Prix Albert Londres : Philippe Pujol et un trio sur le podium

[Par Larbi GRAÏNEenvoyé spécial à Bordeaux]

Le prix Albert Londres 2014, le plus prestigieux des prix francophones, a été décerné lundi 12 mai à quatre journalistes. Il s’agit de Philippe Pujol, du quotidien local « La Marseillaise » et de trois réalisateurs d’un reportage télé tourné en Afghanistan et au Pakistan et diffusé par France 2. Ce trio est formé du Pakistanais Taha Siddiqui et des Français Julien Fouchet et Sylvain Lepetit. Philippe Pujol, qui s’est vu donc attribué le prix de la presse écrite est un spécialiste des faits divers, le jury l’a choisi pour sa série de dix articles « Quartiers Shit » parue sur « La Marseillaise » tout au long de l’été 2013. Présidé par la journaliste Annick Cojean, le Jury a, cette année, opté pour Bordeaux quant à la remise du prix, cette ville ayant été l’un des ports d’où est parti Albert Londres pour réaliser ses reportages, dont beaucoup ont ciblé l’Afrique. L’édition de cette année est dédiée à l’ancienne présidente du Jury, Josette Alia, décédée le 1er mai dernier.

Philippe Pujol reçoit le prix Albert Londres

Philippe Pujol reçoit le prix Albert Londres (Nicolas Tucat/AFP)

Avant l’entame de la cérémonie de remise du prix qui devait se dérouler en fin de journée, on a écorché un peu et ce, devant un parterre d’étudiants de l’Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine (IJBA) la profession journalistique, comme on en a souligné également ses vertus. Il a fallu surtout coller à l’esprit de celui auquel la cérémonie est dédiée: Albert Londres et au prix qu’il a inspiré et dont la grave sentence : « mettre la plume dans la plaie », a été mise au fronton d’une série de conférences qui s’est étalée de 9h du matin jusqu’aux coups de 18 heures. Pour Annick Cojean, la cérémonie de remise de ce prix « est pour nous (journalistes, NDLR) une journée de dialogue ». En tout cinq conférences étaient au menu de cette manifestation, laquelle a tenté de rendre compte des conditions de la pratique du métier de journaliste sur une aire géographique s’étendant de la Syrie au Canada en passant par le Congo, la France et la Chine.

La Syrie, un conflit périlleux pour les gens des médias.
Jean-Pierre Perrin journaliste à Libération, spécialiste du Moyen- Orient et Michel Moutot, journaliste à l’AFP, ont essayé à propos de la Syrie de répondre à la question de savoir «comment couvrir le conflit le plus meurtrier pour les journalistes ? ». Les deux hommes ont séjourné à plusieurs reprises dans ce pays et le récit qu’ils en ramènent décrit une situation chaotique, insaisissable et opaque, faite de crimes à huis-clos. « On est toujours dans l’ignorance, on ne voit pas ce qui se passe au niveau même de l’opposition. On parle d’Abou Bakr Baghdadi, personne ne sait qui est-il, personne ne connait son âge, ni son lieu de naissance, je voudrais en faire un portrait, mais c’est impossible. C’est le miroir inversé de Ben Laden qui raffolait de passer sous les caméras, lui, il apparait toujours encagoulé, c’est l’homme qui n’existe pas. Le secret est voulu par toutes les parties» regrette sur un ton amère Jean-Pierre Perrin pour qui le régime d’Assad « est à l’affût du moindre écrit ». Telle que décrite, la Syrie apparait comme une citadelle imprenable. En mars 2012, Michel Moutot a tenté de regagner le territoire syrien à partir de la Turquie, mais sans succès alors que l’agence AFP pour laquelle il travaille dispose d’un bureau à Damas. Perrin, a, quant à lui, essayé en 2011 de se frayer un chemin vers ce pays, à partir du Liban, mais sa tentative n’aboutit pas. Par la suite, une organisation lui propose de l’y emmener moyennant la somme de 1200 dollars, mais Perrin décline l’offre. Il a préféré revenir quelques mois après, au moment où la 3e ville de Syrie, Homs, était devenue l’épicentre de la révolution. A l’époque, il avait été hébergé par un paysan sur la frontière libano-syrienne. Et de confesser qu’il avait fait la rencontre d’une célèbre journaliste américaine, Marie Colbin, « plus organisée que moi », qui, en cherchant, elle aussi à faire un reportage en Syrie, avait été mise au courant de l’existence d’un tunnel sous-terrain qui conduisait jusqu’à la ville insurgée. Le journaliste français a donc emboité le pas à l’Américaine. S’il a pu parvenir à Homs, il en sera toutefois expulsé quelques jours plus tard par le même tunnel. Michel Moutot a expliqué comment une agence comme l’AFP est obligée de recourir au système D pour continuer à informer. Selon lui, du fait des dangers que présente la situation, l’agence depuis janvier 2013 a décidé de ne plus envoyer personne sur le front. Les informations que l’agence peut collecter a-t-il ajouté, sont recueillies auprès d’un réseau de correspondants communicant sur Skype. Et d’ajouter « ils savent qu’ils sont écoutés, mais ça reste faisable, les gens le font par militantisme, ils veulent informer sur leur pays ». D’après lui « il n’y a qu’un tiers ou un quart de ce qu’on reçoit qui soit fiable ». Il reconnait l’important rôle joué par l’observatoire syrien des droits de l’Homme qui a-t-il souligné contrôle un réseau de 230 correspondants dont beaucoup de médecins. « On sait qu’il n’est pas neutre, (l’Observatoire, NDLR) puisqu’il s’oppose au pouvoir, mais on fait ce qu’on peut » a-t-il dit.

