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Sécurité au Burundi : tous les signaux sont au rouge

[ Par Diane HAKIZIMANA]

Attaques ciblées à motivation politique, arrestations arbitraires, tortures, etc. A plus de deux semaines de la réélection contestée du président Pierre Nkurunziza, la vie des burundais est quasi rythmée par  des cas de violence et d’insécurité. Des tirs, parfois accompagnés d’explosions de grenades, sont régulièrement entendus à travers Bujumbura,  surtout dans des quartiers dits contestataires du 3e mandat de Pierre Nkurunziza. Le Burundi est « entré dans les prémices de la guerre », selon l’organisation internationale Crisis Group.

Un policier à Bujumbura, la capitale, le 2 août 2015 (Source : france24)

Un policier à Bujumbura, la capitale, le 2 août 2015
(Source : france24)

D’intenses échanges de tirs ont été entendus ce dimanche soir du 9 août 2015 durant près de deux heures dans la capitale Bujumbura, sans qu’il soit possible de les localiser précisément ni d’en connaître l’origine. Les tirs, accompagnés de plusieurs détonations, semblaient avoir cessé peu avant 23 h 30. Selon des témoins, des affrontements ont éclaté entre policiers et « insurgés » dans les quartiers voisins de Jabe et Nyakabiga, dans le nord de la capitale. Aucun bilan n’était disponible. Des tirs, parfois accompagnés d’explosions de grenades, sont souvent entendus dans la capitale burundaise ces derniers jours,  mais rarement aussi intenses et longs que ceux de dimanche soir, selon toujours les témoignages des habitants de Bujumbura. Les faits récents mettent également en exergue les quatre personnes tuées durant la nuit du 6 au 7 août dernier dans deux quartiers contestataires de Bujumbura. Les corps de deux hommes non identifiés ont été découverts à Buterere, les mains liées derrière le dos et portant des traces de torture ; et deux autres personnes ont été tuées lors d’un affrontement avec une patrouille mixte police/armée, cible d’une attaque à la grenade dans la soirée à Cibitoke, a indiqué le porte-parole de la police burundaise, Pierre Nkurikiye.

Les cas de mauvais traitements et de tortures sont aussi signalés. L’ONG Human Rights Watch met en lumière des dizaines de cas de détentions arbitraires et de mauvais traitements au Burundi. Dans son rapport publié ce jeudi, Human Rights Watch parle de quelques 150 cas, avec des actes de torture, le plus souvent le fait de policiers et d’Imbonerakure, les jeunes du parti au pouvoir.  Les deux attaques perpétrées presque simultanément à l’encontre de deux personnalités burundaises ; le lieutenant général Adolphe Nshimirimana d’une part, considéré comme le bras droit du président Pierre Nkurunziza et l’un des principaux maîtres d’œuvre de la répression des manifestations de ces derniers mois, mais aussi comme l’un des artisans de l’échec de la tentative de coup d’Etat avortée de mai dernier, et Pierre Claver Mbonimpa d’autre part, vu comme doyen dans le domaine de la défense des droits humains au Burundi et qui s’est farouchement opposé au 3e mandat de Nkurunziza ; auraient-elles contribué à agrandir le fossé  entre les pro et les anti 3e mandat de Nkurunziza ?

Est-ce une dent pour dent… ?

La première attaque s’est déroulée le dimanche 2 août en fin de matinée. Selon des témoins, le général Adolphe Nshimirimana se trouvait dans sa voiture avec ses gardes du corps lorsqu’il été touché par deux tirs de roquettes avant d’être visé à l’arme automatique. Des témoins disent avoir vu sa voiture criblée de balles. Willy Nyamitwe, le conseiller en communication de la présidence a rapidement confirmé le décès en ces termes : « J’ai perdu un frère, un compagnon de lutte ». Adolphe Nshimirimana était surtout connu pour avoir dirigé pendant dix ans le Service national de renseignement, également appelé la Documentation. Il avait été écarté de ce poste en novembre 2014, mais en réalité, il avait conservé toute son influence. Il avait la main sur l’appareil de sécurité, agissant dans l’ombre. Sa mort est intervenue une semaine après la proclamation de la victoire de Pierre Nkurunziza à l’élection présidentielle controversée. Avec l’assassinat du général Adolphe Nshimirimana, « c’est le pouvoir burundais qui a été touché en plein cœur ». Willy Nyamitwe, conseiller en charge de la communication à la présidence, l’a affirmé, lundi 3 août, à Jeune Afrique.

