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La justice camerounaise ébranlée par l’ONU dans l’affaire Marafa

[Par René DASSIÉ]

Le Groupe de Travail de l’ONU qui s’est penché sur la détention arbitraire de l’ancien ministre camerounais de l’Intérieurdemande sa libération immédiate. La Rapporteuse de l’ONU sur l’indépendance de la justice et des avocats va également être saisie. C’est la première fois que le gouvernement camerounais est obligé de présenter sa défense devant cet organe onusien de justice.

Au sujet de l’affaire Marafa Hamidou Yaya qu’il a eu à examiner, le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire « se réjouit de la coopération du gouvernement camerounais qui a su répondre aux allégations dans les délais impartis ».

Cette mention dans l’avis rendu en avril par l’organe onusien et communiqué aux autorités camerounaises à la fin du mois dernier n’est pas anodine. Devant les Nations Unis, le Cameroun s’est âprement battu, pour prouver qu’il n’avait pas violé les droits de l’ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MINATD), à un procès équitable.

(Source : Agence Ecofin)

Marafa Hamidou Yaya (Source : Agence Ecofin)

Une démarche inédite. Dans les précédentes affaires soumises à l’attention des juristes onusiens, Yaoundé avait en effet brillé par son silence, obligeant le Groupe de travail à rendre des décisions par défaut.

Ce fut le cas notamment pour les Franco-camerounais Michel Thierry Atangana et Lydienne Eyoum, tous deux finalement libérés à la faveur d’un décret du président Paul Biya. Interpellé par le Groupe de travail lorsqu’il examinait leurs requêtes respectives, le gouvernement camerounais n’avait pas jugé utile de répondre.

Le cas Marafa est donc symbolique : c’est en totale connaissance des arguments des deux parties que les juristes onusiens ont tranché. L’État du Cameroun a fait face à un véritable procès mené selon le principe judiciaire du contradictoire, à l’ONU. La lecture de la décision des juristes internationaux qui composent le Groupe de travail permet de relever qu’il s’est battu avec détermination. Avant de perdre : le Groupe de travail a tranché en faveur l’ancien ministre et demande sa libération.

Le gouvernement camerounais a demandé un délai pour préparer sa réponse

De fait, c’est en juin de l’année dernière que le Pr Ndiva Kofele kale, un des avocats Marafa Hamidou Yaya saisit le groupe de travail sur la détention arbitraire de l’Onu, pour le compte de son client.

C’est à dire au moment où l’ancien ministre entame sa quatrième année de détention, dans une caserne militaire du Secrétariat d’Etat à la Défense de Yaoundé.

Au petit matin du 22 septembre 2012, il avait été condamné à 25 ans de prison pour « complicité intellectuelle » de détournement de deniers publics. Il a toujours clamé son innocence dans cette affaire née de l’achat manqué au début des années 2000, d’un avion pour les déplacements du président camerounais. En mai dernier, lors d’un procès expéditif, la Cour suprême de Yaoundé a ramené sa peine à 20 ans de prison. Pour la communauté internationale, il est un prisonnier politique.

Dans sa requête au Groupe de travail sur la détention arbitraire, l’avocat de l’ancien ministre explique que les droits de son client à un procès équitable ont été régulièrement violés tout au long de la procédure qui a conduit à sa condamnation. Il soutient que les vraies motivations de son incarcération sont politiques, et découlent du dévoilement de son ambition présidentielle.

Lorsque le 1er juillet 2015, le Groupe de travail invite le gouvernement camerounais à répondre à ces accusations, celui-ci réagit promptement. Moins d’une semaine après, Yaoundé demande un délai supplémentaire de soixante jours, pour préparer sa réponse. Celle-ci parviendra finalement à l’organe onusien le 30 septembre.

(Source : cameroon web news)

(Source : cameroon web news)

Une délibération longue et difficile

 Les pièces de dossier fournies par les deux parties aux juristes de l’Onu sont très volumineux : elles dépassent le millier de pages. Ce qui oblige les experts à prolonger leur période de leur délibération. Il leur faudra six mois, de novembre 2015 à avril 2016, pour examiner l’ensemble des éléments et trancher.

Leur verdict est sans appel : Marafa Hamidou Yaya a été victime d’abus judiciaires et sa détention est arbitraire.

