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Avec l’agence Frontex, l’Europe fait la guerre aux migrants

[Par Johanna GALIS]

L’agence de contrôle des flux migratoires européens Frontex risque d’obtenir des pouvoirs plus étendus lors d’un vote au Parlement européen. L’occasion de revenir sur le fonctionnement clair-obscur de cette agence – citée dans les médias sans mécanique explicite développée -, pourtant l’une des pièces maîtresse de l’échiquier du flux des migrants vers les frontières.
Le déploiement des fonctionnalités propres à Frontex, créé en 2004, a permis au mythe de la crise migratoire dite dangereuse de prendre toute son ampleur. La campagne Frontexit (www.frontexit.org), menée par plus de vingt et une organisations européennes et africaines d’aide aux étrangers et aux immigrés, incite à prendre plus de recul sur les réalités de la crise migratoire actuelle, et à ainsi démanteler l’étendue de plus en plus accrue des pouvoirs donnés à cette agence.

© Frontexit.org

© Frontexit.org

Frontex, symbole d’un regard anti-démocratique

De nombreuses idées reçues sont véhiculées par les dirigeants européens contre les migrants. Les moyens financiers ne manquent pas : Frontex, soit l’agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne (en abrégé : Frontières Extérieures) a vu son budget exploser en une dizaine d’années (19 millions d’euros en 2006 pour 114 millions d’euros en 2015).

Frontex, dont le siège est à Varsovie, a développé une politique de dénigrement du migrant qui a pris place par des moyens techniques – création de hotspots, afflux de moyens militaires maritimes et terrestres, systèmes de recueil de données, technologies pointues allouées aux garde-frontières pour répondre à leurs besoins – sur les frontières-mêmes des pays européens.
Et pourtant, l’agence aurait pu considérer l’arrivée des migrants d’un tout autre œil : en effet, l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme consacre la libre circulation de tout à chacun en garantissant le droit de quitter tout pays, même le sien, et d’y revenir. Son budget aurait pu servir, par exemple, à créer des ponts fermes entre les migrants et leurs pays d’accueils, des ports d’attache techniques et technologiques, pour que soit facilitée leur insertion.
Frontex est en quelque sorte le symbole du regard anti-démocratique porté par les Etats-membres de l’Union Européenne sur l’arrivée des migrants dans leurs pays. En effet, d’un fonctionnement obscur, l’agence a une personnalité juridique : elle peut signer des accords avec des pays non européens sans contrôle démocratique des Etats signataires, des parlements nationaux et du Parlement européen. Elle peut ainsi être susceptible de modifier la politique migratoire de pays hors de l’Europe de manière à influencer le flux des migrants.

©migreurop.org

©migreurop.org

La campagne Frontexit, pour plus de transparence

La campagne Frontexit soulève deux questions importantes qui n’ont jusqu’à aujourd’hui pas encore été élucidées.
Frontexit le dit noir sur blanc : la question fondamentale de la responsabilité de l’agence dans les actions qu’elle mène n’est toujours pas claire : qui est responsable en cas de violation du droit des migrants, entre l’agence, l’Etat hôte d’une opération, ou l’Etat dont relève l’agent qui a commis la faute ? Quels sont les mécanismes effectifs mis en place pour garantir l’accès des migrants à l’exercice de leurs droits ?
Le Parlement Européen décide le mercredi 6 juillet si Frontex peut s’arroger de pouvoirs encore plus grands en partageant ses données avec Europol, un office de police intergouvernemental qui facilite l’échange de renseignements entre les polices nationales. Le thème-clé de cet échange serait la diffusion de données à visée de lutte contre le terrorisme.
Si l’agence était en liaison directe avec Europol, elle serait ainsi plus en mesure de confondre les intentions des migrants avec celles de terroristes.

