Articles

EMI. « Déconstruire ou dénoncer, mais ne rien laisser passer »

Les assassinats de Samuel Paty (16 octobre 2020) et Dominique Bernard (13 octobre 2023) ont profondément bouleversé la France. Tués pour avoir voulu transmettre leurs connaissances et le respect de la démocratie, la disparition des deux hommes a marqué le pays. Un mois après la mort de Dominique Bernard, comment les professeurs vivent-ils leur métier ? L’enseignement est-il toujours une arme face à la violence ?

L’Œil de la Maison des journalistes s’est penché sur le corps de métier des enseignants longtemps critiqué, et qui aujourd’hui se retrouve victime du terrorisme. Alors qu’une centaine d’élèves ont reçu une sanction disciplinaire pour avoir perturbé les hommages dans leurs établissements, les enseignants éprouvent de plus en plus de difficultés à parler de laïcité et de liberté d’expression. Lundi 27 novembre, un premier procès s’est ouvert à l’encontre de six adolescents, accusés de complicité dans l’assassinat de Samuel Paty et de dénonciation calomnieuse.

Nous sommes allés interroger deux professeurs de lycée, l’un documentaliste et le second enseignant d’histoire-géographie, ainsi que Serge Barbet, le directeur du CLEMI, afin de savoir si ce ressenti était généralisé à tous les acteurs de l’éducation. 

L’empathie des élèves très forte envers leurs enseignants

Dans un lycée polyvalent à Bourg-en-Bresse, la professeure documentaliste Danielle G. témoigne d’une hausse de la sécurité autour de son établissement depuis la mort de Dominique Bernard. Elle a animé en avril 2023 un Renvoyé Spécial avec la journaliste ukrainienne Nadiia Ivanova en ce sens, une expérience riche en découvertes pour elle et les élèves. Une rencontre des plus primordiales pour la documentaliste, que la mort de Dominique Bernard a ébranlée. Car élèves comme professeurs se sont sentis concernés par les menaces envers les enseignants. 

« Notre établissement était particulièrement touché car nous avons reçu des menaces à la mort de Dominique Bernard, dès le lundi 16 octobre. Des policiers sont venus surveiller le lycée. Puis le lendemain, ce sont les soldats Sentinelle » qui ont pris le relais, explique Danielle G. « Nous avons même dû évacuer le vendredi 20, suite à une alerte à la bombe. »

Un sentiment d’insécurité qui n’arrivera pas à prendre le pas sur l’enseignement, mais qui marque les esprits. Pour la documentaliste, le deuil de Dominique Bernard n’a pas été vécu comme celui de Samuel Paty. « Cette année, j’étais un peu sidérée. Pour Samuel Paty j’avais besoin d’en parler et de partager avec les collègues. J’avais réalisé un mur virtuel sur un pad numérique à destination des enseignants, avec des ressources pour les aider ainsi que les élèves. Je m’étais démenée. Cette fois-ci, n’ayant pas cours le lundi 16, j’ai hésité à me rendre au lycée. Je n’avais pas envie de me regrouper avec les autres, j’ai eu une réaction très différente », nous confie-t-elle avec quelques hésitations. Mais les mots de Danielle G. sont toujours justement choisis. Elle exprime simplement une certaine incompréhension des événements, à l’unisson avec ses confrères et consœurs.

« J’ai culpabilisé de ne pas rejoindre les collègues mais je n’avais pas envie, pourtant je m’étais beaucoup engagée avec mes collègues et les élèves, notamment par des hommages à la date anniversaire de la mort de Monsieur Paty. Ici, j’avais envie d’être seule. Je voulais attendre d’avoir plus de recul avant d’en discuter avec les élèves. Et étant professeur documentaliste, je n’ai pas de classe à prendre en charge. Je suis donc arrivée le lundi après-midi, pour la minute de silence. »

Une façon comme une autre de vivre le traumatisme, qui relève également d’une certaine « lassitude. » Selon la documentaliste, d’autres professeurs « ont préféré rester dans les classes pour éviter les mouvements de foule et s’attendaient à des perturbations », qui n’ont pas eu lieu. Le discours du directeur « a apaisé » les élèves, qui ont « tout de suite été très respectueux. » 

Une « surprise » pour Danielle G., « car notre minute de silence a été programmée pour le lundi après-midi dans la cour. Alors qu’à la mort de Samuel Paty, les élèves étaient restés dans les classes pour éviter les perturbations et mouvement de foule – pour rappel, nous avons 2 300 élèves dans nos locaux. Mais cette fois-ci, et à la demande de quelques professeurs, nous nous sommes retrouvés dehors. Nous étions au moins 1 000 personnes. Je m’attendais vraiment à ce qu’il y ait de la provocation, des petites incivilités… Ils restent des adolescents après tout. Mais tout s’est très bien passé, il n’y a eu aucun bruit parasite ni dérangement pour l’hommage. »

Le Centre de Documentation et d’Information sous-estimé dans l’EMI ?

Depuis plusieurs années, les professeurs documentalists font venir une fois par an les expositions du collectif Cartooning For Peace auprès des élèves « pour travailler sur les caricatures, de la liberté de la presse et d’expression », souvent en collaboration avec les professeurs d’histoire. « Même s’il y a de la provocation, le dialogue reste possible », assure-t-elle sur un ton mesuré.

« Malheureusement, les collègues sont psychologiquement armés, nous commençons à avoir l’expérience pour aborder ces thématiques », atteste-t-elle avec une pointe de fatalisme dans la voix. Liberté d’expression, laïcité, éducation à l’information… Tant de sujets susceptibles de provoquer l’ire des jeunes, et dont la sensibilité s’est profondément accrue ces dernières années. Malgré les alertes du corps enseignant, les politiques publiques ne semblent suffire à apaiser les tensions.

« Nous ne nous sentons pas du tout soutenus par le gouvernement ou les autres acteurs de l’enseignement », constate tristement la professeure. « Nous ne parlons jamais du travail des professeurs documentalistes concernant l’éducation aux médias et à l’information, on se concentre surtout sur les professeurs d’histoire-géographie et on oublie nos compétences. » 

« Il faut aussi nous donner les moyens humains de faire des cours complets d’EMI », tempête Danielle G. « Par exemple j’ai 17 classes de seconde, de 35 élèves chacune », l’empêchant de suivre tout le monde. « Clairement, nous ne pouvons pas faire de la sensibilisation tout seuls ! Pareillement au collège, où les profs documentalistes font découvrir l’EMI aux élèves : ils sont seuls et ont du mal à organiser des séances de sensibilisation. Les chefs d’établissements refusent de bloquer les CDI pendant plusieurs heures par exemple, il faut donc trouver du temps et de l’espace », ce qui peut mener à des casse-tête organisationnels

« Il y a donc beaucoup de disparités » dans le suivi des élèves et leur enseignement. « A vrai dire, on ne pense à l’EMI que lorsqu’un professeur est assassiné ou qu’il y a des attentats. En dehors, on l’oublie totalement. Nous nous sentons abandonnés », déplore la documentaliste en évoquant ses confrères et consœurs. 

