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Guinée, un témoin contre le fils du président Obiang

[Par René DASSIE]

Ex-associé de Teodorin Obiang dans une entreprise de construction, Roberto Berardi a été emprisonné et torturé en Guinée Équatoriale. Officiellement pour « malversations », mais selon lui,  parce qu’il envisageait de témoigner contre Teodorin Obiang,  poursuivi aux États-Unis dans l’affaire des biens mal-acquis. Libéré à la faveur d’une mobilisation internationale, il raconte son calvaire et explique les méthodes de détournement et de blanchiment d’argent utilisées par le clan Obiang au pouvoir en Guinée Équatoriale.

teodorin obiang

Teodorin Obiang (source: lemonde.fr)

 

C’est un rescapé de l’enfer carcéral équato-guinéen. Plusieurs mois après sa libération, Roberto Berardi, homme d’affaires italien, ancien proche de Teodorin Obiang le fils du président équato-guinéen, tente de se reconstruire.

Cet homme de 49 ans, au visage émacié et à l’allure soignée, ne veut pas passer l’éponge sur les  violences qu’il a subies à la prison de Bata où il a été détenu pendant 920 jours, dans des conditions particulièrement difficiles. Il veut faire savoir au monde comment le régime Obiang traite ses prisonniers dont près d’une dizaine seront décédés pendant sa propre détention. Son témoignage est d’autant plus important que le pouvoir équato-guinéen a toujours nié torturer ou assassiner des prisonniers, comme le soutiennent de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme.

Son témoignage vaut autant dans la sordide affaire des biens mal-acquis qui vise la famille présidentielle de la Guinée Équatoriale. Car si l’on savait que Teodorin, fils fantasque et flambeur du président Obiang Nguema brassait anormalement beaucoup d’argent qu’il planquait dans des paradis fiscaux ou blanchissait dans des propriétés immobilières en occident, ses méthodes de collecte des fonds n’étaient pas toujours clairement cernées. Roberto Berardi raconte que les entrepreneurs étrangers que la manne pétrolière attire à Malabo et ses environs sont systématiquement rackettés et servent de prête-noms, parfois à leur insu à Teodorin Obiang, pour faire sortir l’argent du pays.

Ce sont ces atouts qui ont fait de l’entrepreneur italien un allié précieux pour l’opposition équato-guinéenne en Exil, qui depuis plusieurs années tente d’alerter l’opinion internationale sur les dérives du régime de Malabo. Roberto Berardi participe désormais à leurs manifestations publiques, pour cautionner leurs accusations par son propre témoignage.

Lundi 12 octobre, il a ainsi pris part à la conférence de presse organisée à Paris par les dirigeants de la Coalition pour la restauration d’un État démocratique en Guinée Équatoriale (CORED), la principale organisation d’opposition équato-guinéenne en exil.

Victime collatérale de l’affaire dite des biens mal-acquis

Roberto Berardi tel qu’il s’est présenté à Paris, estime être une victime collatérale du volet américain de l’affaire des biens mal-acquis qui ont visé Teodorin Obiang, en France et aux États-Unis.

Pendant plusieurs années, il a été l’associé du Vice-président de la Guinée Equatoriale, dans une entreprise de BTP, dénommée Eloba Construction SA.

Leur partenariat est définitivement rompu le 15 janvier 2013, lorsqu’il est interpellé par les forces de sécurité. Officiellement on l’accuse de « fraude » et  de « vol de biens », en lien avec la gestion d’Eloba Construction SA.

Mais selon lui, il n’a jamais commis ces infractions. Il explique qu’il doit en réalité ses ennuis à son refus de couvrir Teodorin Obiang, poursuivi aux États-Unis pour détournement et blanchiment de fonds. A son insu, celui-ci aurait fabriqué plusieurs faux papiers à la fois au nom d’Eloba Construction et en son nom personnel, pour transférer d’importantes sommes d’argent vers les États-Unis. Ses achats compulsifs de biens luxueux, ses dépenses somptuaires finissent par attirer l’attention des autorités financières américaines.

Selon Roberto Berardi, les enquêtes américaines le visent tout autant que Teodorin Obiang, puisque son nom apparaît dans plusieurs acquisitions. Mais soutient-il, il réussira à prouver la fraude sur son identité, passant du statut de coaccusé à celui de témoin.

C’est dans ce contexte expliquera son avocat, que Teodorin Obiang le fait arrêter, pour l’empêcher de témoigner contre lui devant la justice américaine.

