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Algérie : Le métier de figurant dans les élections présidentielles

[Par Larbi GRAÏNE]

La figuration dans les processus électoraux pour plébisciter le Président de la République en Algérie est devenue une constante depuis l’avènement du multipartisme. En effet depuis que le système politique algérien s’est trouvé dans l’obligation d’organiser des élections présidentielles avec plusieurs candidats afin de les revêtir de la légitimité démocratique et de la dimension pluraliste qui leur sied, on assiste à des candidatures à la figuration, qui proposent de jouer la scène de la rivalité avec le candidat de l’armée. Au temps du parti unique où seul le Front de libération national (FLN) régentait le pays, les choses étaient plus simples, puisqu’il suffisait de faire élire le candidat du parti préalablement coopté par le haut commandement militaire. Seconds couteaux ou lièvres, ces figurants qui ont pour mission d’habiller de l’apparence de la pluralité les scrutins de l’unicité, se recrutent pour certains parmi les leaders issus de la première vague de partis politiques de l’opposition (qu’ils soient islamistes, berbéristes ou laïcs) agrées durant la période précédant l’arrêt des élections gagnées par le FIS, Front islamique du Salut (entre 1989 et 1992), et pour d’autres parmi les vagues plus tardives des années 2000. Au demeurant Ali Benflis est la seule personnalité du sérail à s’être prêté au jeu de la figuration électorale.

Wingz

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1999 : une élection sans figurants
Toutes les élections présidentielles sous le régime multipartite ont été animées par des figurants, à l’exception cependant de la présidentielle de 1999 qui a vu le retrait à la veille des élections des six candidats opposés à Abdelaziz Bouteflika (Hocine Aït Ahmed, Youcef Khatib, Mokdad Sifi, Mouloud Hamrouche, Abdellah Djaballah, Ahmed Taleb Ibrahimi). En fait ces élections-là sont dans l’absolu des élections sans figurants. Malgré la bonne volonté affichée par le général Zeroual quant à garantir un scrutin transparent, ces hommes n’ont pas voulu se laisser piéger par un processus électoral grandement miné. Ils ont donc laissé Bouteflika remporter l’élection mais sans lui offrir les avantages d’une élection multipartite.

1995 : acte fondateur de la figuration
La fabrique des figurants avant de prendre le caractère qu’on lui connait aujourd’hui, visait au départ des personnalités plus aptes à jouer la comédie, plus rompues au jeu du déguisement. Dans le cas algérien, l’acte fondateur de la figuration électorale a été signé lors de la présidentielle de 1995 qui devait mettre fin aux institutions transitoires nées de la guerre civile. Copté par ses pairs de l’armée, le général Liamine Zeroual, alors chef d’une présidence collégiale, dénommée Haut comité d’Etat (HCE), quêtait la légitimité nécessaire à même de lui permettre de présider aux destinées d’un pays traversant une des phases les plus chaotiques de son histoire. Il fut donc décidé de l’adouber en tant que président de la République par le recours au suffrage des électeurs. Liamine Zeroual a eu en face de lui trois figurants en les personnes de Mahfoud Nahnah, (le figurant malgré lui), alors chef du parti islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) qui avait désavoué l’insurrection armée du FIS, Saïd Sadi, dirigeant du Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), parti berbériste, principalement implanté en Kabylie, et Noureddine Boukrouh (futur ministre du Commerce), mais leader d’une formation sans ancrage : le Parti du renouveau algérien (PRA). Le véritable rival du général fut à vrai dire Mahfoud Nahnah. Le cas Nahnah rappelle celui de Benflis car l’organisation de la présidentielle avec des figurants implique la présence parmi eux de la tête d’affiche créditée d’être en mesure de concurrencer le candidat du régime. Dans ce type d’élection la tête d’affiche est évidemment abusée et appâtée par la singularité du contexte dans lequel se déroule le scrutin. Pour Nahnah, c’est la guerre civile où l’on peut espérer l’effondrement du système et pour Benflis, c’est l’exacerbation des luttes claniques sur fond d’infirmité d’un chef d’Etat, qui se présente comme candidat à sa propre succession. On peut supposer que les têtes d’affiche sont approchées par des personnalités du sérail qui leur souffleraient à l’oreille que c’est le moment ou jamais de descendre dans l’arène. Maquiller un scrutin fermé en scrutin ouvert a revêtu du reste une importance cruciale pour le pouvoir en place. L’ancien wali (préfet) d’Oran, Bachir Frik, a révélé récemment qu’il fut instruit quand il était en fonction, de collecter les signatures et des parrainages au profit de Saïd Sadi et de Noureddine Boukrouh afin qu’ils puissent se présenter à l’élection présidentielle face à Zeroual. Ouvrons cette parenthèse pour dire que c’est Saïd Sadi à qui revient la palme de la figuration en ceci que son jeu a été le plus difficile à percer du moins à ses débuts. Bénéficiant de la militance berbère en Kabylie, où il avait pris coutume de sortir ses crocs face au pouvoir oppresseur d’une culture minorée, l’ancien dirigeant du RCD peut aisément en sous main pactiser avec ceux qu’il n’arrête pas publiquement de dénoncer.