« La conclusion du Groupe de travail est limpide : M. Yaya a été victime d’une violation extrêmement grave de son droit à un procès équitable rendant nulles mais aussi non avenues les procédures engagées contre lui », écrivent les experts onusien.

L’indépendance de la justice camerounaise en question

Pour le Professeur Ndiva Kofele Kale, cette conclusion met en doute l’indépendance de la justice camerounaise dans l’affaire Marafa.

« Les six éminents juristes qui composent le Groupe de travail avaient devant eux les mêmes documents que le Ministère Public qui avait mis en accusation Marafa ; les juges de la Haute Cour du Mfoundi qui l’ont déclaré coupable et les honorables juges de notre Cour suprême qui ont confirmé le jugement de première instance (…) Pourtant après avoir examiner le mêmes preuves, le panel des juristes du Groupe de Travail est arrivé à la conclusion opposée ! Comment se fait-il que nos magistrats se soient trompés ? », s’interroge-t-il, dans un communiqué.

Paul Biya, président du Cameroun (Source : étudiant-ados)

Paul Biya, président du Cameroun (Source : étudiant-ados)

Dans son avis, le Groupe de travail a écrit que le gouvernement camerounais a « l’obligation » de « mettre fin » à la détention de Marafa Hamidou Yaya, et « d’accorder à la victime une réparation appropriée ». Il a aussi signalé qu’il allait saisir la Rapporteuse de l’Onu sur l’indépendance des juges et des avocats, pour toute action appropriée.

« Dans tous les cas, cela ne donne pas une bonne image du système judiciaire camerounais vu que cette saisine met maintenant en doute son indépendance et impartialité tant vantées », commente l’avocat.

« La décision du Groupe de Travail innocente mon client et confirme ce qu’il a toujours dit, c’est à dire qu’il est innocent de toutes les accusations portées contre lui », conclut-il.

Le gouvernement camerounais n’a pas commenté l’avis.

Le Groupe de travail qui l’a enjoint à libérer sans délai l’ancien ministre a indiqué que s’il le souhaitait, il pourrait engager « un nouveau procès où tous ses droits devront être entièrement respectés, pourvu que le Ministère public ait des raisons valables de le poursuivre ».

 

 

Cameroun : Le livre de Marafa Hamidou Yaya interdit ?

[Par René DASSIE’]


Marafa Hamidou YayaS’agit-il d’une censure discrète ? En tout cas, un mois après sa parution, « Le choix de l’action », un ouvrage écrit depuis sa prison de haute sécurité de Yaoundé, par l’ancien ministre camerounais de l’Intérieur, Marafa Hamidou Yaya, n’est toujours pas disponible dans les librairies étrangères. Notamment à Paris, où il est très attendu.

Dans cet ouvrage de plus de 400 pages, l’ancien ministre qui a écopé de 25 ans de prison en 2012 pour « complicité intellectuelle de détournement » mais que le Département d’Etat américain considère comme un prisonnier politique, défend le bilan de ses dix années passées à la tête du ministère camerounais de l’Administration territoriale. Il expose un projet politique ambitieux pour son pays. Ce qui n’est visiblement pas du goût des autorités de Yaoundé.
Aux Editions L’Harmattan, éditeur et libraire parisien où l’on trouve la plupart des livres venant d’Afrique, « Le choix de l’action » n’est pas disponible. On laisse laconiquement entendre qu’il y a « un problème à la source ».
On sait que la première édition du livre s’était écoulée en quelques jours, obligeant l’éditeur, Les Editions du Schabel, à lancer une nouvelle impression.
Ce succès de librairie ne suffit cependant pas à expliquer la rareté, voire l’absence du livre à l’étranger. Une censure discrète l’empêcherait de sortir du territoire camerounais. Un voyageur qui se rendait en France ce week-end, et qui a requis l’anonymat pour des raisons évidentes, explique ainsi qu’il a été dépossédé des cinq exemplaires qu’il avait acquis pour des amis, lors d’une fouille à l’aéroport de Douala.
Et il n’est pas le seul à avoir subi ce type de censure personnalisée. Avant lui, une dame avait vu ses deux exemplaires être confisqués, dans les mêmes conditions.