La campagne Frontexit apporte un éclairage important sur les dérives d’une agence très souvent citée dans sa relation aux flux migratoires, mais dont le fonctionnement est malheureusement trop peu connu. Il s’agirait maintenant de faire encore plus attention au fonctionnement de ce qui est considéré comme une « crise migratoire » pour démanteler les à prioris véhiculés par les Etats européens, et leurs organismes.

Journée internationale des migrants: reportage dans la jungle de Calais

[Par Makaila NGUEBLA]

La journée internationale des migrants a été célébrée, ce vendredi 18 décembre, partout dans le monde où vivent les migrants. C’est aussi le cas en France où se trouvent 7000 personnes dans la jungle de Calais, véritable concentration humaine des gens en provenance de zones de conflits de tous genres.

©Makaila Nguebla

©Makaila Nguebla

Située à peu prés à une distance de 300 km de Paris, la jungle de Calais abrite, selon un rapport de l’association Migreurop, 7000 personnes issues de pays d’Afrique et d’Asie, foyers des conflits armés, d’instabilité politique et d’autres aléas climatiques, qui les ont contraintes à abandonner leurs domiciles et leurs familles. Elles ont emprunté le douloureux et périlleux chemin de l’exil.
En l’honneur et en solidarité avec tous ces hommes, ces femmes, ces enfants et ces vieillards venus d’Erythrée, du Soudan, d’Ethiopie et du Tchad, et en ce qui concerne l’Afrique, de Syrie, d’Afghanistan, du Kurdistan, d’Irak pour l’Asie, des artistes français comme Paul Heintz, jeune réalisateur et vidéaste, se sont déplacés jusqu’à la jungle de Calais pour célébrer avec eux cette Journée Internationale des Migrants qui leur a été dédiée par l’ONU, et les soutenir en diffusant des films sur leur parcours, en réalisant leurs portraits et autres expositions.

Jungle de Calais ou concentration des conflits

Les conflits du Darfour au Soudan, la répression politique en Ethiopie, les arrestations arbitraires et les enrôlements forcés des jeunes érythréens dans les services militaires, les violations et les atteintes aux droits de l’homme au Tchad, sont fondamentalement les principales causes soulevées par ces migrants pour justifier leurs exils massifs et solliciter une protection humanitaire internationale.

©Makaila Nguebla

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Comment-vivent-ils ?

Regroupés par pays et par communauté, les migrants de la Jungle de Calais vivent sous des tentes dans des conditions humainement terribles et insoutenables. Ils partagent leurs quotidiens dans l’insalubrité, la promiscuité, l’insécurité humaine et dans une misère indescriptible souvent choquante. Ils espérent des lendemains meilleurs. Certains d’entre eux attendent impatiemment une reconnaissance de leur statut de réfugiés en France. D’autres rêvent de rejoindre l’Angleterre, pays qui offre, selon eux, des meilleures conditions de vie aux réfugiés à la différence de la France.

Régulièrement assistés par des bénévoles mobilisés pour leurs causes, ils bénéficient de nourriture, de couverture et d’autres aides et résistent aux intempéries climatiques. Malgré tout, ils ont développé des centres d’activités commerciales, des lieux de cultes, d’attraction et des distractions pour s’occuper. Mais jusqu’à quand ?

Mahamat est Tchadien, il vit à Calais parce qu’il a fui l’injustice sociale, l’exclusion, l’arbitraire et toute forme d’humiliation subie par les populations tchadiennes, nous a-t-il confié. Le sort de ces âmes dépendra inéluctablement d’une volonté politique globale à l’échelle des pays européens et d’autres Etats qui souhaitent les accueillir sur leurs sols.
Mais à cause des récentes attaques terroristes de Paris de novembre où ont été tués des centaines de personnes, l’espoir s’évapore comme du neige au soleil pour ces migrants. Ils risqueraient de voir durcir contre eux des mesures protectionnistes, restrictives et toutes formes de contrôle en termes de dérives policières souvent violentes. Tout est possible !