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RD Congo :  de la peur à l’horizon post-électoral ?

Une tribune de Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Le président Félix Tshisekedi a prêté serment samedi 20 janvier, pour un second mandat de cinq ans. Il a raflé la mise avec un « score stalinien », qui laisse tout de même perplexe : 73,4 % des suffrages exprimés. Pour autant, faut-il considérer que l’affaire est définitivement dans le sac ? voire !

En attendant, la circonstance d’investiture, haute en couleur, a été honorée par une vingtaine de chefs d’Etat africains, ainsi que par des délégations de plusieurs dizaines d’autres pays.

D’aucuns, de ce fait, y ont vu une sorte d’onction internationale accordée à « Fashti », pour Félix Antoine Tshisekedi, en entier. Nombre de ses inconditionnels, fascinés par ce tape-à-l’œil, jurent que ce pouvoir est un « don divin, qui risque d’être pérenne ».

Or, par anticipation, l’Eglise Catholique avait déjà eu à contester cette perception des choses. En effet, dès les premiers jours de la consultation, le cardinal Fridolin Ambongo, archevêque de la ville de Kinshasa, s’était pressé de qualifier ces élections de « gigantesque désordre organisé ». Dans ce cas, pérennité rimerait-elle avec désordre ?

La roue tourne mal

A tout prendre, ces élections sont à nulles autres pareilles, de par leur dimension d’exploitation de la fraude. Une tricherie à ciel ouvert. L’image l’a montré et démontré. On a vu sur les réseaux sociaux (avec ce qu’ils ont de bon et de mauvais), machines à voter, bulletins de vote ou kits électoraux se retrouvant dans la nature, détenus par des personnes non habilitées. Et à qui mieux mieux.

De cet imbroglio, après tout, est sorti un gagnant : Félix Tshisekedi. Ainsi donc, la roue de l’Histoire, qui s’est immobilisée le temps des votes, s’est remise à tourner. Mais, à mal tourner : dans la boue. Créant par la suite la peur du lendemain.

S’agissant de la boue, l’image renvoie aux contestations véhémentes, de la part de tous ceux dont les voix ont été « volées », au niveau des législatives. Ils sont nombreux ceux-là qui ont gagné, preuves matérielles à l’appui, mais curieusement remplacés par d’autres personnes. Ils crient haut et fort « à la fraude ». Et « au clientélisme, sinon au tribalisme ».

Ce mélodrame se joue au sein même de l’Union sacrée, le propre camp de la majorité présidentielle.

Il y a, aussi, dans cette optique, les vingt-cinq autres concourants « malheureux » à la présidentielle, membres de l’opposition. Qui, pour le moment, n’ont que leurs yeux pour pleurer. En fait, le désordre électoral les a tous humiliés en ne leur accordant que de « miettes ». Dr Mukwege, Nobel de la paix, par exemple, n’a récolté que 1% des suffrages. Alors que Moïse Katumbi et Martin Fayulu, ces deux poids lourds de l’opposition, n’ont affiché respectivement que 18 % et 5 % des votes.

Le peuple n’est pas en reste. La plupart des Congolais estiment que le départ de la démocratie a, encore une fois, loupé le coche.

A l’école du doute

Ce tableau ne décrit en rien une situation post-électorale reluisante. En gros traits, on y lit le doute. Or, à l’école du doute, on aboutit ipso facto à deux résultats différents : la vérité ou le mensonge.  Dans le cas d’espèce,  il s’agit plutôt d’un mensonge de nature à générer la peur.

De fait, il faut s’attendre à une réaction en chaîne de tous ceux, et à tous les niveaux, ont le sentiment d’avoir été floués. Il pourrait naître, au sein même de la majorité présidentielle, des ruptures d’alliances. Au mieux. Et à des naissances de rébellions, à grande échelle, suscitées par les opposants déçus. Au pire. Il en a toujours été ainsi en Afrique.

C’est donc de la peur, à l’horizon. Peur, à deux paliers différents. Au premier degré, les populations éprouvées par les situations de guerres, depuis 1960, date de l’indépendance. Elles ont peur que cette cacophonie politique, de haute intensité s’il en est, n’aboutisse à un drame national.

Enfin, le pouvoir lui-même n’est pas dans son assiette : il a peur des réactions à venir, pour avoir menti, triché. A ciel ouvert. Or, on ne peut conduire un peuple dans les mensonges. Démosthène, penseur grec du IVe siècle avant l’ère commune, l’avait déjà prévu : « Il n’est rien qui ne vous fasse plus grand tort qu’un homme qui ment. Car, ajoute-t-il, ceux dont la constitution réside dans les paroles, comment peuvent-ils, si les paroles sont mensongères, conduire une politique en toute sûreté ? ».