Jacques Fame Ndongo (source : camer.be)

Jacques Fame Ndongo (source : camer.be)

Depuis la sortie du « Choix de l’Action », le régime camerounais fait feu de tout bois, pour en atténuer la portée auprès du public camerounais. Sans succès. Il y a une dizaine de jours, le ministre de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, très proche du président Paul Biya, avait publié dans L’Action, magazine de propagande du RDPC au pouvoir, une tribune dans laquelle il tentait de retirer à M. Marafa les mérites qu’il s’attribue dans l’ouvrage. A sa suite, plusieurs seconds couteaux s’étaient relayés dans les médias, pour tenter de dénigrer l’auteur. Ils le présentaient collectivement comme une créature de Paul Biya, devenu opposant sur le tard. Tout en évitant soigneusement de débattre sur les multiples solutions brillamment argumentées que le livre propose, aux problèmes de gouvernance du pays.
Cependant, la manœuvre n’a pas eu le succès escompté et semble même s’être retournée contre ses initiateurs. Selon des indiscrétions, les camarades de parti de M. Fame Ndongo lui reprocheraient d’avoir par son activisme, contribué à la promotion de l’ouvrage et de son auteur, qu’il souhaitait combattre.
Peul du Nord du Cameroun et ancien proche collaborateur du président Paul Biya, M. Marafa Hamidou Yaya avait publié, avant la sortie de son ouvrage, de nombreuses tribunes dans la presse camerounaise et internationale, devenant de fait le chef de file des promoteurs de l’alternance politique dans le pays, par la pertinence de ses idées.

 

Cameroun : Affaire Marafa, l’ex ministre en danger

[Par René DASSIE’]

L’état de santé de l’ancien ministre camerounais de l’Administration territorial, Marafa Hamidou Yaya (cliquez ici pour lire l’article Affaire Marafa Hamidou Yaya : les sorciers noirs sortent de l’ombre, par René Dassié), condamné à 25 ans de prison pour détournement de fonds et considéré par la communauté internationale comme un prisonnier politique suscite de grandes inquiétudes, obligeant pour la première fois les autorités de Yaoundé à envisager son évacuation sanitaire vers l’occident.

Photo tirée de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=6UL4f3HsGto

Photo tirée de la vidéo https://www.youtube.com/watch?v=6UL4f3HsGto

Selon le quotidien Le Messager paraissant à Douala, en réponse à une demande formulée par un proche de l’ancien proche collaborateur du président Paul Biya, le ministre camerounais de la Justice et Garde des sceaux, Laurent Marie Esso, aurait laissé entendre qu’il ne trouverait « aucun inconvénient » à sa sortie du territoire pour raison de santé, si ses médecins locaux ne « trouvent toujours rien ».
Victime il y a une semaine d’un malaise dans sa cellule de la prison de haute sécurité du secrétariat d’Etat à la Défense de Yaoundé où il détenu depuis plus de deux ans, M. Marafa a été transféré d’urgence au centre hospitalier universitaire de Yaoundé où il est toujours interné.
C’est la deuxième fois en moins d’un mois, qu’il est admis dans cet hôpital. Fin juin, il y avait déjà été interné pour une semaine. La presse locale avait alors rapporté une fatigue générale à laquelle s’ajoutaient des troubles stomatiques et visuels, ainsi qu’un paludisme cérébral. Cependant, face au peu de communication sur sa situation réelle, certains avaient cru déceler dans ses conditions d’hospitalisation, notamment son admission dans l’unité de dialyse de cet établissement, des indices d’affections beaucoup plus graves.
« Je suis inquiète pour deux raisons : la première raison c’est que s’il lui arrivait d’avoir la fièvre au point d’être hospitalisé, cela veut dire que c’est très grave. Or il y a quelques années, Monsieur Marafa (…) a dû être évacué parce qu’il faisait un palu cérébral. La deuxième raison c’est qu’on me dit qu’il aurait des problèmes de reins. Ce qui m’inquiète encore davantage», déclarait le 4 juillet sur RFI, Jeannette son épouse, exilée à Paris.
«J’ai connaissance du diagnostic d’un cardiologue réputé qui fait état de ce que M. Marafa a un problème cardiaque et devrait subir des examens et un traitement qui ne sont pas disponibles au Cameroun et certainement pas dans sa prison», laissait déjà entendre fin mars, le professeur de droit Diva Kofélé Kalé, l’un des avocats du prisonnier.
Or, on sait que les hôpitaux camerounais n’ont ni l’expertise ni les équipements adéquats pour traiter efficacement des problèmes rénaux. De nombreux patients, à l’instar de l’écrivain Charles Atéba Eyéné qui n’avait pas pu réunir à temps l’argent nécessaire à son évacuation, sont morts faute de dialyse.