Les copies des pigistes refusées.
Pour ne pas encourager les pigistes à prendre des initiatives consistant à couvrir des événements dangereux que les rédactions elles-mêmes refusent de couvrir, les journaux commencent à rejeter les papiers commis par des pigistes qui ont été de leur propre chef sur le théâtre des opérations. Si les rédactions acceptent les papiers des pigistes, elles auront alors du mal à justifier le refus d’envoyer un journaliste permanent explique-t-on.

Le témoignage bouleversant d’une journaliste congolaise.
En plus d’une communication sur la mafia du Québec faite par la journaliste à radio Canada, Marie-Maude Denis, dont nous publierons l’interview accordée à l’œil de l’Exilé dans les prochains jours, une autre communication a attiré particulièrement l’attention, c’est celle de la journaliste du Congo démocratique, Chouchou Namegabe, qui a dénoncé «  Le viol » utilisé «  comme une arme de guerre » par des groupes armés rebelles. (Nous publierons prochainement l’interview qu’elle nous a accordée). Ces sévices sexuels d’une horreur abominable sont pratiqués a-t-elle détaillé même sur des bébés de deux ans. Pour perpétrer des viols sur les femmes, des raids prennent pour cible des villages. Certaines femmes ont été forcées, après avoir été violées, de faire acte de cannibalisme en mangeant la chair de leurs petits enfants tués devant elles avant d’être découpés en morceaux. Pour lutter contre cette monstruosité derrière laquelle se profile l’image hideuse de multinationales trop intéressées par les ressources minières que renferment les terres, cette journaliste-courage de la radio a crée 26 clubs radiophoniques dont elle a confié la gestion à des femmes du cru, formées sur le tas pour devenir journalistes. Depuis lors celles-ci s’occupent d’informer via les ondes sur l’état de leur village et signaler en temps réel tout mouvement suspect des bandes armées.

Sécurité des journalistes, vers un durcissement de la législation

Par Larbi GRAÏNE

Reporters Sans Frontières (RSF) préconise la nomination d’un rapporteur spécial de l’ONU sur la sécurité des journalistes à l’effet de lutter contre l’impunité des crimes commis contre les journalistes a indiqué (hier 5 mai) Christophe Deloire, le secrétaire général de cette ONG qui s’exprimait lors d’une conférence internationale sur la liberté de la presse organisée au siège de l’Unesco à Paris et ce, à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse.

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Une journée déclinée cette année sous le thème de « La liberté des médias pour un avenir meilleur : contribuer à l’agenda de développement post-2015 ». Une véritable prise de conscience de la nécessité de protéger les journalistes des assassinats semble être ainsi engagée. L’année 2012 a été particulièrement meurtrière pour la profession. Et pour cause, 89 journalistes ont été assassinés. Un funèbre record depuis 1995, année où RSF a commencé à faire état de son classement annuel. A retenir aussi cet autre chiffre macabre : 450 journalistes ont été tués en six ans. Il est vrai que l’assassinat de deux journalistes français au Mali, achève de signifier que nul journaliste n’est à l’abri d’une élimination physique tragique. Christophe Deloire a annoncé en outre que l’organisation qu’il dirige œuvre pour la modification de l’article 8 du Statut de la Cour pénale internationale relatif aux crimes de guerre, dans le sens de l’élargir aux journalistes car a-t-il expliqué c’est le droit à l’information qui est atteint. Désormais le « fait de lancer des attaques délibérées contre les journalistes, les professionnels des médias et le personnel associé » sera passible de sévères sanctions. RSF envisage également en plus d’introduire dans le corpus de la charte internationale des Droits de l’Homme des observations générales relatives aux journalistes, la mise en place d’une représentation locale au niveau du Haut Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies, à qui serait donnée mandat de traiter les dossiers de journalistes menacés. Répondant à une question de L’Œil de l’Exilé de savoir s’il y a possibilité d’inclure le critère du degré de syndicalisation des journalistes quant à l’établissement par RSF du classement annuel relatif à la liberté d’expression dans le monde, Christophe Deloire, tout en relevant la « pertinence » de la problématique, a indiqué que le classement se fait sur la base de 120 questions.

La situation n’est pas idyllique en Algérie
Evoquant la situation de la presse en Algérie, le secrétaire général de RSF, n’a pas manqué de noter la 121e place affecté à ce pays en 2014 avant de faire observer que « la situation des journalistes en Algérie n’est pas idyllique ». Ernest Sagaga, responsable du département des droits de l’Homme et de la sécurité au sein de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), que nous avons rencontré en marge de la conférence, abonde dans le même sens. Selon lui « la situation de la presse au Maghreb est précaire et difficile ». La représentation de la FIJ à Alger a fermé sa porte et le Syndicat national des journalistes (SNJ) n’est pas fonctionnel » a-t-il reconnu. Et de conclure que seule la mobilisation des journalistes algériens est à même d’imposer le changement.

