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“Once they were here” de Wareth Kwaish: une place d’honneur dans un triptyque sur la dignité

[Par Johanna GALIS]

Dans la salle tamisée du cinéma Luminor, situé dans l’une de ces rues sinueuses du quartier du Marais, le Festival International du Film des Droits de l’Homme s’est déroulé pendant les premiers jours du mois d’avril. Mettant l’accent sur différents types de répression, il a déplacé son objectif sur les quatre coins du globe, avec un but majeur : celui de replacer au centre de l’attention le besoin de dignité de ses personnages.

 

Affiche du Festival International du Film des Droits de l'Homme (FIFDH)

Affiche du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH)

Samedi 9 avril, un triptyque de trois courts métrages était diffusé dans la matinée, avec comme thématique principale l’oppression – quand l’espace en tant que tel, ici la ville, devient cette pieuvre prête à happer ceux qui échappent à une force d’attraction représentée sous forme de diktats. Ces strictes injonctions prennent forme dans différents pays : la Russie, la Chine et l’Irak, et sont véhiculées à travers des mœurs qui s’étendent sur un large spectre spatial.

Victory Day © festival-droitsdelhomme.org

Victory Day © festival-droitsdelhomme.org

Dans le court-métrage Victory Day d’Alina Rudnitskaya, une parade militaire située dans la Russie de Poutine sonne le glas de la peur de plusieurs couples homosexuels, confortablement installés chez eux – un paradoxe à noter ici, tant une certaine harmonie se dégage de ce qu’ils ont pu créer dans leur espace privé, contrairement à l’espace public où les lois répressives contre leur union font rage.

Underground © festival-droitsdelhomme.org

Underground © festival-droitsdelhomme.org

Dans Underground du belge Maxime Bultot, le regard du spectateur parcourt les chemins étriqués de logements souterrains pékinois à la superficie d’environ 4 à 5 mètres carrés, et suit l’obstination d’une jeune chinoise souhaitant devenir actrice, locataire de l’une de ces chambres et fraîchement arrivée dans la ville.

Le  dernier court-métrage Once they were here (Une fois ici-bas), de Wareth Kwaish, commence avec le réalisateur lui-même, muni d’un iPhone qui lui servira de caméra, qui frappe à la porte de l’un de ses amis dans l’espoir qu’il vienne à une manifestation sur l’une des places centrales de Bagdad, en Irak. Il s’agit de faire acte de présence, pour résister contre un système politique structuré par la dictature et par le terrorisme et qui fait souffrir une population qui ne cherche qu’à mener une vie « normale », selon les paroles du réalisateur .

Wareth Kwaish ©loeildelexile.org

Wareth Kwaish ©loeildelexile.org

Le court-métrage symbolise bien la peur que peut éprouver une population face aux mesures mises en place par un Etat répressif qui lutte contre la liberté d’expression. Le spectre du diktat est plus large cette fois-ci, il englobe la peuple d’un état entier qui, peu importe son identité et ses particularités, se doit de se plier à un système oppressif qui menace le confort de vie – dans sa dimension parfois la plus rudimentaire –  de ses habitants. Lors du tournage de la manifestation, M. Kwaish a utilisé un iPhone  « car si l’idée de base est vraiment bonne, c’est l’essentiel – elle compte plus que le matériel utilisé » confiera-t-il.

Extrait de Once they were here ©maisondesjournalistes.org

Extrait de Once they were here ©maisondesjournalistes.org

Les soubresauts d’un téléphone portable posé sur la cuisse pour passer incognito – il était impossible de filmer la manifestation sous peine de subir encore plus de violences de la part de l’armée venue évacuer les gens ;  aucune archive de ce rassemblement illégal ne pouvait être gardée – les  regards furtifs de l’iPhone qui se cache et essaie de saisir toute l’esprit de rébellion et de colère des manifestants, tous ces éléments ont pu clore ce triptyque, où passant du regard d’un individu à celui des manifestants, toute la beauté de l’espoir, de la révolte, et de l’amour qu’un individu peut porter à ses valeurs ont été représentées.