Paul Biya ne peut pas ignorer la santé fragile de M. Marafa qui l’a côtoyé pendant près de deux décennies et donc les dures conditions de détention, dans une cellule aveugle et humide d’environ 3m² contribuent aujourd’hui à accroitre la détresse physique.
Epuisé par le manque de sommeil –plus de dix jours sans dormir pour rattraper in extremis le fiasco des élections couplées, municipales et législatives de 2002 orchestré par son prédécesseur au ministère camerounais de l’intérieur-, il avait développé un paludisme cérébral et n’avait dû la vie sauve qu’à une évacuation sanitaire en France.
«J’appelle toutes les bonnes volontés à m’aider parce que c’est un homme qu’on est en train de tuer. Il ne faut pas attendre qu’il soit mort pour que tout le monde puisse dire quelque chose. J’en appelle à monsieur Hollande. J’en appelle à monsieur Obama. J’en appelle à monsieur Paul Biya de m’aider à sortir Marafa de là. Il en a les possibilités. Il sait que cette affaire est politique. Marafa est innocent. Il le sait. Qu’il le sorte de là ! Qu’il le sorte de là !», a plaidé en sanglot, son épouse, sur RFI.

Le Président Barack Obama e la Première Dame Michelle Obama posent pour une photo au Metropolitan Museum de New York avec Paul Biya, le Président du Cameroun et sa femme, Chantal Biya, le 23 Septembre 2009 (Photo Officielle de la Maison Blanche par Lawrence Jackson)

Le Président Barack Obama et la Première Dame Michelle Obama avec Paul Biya, le Président du Cameroun et sa femme, Chantal Biya, le 23 Septembre 2009 (Photo Officielle de la Maison Blanche par Lawrence Jackson)

Depuis le déclenchement de l’opération d’assainissement des mœurs publiques au Cameroun, plusieurs personnalités sont décédées en détention. Le 8 mai, Henri Engoulou, 60 ans, ex-ministre délégué aux Finances en charge du Budget, poursuivi dans la même affaire que la franco-camerounaise Lydienne Yen-Eyoum s’est éteint dans le dénuement le plus total dans un hôpital de la capitale camerounaise, après quatre ans d’emprisonnement sans jugement, et n’avait plus de quoi payer ses frais d’avocats.
Un peu moins de deux mois avant lui, c’était l’ancienne secrétaire d’Etat aux Enseignements secondaires, Catherine Abena qui rendait l’âme dans un hôpital de Yaoundé, à la veille de ses soixante ans. Accusée de détournement de deniers publics, elle avait entamé une longue grève de la faim lors de sa détention préventive de plus d’un an. Innocentée et libérée en 2011, elle n’avait jamais pu correctement se rétablir.
La décision d’ordonner ou non l’évacuation de M. Marafa dépend entièrement de Paul Biya, qui doit se rendre au sommet Etats-Unis Afrique qui s’ouvre ce mardi à Washington.

Cameroun : le combat de Jeannette Marafa

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

Jeannette Marafa chez Nelson Mandela lors de sa visite en Afrique du Sud

C’est bien connu: l’amour est la plus grande des forces, et le meilleur avocat d’un homme en difficulté c’est son épouse. Jeannette Marafa, l’épouse de l’’ancien ministre d’État camerounais chargé de l’Administration territoriale, Marafa Hamidou Yaya, condamné à vingt-cinq ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et reconnu par la communauté internationale comme un prisonnier politique, se bat en première ligne pour desserrer l’étau politico-judiciaire qui s’est refermé sur lui et obtenir sa libération. Il y a trente ans, elle l’avait déjà sauvé du peloton d’exécution, peu après un coup d’Etat manqué contre Paul Biya.

Ce sont les aléas de la vie qui ont poussé au-devant de la scène cette mère de famille discrète, qui, en dépit d’une solide formation universitaire, avait choisi de vivre à l’ombre, pour assurer les arrières de son grand commis d’État d’époux, aujourd’hui enfermé dans une prison de haute sécurité à Yaoundé.
Séparée malgré elle de son mari, retirée à Paris auprès de ses trois enfants, tous jeunes adultes et scolarisés dont elle assure désormais seule l’autorité parentale, Jeannette Marafa est marquée par l’épreuve que traverse sa famille; mais elle a refusé de baisser les bras. Elle est restée digne. Aussi bien à l’aise en tailleurs européens qu’en robes africaines, elle n’a rien perdu de son élégance de femme Douala, son ethnie d’origine. C’est une « femme debout », comme diraient les Antillais.

