Originaire du Sénégal, diplômé d’un master en France, Mouhamed Diop a mis du temps à se faire une place sur le marché du travail. Aujourd’hui, il a transformé l’impasse administrative en tremplin entrepreneurial avec une start-up qui aide les chauffeurs de VTC à passer à l’électrique.
[Par Jean Samuel Mentor, publié le 8/12/2025]

Mouhamed Diop affiche un large sourire, mais son regard trahit des années de combat silencieux. Ce Sénégalais formé en France a enfin donné vie à son projet entrepreneurial.
Après des années de précarité administrative, d’angoisse et d’invisibilité, il a monté Gabriel.cab, une application dédiée aux taxis ou VTC qui souhaitent passer à la voiture 100 % électrique. Son parcours incarne une réalité pour de nombreux exilés, diplômés mais éloignés du marché de l’emploi : ils deviennent entrepreneurs par nécessité… et avec une vision bien à eux.
Diop arrive en France en 2009 muni d’un visa étudiant. Il s’inscrit à l’université et obtient haut la main une licence en gestion et économie, puis un master en management. Comme beaucoup d’étudiants étrangers, il rêve de mettre ses compétences au service d’une entreprise, de contribuer à sa société d’accueil, de s’installer dans la durée. Mais les portes lui restent fermées.
« Après l’obtention de ton diplôme, l’État français te laisse un an pour trouver un boulot. Je n’en ai pas trouvé. » Le couperet tombe : une OQTF (obligation de quitter le territoire français) lui est délivrée. Se refusant à abandonner la vie qu’il a commencé à construire, Mouhamed ne part pas. Il entame alors plusieurs années d’incertitude, de petits boulots au noir, d’angoisse face aux contrôles, de silence administratif.
De Marcel à Gabriel
« C’était une période très compliquée. Enfin, au bout de trois ans, j’ai été régularisé grâce à une promesse d’embauche via une admission exceptionnelle au séjour. »
Selon de nombreuses études, les obstacles à l’emploi pour les étrangers diplômés restent entiers : méconnaissance du système, précarité du titre de séjour, discriminations, non-reconnaissance des diplômes. À l’inverse, le statut d’auto-entrepreneur permet souvent de contourner ces barrières, à condition d’être prêt à en assumer les risques.
Pour Mouhamed, c’est en travaillant comme chargé de développement partenariats chez Vivaction (télécom) en 2014, puis comme chef de projet relations chauffeurs chez Marcel en 2017 (Marcel est une start-up française de VTC créée en 2014 qui propose en Île-de-France un service de mobilité responsable), qu’il a commencé à se familiariser avec les chauffeurs et leur mode de fonctionnement.
Cette expérience lui a permis de se stabiliser, mais aussi, sans le vouloir, de créer des liens avec ces chauffeurs. « Le premier truc que je me suis dit, c’est comment aider le public auquel je m’adresse. Pas que je voulais être entrepreneur », affirme-t-il.
En 2019, Mouhamed lance Rainbooh, un réseau d’affichage publicitaire sur VTC électriques, grâce au soutien de chauffeurs qui ont cru en lui. Cette expérience a posé les bases de Gabriel.cab, nous confie-t-il. Cette appli est aujourd’hui portée par une communauté de plus de 4 000 chauffeurs.
Fort de ce parcours, en 2025, Diop se lance dans une nouvelle startup : une plateforme numérique qui accompagne les chauffeurs de taxi et de VTC. C’est après avoir consulté ses partenaires et de nombreux chauffeurs, qu’il choisit le nom de Gabriel inspiré de l’archange Gabriel (aussi appelé Djibril dans la tradition musulmane). Il symbolise la mission d’accompagner et de soutenir les chauffeurs dans leur quotidien de plus en plus difficile.

Gabriel.cab propose un écosystème complet : conseils sur les véhicules, démarches administratives, aides disponibles, accès à des partenariats avantageux, gestion de flotte, application mobile… Tout est pensé pour faciliter à la fois le travail des chauffeurs et leur transition écologique.
« Lors de mes boulots précédents, j’étais en contact avec les chauffeurs et j’ai vu qu’ils avaient énormément de besoins, notamment pour transiter vers des voitures électriques. C’est ce qui m’a inspiré. Et puis c’est un public qui me ressemble, la plupart sont d’origine étrangère. Je me suis dit qu’il fallait que je les aide. »
Comme beaucoup d’entrepreneurs étrangers ou issus de l’exil, Diop ne serait pas allé aussi loin sans soutien. Il intègre l’incubateur de SINGA, dédié à l’accompagnement des entrepreneurs réfugiés ou primo-arrivants.
Avec l’aide de SINGA et de mentors, il finalise son business model, développe un prototype de site web, puis une application mobile. Il reçoit des conseils sur les questions juridiques et financières, et sur la meilleure manière de structurer son offre. L’expérience permet aussi à Mouhamed d’élargir son réseau et de sortir de sa position d’entrepreneur solitaire.
Selon Noémie Delage, responsable du programme Accélération 360 chez SINGA – conçu pour les projets les plus aboutis – les entrepreneurs primo-arrivants sont une richesse. Ils proposent des perspectives et des solutions uniques sur lesquelles des entrepreneurs locaux n’auraient pas forcément la même perspective.
Depuis son lancement, Mouhamed Diop ne cache pas son ambition : il veut étendre son projet à toute l’Europe dans les années à venir. « Ce problème n’est pas franco-français. Beaucoup de chauffeurs dans les grandes villes européennes sont dans la même situation. S’ils ne sont pas accompagnés, la transition écologique se fera contre eux », affirme-t-il.
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