Festival International du Film des Droits de l’Homme : « Une caisse de résonnance de la dignité humaine »

[Par Elyse NGABIRE]

14ème édition du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH) –
Interview exclusive avec Laurent Duarte, secrétaire général du FIFDH.

Ce 5 avril, le FIFDH lançait sa 14 ème édition au cinéma Luminor-Hôtel de Ville sis au 20, rue du Temple, Paris, 4ème arrondissement. Le festival ira jusqu’au 19 avril. Et pour commencer en beauté, le film ‘les 18 fugitives’ a ouvert la série des 32 autres qui seront projetés. L’évènement a vu la participation et le soutien de plusieurs personnalités dont Hélène Bidard, adjoint à la Mairie, en charge de l’égalité femmes/hommes, la lutte contre les discriminations  et les droits de l’homme.

 

Affiche du Festival International du Film des Droits de l'Homme (FIFDH)

Affiche du Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH)

 

D’où est venue l’idée de ce festival ?

Il y a 15 ans, François Mercier, fondateur du festival, a pensé à ce projet. A l’époque et même aujourd’hui, il était très attaché à la question des droits de l’homme. Son objectif était de sensibiliser les gens aux droits humains à travers un festival ou un moment de rencontres, et ce à travers la création d’une télévision pour traiter ces questions en faisant passer des documentaires et des débats.

Laurent Duarte © Elyse NGABIRE

Laurent Duarte © Elyse NGABIRE

C’est un festival qui existe depuis 14 ans. Il a pour but de promouvoir un cinéma engagé d’auteurs et permet d’éclairer sur des sujets en rapport avec les droits humains dans une acceptation plus large. On englobe les droits humains mais également des droits sociaux, environnementaux et économiques.

Pourquoi  votre choix porte-t-il  sur les droits de l’homme et à travers le cinéma?

Parce que avec les fondateurs et associations qui nous soutiennent, nous estimons que le cinéma est un vecteur pour sensibiliser, pour créer une société plus inclusive et égalitaire. C’est un outil de prédilection  pour nourrir le débat non seulement pour les gens avertis mais également pour un public le plus large possible.

Qui sont les intervenants?

Des associatifs, des membres d’associations, des chercheurs, des responsables politiques, des spécialistes des droits humains. Quant au public, il est plus large : des étudiants qui font leurs recherches, personnes associatives, des jeunes, etc.

14 ans après, quel bilan faites-vous de ce festival ?

Ce qui est marquant, c’est que la question des droits humains s’est posée de façon très forte ici en France à travers différents canaux institutionnels, politiques ou extérieurs. C’est quelque chose de nouveau. Généralement, on a tendance à traiter les droits humains comme quelque chose qui est éloigné de nous à part par exemple la question migratoire qui revient régulièrement  et qui a impliqué la France.

Cette année, nous sommes confrontés à différents terrains : politiques, juridiques, etc. Malheureusement, cette année nous avons eu beaucoup de travail avec la crise des migrants notamment la guerre en Syrie, au Soudan, des élections en Afrique, etc.

 Pourquoi avez-vous choisi de lancer cette 14ème édition avec le film ‘ Les 18 fugitives’?

L’originalité du sujet a été le premier critère. Nous avons cherché  des films qui se démarquent, qui ont un parti pris. Le film ‘Les 18 fugitives’ traite de l’Intifada en Palestine. L’angle est très original. Il est capable de parler au plus grand nombre.

Hélène Bidard © Elyse NGABIRE

Hélène Bidard © Elyse NGABIRE

Grâce à l’histoire de 18 vaches achetées par des pacifistes en vue de produire leur propre lait, celles-ci se sont retrouvées dans l’effervescence politique et militaire comme une menace à la sécurité de l’Etat israélien.