Instauration de la dictature

En termes homogènes, un menteur ne peut, en aucun cas, conduire dignement les autres. D’ailleurs, chez les Bantous, on a coutume d’associer un menteur à un sorcier.

Le président Tshisekedi échappera-t-il à cette logique, alors que ce deuxième mandat est le fruit des mensonges ? Rien n’est moins sûr. Même si il arrive que l’on pense que l’air du temps n’est pas conforme à l’ère du mensonge. Mais, puisque son pouvoir est un pouvoir par défi, il va devoir user de la force, à outrance, pour régner. Autrement dit, instaurer de la dictature.

Comprenne qui pourra.

ISRAEL-GAZA : LES BOMBES NE « TUENT » PAS UNE IDEOLOGIE

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

La guerre, que disons-nous, la contre-offensive menée par le Premier ministre israélien Netanyahu contre le Hamas, qualifié de mouvement terroriste palestinien, dans la bande de Gaza, n’est plus acceptable. Tout comme les crimes abominables que le Hamas a commis, le 7 novembre sur la terre israélienne, sont également inacceptables : près de 1 400 personnes sauvagement assassinées.

Palestiniens et Israéliens se sont toujours affrontés, depuis la naissance de l’Etat juif, en 1948. Mais, c’est la première fois qu’ils en arrivent à ce stade d’horreur, qui émeut les consciences les plus inflexibles. Et Israël, en réaction à la barbarie du Hamas, initiant une action de « destruction de masse », laisse perplexe. La bande de Gaza est détruite. Les Palestiniens y sont tués à la pelle. Le décompte macabre aujourd’hui est de plus de 11 000 tués, parmi lesquels des nombreux enfants.

Depuis, l’odeur du sang ne cesse d’altérer l’atmosphère bénie de cet espace géographique, carrefour de trois grandes religions monothéistes. Au contraire, la réalité eût été celle de la concorde et d’odeur de sainteté, puisque Dieu est saint. Réalité, belle s’il en est, mais vivement foulée au pied, par les deux belligérants ! Certes, pour des raisons existentielles, chacun des deux peuples s’agrippant à son « droit à l’existence ».

Toutes deux, à côté de la plaque

Or, pour assurer leur existence, les deux nations passent à côté de la plaque, en ne pensant cela possible qu’avec la disparition de l’autre. C’est pourquoi, à travers l’épisode en cours, – et l’occasion faisant le larron – Israël s’attèle à la destruction totale du Hamas. Pourtant, le Hamas n’est pas qu’un « simple mouvement de résistance ». C’est une idéologie islamiste, née en 1987, sous la mouvance « Les Frères Musulmans » égyptienne.

Dans ce cas, des tonnes de bombes déversées par l’Etat juif sur Gaza, dans l’objectif de mettre à bas le Hamas, n’auront aucun effet sur sa survie. Les bombes ne tuent jamais une idéologie. Alors même que l’Etat d’Israël parvenait à « détruire » le Hamas, celui-ci renaitrait de ses cendres, demain. Tel le phénix de la mythologie grecque.

A preuve, personne n’est venu à bout de « l’islamisme planétaire », sorti du bois avec les événements du 11 septembre 2001, aux Etats-Unis. De fait, la coalition des pays occidentaux a réussi à abattre Ben Laden, Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’Etat islamique et leurs successeurs, l’islamisme est bien vivant. Actif, ici, en cellule dormante, là-bas. En attendant des solutions idoines, mais complexes, dans le cadre de l’équilibre des relations Nord-Sud.

Amir Jahanchahi,  auteur de l’ouvrage intitulé « Vaincre le troisième Totalitarisme », concluait, à ce propos : « Il faut non seulement mener une guerre sans relâche à l’islamisme, mais aussi guérir les maux qui l’ont rendu possible ».

Le paraphrasant, nous disons de même au Premier ministre israélien qu’il ne viendra jamais à bout du Hamas, sans rechercher à guérir les « maux qui l’ont engendré ».

Regard impartial d’un Africain

Or, ici, la cause est plus simple qu’il n’y paraît : faire des concessions, de part et d’autre. Qu’Israéliens et Palestiniens acceptent de vivre côte à côte. Les uns et les autres sur leur territoire respectif. Comment ne parviennent-ils pas, alors, à un tel dénouement, qui semble couler de source ? La réponse s’imbrique dans la complexité des relations internationales. En soulevant un coin du voile, on y aperçoit, par exemple, la question liée au jeu d’alliances, sur fonds de stratégie économique et militaire. Impossible de développer un tel point de vue dans un article de presse très limité.