Fléchissement
On note cependant un certain infléchissement dans le camouflage électoral depuis la gifle de 1999. Le pouvoir en place ne se donne plus la même peine pour y impliquer des personnalités représentatives des courants de pensée qui traversent la société. Le pouvoir militaire attend des partis politiques auxquels il vient d’accorder l’agrément qu’ils produisent désormais des leaders – figurants afin d’accompagner l’homme qu’il s’est choisi. A travers ces procédures d’agrément, on assure entre autres le renouvellement du personnel d’ornementation et l’entretien d’une clientèle malléable et corvéable à merci.

 

Les figurants dans l’élection de 2014

La présidentielle algérienne du 17 avril 2014 qui vient de reconduire pour la quatrième fois consécutive Abdelaziz Bouteflika à son poste de chef d’Etat, procède de la même architecture. A l’exception d’Ali Benflis, les autres candidats censés croiser le fer avec le président sortant, ont tous enfourché volontairement le cheval de la figuration, qu’il s’agisse d’Abdelaziz Belaïd, de Louisa Hanoune, d’Ali Fawzi Rebaïne ou de Moussa Touati. Pour service rendu, le figurant voit par la suite son parti rétribué en sièges au parlement, ou au niveau des collectivités locales et en divers autres avantages.

 

Abdelaziz Belaïd
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Médecin de formation, ce transfuge de 51 ans du FLN, dont il était le plus jeune membre du comité central fut député pendant dix ans et occupa le poste de secrétaire général de l’Union nationale de la jeunesse algérienne (UNJA), une organisation satellite du même FLN. En février 2012, il fonde le Front Moustakbal (FM) (Front de l’Avenir). Agrée au cours de la même année, il obtient quelques mois plus tard et ce, à l’issue des législatives de mai 2012 deux sièges à l’assemblée algérienne, venant ainsi renforcer la pléthore des formations ornementales existantes. Il est l’un des rares sinon le seul parti à disposer et ce, dès sa fondation d’un siège national flambant neuf acquis dans le « privé ». Le FM suscite l’intérêt des petits patrons qui ambitionnent d’avoir leur entrée au cœur du système prébendier algérien.

 