Elle court les médias, mobilise les avocats, fait du lobbying politique, apporte son expertise au comité de libération des prisonniers politiques camerounais (CL2P). Car elle en est convaincue : l’homme qui partage sa vie depuis plus de trois décennies n’est pas coupable des faits pour lesquels il a été condamné à vingt-cinq ans de prison, il y a deux ans.

« Marafa est innocent »

« Le motif qui a été retenu contre lui, la complicité intellectuelle, n’existe pas en droit pénal camerounais et même français. Cela vient du fait que l’un des accusés était considéré comme un ami de mon mari. Le juge, en rendant sa décision, a d’ailleurs bien spécifié qu’on n’avait rien trouvé prouvant la culpabilité de mon mari. Cependant, comme il connaissait Monsieur Fotso [l’ancien administrateur directeur général de la Camair condamné dans la même affaire NDLR] depuis 1993, il a aussi été déclaré coupable », a-t-elle clamé récemment sur la radio Africa N°1 lors du « Grand débat », une émission consacrée au décryptage de l’actualité française et internationale, animée par le journaliste Francis Laloupo.

Elle explique que son époux n’a joué aucun rôle déterminant dans l’affaire dite de «l’Albatros», du nom de l’avion de Paul Biya, dont l’achat controversé a conduit nombre de dignitaires camerounais en prison : ce n’est pas lui qui a pris l’initiative de commander cet avion. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de débloquer les quelques trente millions de dollars affectés au paiement de cet aéronef et qui auraient été détournés, mais l’ancien ministre camerounais des Finances, Michel Meva’a Meboutou, lequel n’a jamais été inquiété. Ce n’est pas lui qui a pris la décision de commander un autre avion que celui initialement prévu. Il n’a participé ni de près ni de loin à l’accord par lequel l’Etat du Cameroun et Boeing, le vendeur de l’avion, se sont entendus pour solder cette affaire. L’avocat de l’État du Cameroun dans ce dossier, l’ancien bâtonnier Akéré Muna, a d’ailleurs déclaré lors d’une conférence de presse à Yaoundé que l’avion avait bien été livré et que les autorités camerounaises ont perçu des indemnités compensatrices du retard observé dans la transaction. « Mon mari n’a jamais été concerné par tout cela », conclut Jeannette Marafa.

A l’en croire, c’est parce que son époux n’avait rien à se reprocher qu’il a refusé de s’enfuir, alors même qu’on l’avait prévenu qu’il serait arrêté.

Jeannette Marafa s’en souvient comme si c’était hier. Début avril 2012. Son conjoint n’est plus ministre depuis un remaniement gouvernemental intervenu cinq mois plus tôt. Il manifeste son souhait d’aller en vacances en France. Au secrétariat général de la Présidence camerounaise, on lui fait savoir verbalement que le président Paul Biya a donné son accord. Mais il exige d’en être notifié par écrit. Une prudence qui l’aurait sauvé d’une situation beaucoup plus fâcheuse qu’une simple arrestation.

Alors qu’il attend toujours son autorisation de sortir du territoire, Une de ses connaissances lui téléphone de l’étranger pour le prévenir : son arrestation est imminente. Ses recoupements sur place lui permettent de confirmer cette information. Sur ces entrefaites, il reçoit, le 14 avril, deux convocations émanant de deux unités d’investigations différentes : il est invité à se rendre le 16 avril 2012, à la même heure, auprès du juge d’instruction et à la police judiciaire de Yaoundé. Il a encore deux jours devant lui. C’est largement suffisant pour s’enfuir ou demander l’asile politique dans l’une des représentations diplomatiques occidentales de la capitale camerounaise.

