Cameroun : le combat de Jeannette Marafa

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

C’est bien connu: l’amour est la plus grande des forces, et le meilleur avocat d’un homme en difficulté c’est son épouse. Jeannette Marafa, l’épouse de l’’ancien ministre d’État camerounais chargé de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, condamné à vingt-cinq ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et reconnu par la communauté internationale comme un prisonnier politique, se bat en première ligne pour desserrer l’étau politico-judiciaire qui s’est refermé sur lui et obtenir sa libération. Il y a trente ans, elle l’avait déjà sauvé du peloton d’exécution, peu après un coup d’Etat manqué contre Paul Biya.

Ce sont les aléas de la vie qui ont poussé au-devant de la scène cette mère de famille discrète, qui, en dépit d’une solide formation universitaire, avait choisi de vivre à l’ombre, pour assurer les arrières de son grand commis d’État d’époux, aujourd’hui enfermé dans une prison de haute sécurité à Yaoundé.
Séparée malgré elle de son mari, retirée à Paris auprès de ses trois enfants, tous jeunes adultes et scolarisés dont elle assure désormais seule l’autorité parentale, Jeannette Marafa est marquée par l’épreuve que traverse sa famille; mais elle a refusé de baisser les bras. Elle est restée digne. Aussi bien à l’aise en tailleurs européens qu’en robes africaines, elle n’a rien perdu de son élégance de femme Douala, son ethnie d’origine. C’est une « femme debout », comme diraient les Antillais.

Elle court les médias, mobilise les avocats, fait du lobbying politique, apporte son expertise au comité de libération des prisonniers politiques camerounais (CL2P). Car elle en est convaincue : l’homme qui partage sa vie depuis plus de trois décennies n’est pas coupable des faits pour lesquels il a été condamné à vingt-cinq ans de prison, il y a deux ans.

« Marafa est innocent »

« Le motif qui a été retenu contre lui, la complicité intellectuelle, n’existe pas en droit pénal camerounais et même français. Cela vient du fait que l’un des accusés était considéré comme un ami de mon mari. Le juge, en rendant sa décision, a d’ailleurs bien spécifié qu’on n’avait rien trouvé prouvant la culpabilité de mon mari. Cependant, comme il connaissait Monsieur Fotso [l’ancien administrateur directeur général de la Camair condamné dans la même affaire NDLR] depuis 1993, il a aussi été déclaré coupable », a-t-elle clamé récemment sur la radio Africa N°1 lors du « Grand débat », une émission consacrée au décryptage de l’actualité française et internationale, animée par le journaliste Francis Laloupo.

Elle explique que son époux n’a joué aucun rôle déterminant dans l’affaire dite de «l’Albatros», du nom de l’avion de Paul Biya, dont l’achat controversé a conduit nombre de dignitaires camerounais en prison : ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de commander cet avion. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de débloquer les quelques trente millions de dollars affectés au paiement de cet aéronef et qui auraient été détournés, mais l’ancien ministre camerounais des Finances, Michel Meva’a Meboutou, lequel n’a jamais été inquiété. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de commander un autre avion que celui initialement prévu. Il n’a participé ni de près ni de loin à l’accord par lequel l’Etat du Cameroun et Boeing, le vendeur de l’avion, se sont entendus pour solder cette affaire. L’avocat de l’État du Cameroun dans ce dossier, l’ancien bâtonnier Akéré Muna, a d’ailleurs déclaré lors d’une conférence de presse à Yaoundé que l’avion avait bien été livré et que les autorités camerounaises ont perçu des indemnités compensatrices du retard observé dans la transaction. « Mon mari n’a jamais été concerné par tout cela », conclut Jeannette Marafa.

A l’en croire, c’est parce que son époux n’avait rien à se reprocher qu’il a refusé de s’enfuir, alors même qu’on l’avait prévenu qu’il serait arrêté.

Jeannette Marafa s’en souvient comme si c’était hier. Début avril 2012. Son conjoint n’est plus ministre depuis un remaniement gouvernemental intervenu cinq mois plus tôt. Il manifeste son souhait d’aller en vacances en France. Au secrétariat général de la Présidence camerounaise, on lui fait savoir verbalement que le président Paul Biya a donné son accord. Mais il exige d’en être notifié par écrit. Une prudence qui l’aurait sauvé d’une situation beaucoup plus fâcheuse qu’une simple arrestation.

