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Médias en Seine. Dans les cœurs des Français, la confiance règne ?

Ce mercredi 22 novembre s’est tenu le festival annuel « Médias en Seine », organisé par France Info et le groupe Les Echos-Le Parisien dans les locaux de la Maison de la Radio. Cette année, l’événement s’est concentré sur la confiance des Français envers les médias ainsi que l’EMI. Retour sur les grands débats et solutions rapportées par les journalistes et experts de l’information.

Les Français inscrits dans une relation paradoxale avec les médias

Le même jour, les résultats de la 37ème édition du baromètre La Croix sur la confiance des Français ont été rendus publics. Jean-Christophe Ploquin et Guillaume Caline, respectivement rédacteur en chef du journal La Croix et membre de l’institut de sondage Kantar, ont présenté les chiffres au festival. 

Les deux spécialistes dénotent d’abord une « consommation très diversifiée des médias », ainsi qu’un certain nombre de paradoxes : 58% des personnes interrogées font confiance à la presse quotidienne nationale mais 56% estiment que « les journalistes ne sont pas indépendants des pressions de l’argent et du pouvoir. » Il ressort du sondage une histoire d’amour-haine entre les Français et leurs médias. Les journaux télévisés et les chaînes d’informations en continu demeurent très plébiscités par les Français, bien que 57% d’entre eux se méfient des médias lorsqu’ils traitent des grands sujets d’actualité.

Fait intéressant, ce sont les – de 35 ans qui sont les plus enclins à payer pour une information de qualité, contrairement aux Français plus âgés : 55% se disent favorables à un soutien financier, contre 26% des plus âgés. « Lorsque l’info est sourcée, elle demande un coût, une valeur, ce pourquoi elle a un prix », explique Nathalie Sonnac, ex-membre du CSA. « Or les gens ne sont plus prêts à payer, ce pourquoi il faut revaloriser l’information. Le journaliste a un rôle à jouer avec ses connaissances, sa distinction des faits et participe à la fabrication de l’opinion française. Il existe par ailleurs deux leviers pour contrer la défiance : la régulation des réseaux sociaux et l’éducation aux médias et à l’information ».

Les JT, la presse régionale et la radio sont les médias dans lesquels les Français accordent le plus leur confiance. Pourtant, sur les 58% qui ont foi en la presse quotidienne nationale, 80% d’entre eux se tournent d’abord vers leurs proches pour s’informer. Enfin, 70% des Français usent des réseaux sociaux pour s’informer, mais seulement 25% d’entre eux font confiance à ces canaux.

© Maud Baheng Daizey
Présentation du baromètre par Jean-Christophe Ploquin et Guillaume Caline.

« Le baromètre sur la confiance dans les médias montre qu’il y a une défiance qui s’installe entre les citoyens et les médias », avait reconnu la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak lors de son intervention à Médias en Seine. « Aujourd’hui, indépendance comme pluralisme sont des enjeux clés pour resserrer ce lien de confiance entre les citoyens et les médias. Si nous voulons prendre soin de notre démocratie, nous devons prendre soin de ce bien commun qu’est l’information. »

« Il faut que les journalistes soient indépendants de leur actionnaire, économiquement et idéologiquement. Qu’il y ait un pluralisme d’opinions plutôt qu’une seule ligne avec que des personnes qui pensent la même chose dans le même média », a-t-elle proposé. Mais elle a réaffirmé son opposition « à une régulation européenne de la presse, ou à la création d’un super régulateur européen de la presse », comme discuté à la Commission européenne.

Pour Nicolas Charbonnier, directeur des rédactions du Parisien/Aujourd’hui en France et vice-président du Press Club de France, il ne faut surtout pas « oublier les lecteurs, nous avons aussi laissé la parole à ceux qui n’auraient pas dû l’avoir. Si on veut être sérieux, donnons la parole à des chercheurs, scientifiques et médecins » et non des pseudo-experts. « On nous reproche aujourd’hui de ne pas aller à Gaza, mais on ne peut pas y aller sauf avec l’armée israélienne, ce qui nous empêcherait de travailler convenablement. L’information et aller sur le terrain, ça coûte cher, il faut que le public s’en rende compte. Nous sommes des médiateurs, on dit ce que l’on observe sur le terrain. Tout cela, il faut l’expliquer dans une démarche de transparence », a-t-il avancé.