C’est une histoire un peu rocambolesque. Comment les vaches peuvent devenir des menaces à l’Etat israélien ? On crée finalement des rapports entre pacifistes et  non pacifistes en Palestine, rapports entre militants palestiniens et israéliens, etc. Et dans le film, il y a un mélange de formats : c’est un documentaire avec des interviews des gens qui ont participé à ce mouvement, des reconstitutions et il a travaillé en animation. Tout cela fait qu’il soit un film très original. C’est un film drôle et  c’est rare de trouver ce genre de sujet.

Qu’attendez-vous à la fin de ce festival ?

Toute l’équipe du FIFDH espère que cette 14ème édition jouera, le mieux possible, le rôle qui est le sien : être une caisse de résonnance pour les acteurs engagés en faveur du respect de la dignité humaine.

En outre, comme dans tout évènement de ce genre, nous nous attendons à la participation maximale de personnes. Nous souhaitons qu’elles repartent  satisfaites, avec l’envie de s’instruire, de continuer à travailler sur ce sujet et qu’elles entrent en contact avec des associations présentes. Notre but, c’est de créer un forum où chacun se sente à l’aise de discuter, de prendre la parole mais aussi de changer les choses. L’idée du festival des droits de l’homme c’est que ceux-ci soient respectés et promus.


Avec “Une Fois Ici-bas” Wareth Kwaish met en lumière les envies de liberté des jeunes Irakiens

[Par Louis ROYER]

Wareth Kwaish, réalisateur irakien, a présenté mardi 9 février 2016, à la Maison des Journalistes, son court métrage de 12 minutes filmé intégralement à l’iPhone, “Une Fois Ici-bas” devant une vingtaine de collègues et de militants. 

(Source : MDJ)

(Source : MDJ)

L’Irak, malgré la chute de Saddam Hussein il y a 13 ans, est toujours en proie à l’instabilité. Désormais déchargée de la présence américaine mais avec un gouvernement peu ouvert à la démocratie ou à la liberté de parole. S’ajoute à cela la présence de Daesh qui contrôle une part Nord-Ouest du pays. 

Dans cette situation tendue, les manifestations et les appels à une transition démocratique sont souvent muselés et réprimandés par les autorités. Pour parler de ces problèmes, en 2014, Wareth Kwaish, a sorti son iPhone, et il filme en caméra cachée les heurts entre manifestants et la police. Il donne également la parole à des jeunes, désabusés et qui souhaitent que leur pays sorte du marasme. Un court-métrage fort, sélectionné au Festival de Cannes en 2015 et  au Festival International du Film des Droits de l’Homme, qui se tiendra du 5 au 19 avril 2016, dans la catégorie « Séance courts-métrages : les figures de la jeunesse ».

(Source : Wareth Kwaish)

(Source : Wareth Kwaish)

(Source MDJ)

(Source MDJ)

« C’était important pour moi de faire ce film, raconte Wareth Kwaish, même si je n’avais pas beaucoup de moyens, il fallait que je laisse le peuple témoigner. Même moi, pendant longtemps j’ai eu peur de m’exprimer, et j’ai enfin réussi à me libérer, à briser les entraves qui me bloquaient intérieurement en réalisant ce documentaire. Je pense que l’on n’a pas besoin de caméra à 10 000 euros pour réaliser un bon film, il faut juste avoir les bonnes idées et une cause ».