AlJazeera dans la tourmente
De son côté, Mostefa Souag, directeur d’AlJazeera Media Network a dressé un véritable réquisitoire contre l’Egypte qu’il a présentée comme un « modèle d’oppression contre les gens des médias ». Il a évoqué le cas des journalistes d’AlJazeera jetés en prison par la Justice du Caire. « L’un d’eux a fait 100 jours de grève de la faim, on l’a fait sortir de sa cellule pour le faire passer devant le juge un 3 mai (journée mondiale de la presse, NDLR) » a-t-il fulminé. Et d’ajouter « en fin de compte, son procès a été reporté de 45 jours et le journaliste est retourné en prison. Le juge n’a pas trouvé mieux que de lui souhaiter une bonne journée de la presse ». Pour Mostefa Souag « la lutte contre le terrorisme ne peut être un alibi pour terroriser tout le monde ».

La déclaration de Paris
Notons que la conférence internationale se poursuit aujourd’hui (6 mai 2014) pour son deuxième jour. Hier à l’issue de la première journée, les participants à la conférence ont adopté la déclaration de Paris dans laquelle ils appellent le Groupe de travail ouvert de l’ONU sur les objectifs de développement durable à « intégrer pleinement, dans les documents adéquats les questions de la liberté de la presse, de l’indépendance des médias, de l’accès à l’information, tel que proposé par le rapport du Panel de haut niveau de l’ONU, et d’inclure ces préoccupations dans l’élaboration des objectifs et des indicateurs de gouvernance et de développement ». S’adressant aux Etats membres de l’Unesco, les auteurs de la déclaration ont demandé entre autres à ce que ceux-ci s’assurent « que les crimes commis à l’encontre des journalistes feront l’objet d’enquêtes et de poursuites indépendantes, rapides et efficaces, que les condamnations de la Directrice générale (de l’Unesco NDLR) lors de meurtres commis envers les journalistes, auront pour résultat une réponse exhaustive et rapide sur la poursuite des investigations judiciaires, tels que décidé par le Programme international pour le développement de la communication de l’Unesco (PIDC) ». En outre la déclaration interpellent également les journalistes, les associations professionnelles, les médias, les intermédiaires de l’Internet et les praticiens de médias sociaux afin de « participer au débat sur la liberté d’expression et le développement et à soutenir le Plan d’Action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité grâce à des questions conjointes ou complémentaires, et améliorer la coopération ».

Le témoignage de Makaila

Le célèbre blogueur tchadien Makaila Nguebla, qui a trouvé refuge à la Maison des journalistes (MDJ) de Paris, est monté hier à la tribune de l’Unesco pour témoigner sur les réalités amères des pratiques autoritaires des régimes africains à l’endroit des blogueurs et des journalistes. Après avoir fui son pays, le Tchad, Makaila se retrouve dans une terrible cavale. Partout où il était arrivé, il avait été traqué car les actes de persécution émanant de l’Etat d’origine n’ont pas de frontières. Pourfendeur du président tchadien Idriss Déby Itno, ce militant racé des droits de l’Homme est fiché comme un malfrat chez les polices africaines. Tour à tour le Sénégal, la Tunisie l’expulse, avant qu’il atterrisse en Espagne. Mais c’est finalement la France qui, la première, lui accorde l’asile politique.

L’art n’est pas seulement chez les iraniens

[Par Sadegh HAMZEH]

 

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Annabelle Richard

« L’art est seulement chez les iraniens ». Si vous voyagez en Iran et que vous parlez aux iraniens à propos de l’art vous entendrez certainement cette phrase de Ferdowsi, le grand poète iranien.

 

Cette phrase, comme pour la plupart des iraniens, provoquait en moi un fort enthousiasme, mais aujourd’hui, ayant fuit l’Iran pour me réfugier en France, j’ai pu comparer la place de l’art iranien avec l’art d’autres pays, et en particulier l’art en France.

 

Installé à Paris, j’ai été frappé par le sentiment de vivre au milieu de l’art. Architecture, peinture, théâtre, musique, poésie, littérature, danse, cuisine, paysage, l’art en France est partout, dans chaque recoin du pays.

 

Pour rencontrer l’art il n’est pas nécessaire de visiter les grands musées parisiens comme le Louvre, il suffit de marcher dans les rues de Paris pour découvrir le plus beau musée du monde. Les discutions à la française sont également une des beautés caractéristiques de la France. Lorsque je parle avec un français,j’ai l’impression d’assister à un théâtre contemporain. La manière avec laquelle les français s’expriment est unique. Pour communiquer leurs sentiments, ils utilisent les mains et les expressions du visage de telle façon que l’interlocuteur peut comprendre l’idée générale même s’il ne parle pas français. Une autre beauté caractéristique de la France qu’on ne peut ignorer est ses cafés. L’émulation des rencontres et des discutions entre les gens, les tables installées sur les trottoirs, les terrasses pleines à craquer au moindre rayon de soleil m’émerveillent et me fascinent.

