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FRANCE-MAROC. Hicham Mansouri de la Maison des journalistes parmi les cibles du logiciel espion Pegasus

“Le téléphone d’Hicham Mansouri a été infecté à une vingtaine de reprises via le logiciel espion Pegasus, entre février et avril 2021” selon l’analyse technique réalisée par Security Lab d’Amnesty International, en partenariat avec le consortium Forbidden Stories.

Chargé d’édition au sein de la Maison des journalistes, Hicham Mansouri est parmi les cibles des autorités marocaines via le logiciel espion israélien Pegasus. Réfugié en France depuis 2016 et ancien résident de la Maison des journalistes, Mansouri n’est pas totalement à l’abri d’un pouvoir de plus en plus répressif (lire son témoignage “Maroc. « Comment j’ai été tracé à Vienne par Pegasus » publié dans Orient XXI dont il est membre de rédaction). “Le téléphone d’Hicham Mansouri a été infecté à une vingtaine de reprises via le logiciel espion Pegasus, entre février et avril 2021” selon l’analyse technique réalisée par Security Lab d’Amnesty International, en partenariat avec le consortium Forbidden Stories. Voici le reportage de Forbidden Stories réalisé par Phineas Rueckert (traduit de l’anglais par Clément Le Merlus) sur son cas. 

Loin des yeux, mais pas hors d’atteinte

Les murs de son bureau à la Maison des Journalistes sont couverts d’affiches de Reporters Sans Frontières et d’autres organisations de défense de la liberté de la presse. Hicham Mansouri vivait auparavant dans le bâtiment, qui sert à la fois de lieu d’exposition et de résidence pour les journalistes réfugiés. Il a depuis déménagé mais partage toujours un petit bureau au rez-de-chaussé où il se rend trois fois par semaine.

Avant de discuter avec Forbidden Stories, le journaliste marocain éteint le portable qu’il a emprunté et le plonge au fond de son sac à dos. Une analyse scientifique de son téléphone précédent, réalisée par le Security Lab d’Amnesty International, a montré qu’il a été infecté par Pegasus plus de vingt fois sur une période de trois mois, de février à avril 2021.

Journaliste d’investigation indépendant et co-fondateur de l’Association Marocaines des Journalistes d’Investigation (AMJI), Hicham Mansouri rédige actuellement un livre sur le trafic de drogue illégal dans les prisons marocaines, lui qui a fui son pays en 2016 en raison des nombreuses menaces physiques et judiciaires à son encontre.

En 2014, il est roué de coups par deux agresseurs anonymes alors qu’il quitte un rendez-vous avec d’autres défenseurs des droits humains, dont Maati Monjib, qui a plus tard, lui aussi, été ciblé par Pegasus. Un an après, des agents du renseignement armés perquisitionnent sa maison dès 9h et le trouvent dans sa chambre en compagnie d’une amie. Ils l’ont alors entièrement déshabillé et arrêté pour « adultère », ce qui est un crime au Maroc. Hicham Mansouri passe dix mois dans la prison de Rabat. Sa cellule est celle réservée aux criminels les plus dangereux et les autres détenus le surnomment « La Poubelle ». Au lendemain de sa libération, il saute dans un avion pour la France où il demande et obtient l’asile. En juin 2016, Hicham Mansouri et six autres journalistes et activistes de ce projet sont accusés de « menacer la sécurité intérieure de l’Etat » en ayant organisé ce programme [condamné à une année de prison ferme par accoutumance]. 

Cinq ans plus tard, Hicham Mansouri découvre qu’il est toujours une cible du gouvernement marocain. « Tous les régimes autoritaires voient le danger partout », dénonce-t-il auprès de Forbidden Stories. « On ne se considère pas dangereux parce qu’on fait ce que l’on pense être légitime. On sait que l’on est dans notre droit. Mais pour eux nous sommes dangereux. Ils ont peur des étincelles parce qu’ils savent qu’elles peuvent mettre le feu. »

Au moins 35 journalistes basés dans 4 pays ont été sélectionnés comme cibles par le Maroc, selon l’enquête publiée aujourd’hui. Nombre des journalistes marocains sélectionnés comme cibles ont été à un moment donné arrêtés, diffamés ou ciblés d’une certaine manière par les services de renseignement. D’autres, en particulier les rédacteurs en chef Taoufik Bouachrine et Souleimane Raissouni, sont actuellement en prison pour des accusations que les organisations de défense des droits humains prétendent être instrumentalisées avec pour objectif d’écraser le journalisme indépendant au Maroc.