En prison, Roberto Berardi est régulièrement torturé. Selon l’Action catholique contre la torture et la peine de mort (ACAT), une ONG qui l’a soutenu pendant sa détention, Roberto Berardi subit de nombreuses sévices en prison. « Il a été frappé et torturé d’abord au commissariat de Bata, puis à la prison de Bata. En janvier 2014, il a été maintenu à terre par des gardiens et flagellé. Roberto Berardi est régulièrement enfermé à l’isolement pendant de longues périodes», peut-on lire sur le site de l’organisation.

Dans ces conditions, son état de santé se dégrade rapidement. Lors d’un déplacement à Bruxelles en avril 2014, le président Teodoro Obiang Nguema est interpellé sur son cas. Il promet qu’il le gracierait pour « raison humanitaire ». Ce qu’il ne fera pas. Quatre mois plus tard, Roberto Berardi est condamné à deux ans et quatre mois de prison, à la suite d’un procès expéditif.

Lorsqu’il est libéré le 9 juillet dernier, il a déjà totalement purgé sa peine et a passé près de deux mois supplémentaires en prison.

Dans cette interview réalisée le 12 octobre à Paris, il revient sur son affaire et explique comment Teodorin Obiang organise le pillage des ressources de la Guinée-Equatoriale.

Guinée Equatoriale : L’opposition doute de la sincérité du Pouvoir

[Par René DASSIE’]

L’opposition équatoguinéene en exil ne croit pas à l’offre de dialogue du président Obiang Nguema et exige son départ du pouvoir. Telle est la position émise à Paris la semaine dernière par les dirigeants de la Cored.

Théodore Obiang Nngéma

Le Président Obiang Nngéma

La Cored est une coalition des partis politiques d’opposition équatoguinéens dont la plupart des responsables vit en exil et du Parti du Progrès équatoguinéen (PP). Lors d’une conférence de presse jeudi 23 novembre, ceux-ci ont émis de nombreuses conditions pour discuter avec Malabo.
La veille, le président Obiang Nguema, au pouvoir depuis 35 ans avait publié un décret amnistiant tous les opposants politiques en prison ou qui attendent l’issue de leurs procès. Dans la foulée, il avait promis d’organiser mi-novembre un dialogue de réconciliation national. S’adressant aux opposants en exil, il s’était proposé de financer leurs billets d’avion pour qu’ils rentrent au pays participer aux assises nationales.
Une stratégie de neutralisation
Cependant, les dirigeants de la Cored ne croient pas en sa sincérité. Selon eux, il s’agirait d’une nouvelle stratégie mise au point par Malabo pour neutraliser l’opposition. « M. Obiang Guema a toujours usé de multiples stratégies pour détruire l’opposition. C’est cela qui lui a permis de rester aussi longtemps au pouvoir » déclarent les opposants. « Il a aussi essayé de torpiller la Cored, mais au contraire, ses tentatives n’ont fait que renforcer notre détermination à lutter contre son régime », explique Emely Nchama, Secrétaire générale de la Cored.

Des observateurs internationaux bienvenus
Les dirigeants de la Cored dénoncent la gestion patrimoniale de la Guinée Equatoriale devenue riche grâce à l’argent du pétrole par le clan Obiang. Ils veulent bien participer à un dialogue national, à condition que plusieurs conditions soient respectées. En premier lieu, des garanties quant à la sécurité des participants. Pour cela, ils exigent la présence d’observateurs internationaux indépendants et crédibles et la caution de quelques chefs d’Etats africains.
Ils proposent plusieurs noms : les anciens présidents Jerry John Rawlings (Ghana), George W. Bush (Etats-Unis), les anciens premiers ministres José Maria Aznar (Espagne), Tony Blair (Royaume-Uni) ainsi que Ban Ki Moon (ancien Secrétaire général des Nations Unies) et l’archevêque Desmond Tutu (Afrique du Sud), etc.
Les opposants réclament, ensuite, l’acceptation d’une feuille de route de départ pacifique du président Obiang, qui débouchera sur des élections transparentes. Selon Salomon Abeso Ndong coordonnateur de la Cored, M. Obiang pourrait dans ces conditions partir libre à la retraite, et vivre dans son pays. La Cored souhaite enfin le report du dialogue prévu mi-novembre par Malabo, le temps d’organiser sa tenue dans des conditions satisfaisantes pour tous. Ces exigences ont été consignées dans un document intitulé « Condition de Paris », qui sera transmis au pouvoir équatoguinéen.