 

Il y a quelques jours, je suis allé dans un charmant salon de thé de la banlieue ouest de Paris où j’ai découvert l’intervention d’une jeune artiste qui était par chance présente sur les lieux. Etant touché par la singularité et à la sensibilité de son travail, j’ai profité de l’occasion pour lui poser quelques questions.

 

Pouvez-vous vous présenter ?

 

Je m’appelle Annabelle Richard, après un Master en Arts plastiques et Sciences de l’art j’ai obtenu l’agrégation d’arts plastiques qui m’a permis d’enseigner depuis maintenant 3 ans tout en développant ma pratique artistique.

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre exposition ?

 

Cette exposition est très importante pour moi car c’est la première fois que je montre mon travail hors de mon atelier ou de la fac. Je l’ai conçue spécifiquement pour ce lieu singulier qu’est le Dinette Café. Cette charmante petite maison transformée en salon de thé, à deux pas de la gare, laissait déjà entrevoir une certaine fantaisie dans sa cuisine et dans sa décoration avec des théières transformées en lampes et des assiettes qui semblaient s’envoler dans les escaliers. J’ai eu envie d’y ajouter ma petite touche personnelle afin de révéler au mieux l’esprit poétique du lieu.

 

Vous utilisez de manière récurrente certains éléments comme la couleur rose, le riz ou les œufs, pourquoi, qu’est-ce que cela signifie ?

 

Le rose est effectivement une couleur très importante dans mon travail. A l’origine c’est d’abord la couleur du papier toilette rose qui, une fois mouillé, se transforme en une matière très séduisante par sa couleur vive et sa texture charnelle. A travers mon travail je questionne la vie, sesorigines et ses mécanismes. Mon observation détaillée de la nature m’a également amenée à voir des correspondances entre le monde animal et végétal. La rencontre du grain de riz et de l’œuf intervient donc comme une évidence dans mon travail. L’exposition, telle qu’elle est conçue, peut être envisagée comme une célébration allégorique du printemps.

 

Vous avez intitulée une de vos installations La Rosière, pourquoi avoir choisi ce même nom pour l’exposition ?

 

L’idée du titre de l’exposition m’est venue par hasard, en cherchant un mot dans le dictionnaire des synonymes. J’y ai lu « rosière : vierge. » Ce titre m’a semblé parfaitement adapté au lieu et à mon travail. Le coté désuet, le rose, l’idée de fête, de célébration, de mariage dont la rosière est chargée, et surtout la question de la vertu, de la bonne moralité, et de la virginité m’a semblée correspondre parfaitement à mon projet printanier. La bonbonnière ne renferme pas toujours les roudoudous que l’on attend. La boucle était bouclée lorsque le drapé extérieur qui devait être une simple parure est devenu la vulve géante mais dissimulée de notre petite Rosière.

 

Quels sont les artistes qui vous ont inspirés ?

 

Pour l’exposition j’ai dressé une liste non exhaustive de tous les artistes qui peuvent être mis en relation avec mon travail. Je retiens prioritairement Fragonard pour ses scènes très érotiques et son tableau Le Verrou pour avoir dissimulé des sexes dans ses drapés, Meret Oppenheim pour ses détournements surréalistes d’objets, et bien sûr celle que je considère comme ma grand-mère spirituelle, Louise Bourgeois.

 

 

 

Une beauté qui fait blessure

http://deco-design.biz/

Haude Bernabé. Photo tirée par http://deco-design.biz/

En la regardant, cette femme douce et menue, il est difficile de l’imaginer dans une forge entourée d’éclats de feu, parmi des pinces, des marteaux et des enclumes. Et pourtant, la forge est le lieu que Haude Bernabé, sculptrice originaire de Brest, a choisi comme lieu privilégié de son art, dans lequel domine un élément dur et fort comme le fer. « Je ne vois pas le métal comme un matériel dur et froid: quand on le travaille avec le feu ses caractéristiques changent, il devient quelque chose de plus malléable, et pourtant quelque chose qui dure ». Haude Bernabé nous accueille dans son atelier de Montrouge, près de Paris, entourée de silhouettes éthérées et légères, de visages pleins de grâce, interrogatifs et perturbateurs. Puis, elle met ses gants épais, déjà usés, ses lunettes de soudure et allume la flamme.

 

Comme Héphaïstos dans son enfer de feu, Haude transforme avec la flamme la matière froide, lourde et réfractaire, en figures légères et élégantes. Des visages murmurants, figures anthropomorphes, sont créés avec des matériaux de rebus recueillis et transformés, comme quand enfant, elle fabriquait ses jouets avec ce qu’elle trouvait abandonné par les vagues sur la plage. « Je travaille avec le métal de récupération que je vais chercher chez un ferrailleur de Brest, donc il s’agit de pièces qui viennent des bateaux, de l’arsenal de Brest, un fer qui a déjà vécu, et je tiens compte de la forme qu’il a, que j’y trouve. J’aime quand il y a une certaine patine, quand il y a les marques du temps, quand il y a déjà une histoire. Des fois c’est le fer lui-même qui me donne l’inspiration: des figures se manifestent. En effet, rien n’est jamais fixé, il s’agit d’une interaction ». Fer, donc, mais aussi bois, plastique, tissu, deviennent dans la forge de l’artiste, poésie et matière.