Ali Benflis
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C’est le figurant malgré lui. Ancien ministre de la Justice avant de devenir chef de gouvernement d’août 2000 jusqu’à mai 2003. Il était donné favori lors de la présidentielle de 2004. Et pour cause il eut le soutien du général de corps d’armées Mohamed Lamari, alors chef d’Etat-major. Une partie de la presse et de la classe politique ont cru vraiment à sa victoire. Du reste Benflis paraissait pavoiser. En 2001 il est intronisé secrétaire général d’un FLN décidé de rompre avec les défaites électorales. Quand en janvier 2003, Benflis, alors chef de gouvernement s’était rendu en visite officielle à Paris, Saïd Sadi, dirigeant du RCD relevait qu’il a eu droit à un accueil digne d’un chef d’Etat. Un tel commentaire suffisait à faire de lui un présidentiable, et soit disant en passant, Saïd Sadi ne s’était pas privé une nouvelle fois de jouer aux côtés de Benflis le rôle de figurant lors de la présidentielle de 2004, savourant à l’avance le score qu’il lui serait attribué après la débâcle de Bouteflika. Mais c’est ce dernier qui l’emporta avec 84,99 % des voix. Ali Benflis, 58 ans à l’époque, en était sorti avec le score humiliant de 6,42 %. Le général Lamari a quitté son poste quatre mois plus tard « pour des raisons médicales » signant ainsi l’acte de sa défaite face au Département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui avait laissé Bouteflika gagner son second mandat. Benflis s’est retiré sur la pointe des pieds. Il ne se représentera pas à la présidentielle de 2009 qu’il sait être taillée sur mesure pour Bouteflika qui a déjà procédé à la révision de la constitution en retranchant l’article limitant le nombre de mandat présidentiel à deux. Ceux qui mettront le pied à l’étrier électoral à l’image de Louisa Hanoune, Moussa Touati, Djahid Younsi, Ali Fawzi Rebaine et Mohamed Saïd, futur ministre de la Communication, savent que les jeux sont déjà faits et que leur mission consiste à faire de la figuration. Pour autant, du point de vue du pouvoir Benflis concentre en lui toutes les qualités d’un présidentiable. Il est issu des Aurès dans l’Est du pays, dans la région qui a enfanté la majeure partie des officiers supérieurs de l’armée. Il aurait pu assurer l’alternance du pouvoir entre l’Ouest et l’Est, dès lors que Bouteflika est originaire de l’ouest. Pur produit du sérail, au moment où il aspire à monter sur le trône, Ali Benflis n’a aucun passif avec un clan particulier du pouvoir. Si on aime à pointer son opposition à Bouteflika, l’homme n’en a pas été moins son directeur de campagne pour l’élection présidentielle de 1999 avant d’assumer tour à tour les fonctions de secrétaire général de la Présidence de la République et de Chef de cabinet de la Présidence sous le même Bouteflika, lequel le désignera comme on l’a vu chef du gouvernement.

 

Louisa Hanoune
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Seule femme ayant gagné sa place de figurante parmi un casting exclusivement masculin, Louisa Hanoune, 60 ans, est à la tête du Parti des travailleurs (PT) depuis sa fondation en 1989. Il y a loin de la coupe aux lèvres entre son statut actuel et son passé militant à l’époque de la clandestinité où engagée dans l’Organisation socialiste des travailleurs (OST), elle fait preuve d’une combativité et d’une audace inouïes en assumant des positions qui lui valurent un séjour en prison au milieu des années 80. Native de Jijel, dans l’est algérien, Hanoune s’était illustrée pendant la guerre civile, en prônant la réconciliation avec les islamistes du FIS et en se posant comme la championne de la lutte contre l’intervention étrangère, se démarquant des appels à l’envoi de commissions internationales d’enquête sur les massacres de civils. Peu à peu, son discours politique perdit ses référents à l’extrême-gauche. Ses fans l’adoptèrent moins pour sa thématique trotskyste que pour sa faconde et son franc-parler que l’équivocité de sa situation de femme, a rendu encore plus percutants. Louisa Hanoune a compris d’après ce que lui renvoie l’imagerie populaire sur sa propre personne que la virilité n’a pas de sexe. Dans un message subliminal adressé aux Algériens, elle se pose comme le seul « homme » parmi les candidats à la magistrature suprême, promettant d’être le « Chavez de l’Algérie ». Tout au long des années 2000, le PT a pris part à toutes les élections législatives et Louisa Hanoune à toutes les présidentielles qui devaient consacrer le triomphe d’Abdelaziz Bouteflika. Elle s’est donc représentée trois fois, comme s’il eût été de son devoir de coller comme une ombre à l’omnipotence de Bouteflika.
Embourgeoisés, ses députés roulent aujourd’hui carrosse. Dans ses conférences de presse fustigeant le « pouvoir » où elle met assez d’allusions pour faire comprendre qu’elle ne vise pas Bouteflika, mais certains de ses ministres, Louisa Hanoune s’empresse de les corriger en croyant sérieusement à sa mission de maitresse d’élèves pris en faute et à l’égard desquels elle se sent en devoir de distribuer les bons et les mauvais points. Emportée par ses élans doctrinaux, elle attribue tous les mérites à tous ceux qui n’en ont pas. A commencer par l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le syndicat étatique, dont le chef ventripotent est devenu son affidé en tout. La cheffe inamovible du PT ne défend les travailleurs qu’en théorie. Objectivement, elle y est contre. Quand les syndicats autonomes arrachent de nouveaux droits, c’est l’UGTA, qui passe le plus clair de son temps à tenter de mettre en échec l’action des syndicats autonomes, qu’elle félicite. Quant aux familles de disparus, dont longtemps elle avait semblé défendre la cause, elle n’a pris leur parti que pour contrôler la situation par crainte du reste que le dossier ne s’internationalise. Mais lorsqu’elle a compris que pour faire valoir leurs droits, les familles étaient prêtes s’il le fallait à aller jusqu’au bout du monde, elle les a mises à la porte du siège national du PT. Pour autant la question des disparus n’en reste pas moins un thème de campagne, sans plus, qui est remis à l’honneur à la veille de chaque rendez vous électoral.