De nombreuses solutions sont déjà mises en place dans divers pays d’Europe, notamment ceux du Nord. La Norvège fait ainsi figure de proue dans sa liberté de la presse et la confiance envers les médias qu’elle inspire. Alors, quels enseignements tirer de ses pratiques du journalisme ? Pourquoi la Norvège est-elle si spéciale ?

La pandémie, amplificatrice de la méfiance

Des interrogations auxquelles « Médias en Seine » a accordé une oreille très attentive, par le biais d’une table ronde. Animée par la productrice radio Cathinka Rondan, et Nic Newman, chercheur senior à l’Institut Reuters, « Médias scandinaves : comment conserver la confiance du public » a débattu des différences systémiques entre la Norvège et la France sur le sujet.

Première différence notable, le traitement des informations comme la pandémie et l’impact sur la population : en France, la confiance n’a fait que baisser, avec une perte de 8% depuis 2015 (38 à 30 points), en particulier avec le coronavirus. Les Français avaient trouvé le traitement des informations très « anxiogène » selon le baromètre 2022, alors que les Norvégiens ont accru leur foi envers leurs propres médias (46 à 53 points). La France s’est vue perdre de l’intérêt envers l’information, aux antipodes du pays nordique où les gens sont plus enclins à payer pour rester informés que les Français. (39 contre 11%). 

Selon Cathinka Rondan, les journalistes norvégiens « avaient une vision plus positive de la pandémie et tentaient de mettre les solutions en avant. De plus, les journaux coûtent aussi moins chers, nos médias parlent directement aux enfants » avec de nombreuses émissions adaptées et un solide programme d’EMI dans les écoles. Des journaux télévisés sont diffusés tous les jours pour leur expliquer les informations, ou encore pour leur enseigner les méthodes d’analyse d’une image. L’éthique du journalisme est également une thématique chérie par les Norvégiens, qui se forment dès le plus jeune âge à l’éducation aux médias et à l’information.

« L’EMI, c’est aussi éduquer à l’usage des écrans et des algorithmes »

Une politique qui rentre en forte résonance avec la conférence réunissant le directeur du CLEMI Serge Barbet, la doctorante Medialab Manon Berriche, ainsi que la maîtresse de conférences en psychologie Séverine Erhel. Tous réclament un « enseignement transversal » de l’EMI en France, qui ne saurait reposer sur les seules épaules des professeurs d’histoire-géographie et documentalistes.

L’EMI peut en effet être assimilée à d’autres matières scolaires : le français, l’enseignement moral et civique, les Sciences Numériques et Technologiques, les Sciences Economiques et Sociales… Car il ne s’agit pas seulement d’apprendre à « lire » une image : il faut également savoir décrypter des données, ou bien comprendre le fonctionnement des algorithmes (pourquoi reçois-je telle information sur mes réseaux par exemple). 

« L’EMI permet de renforcer les capacités de compréhension du sujet sur tous les supports », a clamé Serge Barbet lors de la conférence. « C’est aussi un enjeu de salubrité publique : arrêtons de nous concentrer sur le temps d’écran pour se poser la question des pratiques de l’écran. Sont-elles bénéfiques, permettent-elles la socialisation, ou sont-elles délétères et renforcent-elles l’isolement, abaissent-elles la capacité d’attention ? »

Selon la chercheuse Séverine Erhel « l’EMI concerne aussi pour les parents, faut trouver des terrains communs pour que les parents puissent eux-mêmes se renseigner et s’informer, car ils sont parfois démunis par les réseaux sociaux. En tant que citoyens, il faut que nous prenions les rênes de ces derniers afin qu’ils soient décentralisés. »

Mais surtout, de solides connaissances en EMI permettraient aux citoyens d’avoir une meilleure perception et critique des médias français, comme le prouve la Norvège et la Finlande. À travers « Médias en Seine », des solutions ont pu être transmises et permettre de faire avancer la réflexion. Le baromètre Lacroix pourrait révéler en quelques années de nouveaux chiffres bien plus rassurants si la France investissait dans l’EMI, tant auprès des jeunes que des parents. 

Crédits photos : Médias en Seine, Maud Baheng Daizey

Maud Baheng Daizey

Au Burkina Faso, le gouvernement tenterait-il de faire taire les médias français ? 