« En conséquence, nous faisons de l’EMI par saupoudrage. On ne peut pas dire que rien ne se fait car il y a des professeurs très compétents et le travail très important du CLEMI. Mais j’ai beaucoup de collègues qui n’y connaissent rien et doivent se former eux-mêmes », conclut-elle.

En seconde, depuis septembre 2019, les élèves ont désormais des cours de SNT, Sciences Numériques et Technologie. Ces derniers sont censés démocratiser l’usage du numérique, d’en saisir les enjeux et les dangers. « Dans ces cours, il y a un chapitre sur les réseaux sociaux ; nous proposons donc aux professeurs en charge – dans notre cas, le prof de maths – de compléter avec nos enseignements. Mais ce n’est jamais suffisant ni équivalent pour toutes les classes et tous les établissements », affirme la documentaliste. « Le CLEMI veille véritablement à nous former en EMI mais il en faudrait plus et sur tout le territoire. »

Enfin, un autre point critique pour la professeure : le manque de formation initiale en EMI du corps enseignant. « Nous devons nous former nous-mêmes la plupart du temps, que nous ayons des facilités ou non. En 30 ans de carrière, je n’ai jamais eu de formation initiale EMI, qui n’existait pas dans les années 90. Certains de mes confrères et consœurs ne s’y connaissent pas du tout, alors qu’on doit être assurés pour en parler aux élèves. Nous avons dû avoir recours à l’autoformation, pour compléter la formation continue. Cette discipline, passionnante mais en évolution constante, exige de rester informé au fur et à mesure de ses évolutions. »

« Sans compter qu’aujourd’hui, il faut également consacrer des heures à l’égalité des sexes, l’inclusion, les valeurs de la République… On nous en demande toujours plus. » De quoi décourager les plus aguerris.

« Les professeurs sont loin de se désengager »

Mais pour Serge Barbet, directeur du CLEMI, ce renoncement serait fictif ou du moins exagéré. Le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) créé en avril 1983 a pour mission « de promouvoir, notamment par des actions de formation, l’utilisation pluraliste des moyens d’information dans l’enseignement afin de favoriser une meilleure compréhension par les élèves du monde qui les entoure », peut-on lire sur leur site

Pour parvenir à ses fins, le CLEMI assure depuis 40 ans la formation en EMI d’enseignants des premier et second degrés, conçoit et diffuse des ressources pédagogiques en direction des enseignants et des familles. Le Centre organise également des rencontres, des concours ou des événements comme la Semaine de la presse et des médias dans l’École à des fins éducatives.

Serge Barbet travaille depuis de longues années aux côtés des enseignants, et s’est tenu à leurs côtés lors des assassinats de Dominique Bernard et Samuel Paty. Auprès de l’Œil, il rapporte ne pas avoir perçu de retour d’une baisse d’attention de la part des élèves dans ces thématiques.  

« Je n’ai pas ce type de remontées précisément, mais il est vrai que nous sommes dans un contexte de tensions internationales et nationales inédites par leur ampleur. Lorsqu’on aborde les questions de terrorisme, cela se fait avec une certaine gravité. Cette gravité ne peut qu’entraîner une écoute, un questionnement plus intense de la part des élèves. Nous ne partons malheureusement pas d’un terrain vierge car l’école a déjà été la cible d’attaque terroriste. Il y a trois ans avec Samuel Paty mais aussi en janvier 2015, en mars 2012 à Otzar Hatorah à Toulouse… Tous ces éléments constituent une antériorité, qui ont poussé les opérateurs comme le CLEMI à proposer aux enseignants des ressources et formations plus en lien avec les problématiques que ces attaques terroristes soulèvent. »

Le CLEMI travaille actuellement sur plusieurs axes : la lutte contre la désinformation, contre les discours de haine et le renforcement des fondamentaux de l’EMI (comment l’information est réalisée, par qui, dans quels conditions et contexte…) afin que les élèves aient une appréhension plus rationnelle de l’information. Il programme aussi de la prévention primaire aux processus de radicalisation des jeunes, les rendre plus critiques face à des récits de propagande. 

« Ce travail est plus que jamais indispensable dans un contexte de « brouillard informationnel » où il nous faut impérativement savoir donner des repères et des bons réflexes pour accéder à une information fiable. »

Alors les enseignants seraient-ils vraiment muselés dans leur travail ? « Nous entendons souvent ressurgir, lorsqu’il y a des attentats, le débat « les enseignants vont-ils se censurer face aux élèves ? » Cela m’a souvent fait réagir, car les discours ne s’accordent pas avec nos observations. » Serge Barbet en est formel et tient absolument à mettre l’accent sur le phénomène. 

« Le CLEMI mène un certain nombre d’actions (à l’instar de la Semaine de la presse et des médias dans l’Ecole), et n’a pas enregistré de désaffection ou retrait des enseignants, bien au contraire. Nous avons comptabilisé plus d’inscrits à nos programmes depuis l’attentat contre Samuel Paty. Loin de se désengager, les enseignants nous demandent plus de formations en éducation aux médias et à l’information. »

« Nous formons les enseignants à l’EMI, mais aussi les chefs d’établissement, les CPE, personnels de direction et d’encadrement qui sont de plus en plus concernés par cette problématique. Eux-mêmes demandent à être formés, ce pourquoi nous développons des formations spécifiques et un certain nombre de ressources les concernant directement », à leur demande et à celle du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.

« Personnellement, cela m’a fait souvent réagir : on parle de désengagement mais ce n’est pas ce que nous constatons, notamment lors de la Semaine de la presse et des médias dans l’école qui s’étend sur près d’un mois, ainsi que nos autres activités », dénote le directeur de CLEMI. « C’est le cas avec nos concours de médias scolaires, Mediatiks et Zéro Cliché, où nous avons de plus en plus de professeurs qui s’inscrivent. »

L’histoire-géographie en première ligne ?

Une volonté dans laquelle David Lucas, enseignant d’histoire-géographie depuis 2004 et auparavant professeur de lettres, peut se reconnaître. Il est dans l’éducation depuis 1994 et aujourd’hui, enseigne l’EMI « à travers l’écrit et de manière un peu plus poussée que l’histoire-géographie, du fait de mon parcours de lettres. » 

Travaillant à Brunoy dans le lycée Joseph Talma, il stipule que « l’éducation aux médias et à l’information demeure absolument essentielle, car elle ne passe pas seulement par les disciplines scolaires ou universitaires » : les jeunes sont confrontés en permanence à des images qu’il faut savoir recontextualiser ou déconstruire, ce qu’on n’apprend pas dans les manuels scolaires classiques.

Il avait candidaté à Renvoyé Spécial en 2022 après discussion avec les documentalistes de son établissement, qui lui ont présenté le dispositif. « Je travaille avec eux assez régulièrement notamment durant la semaine de la presse », explique l’enseignant. « C’est ainsi qu’avec un autre collègue, nous avons fait une demande collective, puis j’ai pris en charge la visite de Manar Rachwani prévue pour le 10 février 2023. »

Sa visite, qualifiée de « rouleau-compresseur » et « d’absolument passionnante » par David Lucas, a rencontré un franc succès auprès des jeunes. « Nous avons pu faire un travail poussé et de qualité avec le journaliste, et cette rencontre a constitué l’un des temps forts de l’année, ce qui m’a incité à repostuler pour 2024. » L’intervention de Manar a été un « déclic » pour ces derniers, qui se sont plus intéressés à la liberté de la presse et à la protection des journalistes.