Haude Bernabé au travail dans son atelier

Haude Bernabé au travail dans son atelier

« La sculpture pour moi, c’est une exigence, une nécessité, quelque chose d’un peu inépuisable. J’ai besoin des trois dimensions : pour moi l’expression passe par la matière ». La parole, traitée comme matière à fusionner avec le feu, lui est souvent source d’inspiration, pour créer des sculptures qui ne soient pas seulement des objets mais qui soient aussi pensés, des émotions rendues visibles. Une phrase d’Albert Camus devient titre d’une oeuvre « Nous allumons dans un ciel ivre les soleils que nous voulons ». C’est un tourbillon de petites silhouettes humaines comme celles des festons pour les enfants, qui planent dans le ciel comme tirées par le vent, se transformant sous nos yeux en paroles, en poésie. Ou encore, c’est un grand visage, suspendu parmi les paroles qui murmurent la phrase de Jean Genet « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible ». « La parole, la littérature, la poésie, c’est là où souvent je rebondis, ou plutôt, c’est pour moi une sorte de synesthésie: il y a un mot qui crée une image ou bien un volume, et à partir de là, je travaille ». Un travail tout récent, avoue l’artiste, né de l’envie de « matérialiser les mots ».

 

L'atelier animé de Haude

L’atelier animé de Haude

 

Des figures aux profils minces, hommes et femmes fusionnés dans un vortex d’amour, mais aussi des squelettes, des poupées qui évoquent le vaudou ou des caillots de métal d’où sortent des bras et des yeux, habitent l’atelier bondé de Haude. « Je ne sais pas qui sont les figures qui sortent, qui sont dedans, des fois je le sais mais des mois après je l’oublie. Ca n’a pas d’importance, c’est l’être humain que je veux représenter ». Et c’est l’être humain, avec toutes ses contradictions, sa beauté comme son inquiétude et ses peurs, que rencontre le visiteur, submergé par des visions et des émotions contradictoires. « Je trouve que dans la beauté il y a une blessure, il y de l’accidentel. Je ne cherche pas à faire du beau. Je cherche à faire quelque chose qui touche, et pour moi c’est plutôt l’interaction entre la personne et la sculpture qui peut créer la beauté ».

 

Vidéo réalisée par Pierre TOH – Interview par Djibril DIAW

 

 

Marouan Omara, réalisateur de CROP : « C’est à Al Ahram où tout se décidait… »

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Souvent pour cerner la politique de nos dirigeants, politologues et journalistes, s’intéressent davantage au discours politique qu’à la photographie. Et Pourtant l’image se trouve être au cœur des manœuvres du pouvoir politique, qui en use et abuse, soit pour faire de nouvelles conquêtes, soit pour s’y maintenir. Marouan Omara, jeune photographe et réalisateur égyptien de 27 ans a dérogé à cette règle en réalisant avec l’Allemande Johanna Domke « CROP » un film complètement dédié au pouvoir de l’image. Nous l’avons rencontré en marge du Festival international du film des droits de l’Homme (FIFDH) qui s’est déroulé au cinéma Nouveau Latina à Paris du 11 au 18 mars 2014. Notons que le film a été tourné entièrement à l’intérieur du journal al Ahram, le plus grand tirage du pays. Entretien.

 

L'affiche du film "Crop"

L’affiche du film “Crop”

 

Même s’il est très court votre film est très beau, j’ai constaté que le public a eu du mal à quitter la salle à la fin de la projection…
« A vrai dire je suis satisfait que le film soit court, beaucoup parmi le public égyptien se sont accoutumés à voir des films rapides, comme les clips ou les réclames. Certains peuvent le percevoir comme lent et ennuyeux. Mais je crois que le fait qu’on ait ressenti sa « petitesse », c’est la preuve qu’on a réussi à faire passer le message, ce qui a donné l’envie de le regarder sans discontinuer pendant 47 minutes. Du reste, je n’ai pas pensé à la durée du film, ce qui m’avait importé, c’est l’idée qu’on va véhiculer sans penser que le film va être court ou long ».

