Le comité d’éthique des médias: un rempart à la liberté?

Dans le cadre des 12ème assises internationales du Journalisme de Tours, le collectif #Payetoiunjournaliste a proposé de donner la parole aux citoyens sur la question des médias avec la création d’un comité d’éthique. Avec une telle instance, certains journalistes craignent que leur liberté d’exercer soit menacée.

Un comité d’éthique, comment ça marche ?

Le comité d’éthique est un organe professionnel d’autorégulation composé de représentants des journalistes, des éditeurs et du public. Cette composition peut changer d’un pays à l’autre. En Italie, on y trouve uniquement des journalistes ; en Ukraine, des journalistes et du public ; en Grande-Bretagne, des éditeurs et du public ou encore en Allemagne où sont regroupés journalistes et éditeurs.

Aucun représentant des pouvoirs exécutif, judiciaire ou législatif ne participe au conseil puisqu’il est totalement indépendant de l’Etat et de la politique.

Ces professionnels et non-professionnels se saisissent des plaintes et revendications de lecteurs, d’auditeurs, de téléspectateurs, d’internautes. Ils émettent un avis après enquête contradictoire, sur la base de la déontologie journalistique. Cet avis est par la suite rendu public.

Les décisions favorables au plaignant sont parfois accompagnées d’un blâme à l’intention du journaliste et/ou du média. Le comité d’éthique condamne tout ce qui n’est pas passible de sanctions au tribunal. On note notamment la réprobation des publicités déguisées en articles, des “ménages” (animations de débats rémunérés au sein d’une entreprise ou organisation), des bidonnages comme la fausse interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor, des conflits d’intérêts ou encore des atteintes à la vie privée.

Copyright Dessin-Schwartz pour la SNJ

Et ailleurs en Europe ?

Depuis 1950, de nombreux pays se sont dotés d’un conseil de presse appelé aussi conseil de déontologie des médias ou comité d’éthique. On en compte aujourd’hui une centaine dans le monde.

La majorité des pays européens, une vingtaine, dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Suède, la Belgique, ont créé ces instances. En France, l’idée revient périodiquement d’instaurer un conseil de déontologie du journalisme.

La France est-elle en retard par rapport à ses voisins européens ?

Depuis les prémices du mouvement des Gilets Jaunes, la défiance de la population vis-à-vis des médias n’a jamais été aussi forte.

Un contexte qui amène à réfléchir à l’éventualité de créer un conseil de presse français. Certains y voient l’occasion de s’interroger sur la profession.

Copyright L’Express – 1964 – janvier

Le 15 mars, aux Assises du Journalisme, le ministre de la Culture Franck Riester a affirmé qu’il faut “retisser le lien entre les Français et les médias”.

Il existe déjà en France des comités d’éthiques spécifiques pour certains groupes de médias. Radio France, Le Monde ou encore France Télévisions disposent d’une chartre de déontologie et d’un conseil de presse à leur échelle.

Pierre Ganz, vice-président de l’Observatoire de la déontologie de l’information, durant les Assises de Tours note que “si tous les médias acceptent que leur travail soit examiné par un organisme indépendant, ce serait un outil qui permettrait de regagner la confiance du public.”


Il faut “retisser le lien entre les Français et les médias“.

Franck Riester, ministre de la Culture


Favorable à la création d’une telle instance, il est rejoint sur ce point par le SNJ (Syndicat Nationale des Journalistes).

Dans ses dix engagements, le syndicat national des journalistes note: “Le SNJ appelle [de ses vœux] la création d’une instance de déontologie paritaire et même tripartite, associant des représentants des salariés, des employeurs et du public.”

Je propose qu’il existe un tribunal professionnel qui puisse être saisi et qui ait le pouvoir de sanction symbolique contre les menteurs, les tricheurs, les enfumeurs. Je vais donc lancer avec mes amis une pétition en ce sens.”