Le meurtre de Samuel Paty correspond à la période où le lycée Joseph Talma décide de prendre quelques mesures de sécurité : les entrées et sorties sont « davantage contrôlées » grâce à une nouvelle carte d’identification, également du fait d’intrusions antérieures. « Ce n’est pas une conséquence immédiate et directe de la mort de Samuel Paty », précise l’enseignant. 

« La semaine du 13 octobre 2023 était très chargée en émotions, nous préparions l’hommage pour Samuel Paty (décédé le 16 octobre 2020) lorsque Dominique Bernard a été assassiné à son tour. »

« Nous avons d’abord été sidérés, nous pensions annuler l’hommage dans la journée. » Mais très rapidement, s’ensuivent des directives ministérielles et un double hommage est alors organisé dans l’établissement. « Nous étions au comble de l’émotion, tant les professeurs que les élèves» 

Le choc passé, les professeurs élaborent des textes à lire à leurs lycéens, afin de transmettre leurs ressentis. Des temps forts et émouvants, ponctués par les questions des élèves. « Pour la première fois, ils m’ont demandé si j’avais peur en tant qu’enseignant. Je voulais leur dire que je ressentais une peur diffuse, mais pas de ceux qui j’avais en face de moi. Pourtant dans un premier temps, j’ai assuré ne pas avoir peur, puis j’ai nuancé : je ne me sentais pas en danger dans l’établissement, mais qu’il s’agissait d’une peur diffuse qui touche tous les profs, en particulier ceux d’histoire-géographie. »

Car les professeurs d’histoire sont les premiers à être confrontés à la défiance des élèves. « Nous transmettons la démocratie française, la construction des valeurs de la République, les retours en arrière comme au temps de Vichy… Nous sommes souvent pris à partie et nous devons démontrer l’importance de la démocratie. Nous sommes alors en opposition avec les élèves, donc nous nous disons que nous aussi, nous pourrions être attaqués. Il en va de même lorsqu’on parle de l’égalité hommes-femmes. »

« Mais nous nous devons d’enseigner la différence entre la dictature et la démocratie, nous avons pour travail de transmettre les valeurs de la République », explique-t-il. Continuer de travailler dans ce funeste contexte ? « Plus que jamais », assène David Lucas. Il en tire une grande force pour donner ses cours. « C’est bien parce que j’ai peur et que la question se pose que je dois continuer mes leçons », et discuter avec les élèves. « Mais j’ai parlé de la peur à mes élèves car ils m’ont posé la question. Ce qui me vient d’abord à l’esprit et au cœur, c’est la tristesse. C’est cela qui compte le plus, et qui nous ou a le plus marqué avec mes collègues. Nous donnons tout pour enseigner, notre démarche est humaniste. Pourquoi nous tuer ? »

Il affirme par ailleurs sentir sa profession être « plus soutenue depuis la mort de Dominique Bernard que celle de Samuel Paty » ; les discours, textes et directives sont « plus rassurantes » qu’en 2020, bien que leur mise en œuvre demeure complexe et lente. « Après la mort de Samuel Paty, nous avions l’impression que le pays était plus dans l’hommage et non la protection », confie-t-il d’une voix un peu lasse. Ce qui n’est, pour l’heure, plus le cas aujourd’hui. Le professeur espère néanmoins que des actions concrètes suivront. 

Pour le professeur d’histoire-géographie, il est indéniable que l’apologie du terrorisme en classe et les menaces aux enseignants doivent être prises plus sérieusement en compte, et ne jamais être ignorées. « Déconstruire ou dénoncer, mais ne rien laisser passer », martèle-t-il au téléphone.

 « Le problème, c’est l’emprise que peuvent avoir les idées complotistes notamment en ligne. Elles sont très complexes à déconstruire. Pour exemple, un exposé que j’avais fait faire aux élèves sur le complotisme. Je voulais qu’ils définissent ce mot, qu’ils expliquent pourquoi et comment lutter contre. Mais ils n’ont pas saisi la même problématique : pour eux, il fallait traiter la théorie complotiste comme une opinion. » Un jeu dangereux où chacun peut cataloguer un fait comme avéré sans vérification préalable. « Cela démontre aussi l’importance de l’intervention de journaliste comme Manar Rachwani », rajoute David Lucas, ravi par le programme Renvoyé Spécial.

Une nécessité dans un contexte aussi sensible que le meurtre d’agents de l’Education nationale et face à la recrudescence de violences. Grâce aux programmes comme ceux du CLEMI et de la MDJ, les professeurs sont enfin épaulées dans l’EMI et l’approche de la liberté de la presse. L’éducation étant un pilier de la société, ces enseignants et enseignantes ne pourraient délaisser leur vocation : il s’agit de la première barrière contre la violence et le terrorisme, capables d’accompagner les jeunes citoyens tout au long de leur vie.

Maud Baheng Daizey

En Irak, l’étau juridique se resserre autour de la liberté d’expression

Par Zara Alasade

Le projet de loi sur la liberté d’expression en Irak est toujours dans les tiroirs des bureaux du Parlement, en raison d’un large désaccord sur certains de ses paragraphes, que beaucoup considèrent comme une menace et une restriction supplémentaire du droit de manifestation pacifique et la liberté d’expression garantie par la Constitution.

Cette loi permet aux autorités d’interdire les rassemblements publics, sauf autorisation préalable des autorités au moins cinq jours à l’avance. Ici, il ne mentionne pas les critères que les autorités irakiennes appliqueront pour approuver ou interdire les manifestations, ce qui laisse la possibilité de proscrire toutes les manifestations de la part des autorités.

Depuis 2010 jusqu’à aujourd’hui, le projet de loi sur la liberté d’expression en Irak a fait l’objet d’une part de controverses parlementaires et politiques, et d’autre part du rejet et des critiques de militants et défenseurs des droits de l’homme, qui y voient un obstacle sur la voie émergente et chancelante de la démocratie en Irak.

Ce projet est discuté à chaque session parlementaire, dont la dernière a eu lieu en octobre 2023 pour une seconde lecture, afin de le légiférer et l’approuver.

Le projet de loi et le « défi aux religions »

L’article 1 du chapitre deux de cette loi concernant les règles de diffusion des médias interdit « la diffusion ou la publication de documents promouvant les opinions du parti Baas, ou promouvant des activités criminelles qui peuvent être interprétées comme étant contre les institutions de sécurité », ou comprenant des « déclarations émises par des groupes armés d’opposition ou un entretien avec l’un de leurs membres, ou des documents appelant à cibler le processus politique démocratique ou à provoquer des conflits entre partis ou clans ou entre partis de la société irakienne », ce qui est un paragraphe vague, selon les spécialistes.

Il convient de noter que la corruption a été l’un des problèmes les plus importants des manifestations de masse qui ont éclaté en octobre 2019. Des manifestations qui ont connu des réponses dramatiques : Human Rights Watch avait indiqué dans un rapport que sept journalistes et militants avaient été attaqués en raison de leur travail de documentation. 