Mais, stoïque, il choisit de faire face. « Mon mari est un homme d’État qui se sait innocent. Il a servi Monsieur Biya et l’État du Cameroun avec toute son honnêteté, toute sa vigueur. Il a donné de son temps. Il a donné de son énergie. Il en a même oublié sa famille. Il a présenté plusieurs fois sa démission à Monsieur Biya, lequel ne l’a pas acceptée. Marafa n’est pas de ces personnes qui refusent d’affronter la réalité », assure Jeannette Marafa. Sans surprise, l’ancien ministre est placé en garde à vue au terme de son interrogatoire policier, puis placé sous mandat de dépôt. A la surprise générale, il est condamné à 25 ans de prison. La sentence est lue par un juge qui reconnaît lui-même l’absence de preuves contre lui.
Pour son épouse, c’est l’aboutissement d’une opération de diabolisation qui a duré bien longtemps. On sait en effet que deux ans plus tôt, le 9 février 2010, lors d’un entretien avec l’ancienne ambassadrice des États-Unis au Cameroun, Mme Janet E. Garvey, Marafa Hamidou Yaya a confié à la cheffe de la mission diplomatique américaine que le Président Paul Biya se servait de la campagne anticorruption baptisée « Épervier » pour tenir en respect ses collaborateurs comme ses opposants. « Je peux me retrouver en prison », lui dit-il. Des confidences transcrites dans un compte-rendu de l’ambassadrice au gouvernement américain qui ont été dévoilées par Wikileaks.

« La déconstruction de l’image de Marafa ne s’est pas faite en un an. Elle s’est étalée sur plusieurs années. Vous pouvez imaginer l’effet sur nos enfants, d’apprendre dans les journaux, sur les réseaux sociaux que leur père est un voleur. Des choses qu’ils ne connaissent pas », se plaint Jeannette Marafa, qui poursuit : « La réalité dans la famille que nous avons eu le bonheur de construire, c’était l’honnêteté. Lui, il est musulman, moi je suis chrétienne pratiquante. Nous ne sommes pas des voleurs. Il y en a plein autour de Paul Biya. Il connaît Marafa, il connaît son honnêteté, il connaît sa franchise ».

Tentatives d’intimidation à Paris

L’exil parisien de Jeannette Marafa, qui avait quitté le Cameroun la veille de l’arrestation de son époux, n’est pas du tout tranquille. « J’ai eu peur pour tout le monde, pour moi, pour mes enfants. J’ai été menacée plusieurs fois. On a dévissé les roues de ma voiture une première fois et j’ai failli avoir un accident. La deuxième fois, on a cassé complètement ma voiture. J’en ai appelé aux autorités françaises qui m’ont proposé une protection policière ». D’autre part, elle explique que les avocats de son époux travailleraient dans des conditions difficiles. Alors que ceux du Cameroun subissent des pressions, leurs confrères parisiens ont essuyé des refus de visa d’entrée au Cameroun.

Toutes choses qui n’entament pas la détermination de l’épouse de l’ancien ministre.

Jeannette Marafa se dit optimiste et confiante vis-à-vis de la Justice camerounaise « menée par des magistrats compétents », qui ont déjà eu à corriger des erreurs, comme dans le cas du colonel Edouard Etondé Ekoto, l’ancien délégué du Gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, acquitté par la Cour suprême de Yaoundé fin avril, après avoir été condamné en instance à vingt ans de prison pour détournement de fonds. En attendant la convocation de son mari devant cette haute juridiction, elle ne ménage pas ses efforts. Elle a ainsi obtenu l’entrée dans le dossier de son conjoint de Me Jean-Pierre Mignard, un ténor du barreau de Paris, avocat et confident du président François Hollande. Il y a trente ans, en remuant ciel et terre, Jeannette Marafa avait évité à son époux le peloton d’exécution des putschistes désignés du 6 avril 1984 au Cameroun. Plus tard, le calme revenu, les enquêtes avaient prouvé que le jeune ingénieur en pétrochimie d’alors n’avait rien à voir avec ceux qui avaient tenté de renverser Paul Biya.

Affaire Marafa Hamidou Yaya : les sorciers noirs sortent de l’ombre

[Par René DASSIE]

Image tirée par Agence Ecofin

Marafa Hamidou Yaya. Image tirée par Agence Ecofin

Après les révélations de l’ex-prisonnier Michel Thierry Atangana sur la popularité aux États-Unis de Marafa Hamidou Yaya, l’ancien ministre camerounais de l’Administration condamné à 25 ans de prison pour des détournements de fonds qu’il a toujours niés et considéré par la communauté internationale comme un prisonnier politique, on se doutait bien que les francs-tireurs du régime de Yaoundé sortiraient de l’ombre pour réagir. Et ils n’ont pas tardé : la romancière Calixthe Beyala et un lampiste exilé en Amérique se sont relayés dans les médias pour répandre, à force de calomnie et de diffamation, leur venin sur le célèbre pensionnaire du Secrétariat à la Défense de Yaoundé.