Ce sont les propos tenus par Jean-Luc Mélenchon suite à son passage dans l’Emission Politique sur France 2. En décembre 2017, au cours de sa campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon relance l’idée d’une instance d’auto régulation en lançant une pétition plaidant pour la création d’un “conseil de déontologie du journalisme”.

Le chef de fil de la France Insoumise avait déclaré sur son blog que “la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine”.

Devenu l’ex ministre de la culture, Françoise Nyssen (mai 2017 à octobre 2018) qui était alors en poste, est allée dans le sens de Jean-Luc Mélenchon en annonçant le lancement d’une mission sur la déontologie de la presse.

Un conseil qui, en cas de création prochaine, aura à sa tête l’ancien PDG de l’AFP et de l’INA Emmanuel Hoog.

Les inconvénients du comité d’éthique

Une limite commune à la majorité des comités d’éthique concerne la justice.

En effet, sur le plan juridique, le Conseil de Presse est une association à but non lucratif. Lorsque ce dernier diffuse un blâme, il ne dispose d’aucune immunité. Il risque donc de devoir répondre de ses propos devant les tribunaux. En d’autres termes, le journaliste ayant reçu un blâme peut se retourner contre le comité de presse et l’astreindre devant les tribunaux.

Ceux-ci auront à déterminer si les évaluations, jugements et opinions exprimés par le Conseil ont ou non pas, un caractère fautif au regard de la loi.

Outre les limites juridiques constatées, certains journalistes expriment leurs craintes face à une forme de censure de la presse. Selon le SPIIL, le syndicat de la presse indépendante d’information en ligne, cette idée n’arrive pas au bon moment, le contexte politique étant bien trop défavorable.

copyright Plantu – Le Monde

Sur son site internet, le syndicat déclare qu’il “n’appartient pas à l’État de susciter la création d’une instance d’autorégulation de la presse. Un Conseil né sous de tels auspices n’aura jamais la légitimité nécessaire. Seule une réflexion sereine issue de la profession elle-même et non du pouvoir politique permettrait d’envisager les contours d’un Conseil de déontologie ambitieux.

Pour le directeur de la rédaction d’OWNI, Guillaume Dasquié, la création d’un organe auto-régulateur n’est pas envisageable puisque le journalisme est “un milieu qui vit grâce à ses conflits, petits et grands. […] Les métiers de la presse se nourrissent de diversités mais aussi de divergences, d’antagonismes, voire de rapports concurrentiels animés.”

Il n’est donc pas concevable selon Guillaume Dasquié de créer une instance régulant la moindre discorde dans le but de lisser le paysage médiatique.

Clash

Il n’existe pas d’instance nationale contrôlant l’éthique des journalistes. Le 16 juillet 2014, une proposition de loi présentée par Jean-François Mancel allant en ce sens n’avait finalement pas vu le jour.

Dans cette proposition, le député UMP s’inspire en grande partie du projet du Conseil de déontologie journalistique de la Belgique francophone. Il explique que les Français ne comprennent pas qu’une corporation aussi puissante que le journalisme ne soit pas encadrée par un conseil indépendant.

En 2014, le fossé entre médias et citoyens se veut important ; la communication entre les deux parties est au bord de la rupture.

Le député rapporte “que 77 % des Français ne font pas confiance aux médias“. Composée de 8 articles, cette proposition n’a finalement pas convaincu les résistants comme Olivier Da Lage, journaliste à RFI. Il reproche au député de vouloir “inventer l’ordre des journalistes” et “mettre sous tutelle” la profession.

A ce jour, un comité d’éthique est en passe d’être créé en France. Jeudi 16 mai s’est tenu à Vanves une réunion entre éditeurs, journalistes et représentants du public pour poser les bases d’un futur conseil de médiation et de déontologie journalistique. L’objectif ? Que cette instance voit le jour d’ici la fin de l’année 2019.

Nouvelle avancée sur ce “Conseil de l’ordre des journalistes”. Cédric O, secrétaire d’Etat au Numérique, invite les journalistes à s’organiser pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation, faute de quoi c’est l’Etat qui s’en chargera. Interview par Reuters le 20 juin 2019