Le président Pierre Nkurunziza réelu. (Source: lexpress.fr)

Le président Pierre Nkurunziza réelu.
(Source: lexpress.fr)

La deuxième attaque est survenu le lendemain, c’est-à-dire le 3 août vers 17 h 30. Figure de la société civile burundaise et président de l’Association pour la Protection des Prisonniers et des Droits Humains (APRODH), Pierre-Claver Mbonimpa  a été touché par balles au niveau du visage. Alors qu’il rentrait chez lui, un motard s’est approché de sa voiture. Il lui a tiré dessus et il a été atteint à la joue et au cou. Mbonimpa a eu plus de chance que Ndayishimiye car, malgré de grandes blessures, son état de santé s’est amélioré depuis. Et malgré aussi qu’il était poursuivi devant la justice burundaise pour avoir affirmé que des Imbonerakure – les membres de la Ligue de jeunesse du parti au pouvoir CNDD-FDD – recevaient une formation paramilitaire dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) voisine, Mbonimpa, prix Henri Dunant en 2011 pour son engagement en faveur des droits de l’Homme, a pu être évacué ce 9 août en Belgique pour y être soigné, avec l’autorisation de la justice burundaise. La tentative d’assassinat de Mbonimpa a été toutefois interprétée comme une réponse au meurtre la veille du général Adolphe Nshimirimana. D’après Pacifique Nininahazwe, une autre figure de la société civile burundaise, cette attaque contre Pierre-Claver Mbonimpa était « prévisible après l’assassinat de l’ancien chef du renseignement, le général Adolphe ». Ce dernier a par ailleurs été accusé par M. Mbonimpa d’être impliqué dans des exécutions extrajudiciaires survenues au Burundi depuis les anciennes élections de 2010. Avec cette série d’attaques ciblées et de violence, la communauté internationale redoute que le pays sombre dans une spirale de la violence. L’Union Européenne appelle à la reprise urgente du dialogue politique : « Pour nous, la priorité pour l’instant c’est vraiment la reprise du dialogue et l’arrêt de la violence…». L’envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des Grands Lacs, Thomas Perriello, va dans ce sens et souligne l’urgence pour les acteurs de la crise burundaise de renouer le dialogue.

 

Liberté d’expression au Burundi : le bateau est-il à la dérive ?

[Par Diane HAKIZIMANA]

Le coup d’état déjoué du 13 mai dernier a-t- il accéléré les choses ? On ne saurait pas le dire. Mais les faits sont têtus et parlants, parfois. Depuis 2010, une certaine méfiance s’est installée entre le pouvoir de Pierre Nkurunziza et les médias privés indépendants. Une méfiance qui a grandi jusqu’au désamour. Un désamour qui s’est inéluctablement traduit par un divorce vu l’état actuel des radios indépendantes et le fait qu’il n’existait qu’une seule télé privée. Toutes ces stations ont été réduites au silence.

Manifestation contre le 3e mandat de Nkurunziza Source : ici.radio-canada.ca

Manifestation contre le 3e mandat de Nkurunziza
Source : ici.radio-canada.ca

Au Burundi, au cours de ces dernières années, la relation entre les médias indépendants et le pouvoir en place n’était pas au beau fixe. Il y a toujours eu une sorte de suspicion surtout après la dénonciation des résultats issus des élections de 2010 par une partie des opposants au régime de Nkurunziza. Les médias indépendants, qui jusque-là avaient pris le soin de couvrir les élections en synergie et en toute transparence, n’avaient jamais pris partie dans ce conflit entre le pouvoir donné vainqueur par le scrutin et les partis de l’opposition qui ont par la suite choisi de quitter la course électorale. Mais juste après ce scrutin, le pouvoir n’a cessé de taxer ces médias d’être à la solde de l’opposition surtout quand il s’agissait de dénoncer les pratiques de mauvaise gouvernance et de corruption, de violations graves des droits humains, etc.