Entre campagnes de désinformation et propagande politique, la liberté de la presse s’est considérablement dégradée au Burkina Faso. Les médias français semblent être dans la ligne de mire des autorités burkinabè. Après la suspension de France 24 et de Radio France Internationale (RFI) un peu plus tôt dans l’année, les correspondantes Agnès Faivre (« Libération ») et Sophie Douce (« Le Monde ») ont récemment été expulsées du Burkina Faso le 1er avril 2023. Agnès Faivre a accepté de répondre à nos questions.

Par Andréa Petitjean

La bande sahélienne menace de devenir « la plus grande zone de non-information de l’Afrique » selon Reporters sans frontières (RSF). Les pays du Sahel sont cités comme des « terrains à risque » pour les journalistes, et plus particulièrement le Burkina Faso, le Mali, et le Tchad. Les dangers y sont nombreux pour les professionnels des médias, notamment en raison de la présence de djihadistes dont les attaques sont de plus en plus fréquentes depuis 2015d’affrontements intercommunautaires sanglants, et de juntes militaires, particulièrement violentes. Les journalistes ne sont plus en sécurité et l’accès à l’information est limité.

Chef d’État du Burkina Faso depuis 2022 à la suite d’un double coup d’Etat, le capitaine Ibrahim Traoré ne cesse d’accentuer la pression sur les médias. Selon le classement mondial de la liberté de la presse 2023 publié par Reporters sans frontières (RSF), le Burkina Faso occupe la 58è place sur 180, alors qu’il était en 41è position au classement de 2022. Selon RSF : « Que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou au Tchad, à peine sont-elles au pouvoir que les nouvelles autorités cherchent à contrôler les médias au travers de mesures d’interdiction ou de restriction, voire d’attaques ou d’arrestations arbitraires».

Les médias publics sont particulièrement vulnérables au moment des putschs. Les militaires cherchent à prendre le contrôle de la télévision et de la radio nationales afin d’annoncer leur prise de pouvoir et de refaçonner le paysage médiatique du pays. Le journalisme et la liberté de la presse sont menacés, au profit de la propagande.

RFI et France 24 couvrent de près l’actualité africaine et sont deux médias très suivis au Burkina Faso (ou du moins, l’étaient). Jusqu’à présent, un tiers de la population et plus de 60% des cadres et dirigeants suivaient France 24 chaque semaine au Burkina Faso. Mais les médias français semblent être dans la ligne de mire des autorités burkinabè, en témoignent les récents événements :

En décembre 2022, le gouvernement burkinabé a décidé d’interdire à Radio France Internationale (RFI) d’émettre. Le 27 mars 2023, c’est au tour de France 24 de recevoir l’interdiction d’être diffusée. Le gouvernement lui reproche d’avoir diffusé une interview du Chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Mais ce n’est pas tout. Le 1er avril 2023, Sophie Douce et Agnès Faivre, correspondantes pour les médias « Le Monde » et « Libération », ont été expulsées du Burkina Faso. Agnès Faivre a perdu son accréditation après que Libération a publié le 27 mars les conclusions d’une enquête qui a fortement déplu aux autorités. La journaliste, de retour en France, a accepté de nous répondre en interview:

Quels sont les risques encourus lorsqu’on est journaliste au Burkina Faso ?

Il y a une menace sécuritaire dans le pays qui est confronté depuis 2015 à une insurrection djihadiste qui s’est considérablement intensifiée à partir de 2018-2019. Ça se dégrade très vite, 12 régions sur 13 sont plus ou moins intensément touchées par des incidents imputés aux groupes armés terroristes. Il est risqué de se déplacer, d’aller sur le terrain. Très peu de journalistes peuvent se déplacer, certains burkinabè le font mais ils sont très rares. Par ailleurs, depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, la liberté de la presse et d’opinion ont été progressivement entravées. D’autres risques sont apparus pour les journalistes, avec une multiplication de menaces, pressions, intimidations.

Comment le gouvernement tente-t-il de censurer/contrôler les médias et de faire pression sur les journalistes?

Il y a des pressions directes et assumées des autorités, des rappels à l’ordre fréquents. Des journalistes ont été convoqués au Service de la Sûreté, un service de renseignements, au Conseil supérieur de la communication pour des recadrages, d’autres encore sont poursuivis pour diffamation ou sommés de révéler leurs sources. Lorsqu’un journaliste ne suit pas la propagande du régime, il se fait attaquer sur les réseaux sociaux, voire est accusé d'”apatride”. Il y a enfin des appels à la haine véhiculés sur Whatsapp appelant au meurtre de certains journalistes, ou encore à incendier les locaux de Omega Médias, un groupe audiovisuel au ton très libre.