 

Pourquoi, avez-vous choisi le siège d’un journal gouvernemental, Al-Ahram en l’occurrence, pour tourner ce film ?
« L’idée, c’était de cerner et de comprendre comment se fabriquaient l’information et l’image. Pendant notre enquête, on a réalisé plus de 19 interviews avec des photographes de presse, des gens des médias et des experts en communication. Nous leur avons tous posé la question de savoir qui détient le pouvoir de décision dans un journal, qui décide que telles photos méritent d’arriver au public et telles autres d’être supprimées pour qu’elles ne soient pas vues. Nous avons eu des réponses différentes. Pour certains c’est le directeur de la rédaction qui décide. Pour d’autres, c’est le chef du service photographie. Mais lorsqu’on s’est entretenu avec quelques chefs du service de photographie de certains journaux, quelques uns nous ont affirmé que c’est le directeur de la publication qui décide, alors que d’autres ont soutenu que ce sont les conseillers du Président Hosni Moubarak, qui ont ce pouvoir. Au final, on s’est rendu compte, qu’il n’y avait pas une réponse concordante et franche. Le chef de service photographie d’Al Ahram fut l’une des personnalités avec laquelle nous avons eu à nous entretenir. Au cours de cet entretien qui s’est déroulé au siège d’Al Ahram, on a découvert que ce journal était abrité par d’immenses locaux. On s’était senti alors comme dans une usine, comme dans une place forte. Il y a beaucoup de couloirs, de bureaux et d’employés, on en a déduit que c’est dans cette place où devrait être filtrées les informations. Nous nous sommes dit qu’un service, un département devrait bien s’occuper de ça. D’où l’idée de filmer à l’intérieur d’Al Ahram d’autant plus que d’une façon générale on voulait traiter de la presse en Egypte de ces 70 dernières années, qu’elle soit gouvernementale ou nationaliste ».

 

Est-ce que ça été facile pour vous de s’introduire dans le siège d’Al Ahram ?
« Cela s’est déroulé durant la première présidence assurée par l’armée après la chute de Moubarak. On s’approchait de la fin du règne des militaires sous Tantaoui, la vie politique était dominée par les grandes protestations précédant la confrontation électorale entre Morsi et Chafik. On ne savait pas qui allait s’emparer du pouvoir. Donc lorsque nous avons exprimé notre désir de filmer à l’intérieur des locaux du journal, il était difficile aux responsables de dire non ou oui. Et à vrai dire ils n’auraient jamais été capables de justifier un quelconque refus ne sachant guère de quel côté va pencher la balance. On a dû donc attendre trois mois avant qu’on nous autorise à faire notre reportage. Nous nous sommes alors entendu dire « puisque vous faites un film d’inspiration culturelle, on ne voit pas d’inconvénients ».

 

Le film planche sur l’impact des images sur le public, selon vous c’est la révolution qui construit l’image ou c’est l’image qui construit la révolution ?
« C’est la révolution qui construit l’image, c’est le peuple qui fabrique l’événement que les médias viennent couvrir. Parfois la presse gouvernementale faisait le contraire en fabriquant de fausses images pour stigmatiser des gens en les taxant de traitres et de collabos. Parfois elle soutenait que le pays est stable et qu’il n’y a pas de révolution. Mais quand les gens se sont fortement mobilisés, ils ont imposé le fait que l’image censée les refléter corresponde à la réalité ».

 

Comme l’a montré le film, les chefs d’Etat égyptiens raffolaient de l’image, ils étaient séduits par son attractivité, quelle différence y a-t-il entre Abdel Nasser, Sadat et Moubarak ?
« Oui dans la première partie du film nous avons tenté d’analyser l’image en tant qu’instrument de séduction des masses. Nous avons voulu montrer comment les chefs d’Etat ont utilisé leur image dans un but hégémonique et de domination de l’opinion. Sous Abdel Nasser, il faut rappeler que la gestion de la photo subissait les limites de l’époque qui était marquée par la photographie d’avant les dernières innovations. Dans les années 60 et 70, le nombre de photographes et de caméras était extrêmement réduit. Nasser utilisait les médias et la photographie comme moyens de communication, non pas seulement en Egypte mais également à l’échelle de la planète et plus particulièrement en direction du monde arabe. Mais le message iconique de Nasser était porteur du désir de fraternité et d’amitié à l’égard des mouvements révolutionnaires et du nationalisme arabes, auxquels il appelait de tous ses vœux. L’examen de ses photos, montre toujours un Nasser soucieux de communiquer avec son peuple, un homme modeste qui ne s’intéresse pas à sa petite personne. A l’opposé, Sadate venu aux affaires dans les années 70, bascula vers la méthode américaine, tournant ainsi le dos aux Russes. Il était grandement inspiré par les films américains. On le voit toujours en train d’exhiber ses capacités à devenir Président. Il était obsédé par l’idée de transmettre par le truchement d’un plan visuel les preuves qui établiraient combien il était extraordinaire, sage et modeste. Nous avons même eu des informations, (que le film n’a pas exploitées), selon lesquelles Sadate à ses débuts avant même qu’il entame sa carrière politique, a pris attache avec une des célèbres actrices du Caire, pour lui demander de jouer un petit rôle à ses côtés. Sadate était féru du paraitre, il était obsédé par la caméra et les flashes photos. Il s’échinait à paraitre comme un héros nationaliste, mais sa mort a révélé la réalité du personnage : ses obsèques furent quasi désertées. C’est plutôt Nasser qui a eu droit à des obsèques grandioses qui ont eu un grand retentissement dans le monde arabe. Quant à Moubarak il avait une peur bleue des médias. Il était aux côtés de Sadate lorsqu’il rendit l’âme. Moubarak sait que les médias sont la cause de l’assassinat de Sadate. Il avait adopté des faux-fuyants, étant lui même aviateur de métier, il se transformait en volatile pour gérer les affaires de l’Egypte et des médias. Il était rigide, ne manifestant aucune sympathie à l’endroit des photographes, de son entourage et de son peuple. Ses photos sont routinisées, ennuyeuses, traditionnelles, qui le montrent souvent inaugurant quelque usine. Mais tous les endroits où il apparaissait sont placés sous haute surveillance, il est très difficile de trouver une photo le montrant en train d’échanger avec les gens. Quand vous en trouvez une, elle est l’œuvre d’un travail de laboratoire inspiré par les services de renseignements. Avec le temps les Egyptiens ont fini par honnir la politique de Moubarak qui est devenue aussi ennuyeuse et rebutante que sa photo. Tout était plat, froid, sans aventure et sans rêve ».