Quoi qu’il en soit, l’avenir de ces deux nations ne peut se lire, avec quiétude, que sous le chapitre de « fraternité » et de bon voisinage. Rien d’autre de valable et, par ricochet, de pérenne.  En attendant, cette question qui a toujours divisé les opinions, partout au monde, le fait actuellement avec beaucoup plus de virulence : augmentation d’actes racistes commis contre les Juifs, en face de grandes manifestations antisémites. Eternelle rengaine !

C’est peut-être là le regard impartial d’un Africain…

Présidentielle en RD Congo : un « Belge à peau noire » dans la bergerie

Par Jean- Jules Lema Landu, journaliste congolais, réfugié en France

« De père et de mère » est une expression forgée par le génie moqueur du peuple congolais. Elle est à l’origine d’une proposition de loi visant à exclure de la présidentielle toute personne dont un des parents n’est pas Congolais. Autrement dit, il faut être Congolais « de père et de mère » pour pouvoir prétendre à ce droit.

Si elle était adoptée par le parlement, cette loi aurait eu le don de barrer la route aux hautes fonctions (président de la République, par exemple) à quelques candidats se trouvant dans cette situation. Son ombre, en dépit de tout, ne continue pas moins de roder autour des institutions judiciaires.

Pourtant, tout le monde savait, à peu de frais, de quoi cela retournait. Le candidat Tshisekedi – il l’était déjà avant la lettre -, avait peur d’affronter certaines personnes, hommes de carrure affirmée. L’un d’entre eux avait fait avec panache carrière de gouverneur… Et un autre, célèbre scientifique reconnu mondialement, dont tout annonçait l’irruption fracassante sur la scène politique.

En voilà tout le sous-bassement de cette notion malheureuse de « de père et de mère ». A bien des égards, elle semble être la réplique de la notion « d’ivoirité ». Laquelle a profondément divisé les Ivoiriens, jusqu’à les avoir poussés à des massacres fratricides innommables.

Le massacre de Goma

On se souviendra du cas du Liberia et de la vengeance sanglante des « Natifs », exercée par Samuel Doe, en 1980, contre les « Congo », immigrés afro-américains. Ces derniers ayant détenu le pouvoir sans partage pendant plusieurs décennies. Il y a à évoquer également, dans ce cadre, l’apartheid en Afrique du Sud…

Pourrie, l’atmosphère politique pré-électorale en RD Congo semble, à tout le moins, épouser ces contours de sang. En vue de se préparer une victoire électorale, sur un boulevard, le président Tshisekedi s’avise à éliminer sur son chemin tout concurrent potentiel. Que les uns cherchent à écarter les autres, par des subterfuges à caractère discriminatoire, n’a jamais été un facteur de paix.

 Cela étant, il y a fort à craindre que la démarche empêtrée par le régime congolais ne débouche sur une catastrophe. La situation, à plusieurs points de vue, étant déjà suffisamment fragile. Si la RD Congo a traversé bien des crises, elle n’a jamais connu de moments aussi pires qu’actuellement.

Or, la théorie de diviser pour régner, mettant en avant le caractère d’origine de gens, est ce qu’il y a de plus lucratif, en Afrique, quand un régime est à la recherche de pérennité. En vue d’atteindre cet objectif, le président Tshisekedi ne lâchera rien. Le massacre de plus de cinquante personnes, à Goma, dans l’est du pays, des manifestants qui protestaient contre la présence des Casques bleus au Congo, en est une preuve irréfutable.

Trois candidats se trouvent dans le viseur du président congolais, dans le cadre de cette élimination fantaisiste. Trois cas comme inscrits dans le marbre. Il s’agit de l’ancien gouverneur de la province du Katanga, Moïse Katumbi ; de l’ex-premier ministre, Augustin Matata Ponyo et du Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018. Chacun, ou réunis pour la cause électoraliste, étant en mesure de donner des sueurs froides au régime en place.

Le premier est accusé d’être métis, donc, de père non Congolais. L’alibi ne peut être plus clair. Le deuxième a des démêlés avec la justice pour détournement supposé des fonds publics. L’affaire a été déjà jugée sans conséquence[MB1] , mais elle a été remise à examen, dès lors que l’intéressé s’est déclaré candidat à la présidentielle. Foulant au pied le principe du droit préconisant qu’une affaire jugée ne peut l’être, une seconde fois : « Non bis in idem ». Enfin, le troisième, le plus visé, est accusé d’être un Burundais… « de père et de mère ».

