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Mes doigts ne peuvent rien sinon d’en appeler aux papillons

Un poème de Rana ZEID
Traduit de l’anglais au français par Denis PERRIN

Rana Zeid (Crédit photo : Muzaffar Salman)

Rana Zeid (Crédit photo : Muzaffar Salman)

Ainsi, tout en doigté je vous aime.
Un jour je peindrai une œuvre,
Et elle représentera la laideur
Je représenterai des loups aussi
Lesquels ne font jamais silence.
Malgré l’horreur
Mes doigts ne peuvent rien sinon d’en appeler aux papillons
Je chasse quelques feuilles de baie encombrantes
Pour ma photo de larmes que vous avez saisie
Avec une caméra Zenit
Bien que la ville soit quelque peu tremblante
Mes doigts ne peuvent rien sinon d’en appeler à vous.

Nous

Un poème de Ahmad BASHA.

Traduit de l’arabe au français par Florence Damiens.

(Cliquez ici pour télécharger la version originale en arabe)

Des petites filles assistent à des cours dans une école dans un bidonville de la banlieue d'Islamabad. [Une photo tirée de Franceinfo.fr]

Des petites filles assistent à des cours dans une école dans un bidonville de la banlieue d’Islamabad. [Une photo tirée de Franceinfo.fr]

Nous, nous sommes ceux qui grandirent dans la pauvreté des chantiers, des garages, des travaux de
peinture et de plomberie.
Nous ne pensions pas à écrire un jour sur les sacs de ciment.
Nous ne nous en servions que pour allumer le feu.
Pour nous, la nostalgie n’avait pas de sens, si ce n’est dans les coups douloureux infligés par la famille
et ses insultes intarissables.
Nul d’entre nous ne pouvait rendre heureuse la jeune fille qu’il aimait depuis peu, sauf en lui disant :
« Je t’épouserai bientôt. »
***
Nous, nous sommes les maîtres des histoires crues d’adolescents ;
Parmi nous se trouve celui qui s’adonnait au plaisir solitaire devant ses camarades alors que la
nouvelle maîtresse écrivait au tableau ;
Et un autre qui, lors de la Fête du Professeur, offrait à sa maîtresse
Un sac de pain.
***
Nous, nous sommes ceux qui, lorsqu’ils souffraient, frappaient leur tête contre le mur
Et arrachaient leurs molaires à l’aide d’une pince.
Nous, nous sommes ceux qui sentaient la valeur de la connaissance lorsque nos familles disaient à nos
professeurs :
« Frappez-les, si nécessaire. »
***
Nous, nous sommes ceux qui ont appris à nager dans des réservoirs.
Nous croyions aux pouvoirs des amulettes confectionnées par les mages,
Comme nous croyions aux apparitions du visage de Saddam sur la lune
Et de celui de Hafez.
***
Nous, nous sommes ceux qui enviaient l’homme assis à une belle table devant les toilettes publics.
Nous avions le sentiment d’être riches lorsque nous jetions dans son assiette une pièce de monnaie.
C’est encore nous qui organisions autant de mariages que de funérailles Pour leur abondance de nourriture.
***
Nous sommes ceux qui retenaient par cœur les films des bus « Hop hop »;
Qui ne se préoccupaient, dans les journaux, que des pages dédiées aux accidents et aux crimes.
De tous les livres, celui qui nous importait le plus était
Le carnet où l’épicier de notre quartier notait les comptes de ses clients.
***
Nous sommes ceux qui retenaient toutes les chansons irakiennes.
Lorsque nous désirions être heureux,
Nous pleurions.

 

La hâte veut que j’oublie

Un poème de Rana ZEID.
Traduit de l’arabe au français par Dima Abdallah‏.

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L’amour
Tend doucement sa main
Près de mon cœur
Grimpe sur l’obscurité légèrement penchée
Le soir,
Le monstre enfonce rapidement
Un couteau dans mes entrailles,
Je ne crois pas à ma mort,
Eux, comme moi, sont des morts mais ils sont oubliés,
Eux telles les algues de mer
Tiennent une petite tortue
Et rient.
Ma hâte veut que j’oublie
Une chose que je ne connais pas,
Elle court comme une folle avec mon monstre fatigué
Pour que je l’oublie
Pour que j’oublie cette terre en dessous de moi
Alors qu’elle m’amadoue
Après trente ans de hâte
Dans les soupirs et les plaisirs,
Je sais désormais que je suis la plus lente
En amour,
Je joue en compagnie de mon monstre avec les ficelles de la mort,
Je lui donne tout mon pain,
Il le mange tel un lapin apeuré
D’un passé qui le poursuit
Laissant la lenteur derrière lui sur la route.