Des menaces

Des journalistes ont eu droit à des menaces de mort au cours de ces dernières années, certains ont même connu la prison à l’instar du patron d’une radio privée très populaire au Burundi, la RPA, Radio Publique Africaine, pour avoir diffusé un reportage sur l’assassinat de sœurs italiennes, qui impliquait certaines personnalités proches du pouvoir, pour ne citer que celui-ci. Toutefois, personne ne pouvait prévoir que cet état des faits allait déboucher sur une destruction macabre des stations de quasi toutes les radios privées burundaises ainsi que de la seule télé privée du pays.

Les médias burundais pris entre deux feux

La volonté manifeste du président burundais Pierre Nkurunziza de briguer un 3e mandat et les soulèvements populaires qui ont suivi n’ont pas facilité le travail des médias burundais. Avant les événements du 13 mai 2015 où quelques éléments militaires et policiers burundais, sous le commandement du général Godefroid Niyombare, annonçaient la destitution du président Pierre Nkurunziza, les radios privées ne pouvaient pas émettre à travers tout le pays. La fameuse RPA, elle, a eu droit à la fermeture. Dans la foulée, le coup de force du 13 mai a entraîné une liesse populaire, justifiée sûrement par le fait que ce coup de pouce militaro-policier allait mettre fin à des représailles policières que les manifestants subissent chaque jour. Ces derniers n’ont pas tardé à désenchanter. Mais entre-temps, des combats ont éclaté entre les pro-Nkurunziza et les putschistes.

Apparemment, ces deux camps ont vite compris que cette bataille ne devrait pas être seulement militaire, qu’il s’agit plutôt de contrôler aussi les outils d’information. Les putschistes vont jusqu’à utiliser les médias privés pour faire passer leur message à la nation car ils n’ont pas jusque-là accès à la Radio Télévision Nationale du Burundi « RTNB ». Le dernier combat déterminant se déroulera par ailleurs devant cette dernière (RTNB) car, il amènera les putschistes à reconnaître leur défaite moins de 48 heures plus tard.

Les événements du 13-15 mai, coup fatal pour les médias privés burundais

Les médias burundais indépendants sont réduits au silence total depuis l’échec du putsch contre le Président Nkurunziza, s’est indigné Alexandre Niyungeko, président de l’Union Burundaise des Journalistes sur les réseaux sociaux.

 Un manifestant exhortant le gouvernement à rouvrir la station locale de la Radio Publique Africaine (RPA), Bujumbura, la capitale, le 29 avril 2015 Source : ifex.org

Un manifestant exhortant le gouvernement à rouvrir la station locale de la Radio Publique Africaine (RPA), Bujumbura, la capitale, mai 2015
Source : ifex.org

Des éléments en tenue policière et les miliciens du parti au pouvoir ont attaqué à l’arme lourde toutes les stations des radios et télés indépendantes : la Radio Publique Africaine (RPA), Bonesha FM, Isanganiro et la Radio Télévision Renaissance, a-t-il raconté. Peu avant, la radio Rema FM, une radio du parti au pouvoir avait été saccagée et détruite par des manifestants contre la troisième candidature du Président Nkurunziza, juste après l’annonce du putsch, a-t-il poursuivi.

Maintenant, aucune radio privée ne fonctionne à part la radio télévision nationale que contrôle le pouvoir de Bujumbura. Les ruines des radios détruites sont gardées par des policiers lourdement armés, et ils sont prêts à en découdre avec le premier des journalistes qui s’y présenterait, a-t-il conclut. Du coup, plusieurs journalistes de ces radios vivent en clandestinité, surtout les directeurs de ces médias et du syndicat des journalistes, l’Union Burundaise des Journalistes (UBJ).

Le déroulement de ces événements a accentué le désamour qui existait déjà entre les journalistes indépendants et le pouvoir de Nkurunziza. « Je crois que le gouvernement a développé une intolérance grave à l’encontre des voix critiques », a annoncé Bob Rugurika sur France 24, un des directeurs d’une radio privée contraint à l’exil. Il a qualifié ces attaques perpétrées contre ces médias d’« attaque grave envers la liberté de la presse ».  Aujourd’hui, le seul média en mesure d’émettre est la RTNB (Radio Télévision Nationale du Burundi) qui finalement a été gagnée par les forces loyalistes au président Pierre Nkurunziza et qui n’émet que des éloges du gouvernement. Il aura fallu seulement moins de 48 heures pour que le Burundi fasse un bond en arrière de plus de 15 ans, du temps où le pays était secoué par des conflits armés et où il n’existait qu’un seul média d’Etat pour donner sa version des faits.