 

Ali Fawzi Rebaïne
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Natif d’Alger, Ali Fawzi Rebaïne, 59 ans, peut se targuer d’avoir eu un passé militant des temps héroïques. Qu’on en juge : fils de parents maquisards qui ont fait la guerre d’indépendance, il eut à subir des tortures dans la cellule même où quelques années plus tôt son père périt sous la torture coloniale. Et pour cause, il prit part en 1983 à un mouvement armé conduit par un certain Benchenouf (dont à vrai dire, on connait peu de choses). Aussi cet opticien de profession a-t-il participé à la création de la première ligue algérienne des droits de l’Homme en juin 1985. Accusé d’atteinte à la sureté de l’Etat pour avoir contribué à la constitution d’association illégale, il est déféré devant la Cour de sureté de l’Etat qui le condamne à 13 ans de prison. En 1987, il fut libéré, lui et ses camarades suite à une grâce présidentielle. Co-fondateur de l’association des fils et filles de martyrs dans le département d’Alger en février 1985, il en devint le premier responsable jusqu’en 1990. De ce noyau associatif qui voulait disputer la rente révolutionnaire au pouvoir en place, naquit le parti Ahd 54 (Le serment de 1954) dont Ali Rebaïne fut élu secrétaire général en 1991, puis reconduit en 1998 avant d’en être élu président successivement en avril 2002 (à l’occasion de la tenue de son congrès constitutif) puis en mars 2007. La dénonciation des harkis, (Algériens supplétifs de l’armée française) qui auraient pris après le départ des Français les leviers de commande en Algérie, est le principal thème dont s’est emparé à ses débuts Ahd 54. Ce parti qui n’a jamais osé désigner directement du doigt le pouvoir militaire, s’est contenté de concentrer ses attaques sur la personne du Président de la République qui serait entouré de harkis. Ali Fawzi Rebaïne en est à sa troisième représentation à la présidentielle après avoir pris part à celles de 2004 et 2009.
Toujours est-il que l’audience de ce parti reste insignifiante, et sa ligne politique se résume à des protestations épisodiques qui se concluent toujours par une adhésion à l’opération électorale en cours. Un des militants de ce parti, Mohamed Seddiki en l’occurrence, a été élu à deux reprises par ses pairs pour présider la Commission de surveillance des élections lors des législatives du 12 mai 2012 et des locales du 29 novembre de la même année. Cependant son action fut sujette à caution. Alors que la nouvelle loi électorale enregistrait un progrès en supprimant le principe de rémunérer les membres de la Commission de surveillance, Mohamed Seddiki montait au créneau pour réclamer de l’argent à l’Etat afin de rembourser les frais occasionnés par les différentes activités de la Commission. Pour comprendre ce qui se passe il faut avoir à l’esprit que la commission ayant élu Seddiki était composée de 52 partis aux locales et de 44 aux législatives sans compter les indépendants. Du reste 21 nouvelles formations politiques y ont fait leur entrée depuis la promulgation en 2012 des textes ayant découlé des « réformes politiques » de Bouteflika. Au fait au sein de cet aréopage de partis majoritairement éprouvettes, aucune formation de véritable opposition n’a de chance d’émerger.