Et des doctrines et des sectes. Quiconque prouve avoir « publiquement insulté un rituel, un symbole ou une personne vénérée, glorifiée ou respectée par une secte religieuse » encourt une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement assorti d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 000 de dinars irakiens (soit 7 600 dollars américains). Ce fut le cas en août 2008 lorsque la chaîne irakienne Djilah, qui avait diffusé un reportage comportant des chants et des danses, vues comme une « insulte à la religion. » Les locaux de la chaîne avaient été saccagés, alors qu’elle avait déjà été interdite de diffusion pendant un mois en janvier 2020.

Quiconque suit la scène politique irakienne sait que les symboles religieux jouent un rôle important dans les principaux partis politiques, et prohiber leur critique limiterait gravement l’exercice par les citoyens de leur droit à la liberté d’expression.

Les militants estiment que les faits indiquent que le recours délibéré à des lois formulées de manière vague dans tout l’Irak, y compris dans la région du Kurdistan irakien, permet en réalité aux procureurs d’engager des poursuites pénales contre des opinions qui ne leur plaisent pas. 

Les autorités des zones contrôlées à la fois par le gouvernement fédéral et par le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) utilisent les procès en vertu de ces lois comme une forme d’intimidation et, dans certains cas, pour faire taire les journalistes, les militants et autres voix de l’opposition. Même si peu de personnes ont passé du temps en prison pour diffamation, la procédure pénale elle-même peut servir de sanction.

L’Irak, environnement hostile pour la liberté d’expression

Le Code pénal irakien, qui remonte à 1969 et a fait l’objet de modifications mineures au fil des ans, notamment avec la promulgation du code pénal des forces de la sécurité intérieure irakienne en 2008, contient de nombreux paragraphes vagues qui parlent de crimes de diffamation, qui étouffent la liberté d’expression, comme l’insulte à la « nation arabe » ou tout représentant du gouvernement, que la déclaration soit vraie ou non.

https://imagelecourrier.vnanet.vn/uploaded/2022/3/27/1507358net-21.jpg
Une photo de Saba Kareem.

Pendant deux décennies, l’ancien président Saddam Hussein a contrôlé toutes les institutions irakiennes, y compris les médias, et n’a pas permis de critiquer la famille du président ou ses hauts responsables. Après qu’une intervention militaire menée par les États-Unis ait renversé le régime de Saddam en 2003, certaines structures de gouvernance démocratique ont été établies, mais la liberté d’expression n’a pas prospéré. L’Irak est plutôt devenu un environnement hostile pour quiconque souhaite critiquer le gouvernement, les partis ou même les groupes armés.

Si nous revenons à la Constitution irakienne, aux lois de Bremer dans le domaine de l’édition et à l’article (130) de la Constitution irakienne, qui confirme la validité du Code pénal n° 111 de 1969, nous trouvons également une contradiction évidente et d’autres restrictions légiférées en plus de l’activation d’anciennes lois pour limiter la liberté d’expression. Ce qui rend impossible l’exercice de ce droit sans tomber sous le coup de la loi, qui entraîne parfois la peine de mort.

En conclusion, activer les lois susmentionnées. Même si elle n’est pas utilisée et si l’on tente de faire adopter le projet de loi sur la liberté d’expression dans sa version qui fait encore l’objet de controverses, elle reste pleine de dangers et une arme menaçante pour quiconque tente d’exercer son droit d’expression. 

Crédits photos : Ahmad Al-Buraye, Saba Kareem.

Rencontre. En Iran, « la révolution contre l’apartheid des sexes » gronde

Lauréat(e) 2023 de l’Initiative Marianne, Asal Abasian est un(e) journaliste et activiste queer iranien(ne), au sourire lumineux et au tempérament obstiné. Depuis dix ans, iel se mobilise pour la communauté LGBTQIA+ en Iran, dont les voix ont une nouvelle résonnance depuis les manifestations et la mort de Mahsa Jina Amini. Iel a écrit de nombreux articles sur le sujet, notamment pour le journal Shargh Daily. En quelques questions, Asal revient sur la situation des personnes queer dans son pays.  

L’Œil : pouvez-vous décrire votre expérience en tant que journaliste non-binaire en Iran ?

Asal : L’atmosphère dans les équipes éditoriales en Iran est très patriarcale et misogyne. En tant qu’homosexuel(le), vous risquez donc toujours d’être exclu(e). La marginalisation dans l’environnement patriarcal des équipes de rédaction en Iran est un phénomène quotidien pour les minorités homosexuelles. Dans l’espace professionnel du journalisme, dans les médias persans, même exilés, il faut être très patient, infatigable et déterminé.

Pourquoi vous êtes-vous engagé(e) dans les luttes féministes et queer ? 

Être homosexuel n’est pas du tout un choix. On naît homosexuel, mais on peut néanmoins en devenir plus conscient avec le temps. C’était donc le cas depuis le début, mais c’est peut-être à partir de l’adolescence que je me suis intéressé(e) aux questions de discrimination sexuelle et que j’ai commencé à me rebeller contre le patriarcat. C’était le destin et non un choix. Peut-être que lutter contre l’apartheid des sexes est un choix, mais être une minorité de genre ne l’est pas, c’est une réalité qui nous accompagne depuis la naissance.

Quel événement a motivé votre militantisme il y a dix ans ? 

Il peut être intéressant de savoir que j’ai pris conscience de mon identité en tant qu’homosexuel(le) en lisant la traduction persane de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, livre censuré dans la République islamique. Plus tard, j’ai lu la version anglaise et j’espère pouvoir bientôt lire la version originale en français. C’était le début de mon chemin, qui s’est ensuite complété par l’étude de penseurs comme Judith Butler, philosophe américaine spécialisée dans les études de genre. 

En lisant les livres et les essais des philosophes du genre, j’ai compris que je devais accepter qui j’étais, contrairement à la marginalisation de la société patriarcale iranienne, et essayer de mieux la comprendre, et bien sûr, que je devais être infatigable dans cette démarche et ne pas avoir peur.

La journaliste et activiste Asal Abasian pour l’Initiative Marianne.

Pouvez-vous nous parler d’un événement ou d’une activité qui a eu un impact profond sur votre combat ?

Le mouvement de libération des femmes en Iran a plus d’un siècle. L’étude de ce parcours tumultueux a inspiré mon combat. L’évolution du mouvement des femmes après les ères Qadjar et Pahlavi a été une véritable source d’inspiration. En particulier les campagnes récentes telles que le million de signatures contre les lois anti-femmes, ou la campagne contre le hijab obligatoire, qui a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie et est devenue une demande publique de la société après le meurtre de Mahsa Jina Amini.

Après le meurtre de Mahsa Jina Amini, les manifestations ont été marquées pour la première fois par la présence visible de la communauté homosexuelle dans les rues, ce qui a réellement inspiré les luttes. Et ce, alors que le fait d’être homosexuel est passible d’exécution. Aujourd’hui, grâce aux médias sociaux, nous voyons la performance de la communauté queer sur la scène politique iranienne. Quelque chose qui n’avait pas un tel visage avant la révolution “femmes, vie, liberté”. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une révolution contre l’apartheid des sexes et que la question va au-delà de la lutte contre le hijab obligatoire. Mahsa Jina Amini est un symbole de courage. Son nom est le code de la lutte en Iran aujourd’hui ; pour lutter contre toutes les discriminations, contre l’apartheid des sexes, contre l’oppression. D’ailleurs, la campagne “Femmes, vie, liberté” est toujours d’actualité. Mes courageuses collègues Niloofar Hamedi et Elaheh Mohammadi sont toujours emprisonnées. J’espère que nos collègues du monde entier prendront conscience des difficultés du journalisme dans ce pays qu’est l’Iran.