« Return to Homs » : Il était une fois la guerre civile en Syrie

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Il y a de la démesure dans Return to Homs, (Retour à Homs) le film de Talal Derki réalisé en pleine guerre civile syrienne. Projeté pour la première fois en France au cinéma Nouveau Latina à Paris, le 14 et le 15 mars derniers, ce documentaire a drainé beaucoup de monde. C’est dire que les révolutions arabes continuent d’exercer sur le public parisien beaucoup de fascination au bonheur d’un Festival du film des droits de l’Homme dont cette 12e édition est du reste estampillée d’une affiche du caricaturiste syrien Ali Ferzat. De la démesure, parce que le film est d’une authenticité inouïe. Ce qu’il donne à voir et ce qu’il donne à sentir, c’est l’atrocité d’un monde dans sa nudité la plus crue. Return to Homs est l’épopée de la démolition de la 3e ville de Syrie, l’antique Emèse. C’est un reportage direct sur des événements qui n’ont pas encore livré tout leur secret.

 

Abdel Basset Sarout, leader de la révolte à Homs

Abdel Basset Sarout, leader de la révolte à Homs

 

Une histoire de la démolition
Un groupe de jeunes manifestent contre Assad. Ils croient qu’ils vont faire tomber le dictateur de Damas rien qu’en imitant les Tunisiens. Sur la place publique inondée de monde, on brandit des pancartes on hurle « Assad dégage ! », on chante et on danse. On voit bien que la rue est tombée aux mains du peuple. L’autorité publique y semble être absente. Mais les manifestants ne savent pas encore qu’un engrenage va subrepticement s’enclencher avant de faire désagréger un à un les liens de solidarité qui les unissaient auparavant. Métaphore de la guerre totale en Syrie, Homs, s’étire soudain en un feuilleton sanglant et cauchemardesque. Dès lors que les premiers manifestants tombent sous les balles assassines des forces du régime, on commence à s’armer. Les groupes rebelles se constituent et le combat s’engage rue par rue, quartier par quartier. Les rebelles se dotent de Kalachnikov puis de lance-roquettes. Le face à face avec les forces de l’ordre s’installe durablement car les partisans d’Assad ont décidé de mettre le siège sur la ville. Les rebelles, quant à eux, sont acculés à riposter dans un périmètre de plus en plus réduit. La caméra de Talal Derki qu’on ne voit pas, mais qui nous fait voir des morts en direct, on la devine cachée sur un balcon ou une terrasse d’un immeuble. Il y a de gros plans sur le crépitement des balles et les cadavres qui roulent sur terre. Au fil des événements qui s’accélèrent, on se rend compte que le combat est inégal. Les rebelles combattent une machine de guerre qui a des ramifications internationales. C’est David contre Goliath, le pot de terre contre le pot de fer. Les forces du régime font usage de snipers, de tanks, et de bombardement au mortier. Les murs s’écroulent sur la tête des insurgés. En février 2012, déjà l’on enregistre un pic des plus meurtriers. Dans le quartier Khalidiyya, près de la mosquée Rifaï , des obus sont lancés lors même qu’on égorge. 200 morts dont des vieux, des enfants et des femmes, et 700 blessés. Ainsi l’étau se resserre sur la population, obligeant les familles à déserter leur maison. Il ne va rester dans la ville dévastée, désarticulée et calcinée que les plus déterminés d’entre les jeunes. Homs verra une petite trêve à l’occasion de la venue d’une mission de l’ONU. « Aujourd’hui la ville est rasée à 70 % » selon le politologue syrien Salem Kawakibi qui animait le débat lors de la séance du 15 mars.

 

Aider les Syriens ?
Return to Homs évidemment porte la marque de son temps. Une séquence du reste montre bien l’impact de l’épisode libyen. Une foule nombreuse réclame en entonnant une chanson « une zone d’exclusion aérienne » et « l’intervention de l’Otan ». Kawakibi a même nié ces faits pourtant attestés par le documentaire. Les reproches ont fusé des deux côtés. Kawakibi : l’Occident n’aide pas assez le peuple syrien. Les répliques au niveau de la salle ne se font guère attendre, sous le propos agressif : « allons-nous refaire l’histoire de la colonisation ? » perce pourtant la culpabilité. Kawakibi explique que l’Occident invente le radicalisme islamique pour trouver le prétexte de tourner le dos à un pays meurtri. Et de souligner que « la demande en radicalisme religieux crée l’offre » soutenant que duit de cette attitude, on a favorisé aujourd’hui la montée du religieux. Il rappelle que les Européens n’ont pas aidé les républicains lors de la guerre d’Espagne livrant ainsi ces derniers aux franquistes. Une voix se fait entendre dans la salle : « Je suis militant associatif, je sais que la France est le pays européen qui accueille le moins de réfugiés syriens dont le nombre est estimé à 4 millions. Et d’asséner « depuis 3 ans, la France n’en a accueilli que 6000 ».