 

Moussa Touati
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Chef d’un petit parti à scandale, le Front national algérien (FNA), qui se voulait à ses débuts comme un FLN épuré de ses dérives népotiques et corruptives, Moussa Touati, 60 ans a finalement produit une forme originale de militance. Celle-ci consiste en le monnayage des candidatures pour devenir députés ou maires sur les listes de son parti. Moussa Touati est le prototype même de l’opposant-client sous l’ère bouteflikienne. Il est le pur produit du système algérien dans ce qu’il a de plus éloigné de la politique, de plus dévitalisé en termes partisans. Fils d’un martyr de la révolution algérienne, ce natif des Beni Slimane dans la wilaya de Médéa, fut tour à tour adjudant dans l’armée, agent des douanes avant d’opter en 1980 pour la police. Il ne s’y plaira que le temps de dénicher une autre chapelle que du reste il bâtira de ses propres mains à la faveur d’un assouplissement de la loi sur les associations en créant en 1986 l’Onec, une organisation pour enfants de martyrs de la guerre d’indépendance. C’est en 1988 qu’il démissionne de la police afin d’être en conformité avec ses nouvelles fonctions. Aidé par le FLN, alors parti unique, lequel a le contrôle sur les mouvements liés aux anciens combattants, Moussa Touati structure son réseau mais sans toutefois réaliser son désir d’autonomie par rapport au parti dont il redoutait les velléités d’hégémonie. Tout compte fait le FLN finit par le détrôner. Après une galère qui va durer quelques mois, Touati trouve le moyen de rebondir lorsque l’armée interrompt les législatives de 1992 remportées par les islamistes. Il crée alors une nouvelle organisation d’enfant de martyrs, la Cnec (Coordination nationale des enfants de chouhada) à qu’il s’empresse de forger une identité reposant sur une allégeance au pouvoir des militaires qui « ont écarté la menace islamiste». Après un mandat à la tête de la Cnec, il fonde en 1999, le FNA, un parti politique qui se définit comme nationaliste dont il devient du reste le président en 2000. Sa première participation aux législatives de 2002 lui vaut huit sièges à l’assemblée populaire nationale (APN). Mais une législature plus tard, soit en 2007, il améliore son score en se tirant avec 13 sièges. Une belle affaire car l’année suivante, Bouteflika triple le salaire des députés en le ramenant à pas moins de 300 000 dinars algériens (2700 euros environ), soit 25 fois le Smig. Ceci n’est pas étranger à cela, des crises récurrentes ont secoué le FNA durant l’année 2012. Moussa Touati était acculé par ses opposants à partir et il s’est vu refuser l’accès au congrès extraordinaire qu’il avait lui-même convoqué. Il se tira d’affaire en avalisant un second congrès dans un autre endroit sans que l’administration ne bronche. Se posant comme un label de la députation, le FNA négocie des places d’élus à l’APN avec le premier venu qui désire se porter candidat en tant que tête de liste pour peu qu’il renfloue la caisse du parti de quelques millions de dinars . Adepte d’un populisme mâtiné d’indigence politique, le FNA est allé jusqu’à vouloir démocratiser la médiocrité. Aux journalistes qu’il reçoit au lendemain des opérations électorales entachées de fraude, il leur déclare sans ciller regretter qu’on n’ait pas gonflé les résultats pour tout le monde s’offusquant ainsi de voir uniquement certains partis avantagés par rapport à d’autres.

 

 

Algérie: Bruits de bottes et chuintements de babouches…

[Par Djamaleddine BENCHENOUF]

 

Un Président qui a fait trois mandats successifs, après un viol de la Constitution. Il a subi un grave accident cérébral, qui l’a privé de ses facultés cognitives, et même de son discernement. Tout a été fait pour ne pas cacher son état, pour que tout le monde le voit dans une situation pathétique. Il ne s’est pas publiquement exprimé depuis deux ans. Il ne reconnait même pas sa propre famille. Il est pourtant imposé au peuple algérien pour un quatrième mandat. Comme si une force tapie à l’ombre du pouvoir avait mis en place un bien étrange scénario.

 

Abdelaziz Bouteflika, président algérien (Crédits photo :  http://www.republicoftogo.com/)

Abdelaziz Bouteflika, président algérien (Crédits photo : http://www.republicoftogo.com/)

 

A y penser sérieusement, cette histoire de 4ème mandat de Bouteflika n’est pas seulement un incroyable  mépris pour tout un peuple, elle est surtout une démarche résolument suicidaire, de tout un régime, qui avait pourtant toute latitude pour faire élire qui il veut, comme cela a toujours été le cas depuis l’indépendance du pays.
Et je dirais même plus, que qualifier cette hallucinante initiative de suicidaire reste en déça de ce qui risque d’advenir à ce pays, de l’explosion à fragmentation qui pourrait en découler, si rien n’est entrepris pour y remédier de façon légale.