Alors qu’il attend toujours son autorisation de sortir du territoire, Une de ses connaissances lui téléphone de l’étranger pour le prévenir : son arrestation est imminente. Ses recoupements sur place lui permettent de confirmer cette information. Sur ces entrefaites, il reçoit, le 14 avril, deux convocations émanant de deux unités d’investigations différentes : il est invité à se rendre le 16 avril 2012, à la même heure, auprès du juge d’instruction et à la police judiciaire de Yaoundé. Il a encore deux jours devant lui. C’est largement suffisant pour s’enfuir ou demander l’asile politique dans l’une des représentations diplomatiques occidentales de la capitale camerounaise.

Mais, stoïque, il choisit de faire face. « Mon mari est un homme d’État qui se sait innocent. Il a servi Monsieur Biya et l’État du Cameroun avec toute son honnêteté, toute sa vigueur. Il a donné de son temps. Il a donné de son énergie. Il en a même oublié sa famille. Il a présenté plusieurs fois sa démission à Monsieur Biya, lequel ne l’a pas acceptée. Marafa n’est pas de ces personnes qui refusent d’affronter la réalité », assure Jeannette Marafa. Sans surprise, l’ancien ministre est placé en garde à vue au terme de son interrogatoire policier, puis placé sous mandat de dépôt. A la surprise générale, il est condamné à 25 ans de prison. La sentence est lue par un juge qui reconnaît lui-même l’absence de preuves contre lui.
Pour son épouse, c’est l’aboutissement d’une opération de diabolisation qui a duré bien longtemps. On sait en effet que deux ans plus tôt, le 9 février 2010, lors d’un entretien avec l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Cameroun, Mme Janet E. Garvey, Marafa Hamidou Yaya a confié à la cheffe de la mission diplomatique américaine que le Président Paul Biya se servait de la campagne anticorruption baptisée « Épervier » pour tenir en respect ses collaborateurs comme ses opposants. « Je peux me retrouver en prison », lui dit-il. Des confidences transcrites dans un compte-rendu de l’ambassadrice au gouvernement américain qui ont été dévoilées par Wikileaks.

« La déconstruction de l’image de Marafa ne s’est pas faite en un an. Elle s’est étalée sur plusieurs années. Vous pouvez imaginer l’effet sur nos enfants, d’apprendre dans les journaux, sur les réseaux sociaux que leur père est un voleur. Des choses qu’ils ne connaissent pas », se plaint Jeannette Marafa, qui poursuit : « La réalité dans la famille que nous avons eu le bonheur de construire, c’était l’honnêteté. Lui, il est musulman, moi je suis chrétienne pratiquante. Nous ne sommes pas des voleurs. Il y en a plein autour de Paul Biya. Il connaît Marafa, il connaît son honnêteté, il connaît sa franchise ».

Tentatives d’intimidation à Paris

L’exil parisien de Jeannette Marafa, qui avait quitté le Cameroun la veille de l’arrestation de son époux, n’est pas du tout tranquille. « J’ai eu peur pour tout le monde, pour moi, pour mes enfants. J’ai été menacée plusieurs fois. On a dévissé les roues de ma voiture une première fois et j’ai failli avoir un accident. La deuxième fois, on a cassé complètement ma voiture. J’en ai appelé aux autorités françaises qui m’ont proposé une protection policière ». D’autre part, elle explique que les avocats de son époux travailleraient dans des conditions difficiles. Alors que ceux du Cameroun subissent des pressions, leurs confrères parisiens ont essuyé des refus de visa d’entrée au Cameroun.

Toutes choses qui n’entament pas la détermination de l’épouse de l’ancien ministre.

Jeannette Marafa se dit optimiste et confiante vis-à-vis de la Justice camerounaise « menée par des magistrats compétents », qui ont déjà eu à corriger des erreurs, comme dans le cas du colonel Edouard Etondé Ekoto, l’ancien délégué du Gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, acquitté par la Cour suprême de Yaoundé fin avril, après avoir été condamné en instance à vingt ans de prison pour détournement de fonds. En attendant la convocation de son mari devant cette haute juridiction, elle ne ménage pas ses efforts. Elle a ainsi obtenu l’entrée dans le dossier de son conjoint de Me Jean-Pierre Mignard, un ténor du barreau de Paris, avocat et confident du président François Hollande. Il y a trente ans, en remuant ciel et terre, Jeannette Marafa avait évité à son époux le peloton d’exécution des putschistes désignés du 6 avril 1984 au Cameroun. Plus tard, le calme revenu, les enquêtes avaient prouvé que le jeune ingénieur en pétrochimie d’alors n’avait rien à voir avec ceux qui avaient tenté de renverser Paul Biya.