbore à la ceinture la janbiya, le poignard traditionnel réservé aux hommes. On se dit que la graine de la liberté a bien été semée.

A la Maison des journalistes où il est réfugié, Ali al-Muqri se sent aussi « en famille » et il a recommencé à écrire. Un livre sur un dictateur, un autre sur Rimbaud à Aden, et puis peut être évoquera-t-il un jour ce petit garçon de la prison des femmes.

 

 

Rebin Rahmani devant des lycéens : « Le journalisme, c’est une responsabilité… »

[Par Bernadette COLSON]

???????????????????????????????Un lycée de la banlieue nord de Paris aux couleurs d’une majorité de jeunes issus de l’immigration , une équipe d’enseignants impliqués dans la réussite de leurs élèves et un journaliste kurde iranien réfugié à Paris, nerveux d’avoir à s’adresser pour la première fois à des grands adolescents français. Voilà ce qui a contribué à rendre exceptionnel ce premier « Renvoyé spécial » de la saison avec Rebin Rahmani, au lycée Marcelin Berthelot de Pantin, le 8 décembre dernier ; il a fait comprendre à une génération de 15 ans que l’exil est le prix à payer dans certaines régions du monde, pour la défense des droits d’un peuple.

 

???????????????????????????????Sa précieuse carte de réfugié et celle de son interprète, le journaliste iranien Reza Espeli​, déposés à la loge du lycée, l’inquiétude de Rebin a vite été levée devant l’accueil des professeurs, le mot de bienvenue du proviseur et la curiosité des jeunes dans les couloirs de l’établissement qui l’ont abordé en lui demandant si lui et son camarade étaient « des latinos ». « J’aimerais bien » leur a répondu Reza en rigolant.
Florence Barbier, documentaliste, Béatrice Boënnec, professeur de lettres, et leur collègue Orazio Loris, professeur d’histoire-géographie mènent un projet interdisciplinaire avec des élèves de seconde sur le thème de l’exil, doublé d’une réflexion sur la liberté de la presse. C’est dans ce cadre qu’ils ont sollicité la Maison des journalistes.
???????????????????????????????Les affichages dans la salle du Centre de documentation et d’information où a lieu la rencontre avec Rebin à partir de 13 h, montrent le travail de préparation effectué en amont : recherches sur l’Iran, sur les Kurdes et sur le journaliste invité. Les élèves se sont répartis les tâches de l’organisation de cet après-midi : mot d’accueil de l’un d’eux, portrait de Rebin par Angélique et Jiang, photographies et prises de notes par d’autres.
Rebin s’est efforcé de répondre clairement aux questions transmises par les élèves avec documents à l’appui, pour présenter les faits historiques qui ont amené quelques 40 millions de Kurdes à être dispersés sur quatre pays, la Turquie, l’Iran, l’ Irak et la Syrie.
Il a insisté sur la situation de la presse en Iran qui n’existe qu’à condition de ne pas critiquer les lois de l’Islam. Il a évoqué son cas personnel. Il a été arrêté et condamné « pour activités contre la sécurité nationale ainsi que propagande contre l’Etat ». Au cours d’une enquête sur le fléau de la drogue auprès de jeunes dans la province du Kermanshah où vivent une majorité de Kurdes, il découvre que les responsables du trafic de drogue sont des cadres proches du pouvoir. Il est emprisonné pendant deux ans dont 6 mois en cellule d’isolement où il a eu la tentation de mettre fin à ses jours. A sa sortie de prison en 2008, il ne peut plus être journaliste, mais il ne veut pas oublier le sort des prisonniers, il devient un actif défenseur de leurs droits.
0« J’aurais préféré rester en Iran » précise Rebin, mais il y est menacé ; des gens sont arrêtés autour de lui pour être interrogés sur l’identité d’Hiva, l’un des pseudonymes qu’il prend pour poursuivre ses activités. En septembre 2011, il passe clandestinement en Irak, par un chemin miné ; là encore il est surveillé, alors il demande l’asile politique au consulat français.
« La France est le premier pays qui m’ait accepté, dit-il et puis c’est un beau pays pour les journalistes ». A un jeune qui lui rappelle les événements de Charlie Hebdo, Rebin répond que « ça peut arriver partout dans le monde quand on n’est pas d’accord avec l’idéologie. Partout dans le monde, pour les journalistes qui disent la vérité, c’est un métier dangereux ».
« Si c’est dangereux, pourquoi a-t-il voulu faire ce métier »? La réponse de Rebin ne se fait pas attendre, « pour moi, le journalisme, ce n’est pas un métier, c’est ma responsabilité envers mon peuple pour la défense de ses droits ». Rebin aujourd’hui anime une organisation non gouvernementale, le Kurdistan Human Rights Network, pour faire entendre la voix des prisonniers en Iran, « leurs conditions sont pires aujourd’hui que lorsque j’étais emprisonné » affirme-t-il.
Les lycéens ont été touchés par la situation humaine d’un homme contraint de vivre sans sa famille et qui n’a pas la possibilité de rentrer dans son pays. Autour de cette rencontre, ils vont maintenant construire une exposition qui sera présentée lors de la semaine de la presse à l’école.