 

C’est pourquoi je reste dubitatif, face à cette annonce d’un 4eme mandat. On aurait voulu créer une situation, pour pouvoir recourir à un remède de cheval, qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
C’est bien pour cela que des doutes lancinants me taraudent, et que j’en arrive presque à toucher du doigt le complot qui se dandine au pas de l’oie, dans ses gros rangers.
Si nous ne parvenions pas à voir la grosse farce, c’est qu’elle était cousue de haubans fluo. Elle était tellement évidente qu’elle en est devenue aveuglante. A plus forte raison que ceux qui sont censés éclairer notre lanterne ne jouent qu’à nous faire des tours de passe-passe.

 

Le clan présidentiel n’a pas le choix !

 

Oui, il ne fait pas de doute que le clan de Saïd Bouteflika, y compris certains parmi les pontes militaires qui fraient dans le marigot, n’a pas eu d’autre choix que de se jeter à l’eau, lesté d’une vieille locomotive qui ne sifflera plus jamais.
Oui, ce clan, ou pour être plus précis, cette mafiocratie, ne pouvait pas s’offrir le luxe, qu’elle aurait vraiment souhaité pourtant, de rendre la clé du coffre, et d’aller, tranquilou, jouir du fruit de ses fructueuses rapines !

 

Oui, il n’aurait pas demandé mieux, puisque le butin amassé est tellement prodigieux qu’il ne serait même pas entamé d’ici quatre ou cinq générations !
Leur gros problème était qu’ils étaient faits comme des rats, sans aucune autre issue pour se débiner en douce, que de tomber dans les griffes de tous ceux qui les attendent au tournant, une foule de fauves, sans compter tous leurs propres pique-assiettes, qui seront les premiers à leur tomber dessus, parce chez ces clients-là, c’est « le roi est mort, à mort ceux qui n’ont pas su garder son pouvoir ».

 

Le clan régnant sait, sans l’ombre d’un doute, que cette fois-ci ne sera pas une traversée dorée sur tranche, d’un désert climatisé. Il sait que ce sera une implacable mise à mort, qu’il sera jeté en pâture aux foules versatiles, et que les plus acharnés dans son lynchage seront ceux qui entrent en transes aujourd’hui, quand ils acclament le grand malade, l’homme dont nulle femme n’a enfanté de pareil. Ils le savent, parce qu’ils l’ont déjà éprouvé.

 

Charybde ?

 

La grande énigme est comment et pourquoi les patrons de l’armée ont accepté de soutenir ce clan dans une démarche aussi outrancière, de se mettre la même corde au cou, lestée de la même locomotive réformée ?

 

Deux hypothèses s’offrent à nous, sans place pour une quelconque autre.
La première est qu’ils ont été sommés, de marcher dans cette bien étrange martingale, perdante-perdante, et qu’ils n’ont pas la possibilité de refuser de se plier à l’injonction qui leur a été faite, parce que la main qui les agite pourrait leur couper le sifflet. Ils traînent trop de casseroles, et leurs secrets ne seront bien gardés que s’ils sont dociles et laborieux .

 

La seconde est qu’ils sont eux-mêmes derrière une toile d’araignée de soie, qu’ils tissent de leurs gros doigts de soudards, pour y prendre la mouche qui tape à toutes les vitres et finir de tout avoir entre leurs pattes venues.

 

Scylla ?

 

Dans la première hypothèse, cela voudrait dure que la force extra-nationale qui anime la scène a décidé de syrianniser l’Algérie, peut-être même de l’isoler du Sahara utile, et d’en jeter le Tell dans une logique d’éclatement. Cela voudrait dure que l’appétit venant en mangeant, une certaine stratégie économique, couplée à des visées hégémoniques de reconfiguration de la région, il aurait semblé très opportun, en les circonstances, de renouer avec un passé, qu’on croyait révolu, d’impérator, qui redessine les frontières de son empire, pour pouvoir mettre en place des tailles plus profitables à sa manne. Une Algérie avec un Sahara aussi riche, élagué d’un Nord de rois fainéants, même pas capables de gérer une épicerie. L’aubaine est tentante. Ça ne pouvait que donner des idées à des gloutons restés sur leur faim, malgré les ripailles qui leur ont été servies avec une servilité qui ne pouvait qu’appeler au mépris, puis à l’avidité sans frein.