Promesse d’étincelles

Le Dr Mukwege – puisqu’il s’agit de lui -, un Burundais, c’est le bouquet ! Désigné lauréat prix Nobel de la paix, en 2018, tous les Congolais l’ont porté aux nues. Devenu président de la République, quelques temps après, Tshisekedi en personne lui a publiquement jeté des fleurs, précisant que « c’est un Congolais valeureux ». Le voici aujourd’hui devenu un rebut sur lequel on crache, mais aussi quelqu’un à qui on attribue toutes les nationalités du monde : pour un temps, le Dr Mukwege est un Burundais ; pour un autre, il est un Ougandais ; et, peut-être, très prochainement, il sera qualifié de « Belge à peau noire » dans la bergerie. Bon pour le gibet.

Quant à Katumbi, l’œil du cyclone cherche encore à le braquer avec précision. Alors que le dossier des candidatures se trouve au niveau de la Cour constitutionnelle pour un avis de validation définitif, au plus tard le 18 novembre, il se chuchote que la candidature de l’intéressé fait l’objet d’intenses délibérations sécrètes pour un rejet. Avertis, ses partisans en parlent déjà avec virulence sur les réseaux sociaux, promettant des étincelles, au cas où la candidature de leur champion était invalidée.

Matata Ponyo, lui, a préféré prendre la poudre d’escampette, avant que les portes de Makala (prison centrale de Kinshasa) ne se referment sur lui.

Le climat est donc de tous les dangers. Aussi, la Cour constitutionnelle se doit-elle de dire le droit, à ce sujet, au lieu de faire le jeu du régime. Le scrutin devra être ouvert à tous les prétendants, en conformité avec les prescrits de la Constitution en la matière.

Ils sont 24 à concourir. Ce n’est pas excessif. Qu’on laisse, pour une fois, seules les urnes exprimer le choix du peuple. En attente, depuis des décennies, de voir établie « la personne qu’il faut à la place qu’il faut ». Selon le peuple. Et non selon le désir d’un individu, ou un groupe d’individus, comme c’était le cas en 2018.

Crédits photos : © DR

Présidentielle/RD Congo :  David contre Goliath

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Depuis dimanche 8 octobre, le tableau des candidats à la présidentielle de la République démocratique du Congo 2023 est complet. Ils sont 25 prétendants sur la ligne de départ. Le président sortant, Félix Tshisekedi rempile pour un second mandat, à côté des poids lourds de l’opposition que sont Martin Fayulu, Moïse Katumbi ou Matata Ponyo. Y compris le Dr Mukwege pour le compte de la société civile. Et consorts.

Jamais élections n’auront suscité autant de frénésie que de paroles vaines, jusqu’à la bêtise. En raison du contexte tout particulier qui les caractérise : le vide du pouvoir. Mais, aussi, paradoxalement, le plein de moyens de communication et la vitesse qu’ils donnent à l’information. Tout se sait. A la minute près.

Mais, frénésie, pourquoi pas intérêt, alors que cette dernière dimension intègre les éléments constitutifs d’une élection ? Parce que, à vrai dire, depuis que le général Mobutu a confisqué la démocratie, en 1965, la politique en RD Congo est devenue l’objet de folklore. Par la force ou par la fraude, on y accède pour détourner les deniers publics, faire bombance et tourner le peuple en bourrique.

 Il y va ainsi d’élections en élections. Y compris celles auxquelles le peuple est appelé à participer, en moins de trois mois. Au fait, si les hommes passent, le système de prédation qu’ils ont érigé à tous les niveaux du fonctionnement de l’Etat demeure intact. Félix Tshisekedi ne s’en est pas écarté. Au contraire, il y a remis une couche. Népotisme, tribalisme, chapeautés par un début de dictature redoutable, sont des faits indéniables, qui ont émaillé son quinquennat.

Cas Mukwege : en délibération

Les exemples en cela sont légion. Mais, on en choisira que le plus illustratif d’entre tous et, sans doute, le plus discréditant. Il s’agit de cette promesse faite, en fanfare, par le chef de l’Etat, en juin 2021, à Butembo, dans l’est du pays : « Tant que je n’aurai pas réglé le problème de sécurité dans l’est du pays, je considérerai n’avoir pas réussi mon mandat ». A tout le moins, une telle promesse au peuple a valeur de serment.

Bien plus, depuis, le phénomène a pris de l’ampleur. Selon la déclaration de la représentante de l’ONU en RD Congo, Madame Bintou Keïta, sur les antennes de RFI, mercredi 11 octobre, neuf personnes par jour perdent la vie, du fait des violences des groupes armés. Et ce, depuis le mois de janvier 2023. Plusieurs provinces en font actuellement les frais, apprend-on des sources concordantes, jusqu’aux portes de Kinshasa.

