Rencontre. En Iran, « la révolution contre l’apartheid des sexes » gronde

Lauréat(e) 2023 de l’Initiative Marianne, Asal Abasian est un(e) journaliste et activiste queer iranien(ne), au sourire lumineux et au tempérament obstiné. Depuis dix ans, iel se mobilise pour la communauté LGBTQIA+ en Iran, dont les voix ont une nouvelle résonnance depuis les manifestations et la mort de Mahsa Jina Amini. Iel a écrit de nombreux articles sur le sujet, notamment pour le journal Shargh Daily. En quelques questions, Asal revient sur la situation des personnes queer dans son pays.  

L’Œil : pouvez-vous décrire votre expérience en tant que journaliste non-binaire en Iran ?

Asal : L’atmosphère dans les équipes éditoriales en Iran est très patriarcale et misogyne. En tant qu’homosexuel(le), vous risquez donc toujours d’être exclu(e). La marginalisation dans l’environnement patriarcal des équipes de rédaction en Iran est un phénomène quotidien pour les minorités homosexuelles. Dans l’espace professionnel du journalisme, dans les médias persans, même exilés, il faut être très patient, infatigable et déterminé.

Pourquoi vous êtes-vous engagé(e) dans les luttes féministes et queer ? 

Être homosexuel n’est pas du tout un choix. On naît homosexuel, mais on peut néanmoins en devenir plus conscient avec le temps. C’était donc le cas depuis le début, mais c’est peut-être à partir de l’adolescence que je me suis intéressé(e) aux questions de discrimination sexuelle et que j’ai commencé à me rebeller contre le patriarcat. C’était le destin et non un choix. Peut-être que lutter contre l’apartheid des sexes est un choix, mais être une minorité de genre ne l’est pas, c’est une réalité qui nous accompagne depuis la naissance.

Quel événement a motivé votre militantisme il y a dix ans ? 

Il peut être intéressant de savoir que j’ai pris conscience de mon identité en tant qu’homosexuel(le) en lisant la traduction persane de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, livre censuré dans la République islamique. Plus tard, j’ai lu la version anglaise et j’espère pouvoir bientôt lire la version originale en français. C’était le début de mon chemin, qui s’est ensuite complété par l’étude de penseurs comme Judith Butler, philosophe américaine spécialisée dans les études de genre. 

En lisant les livres et les essais des philosophes du genre, j’ai compris que je devais accepter qui j’étais, contrairement à la marginalisation de la société patriarcale iranienne, et essayer de mieux la comprendre, et bien sûr, que je devais être infatigable dans cette démarche et ne pas avoir peur.

La journaliste et activiste Asal Abasian pour l’Initiative Marianne.

Pouvez-vous nous parler d’un événement ou d’une activité qui a eu un impact profond sur votre combat ?

Le mouvement de libération des femmes en Iran a plus d’un siècle. L’étude de ce parcours tumultueux a inspiré mon combat. L’évolution du mouvement des femmes après les ères Qadjar et Pahlavi a été une véritable source d’inspiration. En particulier les campagnes récentes telles que le million de signatures contre les lois anti-femmes, ou la campagne contre le hijab obligatoire, qui a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie et est devenue une demande publique de la société après le meurtre de Mahsa Jina Amini.

Après le meurtre de Mahsa Jina Amini, les manifestations ont été marquées pour la première fois par la présence visible de la communauté homosexuelle dans les rues, ce qui a réellement inspiré les luttes. Et ce, alors que le fait d’être homosexuel est passible d’exécution. Aujourd’hui, grâce aux médias sociaux, nous voyons la performance de la communauté queer sur la scène politique iranienne. Quelque chose qui n’avait pas un tel visage avant la révolution “femmes, vie, liberté”. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une révolution contre l’apartheid des sexes et que la question va au-delà de la lutte contre le hijab obligatoire. Mahsa Jina Amini est un symbole de courage. Son nom est le code de la lutte en Iran aujourd’hui ; pour lutter contre toutes les discriminations, contre l’apartheid des sexes, contre l’oppression. D’ailleurs, la campagne “Femmes, vie, liberté” est toujours d’actualité. Mes courageuses collègues Niloofar Hamedi et Elaheh Mohammadi sont toujours emprisonnées. J’espère que nos collègues du monde entier prendront conscience des difficultés du journalisme dans ce pays qu’est l’Iran.

Avez-vous un entourage qui vous soutient ?

Oui, mes parents ! Ils sont une source d’inspiration car, malgré leurs origines islamiques, ils ont été incroyables en acceptant mon identité queer et en me soutenant. Mes amis me soutiennent également et c’est ma grande chance ! La société iranienne est très homophobe, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien de mes amis et de ma famille, même si j’ai subi de nombreuses violences dans mes relations.

Pourquoi avez-vous décidé de participer à l’Initiative Marianne ? 

J’ai pensé qu’en rejoignant un programme international de défense des droits de l’homme, je pourrais être la voix des luttes à l’intérieur de l’Iran, la voix de mes courageuses sœurs. L’Initiative Marianne m’a apporté beaucoup de choses. Avant tout, j’ai appris comment et avec quels outils lutter pour la liberté à un niveau plus large. Ce programme m’a donné de la force, du courage et m’a permis d’élargir mes relations dans l’arène internationale.

Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.
Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétences et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.
Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Que devient votre association ?

Mon association s’occupe des personnes LGBTQI dans les pays persanophones d’Iran, d’Afghanistan et du Tadjikistan, et sa priorité est d’aider les homosexuels en danger. J’espère pouvoir défendre la communauté queer, en particulier les personnes en danger qui ont besoin d’être amnistiées. Cette fois-ci, dans le cadre d’une offre internationale et dans une zone plus large.

Pourriez-vous retourner en Iran si vous le souhaitiez, et pourquoi ?

Non, malheureusement, car être homosexuel en Iran est passible de la peine de mort et j’exprime ouvertement mon identité féministe homosexuelle. J’espère qu’après l’effondrement de la République islamique, je pourrai revenir vivre là-bas et y militer… Je peux contribuer à rendre l’espace de la communauté LGBTQI sûr et sans risque. Cela ne peut se faire qu’en créant une culture et en essayant de sensibiliser le public. J’espère pouvoir, un jour…

En attendant, Asal Abasian inspire par ses textes et travaille d’arrache-pied pour sensibiliser la communauté internationale à ses pairs incarcérés, qu’ils soient queers, journalistes et activistes. « Le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous, » avait-iel proclamé lors d’une table ronde à la MDJ le 15 novembre dernier.