La récente sortie de Calixthe Beyala, romancière anciennement célèbrene surprend que ceux qui pensent à tort que son engagement désintéressé en faveur des droits de l’homme se poursuit encore. En réalité, l’auteure de La plantation, roman polémique dans lequel elle prend la défense des fermiers blancs victimes de la redistribution des terres orchestrée par le président Robert Mugabe, se serait inscrite depuis longtemps chez ces panafricanistes alimentaires qui écument les plateaux de télé chaque fois que la moindre critique est émise à l’endroit des Africains ou d’un dictateur du continent pour crier leur rage feinte, inhibant du même coup toute amorce d’autocritique chez les concernés. Le nouveau pouvoir ivoirien l’a accusée d’avoir marchandé son activisme bruyant en faveur du président déchu Laurent Gbagbo et une procédure judiciaire avec commission rogatoire a été initiée contre elle pour “recel de fonds volés ou détournés et blanchiment de capitaux”. On la sait à tu et à toi avec le Président Paul Biya. Chacun le sait: c’est socialement sécurisant d’avoir des amis riches et puissants.

Qu’elle vienne de la sorte déclarer sur la chaîne privée camerounaise Canal 2 que c’est M. Marafa qui organisait la fraude électorale au Cameroun participe aussi d’une stratégie de contre-attaque face à la popularité grandissante de l’ancien ministre qui, depuis sa prison, continue, par une correspondance régulière, à se préoccuper de l’avenir de son pays. Il s’agit manifestement d’une tromperie.

Pour rétablir les faits, il convient de rappeler le rôle joué par Marafa Hamidou Yaya dans le processus électoral camerounais. Après une longue carrière à la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et un passage à la Présidence de la République comme conseiller spécial, puis secrétaire général, celui-ci ne devient ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation que fin août 2002. C’est-à-dire dix (10) ans après la première élection multipartite camerounaise, celle de 1992.

On sait d’ailleurs dans quelles conditions il débarque dans le processus électoral: il doit rattraper in extremis le fiasco des élections couplées, municipales et législatives, de 2002. Le ministre Ferdinand Koungou Edima s’est montré complètement défaillant, et des départements entiers n’ont pas reçu de bulletins de vote, tandis que d’autres se sont retrouvés avec des cartons qui ne leur étaient pas destinés. L’élection a été reportée le matin du vote. Les observateurs de la vie politique camerounaise, depuis le retour au multipartisme, savent qu’on frôle alors une crise et que, le contexte électrique aidant, la paix sociale est menacée. Il faut en urgence un pompier. M. Marafa, encore Secrétaire général de la Présidence de la République, se voit déléguer le rattrapage du scrutin : il a dix (10) jours pour y parvenir. S’il réussit son coup, ses proches savent qu’il y laisse des plumes. Épuisé par le manque de sommeil, il manque de peu d’y passer.

Dans sa lettre ouverte adressée à Paul Biya moins d’un mois après son arrestation mi-avril 2012, il fait savoir au Président que bien qu’il ait toujours été loyal à son égard, il n’a jamais abdiqué son indépendance d’esprit et sa liberté de parole. De sorte qu’après la présidentielle de 2004, il lui avait rappelé que, le septennat en cours étant son dernier mandat, il fallait se mobiliser pour le succès des «grandes ambitions (…) afin que votre sortie de la scène politique se fasse avec fanfare, que vous jouissiez d’un repos bien mérité, à l’intérieur de notre pays». De là à dire qu’il fut à la manœuvre pour prolonger le séjour du Président Biya à la tête du pays, c’est prendre des vessies pour des lanternes.

Le lampiste de Boston. S’il ne traitait pas de sujets graves engageant la vie et l’honneur d’un homme, on ne se serait pas attardé outre mesure sur le texte écrit avec la tonalité, le vocabulaire et l’argumentaire d’une conversation de bistrot par un Camerounais qui se présente par ailleurs comme un professeur de lettres vivant aux États-Unis.