Qu’en dire, sinon réclamer haut et fort la démission du chef de l’Etat, pour parjure ? Dans d’autres cieux, c’est une affaire entendue. Sans autre forme de procès.

© Valeriano Di Domenico

La question reste donc posée, parce qu’au sommet de l’Etat, on n’en a pas conscience. Mais, surtout, parce qu’il y a une nouvelle donne dans le paysage politique. Il s’agit de l’entrée dans la danse électorale d’un groupe d’opposants populaires, diplômés, crédibles, sinon ayant montré leur efficacité pour la promotion de la chose publique.

Ils s’appellent Martin Fayulu, vainqueur des élections de 2018, mais privé de sa victoire par l’ancien président Joseph Kabila (situation désignée par la diplomatie française de « compromis à l’africaine »), Moïse Katumbi, ancien gouverneur de la province du Katanga, Augustin matata Ponyo, ancien premier ministre, économiste de haute volée et les autres, Delly Sesanga, juriste apprécié.

Mais le plus coriace des challengers face au président sortant, c’est le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018. De son état, médecin gynécologue-obstétricien, le Nobel est aussi professeur des universités ; bâtisseur affirmé – ayant construit plusieurs écoles, ainsi que le célèbre hôpital spécialisé de Panzi, à Bukavu, le tout dans la province du Sud-Kivu -, pasteur adulé dans sa ville natale de Bukavu, polyglotte et écrivain de talent, avec à son actif plusieurs ouvrages, dont le tout dernier intitulé « La force de la femme ».

Bien sûr, sa popularité ne crie pas sur tous les toits comme celle, jadis, attribuée à l’ancien président américain Obama, aux Etats-Unis. Néanmoins, le Dr Mukwege est dans l’esprit de la plupart des Congolais. En situation de délibération.

Qu’en penser ? Un tel homme intelligent, travailleur acharné, qu’accompagne une probité indubitable, serait-il incapable de « réparer » le pays, à l’instar de ce qu’il réalise dans son hôpital, en « réparant » des milliers de femmes violées ? En quoi l’image, pour ceux qui l’ont critiquée, est-elle fausse ? L’image n’est-elle pas l’une d’expressions de la pensée et même des figures de style préférée en journalisme, en particulier ?

Le dictateur Yahya Jammeh, battu

On a évoqué, au début, la présence de la « parole vaine », en voilà une, explicite ! Quand on parle, en public, de ce qu’on ignore… on glisse vite vers la bêtise. Boileau ne conseillait-il pas sans cesse : « Evitez la bassesse »

Qu’on s’entende sur la personnalité d’un Nobel : c’est un « grand ». Ailleurs, c’est une autorité dont la voix porte, et qui mérite respect. Dans l’imaginaire collectif, un Nobel est un personnage qui habite le nouvel Olympe, au-dessus de nos têtes. Aussi voit-on rarement un Nobel descendre de son piédestal pour une arène politique. Ce qui démontre pour le médecin congolais son ardent désir de servir son peuple, en perdition, aux dépens de toutes les autres considérations.

C’est que le Nobel congolais, du coup, a accepté de « jouer le jeu » : l’arène politique est comme un ring de boxe, où on se donne des coups. Il devra porter les coups contre son adversaire, mais des coups francs… et il en a plein dans son carcois, pour vaincre. C’est vrai qu’il se trouve en face d’un président en exercice, bien loti, soutenu en plus par ce qu’on qualifie de « prime du sortant ». Mais, l’histoire pointe, parfois, des paradoxes ahurissants, où un David parvient à battre un Goliath.

Le cas de la Gambie, en décembre 2016, est encore présent dans la mémoire. Adama Barrow, candidat de l’opposition unie, simple fonctionnaire, a battu le dictateur Yahya Jammeh, réputé féroce multi millionnaire, au pouvoir depuis 22 ans.

Cela peut être possible en RD Congo. Pourvu que l’opposition s’unisse et que chacun oublie son ego, au bénéfice du pays à l’article de la mort.

Pendant ce temps, des propositions se forgent et s’échangent. On voit acceptée, en majorité, une composition « idéale » de tête, formée du Dr Mukwege, auréolé de son estime internationale, comme président de la République, Fayulu, chevronné en politique, comme Premier ministre, Katumbi, à l’Intérieur, Matata Ponyo, à l’Economie et Sesanga à la Justice…

Si jamais ces élections ont lieu…

France – Afrique : va-t-on vers une mauvaise rupture ?