 

 

FIFDH – Au-delà de la dernière frontière

« C’est à nous jeunes, première génération Shengen, nous qui bénéficions du droit de circuler librement d’un Pays à l’autre, nous qui ne pouvons pas imaginer une frontière entre la France et l’Italie: c’est à nous de changer les choses, et de considérer finalement d’une façon différente l’idée de ‘frontière’ ». Le journaliste et reporter italien Alessio Genovese est intervenu jeudi 13 mars au Cinéma Nouveau Latina de Paris, lors de la projection de « Eu 2013 l’ultima frontiera », film documentaire dont il est co-réalisateur avec la journaliste Raffaella Cosentino. Après le grand impact obtenu auprès du public italien (le film avait été présenté au Festival dei Popoli de Florence en décembre 2013), il est arrivé pour la première fois en France à l’occasion du Festival international du film des Droits de l’Homme de Paris qui a lieu jusqu’au 18 mars.

crédit photo Giulio Piscitelli

 

La caméra d’Alessio Genovese est entrée pour la première fois à l’intérieur des Centres d’identification et expulsion (CIE), des établissements prévus par la loi italienne et dans lesquels chaque année sont retenues, pour une période maximum de 18 mois, environs 8000 personnes en régime de détention administrative. Dans les faits ces personnes n’ont commis aucune infraction pénale qui puisse justifier leur détention: il s’agit de migrants sans papiers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion.

 

Nés en 1998, les CIE répondent à l’exigence d’identification prévue par la Convention de Schengen sur l’ouverture des frontières intérieures des citoyens extra UE qui circulent dans l’Union. « Les CIE sont la démonstration de la faillite de l’Europe Unie – a commenté Alessio Genovese après la projection -; nous avons abattu les frontières intérieures, nous nous sommes constitués comme une communauté, nous nous ne sentons plus comme français où italiens, mais européens: cependant ce sentiment communautaire a été possible par la reconnaissance de l’autre comme ‘étranger’, les ‘extracommunautaires’ justement ». On estime qu’en Italie il y aurait quelque 500 000 migrants sans papiers: 8000 parmi eux entrent dans les CIE, et à peine la moitié est renvoyée dans son pays d’origine. Un taux qui démontrerait un système de régulation des flux migratoires « idéologique – a dit Genovese – parce qu’il ne répond à aucune utilité ».

 

« Eu 2013 l’ultima frontiera » constitue un point de rupture. Jusqu’au moment de la réalisation du film, en effet, les CIE étaient interdits à la presse. L’accréditation aux journalistes était accordée par les préfectures de façon « discrétionnaire ». En août 2011 un décret du Ministre de l’intérieur Roberto Maroni avait interdit l’entrée des journalistes dans les CIE. Grâce à l’intervention de la société civile, des nombreux journalistes et activistes, le décret a été aboli en décembre 2011 par la nouvelle Ministre Anna Maria Cancellieri. Cependant, même aujourd’hui l’accès aux CIE reste difficile pour les journalistes. « Nous avons réussis à avoir le permis – nous a expliqué Raffaella Cosentino – parce que nous l’avons demandé directement au Ministre, en contournant les préfectures. Le Ministère nous a accordé l’accès au maximum pour deux jours consécutifs, pour environs deux ou trois heures par jour. C’est peu, mais beaucoup si on pense aux quinze ans d’oubli ». Pendant le tournage les deux journalistes ont assisté aux nombreuses tentatives d’évasion, à des moments de tension et de soulèvements dans lesquels l’équipe de tournage a été éloignée et contrainte à éteindre la caméra. « La censure fait partie des CIE – a expliqué Cosentino – et nous avons décidé de montrer aussi les images dans lesquelles la police nous coupe la caméra. Nous n’avons pas réussi à vaincre la censure, mais nous l’avons montrée ».