Quelle est la situation actuelle entre les médias et le gouvernement ? Comment définiriez-vous les relations journalistes-gouvernement au Burkina Faso ?

C’est presque un dialogue de sourds. Les journalistes burkinabè essaient de négocier une plus grande liberté d’expression, des moyens de couvrir ce conflit, un meilleur accès aux sources officielles, qui s’est considérablement réduit depuis septembre 2022. Mais les journalistes burkinabè sont diabolisés, ils ont une faible marge de manoeuvre.

Pour quelles raisons avez-vous été renvoyée du Burkina Faso ?

C’est à la suite d’une enquête parue dans Libération le 27 mars. On a reçu une vidéo dans laquelle un homme filmait sept enfants et adolescents étendus au sol, visiblement morts, les mains ligotées, les yeux bandés. À un moment donné, l‘un d’eux soulève une pierre pour la faire tomber sur le visage d’un enfant prétextant qu’il respirait encore. C’était une vidéo très cruelle dans laquelle apparaissaient des hommes habillés en “demi saison”, en treillis et t-shirts. On a enquêté sur ces exécutions extra judiciaires et on a pu identifier que des éléments de  l’armée régulière étaient présents, et que ça s’était produit dans une caserne à Ouahigouya, une ville du nord du Burkina. Peu après l’attaque d’une base de VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) des rafles de dizaines de personnes avaient été organisées dans certains quartiers de Ouahigouya, avec le soutien de l’armée. L’enquête a fortement déplu aux autorités.

Comment avez-vous su que vous étiez expulsée du territoire ?

L’enquête est parue le lundi et le vendredi, j’ai été convoquée à la Sûreté, le service de renseignements. L’entretien a duré 1h30. Le soir, l’agent qui m’avait interrogée s’est présenté à mon domicile pour me signifier, sur le pas de la porte, que j’étais expulsée et que j’avais 24h pour quitter le territoire mais il n’a pas donné de motif ni de document. Dans la nuit, les campagnes de désinformation me ciblant et ciblant Sophie Douce ont commencé. Le jour où j’ai été convoquée à la Sûreté, ils ont également convoqué ma consoeur Sophie Douce (“Le Monde”). On n’a vraiment pas compris pourquoi elle s’est retrouvée associée à ça, “Le monde” n’avait pas enquêté sur cette vidéo.

Les médias français comme RFI et France 24 ont été interdits de diffusion au cours des derniers mois. Ensuite, vous et Sophie Douce avez été expulsées du territoire, alors que vous travaillez respectivement pour Libération et pour Le Monde. Selon vous, la présence des médias français pose-t-elle problème au Burkina Faso ?

RFI et France 24, ce sont eux qui sont ciblés en premier, ils sont accusés d’être impérialistes. Nous (Libération) en presse écrite, on n’avait pas été trop touchés, on pensait être un peu plus épargnés. Mais il y a toute une propagande, un discours anti-impérialiste, il y a toute une logique complotiste qui veut voir la main de la France derrière certains drames qui se déroulent au Burkina Faso. C’est une tendance qui s’est renforcée. Les médias français tant critiqués sont perçus comme complices de cet impérialisme. On est dans la ligne de mire de ce régime là.

Les correspondantes Agnès Faivre (« Libération ») et Sophie Douce (« Le Monde »)

À la suite de la suspension de RFI, France 24, et de l’expulsion des correspondantes de Libération et du Monde, l’ONG Amnesty international a appelé les autorités du Burkina Faso à « cesser les attaques et menaces contre la liberté de la presse et la liberté d’expression » le 7 avril dernier.

Si les médias français ne semblent plus être les bienvenus au Burkina Faso, la présence des forces militaires françaises était elle aussi source de fortes tensions.

En janvier 2023, plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Ouagadougou contre la présence française et réclamaient, entre autres, le départ de l’ambassadeur de France, ainsi que la fermeture de la base de l’armée française à Kamboinsin, où sont stationnées 400 forces spéciales. Finalement, le 19 février 2023, le gouvernement burkinabè annonçait le retrait total des soldats français à Ouagadougou, après 15 ans de mission dans le pays. Lorsqu’il était arrivé au pouvoir à l’automne 2022, Ibrahim Traoré avait laissé 30 jours à la France pour retirer ses troupes, soit jusqu’au 25 février 2023.