Avez-vous un entourage qui vous soutient ?

Oui, mes parents ! Ils sont une source d’inspiration car, malgré leurs origines islamiques, ils ont été incroyables en acceptant mon identité queer et en me soutenant. Mes amis me soutiennent également et c’est ma grande chance ! La société iranienne est très homophobe, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien de mes amis et de ma famille, même si j’ai subi de nombreuses violences dans mes relations.

Pourquoi avez-vous décidé de participer à l’Initiative Marianne ? 

J’ai pensé qu’en rejoignant un programme international de défense des droits de l’homme, je pourrais être la voix des luttes à l’intérieur de l’Iran, la voix de mes courageuses sœurs. L’Initiative Marianne m’a apporté beaucoup de choses. Avant tout, j’ai appris comment et avec quels outils lutter pour la liberté à un niveau plus large. Ce programme m’a donné de la force, du courage et m’a permis d’élargir mes relations dans l’arène internationale.

Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.
Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétences et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.
Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Que devient votre association ?

Mon association s’occupe des personnes LGBTQI dans les pays persanophones d’Iran, d’Afghanistan et du Tadjikistan, et sa priorité est d’aider les homosexuels en danger. J’espère pouvoir défendre la communauté queer, en particulier les personnes en danger qui ont besoin d’être amnistiées. Cette fois-ci, dans le cadre d’une offre internationale et dans une zone plus large.

Pourriez-vous retourner en Iran si vous le souhaitiez, et pourquoi ?

Non, malheureusement, car être homosexuel en Iran est passible de la peine de mort et j’exprime ouvertement mon identité féministe homosexuelle. J’espère qu’après l’effondrement de la République islamique, je pourrai revenir vivre là-bas et y militer… Je peux contribuer à rendre l’espace de la communauté LGBTQI sûr et sans risque. Cela ne peut se faire qu’en créant une culture et en essayant de sensibiliser le public. J’espère pouvoir, un jour…

En attendant, Asal Abasian inspire par ses textes et travaille d’arrache-pied pour sensibiliser la communauté internationale à ses pairs incarcérés, qu’ils soient queers, journalistes et activistes. « Le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous, » avait-iel proclamé lors d’une table ronde à la MDJ le 15 novembre dernier.

Médias en Seine. Dans les cœurs des Français, la confiance règne ?

Ce mercredi 22 novembre s’est tenu le festival annuel « Médias en Seine », organisé par France Info et le groupe Les Echos-Le Parisien dans les locaux de la Maison de la Radio. Cette année, l’événement s’est concentré sur la confiance des Français envers les médias ainsi que l’EMI. Retour sur les grands débats et solutions rapportées par les journalistes et experts de l’information.

Les Français inscrits dans une relation paradoxale avec les médias

Le même jour, les résultats de la 37ème édition du baromètre La Croix sur la confiance des Français ont été rendus publics. Jean-Christophe Ploquin et Guillaume Caline, respectivement rédacteur en chef du journal La Croix et membre de l’institut de sondage Kantar, ont présenté les chiffres au festival. 

Les deux spécialistes dénotent d’abord une « consommation très diversifiée des médias », ainsi qu’un certain nombre de paradoxes : 58% des personnes interrogées font confiance à la presse quotidienne nationale mais 56% estiment que « les journalistes ne sont pas indépendants des pressions de l’argent et du pouvoir. » Il ressort du sondage une histoire d’amour-haine entre les Français et leurs médias. Les journaux télévisés et les chaînes d’informations en continu demeurent très plébiscités par les Français, bien que 57% d’entre eux se méfient des médias lorsqu’ils traitent des grands sujets d’actualité.

Fait intéressant, ce sont les – de 35 ans qui sont les plus enclins à payer pour une information de qualité, contrairement aux Français plus âgés : 55% se disent favorables à un soutien financier, contre 26% des plus âgés. « Lorsque l’info est sourcée, elle demande un coût, une valeur, ce pourquoi elle a un prix », explique Nathalie Sonnac, ex-membre du CSA. « Or les gens ne sont plus prêts à payer, ce pourquoi il faut revaloriser l’information. Le journaliste a un rôle à jouer avec ses connaissances, sa distinction des faits et participe à la fabrication de l’opinion française. Il existe par ailleurs deux leviers pour contrer la défiance : la régulation des réseaux sociaux et l’éducation aux médias et à l’information ».

Les JT, la presse régionale et la radio sont les médias dans lesquels les Français accordent le plus leur confiance. Pourtant, sur les 58% qui ont foi en la presse quotidienne nationale, 80% d’entre eux se tournent d’abord vers leurs proches pour s’informer. Enfin, 70% des Français usent des réseaux sociaux pour s’informer, mais seulement 25% d’entre eux font confiance à ces canaux.

© Maud Baheng Daizey
Présentation du baromètre par Jean-Christophe Ploquin et Guillaume Caline.

« Le baromètre sur la confiance dans les médias montre qu’il y a une défiance qui s’installe entre les citoyens et les médias », avait reconnu la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak lors de son intervention à Médias en Seine. « Aujourd’hui, indépendance comme pluralisme sont des enjeux clés pour resserrer ce lien de confiance entre les citoyens et les médias. Si nous voulons prendre soin de notre démocratie, nous devons prendre soin de ce bien commun qu’est l’information. »

« Il faut que les journalistes soient indépendants de leur actionnaire, économiquement et idéologiquement. Qu’il y ait un pluralisme d’opinions plutôt qu’une seule ligne avec que des personnes qui pensent la même chose dans le même média », a-t-elle proposé. Mais elle a réaffirmé son opposition « à une régulation européenne de la presse, ou à la création d’un super régulateur européen de la presse », comme discuté à la Commission européenne.

Pour Nicolas Charbonnier, directeur des rédactions du Parisien/Aujourd’hui en France et vice-président du Press Club de France, il ne faut surtout pas « oublier les lecteurs, nous avons aussi laissé la parole à ceux qui n’auraient pas dû l’avoir. Si on veut être sérieux, donnons la parole à des chercheurs, scientifiques et médecins » et non des pseudo-experts. « On nous reproche aujourd’hui de ne pas aller à Gaza, mais on ne peut pas y aller sauf avec l’armée israélienne, ce qui nous empêcherait de travailler convenablement. L’information et aller sur le terrain, ça coûte cher, il faut que le public s’en rende compte. Nous sommes des médiateurs, on dit ce que l’on observe sur le terrain. Tout cela, il faut l’expliquer dans une démarche de transparence », a-t-il avancé.

De nombreuses solutions sont déjà mises en place dans divers pays d’Europe, notamment ceux du Nord. La Norvège fait ainsi figure de proue dans sa liberté de la presse et la confiance envers les médias qu’elle inspire. Alors, quels enseignements tirer de ses pratiques du journalisme ? Pourquoi la Norvège est-elle si spéciale ?