 

À mi-chemin entre fiction et documentaire, « Eu 2013 l’ultima frontiera » a été tourné a l’aéroport international de Fiumicino, au port d’Ancona, et dans les CIE de Rome, Bari et Trapani. « Le film est né d’un véritable désir de montrer ce qu’on voit jamais, donc ce que personne ne connait », a avoué Genovese. Les CIE ont été installés dans des anciens bâtiments pensés pour d’autres fins, comme des casernes ou des hôpitaux psychiatriques. Des barreaux, des cadenas, des chaînes empêchent tout contact avec l’extérieur. Les migrants restent enfermés en attente : une attente qui peut durer 18 mois. Très touchantes les scènes filmées lors des entretiens périodiques avec le juge de paix, qui décide de la rétention ou de l’expulsion: il peut donner au migrant l’obligation de quitter l’Italie en sept jours. Mais, une fois sorti, s’il entre dans un autre Pays UE, comme le prévoit le règlement de Dublin, il est renvoyé en Italie où il est relégué de nouveau dans un des treize CIE de la Péninsule.

 

Adressé au public de cinéma, plus large et varié, le film a aussi été présenté dans les institutions, comme le Sénat et le Capitole de Rome. « Le film est là – a dit Genovese – désormais personne ne peut dire ‘je ne savais rien ».

 

 

FIFDH – Châtel : « La vie des demandeurs d’asile est suspendue à l’entête d’une enveloppe »

[Par Larbi GRAÏNE]

 

Franco-norvégien, Jonathan Châtel, 34 ans, a vécu en France la plupart du temps. C’est aussi pour mieux connaître son pays, la Norvège, qu’il est parti au cœur du cercle polaire. Il y a dans cette investigation sur les demandeurs d’asile dont il nous livre les résultats à travers son premier film documentaire de 60’, Les Réfugiés de la nuit polaire, coréalisé avec Charles Emptaz, quelque chose de théâtral. Projeté le 13 mars 2013 au Nouveau Latina de Paris dans le cadre du 12e Festival International du film des Droits de l’Homme, Les Réfugiés de la nuit polaire, n’a pas manqué d’interpeller sur la situation des demandeurs d’asile en France.

 

Jonathan Châtel - crédit photo Larbi Graïne

Jonathan Châtel – crédit photo Larbi Graïne

Fjord, chalets éparpillés dans une campagne recouverte d’un manteau blanc, banquise à la dérive, mer azurée surplombée par de prodigieux rochers, rivière serpentant entre de grands icebergs, ce pan de Norvège sur lequel s’appesantit la caméra de Jonathan Châtel, ne fait guère la promotion du tourisme norvégien, même si elle s’efforce de décrire un monde oscillant entre désert polaire et univers féerique. Car l’histoire qui s’y raconte contraste avec ces paysages idylliques dont se ressentent l’opulence et la sérénité. C’est celle des demandeurs d’asile enfermés dans un Alcatraz d’un autre genre. Franco-norvégien, Jonathan Châtel, 34 ans, a vécu en France la plupart du temps. C’est aussi pour mieux connaître son pays, la Norvège, qu’il est parti au cœur du cercle polaire. Il y a dans cette investigation sur les demandeurs d’asile dont il nous livre les résultats à travers son premier film documentaire de 60’, Les Réfugiés de la nuit polaire, quelque chose de théâtral même si à priori, cela semble ne pas s’accorder avec ce genre de film ni avec le sujet traité : la vie des étrangers ayant fui leur pays et qui se retrouvent dans un hôtel désaffecté, le Mottak, transformé en centre d’accueil pour demandeurs d’asile. Or ce côté théâtral, est ce qui rend compte le mieux de la réalité vécue par les pensionnaires de ce centre insulaire implanté dans l’archipel des Lofoten.