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Rien ne va plus entre la France et l’Afrique. Le premier constat est la situation des coups d’Etat successifs en Afrique de l’Ouest (Mali, Guinée Conakry, Burkina Faso et Niger). L’autre observation est que cette révolte des militaires n’est pas menée seulement à l’interne, comme ce fut jadis le cas ; elle se retourne aussi contre l’ancien colonisateur, la France.  Et au-delà, contre l’Occident. Avec, régulièrement, un brin de brutalité verbale. Marquée, une fois, par un acte de violence sur l’ambassade de France, partiellement vandalisée à Niamey.

Cela est nouveau. Les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest s’apparentent à un fait d’incubation, qui a cours depuis des décennies. En d’autres termes, c’est l’écho aux ressentiments qu’exprime, désormais, tout le continent africain à l’égard de l’Occident. Côté pays francophones, la France, bien sûr, étant placée en première ligne, autant pour son passé colonial que pour ses attitudes jugées impérialistes.

La Françafrique, cette Hydre de Lerne, qui a traversé tous les gouvernements de la Ve République, est citée en mauvaise référence. En utilisant contre la bête la même épée que ses prédécesseurs, cabossée par des promesses non tenues, le président Macron a fini par mettre les feux aux poudres.

C’est le fait, global, dans lequel se détachent d’autres éléments répréhensifs, pour les Africains, tels l’indécision des troupes françaises à neutraliser les djihadistes au Sahel ou la présence de ces mêmes troupes pour constituer des bases militaires sur le sol africain, notamment.

S’y ajoute, en veilleuse,  l’appel lancé par Aminata Traoré, dans « Le viol de l’imaginaire ». L’écrivaine malienne demandait de tout faire pour « restituer aux Etats du continent leur pleine souveraineté et leurs prérogatives dans l’œuvre de réhumanisation de l’homme ». C’est tout dire.

De là à penser « coup d’Etat », il n’y a qu’un pas à franchir. Y compris, dans la foulée, à organiser des manifestations hostiles contre la France.

Le torchon brûle entre le Niger et la France

On le sent, l’idée, dans cet espace géographique, est d’arracher le continent des griffes du néocolonialisme. En vue de s’approprier une sorte de deuxième indépendance, après celle des années 1960.  Ainsi donc, le Niger ne sera pas le dernier de la série. Le coup d’Etat y est consommé, et rien d’autre ne dérangera ce nouvel ordre des choses. Lequel, à n’y prendre garde, fera tache d’huile.

Cependant, on n’en restera pas là. Il faut penser au revers du décor, à l’image des réactions qui ont suivi les indépendances africaines. L’Occident n’avait pas lâché prise, tout de go. Pour nombre de pays, il a fallu subir des guerres dites de « libération ».

Des guerres pour la préservation par l’Occident des matières premières (pétrole, uranium, cassitérite, diamants, etc.). Or, le même schéma, aujourd’hui, semble se redessiner… en creux.

La France, et par ricochet l’Occident, assisterait-elle les mains croisées devant la perte de son pré carré, surtout que celui-ci a tendance à basculer dans les mains de la Russie et de la Chine ? Ce qui saute déjà aux yeux, en attendant, est que les choses commencent à prendre une mauvaise tournure, avec cette crainte que la rupture ne risque d’être fâcheuse. Simple exemple : le Niger demande à l’ambassadeur de France de plier bagages, Paris dit sèchement « non ».

C’est un premier craquement de l’arbre sur lequel repose le poids des relations séculaires entre les deux pays. En tout cas, mauvais signe des temps !

Crédit photo : James Wiseman.

RD Congo : Tshisekedi met les gants contre l’Eglise Catholique

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Le sens du mot « démocratie » est galvaudé, en RD Congo. Et à qui mieux mieux. Tiré dans tous les côtés, selon les intérêts des uns et des autres. Un jour, on a entendu Mobutu dire, très sérieux : « Moi aussi, je suis un démocrate ». Alors que sa dictature était au zénith : tout ayant été mis sous le contrôle du MPR, parti unique.

Le président Tshisekedi vient de lui emboîter le pas, le 25 juin, dans la province du Kasaï-Oriental, son fief. Il y était invité pour participer à la célébration du jubilé d’argent de l’évêque de Mbuji-Mayi, chef-lieu de cette province. Il en a profité pour répondre à la critique de la Conférence épiscopale nationale du Congo « CENCO », formulée sur la situation générale chaotique du pays. Dans sa défense, et après avoir déversé sa bile sur l’Eglise catholique, le chef de l’Etat a conclu, pince-sans-rire : « Démocrate, je suis, démocrate, je resterai… ».

Dans quel sens le fut Mobutu, dans quel sens l’est le dirigeant actuel de la RD Congo ? On ne peut pas se proclamer démocrate dans la tricherie, la corruption, le vol, le mensonge, la répression du peuple pour ses droits, etc. Au-delà de son sens classique, la démocratie est une vertu, entourée d’une constellation de qualités. Quand on y échappe, on est tout simplement « dictateur ».