La pandémie, amplificatrice de la méfiance

Des interrogations auxquelles « Médias en Seine » a accordé une oreille très attentive, par le biais d’une table ronde. Animée par la productrice radio Cathinka Rondan, et Nic Newman, chercheur senior à l’Institut Reuters, « Médias scandinaves : comment conserver la confiance du public » a débattu des différences systémiques entre la Norvège et la France sur le sujet.

Première différence notable, le traitement des informations comme la pandémie et l’impact sur la population : en France, la confiance n’a fait que baisser, avec une perte de 8% depuis 2015 (38 à 30 points), en particulier avec le coronavirus. Les Français avaient trouvé le traitement des informations très « anxiogène » selon le baromètre 2022, alors que les Norvégiens ont accru leur foi envers leurs propres médias (46 à 53 points). La France s’est vue perdre de l’intérêt envers l’information, aux antipodes du pays nordique où les gens sont plus enclins à payer pour rester informés que les Français. (39 contre 11%). 

Selon Cathinka Rondan, les journalistes norvégiens « avaient une vision plus positive de la pandémie et tentaient de mettre les solutions en avant. De plus, les journaux coûtent aussi moins chers, nos médias parlent directement aux enfants » avec de nombreuses émissions adaptées et un solide programme d’EMI dans les écoles. Des journaux télévisés sont diffusés tous les jours pour leur expliquer les informations, ou encore pour leur enseigner les méthodes d’analyse d’une image. L’éthique du journalisme est également une thématique chérie par les Norvégiens, qui se forment dès le plus jeune âge à l’éducation aux médias et à l’information.

« L’EMI, c’est aussi éduquer à l’usage des écrans et des algorithmes »

Une politique qui rentre en forte résonance avec la conférence réunissant le directeur du CLEMI Serge Barbet, la doctorante Medialab Manon Berriche, ainsi que la maîtresse de conférences en psychologie Séverine Erhel. Tous réclament un « enseignement transversal » de l’EMI en France, qui ne saurait reposer sur les seules épaules des professeurs d’histoire-géographie et documentalistes.

L’EMI peut en effet être assimilée à d’autres matières scolaires : le français, l’enseignement moral et civique, les Sciences Numériques et Technologiques, les Sciences Economiques et Sociales… Car il ne s’agit pas seulement d’apprendre à « lire » une image : il faut également savoir décrypter des données, ou bien comprendre le fonctionnement des algorithmes (pourquoi reçois-je telle information sur mes réseaux par exemple). 

« L’EMI permet de renforcer les capacités de compréhension du sujet sur tous les supports », a clamé Serge Barbet lors de la conférence. « C’est aussi un enjeu de salubrité publique : arrêtons de nous concentrer sur le temps d’écran pour se poser la question des pratiques de l’écran. Sont-elles bénéfiques, permettent-elles la socialisation, ou sont-elles délétères et renforcent-elles l’isolement, abaissent-elles la capacité d’attention ? »

Selon la chercheuse Séverine Erhel « l’EMI concerne aussi pour les parents, faut trouver des terrains communs pour que les parents puissent eux-mêmes se renseigner et s’informer, car ils sont parfois démunis par les réseaux sociaux. En tant que citoyens, il faut que nous prenions les rênes de ces derniers afin qu’ils soient décentralisés. »

Mais surtout, de solides connaissances en EMI permettraient aux citoyens d’avoir une meilleure perception et critique des médias français, comme le prouve la Norvège et la Finlande. À travers « Médias en Seine », des solutions ont pu être transmises et permettre de faire avancer la réflexion. Le baromètre Lacroix pourrait révéler en quelques années de nouveaux chiffres bien plus rassurants si la France investissait dans l’EMI, tant auprès des jeunes que des parents. 

Crédits photos : Médias en Seine, Maud Baheng Daizey

Maud Baheng Daizey

Table ronde. “Nous avons la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après”

Mercredi 15 novembre, la Maison des journalistes a accueilli le PEN Club Français pour une table ronde, à l’occasion de la journée mondiale des écrivains en prison. Orienté sur la liberté de la presse, l’événement a réuni des journalistes, écrivains et défenseurs de la liberté d’expression des quatre coins du monde. Parmi eux, l’émérite sociologue et écrivaine turque Pinar Selek, « harcelée par la justice de son pays » depuis plus de vingt-cinq ans.

Cette journée mondiale des écrivains emprisonnés a été instaurée en 1981 par le PEN Club international et est commémorée chaque année. La Maison des journalistes, qui accueille en ces murs des journalistes ayant parfois été incarcérés pour leur travail, est particulièrement concernée par cette journée. « C’est avec un immense plaisir que nous accueillons cette table ronde », a introduit Darline Cothière, directrice de la MDJ. « La MDJ, qui héberge et accompagne des journalistes depuis 20 ans, sait combien il est important de remuer la plume dans la plaie. Une telle table ronde à la MDJ avait donc tout son sens et ne pouvait être manquée. »

De gauche à droite : la poète Carole Carcillo Mesrobian, le président du PEN Club français Antoine Spire, l’activiste Asal Abasian et son interprète, ainsi que la directrice de la MDJ Darline Cothière.

Des centaines d’écrivains et journalistes morts ou emprisonnés en 20 ans

« Depuis 2004, 699 écrivains et journalistes ont été attaqués, emprisonnés et harcelés », explique le président du PEN Club Français, l’auteur Antoine Spire. Il a ouvert la table ronde en citant  quelques noms d’écrivains persécutés, notamment celui de María Cristina Garrido Rodríguez (emprisonnée à Cuba), ainsi que celui du Marocain Soulaimane Raissouni. Parmi ces 700 personnalités, 12 ont disparu et 28 ont été tuées. « Nous avons décidé de nous réunir à la Maison des journalistes car il s’agit d’un lieu hautement symbolique, qui donne l’asile à ces journalistes pourchassés pour avoir voulu faire leur métier. »

Mais aujourd’hui, la MDJ n’accueillait pas uniquement des journalistes. Autour de la table, Maryna Kumeda, autrice de Journal d’une Ukrainienne, ainsi que la poète ukrainienne Anna Malihon et la journaliste activiste Asal Abasian. Mais la première à s’emparer du micro fut Pinar Selek, mondialement reconnue pour ses travaux sociologiques sur la société iranienne et ses opprimés : les femmes, les personnes transsexuelles, les Kurdes. 

Chacune de ces femmes ont évoqué la nécessité du soutien de la communauté internationale envers les écrivains, et plus largement les intellectuels, harcelés ou emprisonnés. Sans cette communauté, leurs chances d’être libérés sont considérablement amoindries. A travers leurs expériences et celle relatée de leurs camarades, les journalistes et écrivains de la table ronde ont pu revenir sur l’importance des mobilisations étrangères, et sur soutien sans faille envers leurs confrères emprisonnés.

Ecrivaine et chercheuse, Pinar Selek a été accusée de terrorisme après s’être penchée sur le sort des Kurdes. Elle est arrêtée en 1998 par les autorités mais refuse de donner les noms des Kurdes ayant témoigné pour elle. Ses travaux sur la violence armée de l’État turque avaient également provoqué l’ire du gouvernement, à l’origine d’un harcèlement judiciaire s’étalant sur 25 ans. 