 

Est-ce que chacun des chefs d’Etat égyptiens qui se sont succédé, avait-il eu un modèle dont il s’est inspiré pour bâtir sa propre stratégie visuelle ?
« Nasser je crois était plus proche des Soviétiques que des Américains, mais Sadate était plus proche de l’Amérique avec laquelle il entretenait beaucoup de relations. Moubarak quant à lui ne semble s’inspirer d’aucun modèle particulier. Son plan visuel était incolore et inodore. On ne peut pas dire que ses choix sur l’image peuvent s’incarner dans quoi que ce soit, c’est un mauvais mixage de beaucoup de choses. Un mixage dépourvu de toute vision ».

 

Qu’est devenu le cinéma égyptien ?
« Je crois que le cinéma égyptien a complètement disparu ces dix dernières années mais je pense qu’il va rebondir dans un proche avenir car il est appelé à exorciser ce qui s’est passé pendant la révolution. Le public égyptien est lassé et ne peut plus supporter le cinéma ayant précédé la chute de Moubarak. Le public a changé et a pris conscience des moyens d’hégémonie dont usent les gens des médias, entre réalisateurs et producteurs pour dominer les esprits. Souvent ce sont des films de bas étage avec des comédiens qui ne véhiculent ni idées ni messages ».

 

 

Palestiniens de Syrie : « L’aide de l’Europe a été sacquée »

[Par Larbi GRAÏNE]  

 

La députée européenne EELV, Eva Joly, a déploré le 29 mars à Paris que le budget de l’Union européenne destiné à venir en aide aux réfugiés palestiniens de Syrie soit « sacqué » expliquant que c’est avec « l’argent humanitaire que l’UE met en œuvre sa politique agricole ». « C’est insupportable, dans le camp de Yarmouk où vivent les Palestiniens, on meurt de faim, et c’est de la responsabilité de l’Europe » a-t-elle tonné sous les applaudissements d’un public nombreux venu assister à une soirée de solidarité avec les réfugiés palestiniens en Syrie, organisée par le Forum Palestine, Citoyenneté Chababs El Yarmouk. Pour Eva Joly « l’UE se doit de mobiliser d’ici juin 2014, quatre cents millions d’euro pour pouvoir aider les Palestiniens de Syrie»

 

photo par UNRWA

photo par UNRWA

 

Agrémentée par un concert donné par le groupe de hip hop syrien « Refugees of Rap » et un récital de poésie déclamé par le poète et journaliste palestinien réfugié en France, Mohammad Shaaban, cette soirée a été marquée par plusieurs témoignages de militants palestiniens qui sont intervenus depuis Yarmouk via skype. Le blocus du camp damascène de Yarmouk où résident environ un demi-million de réfugiés palestiniens est à jusqu’à aujourd’hui (samedi 29 mars, NDLR) à son 261e jour affirme Abdallah al-Khatib, activiste palestinien basé au camp de Yarmouk. Celui-ci a dénoncé le silence de l’OLP qui selon lui « n’a pas aidé les réfugiés palestiniens ». « Le blocus a été décidé par le régime d’Assad à l’effet d’anéantir la cause palestinienne » a-t-il fulminé. Et d’ajouter « seule la pression médiatique a atténué quelque peu les effets du blocus car cela avait permis l’ouverture partielle du camp ». Faisant un état des lieux, El Khatib révèle que le dernier bombardement du camp qui remonte à trois jours avait fait 12 morts parmi les civils. D’après lui, à cause du blocus, 80 % des enfants souffrent de malnutrition alors que 20 d’entre eux ont perdu la vie. 125 personnes a-t-il ajouté sont décédées en succombant à l’épuisement et à la famine. « Le camp est rasé à 40% et la pénurie des produits alimentaires a fait flamber les prix » soutient-il non sans observer que « le riz revient à 200 dollars le kg » et que « les gens survivent en mangeant de l’herbe ». Et de déplorer encore « tous les hôpitaux, hormis un, ont fermé. Il y a pénurie des produits d’urgence comme le coton ou les désinfectants. Certains parents ne pouvant plus subvenir aux besoins des leurs, ont abandonné leurs enfants alors que certaines femmes ont dû verser dans la prostitution ».