Dans une déclaration à l’attention de Forbidden Stories et ses partenaires, les autorités marocaines ont écrit qu’ils « ne comprennent pas le contexte de la saisine par le Consortium International de Journalistes » et que les autorités sont toujours « dans l’attente de preuves matérielles » pour « prouver une quelconque relation entre le Maroc et la compagnie israélienne précitée. »

Réponse des autorités marocaines 

Les autorités marocaines ont répondu à Forbidden Stories qu’il n’existait pas de preuve qu’elles étaient clientes de l’entreprise NSO. L’entreprise NSO n’a pas répondu aux questions de Forbidden Stories concernant des attaques spécifiques mais a déclaré qu’elle « continuerait à enquêter sur toutes les allégations crédibles d’utilisation abusive et prendrait les mesures appropriées en fonction des résultats de ces enquêtes ».



D’autres articles 

Les journalistes environnementaux : un climat hostile

Forbidden Stories, plateforme destinée à sécuriser le travail des journalistes, a dévoilé son projet environnemental. Une enquête aux côtés de 30 médias sur le secteur minier, particulièrement répressif à l’égard des reporters. L’occasion de faire le point sur l’une des formes de journalisme les plus menacées ; le journalisme environnemental.

“Les rapports d’enquête sur l’environnement peuvent être aussi dangereux que les rapports sur le narco-trafic”


Le Green Blood Project ou “le projet sang vert” est une enquête réunissant 40 journalistes, 15 médias dans 10 pays différents durant 8 mois. La série qui en découle est publiée à compter du 18 juin dans 30 organes de presse du monde entier dont Le Monde, The Guardian au Royaume-Uni, Expresso au Portugal et Süddeutsche Zeitung en Allemagne.

Ce nouveau projet est une enquête collaborative internationale lancée par le collectif Forbidden Stories qui poursuit les enquêtes de journalistes menacés, emprisonnés ou assassinés.

Trois continents sont explorés : l’Afrique, l’Amérique latine et l’Asie

L’enquête se penche sur les pratiques de trois compagnies minières, milieu opaque et devenu interdit aux journalistes et à l’investigation. “Sur chaque continent, l’industrie minière dissimule certains secrets inavouables” peut-on lire dans le teaser dévoilé ce jour.

Green Blood Project permet de dénoncer l’impact des mines sur la santé et l’environnement ainsi que leurs politiques d’expansion brutales tout en rendant publics les actes de censure et les menaces touchant les journalistes.

L’aventure commence en Tanzanie, où le journaliste Jabir Idrissa dénonce les agissements autour d’une mine d’or. Elle se poursuit au Guatemala, où l’industrie du nickel provoque la colère des populations locales et les autorités tentent de bâillonner le journaliste Carlos Choc. Elle se termine en Inde, où des journalistes comme Sandhya Ravishankar dévoilent au péril de leur vie les agissements de véritables “mafias du sable”.

Le journalisme environnemental sous haute tension

Couvrir l’environnement est l’une des formes de journalisme les plus dangereuses, après le reportage de guerre” souligne The Guardian.

Bruce Shapiro, directeur du Dart Center for Journalism and Trauma a déclaré dans les pages du quotidien britannique que “les rapports d’enquête sur l’environnement peuvent être aussi dangereux que les rapports sur le narco-trafic”.

Lundi 17 juin, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) livre son rapport. Au moins 13 journalistes ont été tués depuis 2009 pour avoir enquêté sur des scandales environnementaux. Le total pourrait même atteindre 29 cas, le CPJ enquête toujours sur 16 autres décès suspects.

Une constatation qui n’épargne aucun continent

L’Inde se classe parmi les endroits les plus dangereux pour exercer le  métier de journaliste environnemental.

Trois des treize personnes qui ont été tuées au cours de leur travail depuis 2009 étaient originaires du pays.

Trois autres étaient basées aux Philippines.

Les autres sont morts au Panama, en Colombie, en Russie, au Cambodge, au Myanmar (ex-Birmanie), en Thaïlande et en Indonésie.

Pour le directeur exécutif du CPJ, Joel Simon, “la couverture de tels articles pour les médias nationaux et internationaux implique souvent de se rendre dans des communautés éloignées et de faire face à des intérêts puissants. Cela le rend intrinsèquement dangereux. […] Ce n’est pas un problème nouveau, mais il est devenu plus aigu à mesure que le changement climatique a un impact plus direct sur le quotidien des gens“.

La hausse des menaces envers les journalistes environnementaux pose des questions sur la vulnérabilité de ces derniers. Pour Eric Freedman, professeur de journalisme au Knight Center for Environmental Journalism, les “reporters devraient recevoir une formation à la sécurité, comme beaucoup de correspondants de guerre ou internationaux”. Comme le rappelle le Comité pour la protection des journalistes, “le meurtre est la forme ultime de la censure”.