Réfugiée en France depuis 2011, Pinar Selek n’a jamais cessé de militer pour la paix, publiant des ouvrages pour préserver cette dernière. Particularité juridique de son pays, Pinar Selek a été acquittée à 4 reprises entre 2006 et 2014 par la justice. En janvier 2023, la Turquie émet un mandat d’arrêt international contre sa personne. Engagée dans les droits fondamentaux en France, elle est désormais une fervente militante du PEN Club français. Son nouveau roman, Le chaudron militaire turque, vient de paraître aux Editions des femmes.

Asal Abasian quelques instants avant son intervention.

Elle s’est exprimée sur « la banalisation des violences » politiques dans le monde, dont elle est un des innombrables exemples. Malgré son dernier acquittement en 2014, Pinar Selek a dû assister, impuissante, à la réouverture de son dossier par la Cour suprême de Turquie. Qualifiant son procès « d’une autre époque », Pinar Selek est théoriquement attendue au tribunal pour l’été 2024 à Istanbul. Elle risque la perpétuité.

A ses côtés, les ukrainiennes Maryna Kumeda, résidant en France depuis 17 ans, et Anna Malihon, réfugiée depuis moins d’un an et auteur de huit livres. Elle relate avoir été ballotée avec son fils depuis 2022, après  l’invasion de l’Ukraine. Pour elle, la solidarité internationale envers les écrivains et journalistes permet de sauver des vies, à l’instar du réalisateur ukrainien arrêté en Crimée Oleg Stenstov. Arrêté en 2014 alors qu’il manifestait contre l’annexion de sa Crimée natale, il avait été condamné à 20 ans de prison pour terrorisme lors d’un procès expéditif russe en 2015. Incarcéré dans une prison du nord de la Russie, Oleg Stenstov avait bénéficié du soutien de plusieurs ONG (Amnesty, RSF), gouvernements occidentaux, écrivains, cinéastes et acteurs de l’étranger. 

En septembre 2019, le cinéaste est inscrit sur une liste d’échange de prisonniers avec l’Ukraine, signant la fin de son incarcération. « Sa libération est due au soutien étranger et notamment la France. Aujourd’hui, il fait partie d’une unité de l’armée en première ligne, comme bon nombre d’intellectuels, acteurs et scientifiques. » Certains meurent sur le front, d’autres dans leur maison bombardée.

« Je veux dédier une chaise vide à Victoria Amelina, auteur d’un livre sur les crimes commis par la Russie, et qui a été tuée fin juin par un missile russe », insiste Anna Malihon d’une voix ferme. Elle n’hésite pas à parler de « génocide intellectuel » des Ukrainiens, arguant que le pays a déjà connu des épisodes similaires. Le 3 novembre 1937, plus de 200 intellectuels ukrainiens sont assassinés par les soviétiques, privant le pays d’élite intellectuelle de l’époque. « Nous appelons cette génération « la renaissance fusillée » car l’Ukraine profitait depuis quelques années d’une plus grande liberté créative », rappelle la poète. 

Cri du cœur des intellectuels iraniens

Asal Abasian, activiste queer iranienne, a été contrainte de quitter son pays en octobre 2021. Ayant fait partie de la promotion 2023 de l’Initiative Marianne, elle aspire aujourd’hui à continuer son combat en France et dénoncer les exactions du régime iranien. 

Elle explique durant la table ronde qu’elle est triplement victime du régime, étant queer, femme et journaliste. « En Iran, j’ai été accusée et interrogée à plusieurs reprises sur mes activités, ce qui m’a forcé à fuir le pays en 2021 pour Istanbul, puis à venir à Paris » où l’Initiative Marianne lui a permis de laisser libre cours à son activisme. Bouleversée par la mort de Mahsa Amini, Asal Abasian se bat pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ depuis de longues années. Elle compte par ailleurs rejoindre le PEN Club français dans les prochains mois.

« Comme vous le savez, à l’annonce choc du meurtre de Mahsa Amini », arrêtée car son voile ne couvrait pas tous ses cheveux, « deux de mes collègues ont été emprisonnées pour 25 ans pour avoir donné les noms des hommes qui l’ont tué », explique Asal Abasian en lisant une lettre qu’elle a préparé à cette occasion. En Iran, « nous avons certes la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après », assène-t-elle avec conviction.

« Cette histoire n’est pas juste celle des écrivains de la capitale, le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous. »

Une supplication entendue par toutes les personnes présentes, et qui l’ont longuement applaudie. Des rencontres et échanges chargés d’émotions et surtout animés par la même cause, la même passion : la quête constante de vérité. Une quête que la Maison des journalistes soutiendra toujours aux travers de ses actions et au sein de ses murs. 

Crédits photos : Chad Akhoum, Banksy.

Maud Baheng Daizey

ISRAEL-GAZA : LES BOMBES NE « TUENT » PAS UNE IDEOLOGIE

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

La guerre, que disons-nous, la contre-offensive menée par le Premier ministre israélien Netanyahu contre le Hamas, qualifié de mouvement terroriste palestinien, dans la bande de Gaza, n’est plus acceptable. Tout comme les crimes abominables que le Hamas a commis, le 7 novembre sur la terre israélienne, sont également inacceptables : près de 1 400 personnes sauvagement assassinées.

Palestiniens et Israéliens se sont toujours affrontés, depuis la naissance de l’Etat juif, en 1948. Mais, c’est la première fois qu’ils en arrivent à ce stade d’horreur, qui émeut les consciences les plus inflexibles. Et Israël, en réaction à la barbarie du Hamas, initiant une action de « destruction de masse », laisse perplexe. La bande de Gaza est détruite. Les Palestiniens y sont tués à la pelle. Le décompte macabre aujourd’hui est de plus de 11 000 tués, parmi lesquels des nombreux enfants.

Depuis, l’odeur du sang ne cesse d’altérer l’atmosphère bénie de cet espace géographique, carrefour de trois grandes religions monothéistes. Au contraire, la réalité eût été celle de la concorde et d’odeur de sainteté, puisque Dieu est saint. Réalité, belle s’il en est, mais vivement foulée au pied, par les deux belligérants ! Certes, pour des raisons existentielles, chacun des deux peuples s’agrippant à son « droit à l’existence ».

Toutes deux, à côté de la plaque

Or, pour assurer leur existence, les deux nations passent à côté de la plaque, en ne pensant cela possible qu’avec la disparition de l’autre. C’est pourquoi, à travers l’épisode en cours, – et l’occasion faisant le larron – Israël s’attèle à la destruction totale du Hamas. Pourtant, le Hamas n’est pas qu’un « simple mouvement de résistance ». C’est une idéologie islamiste, née en 1987, sous la mouvance « Les Frères Musulmans » égyptienne.

Dans ce cas, des tonnes de bombes déversées par l’Etat juif sur Gaza, dans l’objectif de mettre à bas le Hamas, n’auront aucun effet sur sa survie. Les bombes ne tuent jamais une idéologie. Alors même que l’Etat d’Israël parvenait à « détruire » le Hamas, celui-ci renaitrait de ses cendres, demain. Tel le phénix de la mythologie grecque.