 

Un homme de théâtre
L’air intellectuel, la chevelure ébouriffée, le visage ovale et bienveillant, arborant une fine moustache et une barbe, ce spécialiste du théâtre d’Ibsen, metteur en scène, scénariste, compositeur, voire enseignant et directeur d’un département d’études théâtrales à l’Université, se prend tout de suite de sympathie pour Salek, un Sahraoui militant pour l’indépendance du Sahara occidental. Jonathan Châtel, pour faire jouer sa pièce a trouvé le site idéal en le village de Stamsund, une petite île de pêcheurs. « J’ai choisi cet endroit parce qu’il présente un microcosme de la société norvégienne. Si mon film avait été tourné dans une grande ville, le centre serait noyé et la population ne se serait même pas aperçue de son existence. Là dans le village, on voit le Mottak immergé dans la société ». Et de confesser « il y a aussi quelque chose de subjectif dans ce qui a présidé à mon choix, c’est le fait que Salek soit enrôlé dans un théâtre local (Teater Nor )».

 

Un drame humain
Du reste, des 120 résidents du Mottak, quelques individualités sortent du lot. En plus de Salek, il y a le Syrien Oussama et un couple congolais. A eux quatre explique Châtel, ils représentent trois situations différentes. Si Salek s’est vu refusé à deux reprises sa demande d’asile et de ce fait devrait être renvoyé dans son pays, Oussama, lui, a reçu une réponse positive de la part de l’Udi, (la direction norvégienne de l’immigration) tandis que le couple congolais est en attente d’une réponse. « J’ai voulu décrire le désarroi de ceux qui vivent dans l’attente de ce sésame qu’est le statut de réfugié, c’est pourquoi je me suis plus intéressé aux personnes incarnant les différentes situations qu’aux nationalités des uns et des autres » soutient-il. Le film montre Salek comme quelqu’un de très sociable. Artiste accompli, il peint des tableaux, et campe des rôles sur les planches. Gentleman, il se mêle à la vie mondaine du village et fait connaissance avec une ancienne ministre norvégienne des Affaires étrangères. Mais il est présenté comme originaire du « Sahara occidental » devant être expulsé vers le « Maroc ». Jonathan Châtel a choisi de ne pas être très politicien, ce qui l’intéresse c’est le drame humain. Est-ce que Salek dont la demande d’asile a été refusée mérite-t-il le statut de réfugié ? Châtel pense bien que oui. « Salek est une personnalité, c’est quelqu’un qui a beaucoup de talent » dit-il. Le film n’évoque pas le statut du Sahara occidental dont une partie est administrée par le Maroc. La souveraineté de ce pays sur ce territoire, qui est une ancienne colonie espagnole est sujette à équivoque puisque l’ONU a décidé d’y faire tenir sous la supervision d’un organisme onusien un référendum d’autodétermination.

 

La Norvège, un pays riche mais fermé
Châtel fera observer que la « Norvège est un pays riche » rappelant qu’on y a découvert du pétrole dans les années 70 ». Dans le film, un habitant de Stamsund déplore le fait que la Norvège soit un pays fermé aux demandeurs d’asile, croyant savoir qu’on a « fait toutes ces lois afin d’empêcher de faire venir les gens de couleur ». Un autre plaide pour un « tri » des demandeurs d’asile pour ne pas être amenés à les parquer si l’on s’évertuait « à accorder le statut de réfugié au tout venant ». Est-ce que le Mottak a eu à héberger une personne provenant d’un Etat européen ? Jonathan Châtel a commencé par dire non avant de se raviser, signalant avoir entendu parler du « cas d’un Français mais dont je n’ai pas suivi la situation».