 

Dans la seconde hypothèse, des généraux algériens, embusqués dans le clan présidentiel ont piégé celui-ci, pour l’encourager à lancer l’initiative d’un 4eme mandat, pour un homme incapable de prononcer une seule phrase audible et intelligible. Ils savaient que le clan jouait sa survie, et qu’il se laisserait tenter, pour sauver sa peau. Ainsi, ils installeraient un climat insurrectionnel, comme ils savent si bien le faire, qu’ils sauront attiser, avec l’art consommé de la manipulation qui est le leur.

 

Puis, ils feraient relayer par leurs caisses de résonance l’idée que seule l’armée pouvait désormais sortir le pays de cette inextricable écheveau. Et là, dans leur costume de sauveurs de la république, qu’ils auraient ressorti du placard, ils arriveraient dare-dare, montés sur leurs étincelants destriers russes de la 8eme Division blindée, pour quadriller le pays, et prodiguer leur bienfaisant arbitrage.

 

La martingale se transformerait alors en gagnant-gagnant, puisque non seulement ils pourraient évacuer des associés compromettants, mais que surtout, ils auraient barre sur la suite des événements. Il ne leur resterait plus qu’à désigner le futur président élu, comme ils l’ont toujours fait, et tout rentrerait dans l’ordre, sans qu’’ils soient inquiétés le moins du monde, pour un sac auquel ils ont pourtant très largement contribué.

 

Une société orpheline d’élites, truffée de garde-chiourmes !

 

Même la donne inconnue de l’islamisme, qui pourrait générer des effets pervers pour eux, ne pourrait que les conforter dans leur fine combine, puisque ils deviendraient encore plus indispensables, autant pour ceux qui poussent des cris d’orfraie dès qu’ils entendent un chuintement de babouches que pour ceux de l’autre côté de la mer qui ont déjà éprouvé avec satisfaction leur compétence de tueurs d’islamistes. Autant dire qu’un retour des islamistes à la faveur de troubles bien cadrés, ne ferait que servir les maîtres du jeu, quels qu’ils soient. Soit pour cautionner la présence de la junte sur le tableau de bord, soit pour accélérer un éventuel processus de chaos contrôlé.

 

Les appels à l’intervention de l’armée, lancés par des personnalités politiques algériennes, et le bouillonnement de la société dite civile contre cette perspective du 4eme mandat tombent pile-poil avec ce qui semble être une savante orchestration. La situation a atteint un tel niveau d’outrance que les appels au coup de force en sont devenus des recommandations de salut public.

 

La meilleure preuve en est que l’Algérie aurait très pu faire l’économie de toutes ces veillées d’armes, et de  toutes ces gesticulations politiciennes. Il aurait juste fallu exiger du Conseil Constitutionnel qu’il entérine les procédures d’empêchement, comme le lui préconise la constitution du pays. Mais cela aurait grippé la machine à renouveler, encore et toujours, la mainmise du même régime, sur le même pouvoir, depuis que le pays est indépendant. C’est bien pour cela, malgré l’état de santé plus que défaillant du président, et malgré une clameur publique qui confine à l’émeute, aucune personnalité politique n’a évoqué le cas de forfaiture commis par le Conseil Constitutionnel, qui semble avoir été dissuadé, par les mêmes, de faire ce que ses prérogatives lui commandent.

 

Dans une société qui se distingue par une totale absence d’élites intellectuelles, où les partis qui activent mangent tous au râtelier du régime, où les intellectuels sont aux abonnés absents, où le plus gros syndicat du pays est devenu une association de boustifailleurs, où la presse est perfusée en manne publicitaire selon son zèle, c’est le sahara politique. En l’espace de quinze années, le régime a dilapidé plus de 700 milliards de dollars, pour transformer le pays en un immense bazar, pour se ménager des alliés naturels par millions, pour quadriller le pays de forces sécuritaires pléthoriques, c’est le désert de la politique et du civisme. C’est la jingle en folie, et à chacun pour soi !

 

C’est bien pour cela que les marionnettistes jouent sur du velours.

 

La machine est lancée ! Plus rien ne l’arrêtera !