Quid ? A l’issue de sa 60e Assemblée plénière ordinaire, le 23 juin, à Lubumbashi, province du Haut-Katanga, la CENCO dresse un sévère réquisitoire du régime en place. Dans son rapport, elle épingle la mauvaise gouvernance, sur fond de tribalisme béat ; les comportements dictatoriaux, dont les arrestations arbitraires, l’instrumentalisation de la justice et autres méfaits ; l’insécurité récurrente dans l’est du pays, dont une partie est occupée militairement ; la misère extrême du peuple ; le climat tendu, etc. Ajoutons qu’au plan économique, les choses vont également mal, quand la monnaie se déprécie de 1,1 %, en moyenne hebdomadaire, depuis le début de cette année.

Un langage de guerre

En conclusion, l’Eglise catholique, par le biais de la CENCO, appelle à la responsabilité de tout le monde. Au régime en place, de faire en sorte que les élections prévues, en décembre prochain, soient crédibles et au peuple de « se réveiller de son sommeil », afin de ne plus se laisser berner par ses fossoyeurs.

Pour le régime, c’est une provocation gratuite, puisque l’Eglise a quitté l’Evangile, son rôle, pour se mêler de la politique. Et le président de la République de se rependre en invective. Il voit, de prime abord, dans la démarche de cette institution « une grave dérive, qui risquerait de diviser le pays ». Puis, se posant en garant de la République, il avertit : « Je ne reculerai pas devant les menaces, les intimidations de tout genre ; je m’attaquerai sans hésitations, sans remords, à tout ce qui mettrait en danger la stabilité de notre pays ».

C’est un langage de guerre, et l’allusion clairement faite à l’égard de l’Eglise catholique. Personne n’est assez dupe pour ne pas le comprendre.

Rien d’étonnant. De Mobutu à Kabila fils, en passant par Kabila père, l’Eglise romaine au Congo a toujours été accusée d’immixtion dans les affaires de l’Etat. En réalité, sa faute a été et reste celle de vouloir rappeler aux dirigeants politiques les vertus de la démocratie. Pour le bonheur du peuple et le progrès du pays. En fait, « l’Eglise est société », comme les Cathos aiment le dire. Dans les Actes des Apôtres, l’évangéliste Luc le souligne, en indiquant à Théophile, un disciple, que le premier geste de Jésus était social. Il le dit en ces termes : « Théophile, j’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé à ‘faire’ et à enseigner, dès le commencement ». (Act. 1 -1).

« Faire avant d’enseigner ». Il est donc du devoir de l’Eglise de faire, autrement dit, de se mêler de la politique, quand celle-ci se fourvoie, au mépris absolu des intérêts du peuple, de la société. Quand on remonte l’histoire, on constate que le haro de l’Eglise romaine au Congo, en direction des gouvernants irresponsables est une constance. Conduisant, parfois, à un bras de fer sanglant : des chrétiens contestataires, sont impitoyablement tués, par les forces de sécurité. Mobutu et Kabila l’ont fait, ils n’ont pas vaincu. Et le « vae victus », le chant latin à la fois de victoire et de moquerie, c’est au peuple qu’il revient.

Caractéristiques des dictateurs

Or, c’est comme si cette leçon de l’Histoire n’a pas été comprise, puisque la mise en garde « indirecte » du chef de l’Etat à l’égard de l’Eglise n’annonce pas moins l’éventualité d’une nouvelle confrontation. Le ciel gris, empreint de mensonges et de toutes sortes de prétentions, couvre ces jours-ci la RD Congo. Il ne diffère pas de celui qui fut à l’origine des orages du temps de Mobutu et de Kabila. De ces prétentions, Tshisekedi s’en est appropriée une que nous entendons sortir souvent de la bouche de tous les dictateurs : « Je n’ai aucune leçon à recevoir, en matière de démocratie ».

Propos frasque, contredisant le célèbre « Ce que je sais, c’est que je ne sais rien », de Socrate, ne manque pas d’étonner. En cela, Tshisekedi s’oppose également à Kant, cet autre grand philosophe, sur le principe de « hétéronomie ». Celle-ci est l’ensemble des lois ou règles bénéfiques que nous recevons de l’extérieur, d’autrui, face aux désirs illimités de l’homme. C’est le contraire de « l’autonomie », qui, elle, laisse tout faire. La Grèce antique a aussi exploité ce thème, à travers le « complexe de Thétis ».