 

Comme à la prison
Châtel a réalisé un film où perce l’angoisse d’hommes et de femmes qui attendent la réponse de l’organisme appelé à leur accorder ou refuser le statut de réfugiés. Il a laissé entendre que les autorités considèrent les gens du Mottak comme des prisonniers. Et d’affirmer « d’ailleurs ils ont été avertis que s’ils ne donnaient pas signe de vie au bout de trois jours, ils seront exclus du centre ». Le film de Châtel rappelle un peu, même si on parait forcer sur le trait, la vie de ces prisonniers qui attendent leur tour pour passer sous la guillotine. « Ils ne veulent pas réfléchir à leur cas, ni échafauder des plans pour l’avenir avant de connaitre le sort qui leur est réservé » souligne Châtel. Et ce dernier de résumer ainsi la situation « la vie de ces gens est suspendue à l’entête d’une enveloppe, ils savent qu’à un moment ou un autre leur vie va basculer ». La délivrance pour certains intervient après une réponse positive, mais c’est le calvaire pour ceux qui doivent recevoir une réponse négative.

 

Quid de la France ?
En quelque sorte ces pensionnaires du Mottak, vivent ces moments d’attente comme un supplice « malgré le fait qu’ils touchent deux fois par mois, 200 euros ». Dans le débat, une intervenante fera remarquer que si en Norvège les demandeurs d’asile semblent être mieux traités que ceux de France, en percevant plus d’argent et en ayant droit à un hébergement, parfois à un travail, il n’en demeure pas moins qu’ils endurent la même situation d’incertitude que leurs homologues en France. En somme, un meilleur confort n’améliore en rien leur état psychologique.

 

 

Festival International du Film des Droits de l’Homme (FIFDH) : La 12ème édition s’ouvre lundi

[Par Benson SERIKPA]
 
Le Festival International du Film des Droits de l’homme (FIFDH) démarre ce lundi pour s’achever le 18 mars prochain à Paris. Cet événement qui est à sa 12ème édition permettra au public de découvrir une vingtaine de projections inédites.

 

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Vincent Mercier, DG du FIFDH et son équipe annoncent à cette occasion 8 films en compétition officielle, 12 films hors compétition, 2 films en compétition UNHCR et 5 films courts-métrages. Cette initiative de l’association Alliance Ciné, selon lui, vise à promouvoir les meilleurs films-documentaires sur les questions de Droits de l’Homme.
« Il se veut être un lieu où l’art vient nourrir l’engagement militant et réciproque », souligne Vincent Mercier. A cet effet, il est annoncé des débats, des conférences, des tables-rondes, en somme des échanges pour le moins fructueux, à l’issue de chaque projection entre les réalisateurs, le public et la presse.

 

Les organisateurs ont coopté un jury officiel (Grand Prix et Prix spécial), un jury Etudiant (Grand Prix et Prix spécial du jury), un jury Lycéens et Apprentis de Paris Il-de-France pour les Droits de l’Homme (Prix lycéens et apprentis), un jury de la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Grand Prix) et un jury UNHCR. Le Prix UNHCR, associé pour la première fois à cet événement cinématographique, décernera un Prix du meilleur documentaire traitant de la question des réfugiés.

 

Les férus du 7ème Art, qui effectueront le déplacement seront respectivement accueillis au Nouveau Latina, au Cinéma du Palais, à l’Espace culturel Emmaüs , au Louvel Tessier, au Centre d’animation Curial et au Ciné 104 de Paris.

 

Le FIFDH en dehors de la France, s’est aussi développé en Afrique notamment, au Togo, en République Centrafricaine, au Cameroun, à Madagascar et en Tunisie.