Afrique : faut-il ressusciter « l’esprit de Bandung » ?

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Le flot d’informations diffusées au quotidien, qui vont dans tous les sens, non seulement nous submergent, mais également nous désorientent. La guerre de l’Ukraine en rajoute, singulièrement pour les pays africains, eu égard à l’esprit de la conférence de Bandung, tenue en Indonésie, en 1955.

Appelée aussi « Conférence du tiers-monde », celle-ci réunit 29 pays africains et asiatiques, en vue de former une union dite des pays décolonisés. Il en découla globalement la mise en place d’une charte de valeurs, comprenant la lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme. Mais aussi le principe de « non-alignement », par rapport aux grandes puissances.

À l’évidence, cette grande rencontre, à laquelle d’ailleurs la France participa, représentée par Sédar Senghor, eut un grand retentissement, à travers le monde. Avec plusieurs résultats à la clé, notamment la vertu de pousser, cinq ans plus tard, les colonisateurs à lâcher du lest, en accordant leur indépendance aux pays africains. Cependant, il faut avouer que « l’esprit de Bandung » ne connut que la vie de météorite, les querelles de chapelle ayant apparu dès le lendemain des travaux.

Qu’en reste-t-il aujourd’hui, 68 ans après, face à la guerre de l’Ukraine ? Nous savons que ce conflit a des répercussions à l’échelle internationale, entraînant déjà à la situation des « blocs », comme jadis à l’époque de la « Guerre froide ». L’Afrique, la fragile, avec déjà de grosses fissures d’antan dans ses murs, y échapperait-elle ?

À travers des faits observés, la réponse est non. Pour deux raisons évidentes. D’abord, potentiellement riche, le continent est en pratique très pauvre, au point où, dès le premier effet papillon de la guerre en Ukraine, les Africains ont vite sauté à Moscou pour quémander des céréales à Poutine. Ensuite, profitant de cet aveu de faiblesse caractérisé, les pays nantis ont accentué leur démarche en Afrique afin de se faire, chacun, plus d’alliés.

C’est ainsi que, par exemple, la visite en Afrique du Sud du ministre des Affaires Étrangères russe, Sergueï Lavrov, et celle du secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, s’étaient distancées d’un cheveu. Tous deux proposent aux « amis africains » une nouvelle offre de coopération gagnant-gagnant. Paraît-il. Le Mali, la Guinée Conakry, le Burkina et la Centrafrique ont déjà mordu à l’hameçon russe. Le groupe paramilitaire russe Wagner y est déjà présent. Courtisée avec assiduité, le pays de Mandela finira-t-elle par céder à la sirène de ce nouveau coup de charme, exercé de part et d’autre, dont le fond reste à analyser et à comprendre ? 

Union européenne : modèle à suivre

Il n’est pas du tout aberrant de dire qu’avec la guerre de l’Ukraine, le continent se trouve à un tournant de son histoire. Si, hier, « l’esprit de Bandung » fut noyé dans l’inconscience de la jeunesse, l’Afrique libre est aujourd’hui adulte, âgée de plus de 60 ans. C’est l’âge de choix porteurs. Ainsi donc, coopérer avec les pays riches – quel qu’il soit -, n’est en rien anormal.

L’essentiel est de savoir, face à eux, se poser en interlocuteur égal : l’argent contre l’achat du gaz, par exemple, devant être pesé dans la « balance gagnant-gagnant». Sans complaisance. L’heure, pour l’Afrique, est de chercher à acquérir son autonomie, par rapport à la lutte d’hégémonie à laquelle s’engagent les pays dits développés. La première démarche de la Chine, aujourd’hui grande puissance, était de se départir de la « tutelle » de quiconque. C’est un modèle à suivre.

Enfin, il ne serait pas dérisoire, non plus, de redonner chair aux ossements de « l’esprit de Bandung », lequel posa en son temps la thèse de l’union. Et au-delà, avança l’idée de la formation d’un « bloc tiers-mondiste », à l’aune des blocs existants.

À l’heure où les relations internationales tendent à revenir au mode de la division du monde en blocs distincts, l’Union africaine (UA) se doit de renforcer ses capacités. En vue de faire face aux nouveaux enjeux, qui pointent déjà à l’horizon. L’Union européenne (UE), en cela, ne constitue pas moins un bon modèle à suivre. Encore une fois.

Jean-Jules Lema Landou