A preuve, personne n’est venu à bout de « l’islamisme planétaire », sorti du bois avec les événements du 11 septembre 2001, aux Etats-Unis. De fait, la coalition des pays occidentaux a réussi à abattre Ben Laden, Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’Etat islamique et leurs successeurs, l’islamisme est bien vivant. Actif, ici, en cellule dormante, là-bas. En attendant des solutions idoines, mais complexes, dans le cadre de l’équilibre des relations Nord-Sud.

Amir Jahanchahi,  auteur de l’ouvrage intitulé « Vaincre le troisième Totalitarisme », concluait, à ce propos : « Il faut non seulement mener une guerre sans relâche à l’islamisme, mais aussi guérir les maux qui l’ont rendu possible ».

Le paraphrasant, nous disons de même au Premier ministre israélien qu’il ne viendra jamais à bout du Hamas, sans rechercher à guérir les « maux qui l’ont engendré ».

Regard impartial d’un Africain

Or, ici, la cause est plus simple qu’il n’y paraît : faire des concessions, de part et d’autre. Qu’Israéliens et Palestiniens acceptent de vivre côte à côte. Les uns et les autres sur leur territoire respectif. Comment ne parviennent-ils pas, alors, à un tel dénouement, qui semble couler de source ? La réponse s’imbrique dans la complexité des relations internationales. En soulevant un coin du voile, on y aperçoit, par exemple, la question liée au jeu d’alliances, sur fonds de stratégie économique et militaire. Impossible de développer un tel point de vue dans un article de presse très limité.

Quoi qu’il en soit, l’avenir de ces deux nations ne peut se lire, avec quiétude, que sous le chapitre de « fraternité » et de bon voisinage. Rien d’autre de valable et, par ricochet, de pérenne.  En attendant, cette question qui a toujours divisé les opinions, partout au monde, le fait actuellement avec beaucoup plus de virulence : augmentation d’actes racistes commis contre les Juifs, en face de grandes manifestations antisémites. Eternelle rengaine !

C’est peut-être là le regard impartial d’un Africain…

“Faire du lobbying pour mieux protéger les journalistes” : les ex’ du JDD présentent “Article 34”, leur nouvelle association

Ce lundi 9 octobre au Théâtre du Châtelet, les anciens journalistes du Journal du Dimanche se sont réunis en collectif et ont organisé la « Nuit de l’indépendance pour une presse libre » après l’arrivée de Geoffroy Lejeune à la tête de l’hebdomadaire.

Il y avait foule ce lundi 9 octobre à l’entrée du Théâtre du Châtelet, dans le 1ᵉʳ arrondissement de Paris à 20h30. Et pour cause : les anciens journalistes du JDD étaient à l’honneur. Après une grève de 40 jours pour défendre leur indépendance suite à l’arrivée de Geoffroy Lejeune, ancien de Valeurs Actuelles les « ex » du Journal du Dimanche se sont regroupés pour proposer la « Nuit de l’indépendance pour une presse libre ». Au programme de ces plus de deux heures de spectacle engagé : des prestations entre autre de Flavien Berger, Lison Daniel, Sara Forever, des apparitions d’humoristes tels que Nicole Ferroni, Guillaume Meurice ou encore François Morel, mais aussi des débats avec des politiques de tous bords, animés par Julia Cagé et le streameur Jean Massiet.

« Combattre la montée de l’extrême droite au quotidien et défendre la liberté et l’indépendance de la presse ». Les mots sont lâchés lors du discours d’introduction d’Olivier Py, directeur du Théâtre du Châtelet. Tel un mot d’ordre, les artistes ont enchaîné leurs prestations sur scène. Lecture de textes de George Orwell, chants, danses, anecdotes… Chaque performance livrait un message ferme sur la situation actuelle de la presse, comme cette lecture puissante de Nicolas Mathieu qui revenait notamment sur la garde à vue de 39 heures d’Ariane Lavrilleux, journaliste à Disclose.

Les journalistes du JDD acclamés

L’un des moments forts de cet événement était indéniablement l’apparition des journalistes du Journal du Dimanche, acclamés par le public. Après être revenus sur la désormais longue grève de la rédaction, les anciens journalistes ont profité de cette « Nuit de l’indépendance » pour dévoiler une nouvelle association, créée collectivement : « Article 34 ». Ce nom fait explicitement référence à l’article éponyme de la Constitution qui définit la loi et délimite son domaine. Dans sa mise à jour de 2008, ce texte garantit « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Présente sur scène avec les quelques 90 ex’ du JDD, Juliette Demey, co-présidente de ce grand collectif a expliqué que cette association en cours de développement servira entre autres au « lobbying auprès de l’ensemble des politiques pour mieux protéger les journalistes ».

Sur scène, les anciens journalistes du JDD ont dévoilé les contours de leur nouvelle association, « Article 34 »
Sur scène, les anciens journalistes du JDD ont dévoilé les contours de leur nouvelle association, « Article 34 »

Plus original, le collectif a indiqué avoir créé un site, article34.org, sur lequel sera publié le lundi 16 octobre le Journal du lundi, réalisé à l’occasion de cette Nuit de l’indépendance. « Une manière pour nous de garder une trace de cet événement exceptionnel, de le partager avec ceux qui n’ont pas pu y assister et de prolonger les débats au-delà de cette Nuit particulière », précise le groupe sur le site web de l’association.

Des politiques chahutés

Pour montrer qu’il existe d’autres solutions au sein de différents médias, le streameur Jean Massiet a accueilli sur scène quatre journalistes qui appartiennent à des bureaux de SDJ (société de journalistes) qui ont un droit de vote sur le directeur de leur rédaction : Libération, le Monde, les Echos et Médiapart. Chacun d’entre eux a pu décrire son mode de fonctionnement. Aux Echos par exemple, la rédaction a rejeté le 28 septembre dernier le nom de François Vidal soumis par LVMH, leur actionnaire, afin de prendre la tête du quotidien spécialisé en économie.

Les échanges se sont un peu plus tendus lorsque trois politiques, Sophie Taille-Polian, du mouvement Génération.s, Violette Spillebout, de Renaissance et Jérémie Patrier-Leitus, de Horizons ont présenté une proposition de loi transpartisane. Ce texte propose de créer un droit d’agrément qui permet aux journalistes de voter pour la nomination d’un directeur de la rédaction.

« On a conscience que le texte arrive après la longue bataille menée par le JDD. Eux- mêmes nous l’ont dit. Mais on veut agir pour éviter que cette situation puisse se reproduire dans d’autres médias », explique Violette Spillebout. Des sifflets et des exclamations viennent perturber les échanges : « C’est honteux d’inviter Renaissance ! », s’exclame un spectateur. « À bas le 49.3 ! », lance un autre.

Sur scène, les anciens journalistes du JDD ont dévoilé les contours de leur nouvelle association, « Article 34 »

Cette « Nuit de l’indépendance pour une presse libre » s’est conclue par un morceau de batterie interprété par Léonie Pernet, dont le refrain « Y’en a marre ! » peut être perçu comme un message subliminal de lassitude de l’état actuel de la presse, à l’heure où s’ouvrent les États généraux de l’information.

Par Chad Akoum / ©Chad Akoum