 

 

Salon du livre de Paris : Percée de la littérature française en Chine

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Les lampions du 34e salon du livre de Paris se sont éteints le 24 avril dernier à Porte de Versailles, sur une note de satisfaction de ses organisateurs. Et pour cause, le salon a drainé 198 000 visiteurs soit 8000 de plus que l’année dernière. Toujours est-il qu’un salon du livre peut être un baromètre permettant de visualiser l’état des échanges économiques entre la France et les pays participants. L’édition de cette année a choisi comme pays d’honneur l’Argentine et comme ville invitée Shanghaï. A travers ce choix, on peut mesurer du reste l’intérêt des organisateurs pour les pays émergents. La programmation du Brésil comme pays d’honneur pour l’édition de 2015 est là pour attester qu’il s’agit d’une option « lourde » des managers du livre. En termes de poids économique, le livre occupe la première place parmi les biens culturels. Selon le site du SNE, (Syndicat national de l’Edition), le marché du livre en France était en 2006 évalué à 4,1 milliards d’euro surclassant ainsi la vidéo (1, 7 milliards), la musique (1, 3 milliards) et les logiciels de loisirs (1,1 milliards).

salon

 

Présence de la Chine
Si l’Argentine comme on l’a dit est le pays d’honneur de l’édition de cette année, l’Empire du Milieu, n’en a pas moins pris une place remarquable. Sur 143 activités environ, entre expositions et cycle de conférences, il y en avait dix qui ont été consacrées entièrement ou partiellement à la Chine contre 13 pour l’Argentine. « La Chine achète les droits de 1500 titres pour jeunesse français », souligne Mme Sylvie Gracia, qui participait à une conférence intitulée « La lecture : un perpétuel combat ?», une conférence pourtant centrée sur la France. Il y a des faits qui témoignent d’un réel engouement des Chinois pour la littérature française même si on ne peut mettre d’une manière certaine cet engouement sur le compte des autorités de Pékin. Le désir de traduction des œuvres littéraires de langue française vers le chinois s’est exprimé d’une manière récurrente depuis le XXe siècle comme le rappelle du reste M. Dong Qiang, traducteur, président du jury du Prix Fu Lei et professeur de littérature française à l’université de Pékin. Invité avec M. Pierre Assouline, écrivain et membre de l’Académie Goncourt, à une conférence sur le thème « les prix littéraires s’exportent-ils ? », Dong Qiang, a expliqué que la traduction de la littérature française vers le chinois a son emblème en la personne de Fu Lei (1908-1966). « Fu Lei, a-t-il dit, avait fait des études artistiques en France et traduit vers le chinois les œuvres de Voltaire, Balzac et Romain Rolland. Cet homme, a-t-il ajouté, a eu malheureusement un destin tragique car il s’était suicidé, et sa femme l’avait imité. Ce n’est qu’en 1979 qu’il fut réhabilité par l’Association des écrivains de Chine. À la mémoire du traducteur, un prix Fu Lei fut institué en 2009 par l’ambassade de France en Chine. Depuis nombre d’œuvres de philosophes et d’écrivains français passèrent en Chine comme Montesquieu, Lévi-Strauss, Montaigne, Daniel Pennac, Albert Camus et Simone de Beauvoir pour ne citer que ceux-là.

 

Atouts non négligeables des Français
Les Français sont des lecteurs appréciables puisque 7 Français sur 10 lisent des livres à en croire une étude réalisée par Livres Hebdo/Ipso auprès de 1013 Français de 15 ans. Cette étude évoquée lors de la conférence sur la lecture, révèle que les jeunes de 15 à 24 ans lisent en moyenne 15 livres par an. Mais les Français connaissent peu de la littérature chinoise. S’il n’y a pas d’études précises là-dessus, il y a en revanche des indices qui permettent de le supposer. Quelque part pour les Français, la Chine incarne ce pays gigantesque de l’Orient travaillé par une culture, qui si elle est en tous points différente, n’en reste pas moins entourée d’un halo de mystère. (Si l’on a lu, par ici, un roman chinois, la mémoire peine à retenir le nom de l’auteur, car peut-être c’est la seule chose qui ne soit pas traduite). Mais la France renommée pour la vitalité de sa littérature, dispose néanmoins d’atouts non négligeables. Ses prix littéraires, à leur tête le Goncourt, constituent un moment attractif et de promotion inégalable pour la cession du livre français à l’étranger. Le mouvement de traduction d’œuvres françaises en Chine est d’ailleurs aiguillonné par l’attribution des différents prix littéraires, insiste M. Dong Qiang. Pourquoi la France se tourne vers les pays émergents ? La crise économique y est-elle pour quelque chose ? Un document du SNE donne la réponse : « Les partenaires « historiques » de la France ne progressent pas (Espagne, Italie, Allemagne, Portugal, Grèce, Pays Bas…) ; les chiffres à la hausse concernent les nouveaux venus, les marchés lointains comme la Chine ». Du reste, les Chinois font acquisition de livres français que l’inverse, et les éditeurs chinois ne cherchent pas à exporter leurs livres mais à en ramener de l’étranger. En 2003 relève la même source, la Chine achetait les droits de traduction de 10 000 titres étrangers. Les ouvrages français traduits en Chine y occupent le 5e rang après ceux des Etats-Unis, Allemagne, Japon et la Grande Bretagne.