Dans notre contexte, ce propos est intéressant. En effet, il nous renseigne quand une personne est persuadée d’être suffisamment érudite, pour se passer des leçons d’autrui, il y a lieu de douter de ce qu’elle connaît réellement. C’est d’ailleurs là l’une des caractéristiques des dictateurs avérés. Ils pensent avoir raison en tout.

Vu ce qui précède, le bras de fer entre le président Tshisekedi et l’Eglise catholique est inévitable. L’un est déterminé à garder le pouvoir, à travers un deuxième mandat, à tout prix, tandis que l’autre (Eglise), en sentinelle, veuille au grain. En plus de pointer que le processus électoral est « mal engagé », elle a appelé le peuple à ouvrir l’œil… et le bon. Et le peuple connaît la voix du berger…

S’il y a bagarre, l’enjeu, comme on le voit bien, c’est la « démocratie ». Et, d’ores et déjà, on peut se prononcer sur le statut des belligérants. Qui est démocrate et qui ne l’est pas !

AFRIQUE : la Turquie est-elle une amie de poids ?

Par Jean-Jules LEMA LANDU, journaliste congolais, réfugié en France

Les lampions se sont éteints sur la présidentielle turque. Le président sortant Erdogan l’a emporté haut la main. L’événement a intéressé autant les pays du Nord que ceux du Sud, la Turquie constituant une espèce de plaque tournante entre l’Occident, l’Afrique, le Proche-Orient et l’Asie.

Pour la première fois, le continent africain y a manifesté un intérêt indéniable, alors qu’il y a vingt ans, ce pays lui paressait quelque peu distant.

Les graines de cette coopération tous azimuts entre le pays de Mustafa Kemal et le continent sont plantées en 2003, avec l’arrivée au pouvoir d’Erdogan, en qualité de Premier ministre et, plus tard, de président de la République. Au point où, aujourd’hui, nombre d’observateurs n’hésitent pas à penser que « la Turquie en Afrique, c’est Erdogan ».

C’est lui qui, depuis deux décennies, essaie de distiller un soft power turc en Afrique. Pendant cet intervalle, en ce sens, la Turquie d’Erdogan fait flèche de tout bois. Celle de la diplomatie a atteint pleinement sa cible, par l’ouverture de 44 ambassades sur 55 pays.

A l’instar de la France, qui en compte 46. Démarche coiffée par également plus de 40 déplacements présidentiels. Un véritable marathon diplomatique – sans égal -, qui donne la mesure de l’action multisectorielle menée par Ankara.

Des échanges commerciaux multipliés par 9

Dans le domaine commercial,  les échanges annuels entre les deux partenaires, de 2003 à 2021,  sont passés de 4,4 milliards d’euros à 34 milliards d’euros, selon les chiffres du ministère turc des Affaires étrangères, repris par BBC World Service.

Avec à la clé l’attribution de plusieurs projets d’infrastructures, comme la piscine olympique de Dakar, au Sénégal, ou « la Kigali Arena », au Rwanda, le plus grand stade d’Afrique de l’Est. C’est déjà notable, à côté d’autres réalisations moins brillantes, à trouver ici et là.

Sur le plan militaire, Ankara possède une base militaire, à Djibouti, en Somalie. C’est dans l’air du temps. Mais, il se préoccupe également de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest, où, dans le cadre des contrats d’armement, il a livré des drones TB2 au Mali et au Burkina Faso, ainsi que des véhicules blindés et autres systèmes de protection ou de surveillance.

Non sans oublier le domaine du développement et de l’humanitaire, à travers la présence des ONG bien structurées qu’elle finance grassement. Enfin, son œil est posé aussi sur le culturel, exclusivement sur la promotion des écoles coraniques, un des véritables leviers du soft power turc, en Afrique de l’Ouest, à dominante musulmane…

C’est peu dire que le pays d’Erdogan a pris des racines au continent. Dans un climat de confiance mutuelle. Tout est donc au beau fixe. A preuve, cette approbation unanime des chefs d’Etat, dès 2005, de compter la Turquie parmi les observateurs de l’Union africaine (UA) et, trois ans plus tard, de l’élever au rang de « partenaire stratégique ».

La présence massive des chefs d’Etats africains au troisième sommet Turquie-Afrique, en décembre 2021, à Istanbul, est une autre preuve de cette solide amitié partagée par les deux partenaires.

A tout prendre, la Turquie semble donc une amie sérieuse, avec qui l’Afrique peut compter pour exercer une coopération « gagnant-gagnant ». Selon la fameuse formule d’Erdogan : « L’Afrique pour les Africains ». Tout ce qui fait qu’il y ait brouille avec les autres pays amis, quand cette note manque au solfège.