Allant plus loin que la romancière parisienne, celui-ci accuse M. Marafa d’avoir rempli les prisons camerounaises et d’être le favori intéressé des occidentaux dans la course successorale à la tête du Cameroun.

Il convient à ce sujet de rappeler qu’au Cameroun, contrairement à d’autres pays, la police et la gendarmerie ne font pas partie du ministère de l’Administration du territoire, mais relèvent d’entités ministérielles autonomes rendant compte directement au chef de l’État (respectivement la Délégation Générale à la Sûreté Nationale et le secrétariat d’État à la Défense, anciennement Délégation Générale à la Gendarmerie Nationale), et que M. Marafa n’a été ni Délégué général à la Sûreté Nationale (police) ni Secrétaire d’État à la Défense (gendarmerie), encore moins juge aux ordres de l’exécutif ou ministre de la Justice. Comment aurait-il donc pu exercer des attributions qui ne relevaient pas de son domaine de compétence? À l’opposé, l’honnêteté commande de constater qu’il n’a pas ménagé ses efforts pour moderniser la gestion du Cameroun. La décentralisation du territoire par exemple porte l’encre indélébile de sa signature.

Si l’on l’apprécie M. Marafa, c’est que sa personnalité et sa probité morale en imposent.
Et la comparaison avec des personnages comme Jean Marie Pougala, « géostratège » autoproclamé, confus et douteux, qui écrit comme il parle avec le même langage approximatif et traite Nelson Mandela de traître, tient de la plaisanterie de mauvais goût.

Tous ceux qui ont pu le voir, même en prison, comme Dominique Sopo, économiste et ancien président de Sos Racisme, ont tout de suite perçu la dimension d’homme d’État de M. Marafa. Les Camerounais sont un peuple mature et savent distinguer le bon grain de l’ivraie. Si aujourd’hui, toutes ethnies et confessions religieuses confondues, ils adhèrent à sa vision d’un pays sûr et prospère, c’est sans doute parce qu’ils comprennent, en considérant son parcours et en lisant les tribunes qu’il leur offre depuis sa cellule comme des lampes pour les éclairer sur leur avenir, qu’il se place largement au-dessus du lot et sait faire abnégation de sa propre personne pour s’occuper des problèmes bien plus importants de ses deux dizaines de millions de concitoyens. C’est effectivement comme si la séquestration dans une zone de non-droit avait libéré une parole indispensable, trop longtemps contenue. L’histoire de la vie des nations montre que les réformateurs les plus efficaces sortent souvent du sérail. L’actuel président du Sénégal par exemple, Macky Sall, a été tour à tour ministre et Premier ministre d’Abdoulaye Wade avant de passer à l’opposition et de ravir la présidence de la République à son ancien mentor, à l’issue d’un scrutin électoral exemplaire.

Présenter M. Marafa comme le « bon valet » qui irait brader son pays aux occidentaux en échange de leur soutien traduit une méconnaissance totale de la géopolitique actuelle. Confrontés à une crise économique qui perdure et régulièrement critiqués pour leur passé colonialiste, les Etats occidentaux n’ont aucun intérêt à voir émerger en Afrique des tyrans incompétents qui sèmeraient le chaos, détruiraient des vies humaines et leur enverraient des vagues de réfugiés et exilés économiques qu’ils ne savent plus gérer. Cela coûte cher à l’État français par exemple, d’avoir à intervenir au Mali pour sauver les institutions menacées par une rébellion djihadiste ou d’aller en Centrafrique stopper une guerre d’épuration ethnico-religieuse déclenchée dans la confusion d’un coup d’État militaire. C’est-à-dire que des pays africains politiquement stables et économiquement viables arrangeraient les affaires des pays développés. Eu égard à leur longue expérience de la démocratie, les dirigeants de ces pays savent qu’en politique, l’homme providentiel n’existe pas. Seuls comptent le projet et la capacité à le défendre. M. Marafa n’a sur ce plan jamais demandé à personne de l’installer au pouvoir. Son souhait a toujours été qu’on aide son pays à s’installer dans la modernité et le développement.

Qu’on continue à l’attaquer aujourd’hui, après lui avoir collé une affaire – dans laquelle le procureur de la République a lui-même reconnu qu’il n’avait aucune responsabilité – n’est que la suite logique d’une opération de diabolisation qui a commencé bien longtemps avant son arrestation. Au Sénégal, Macky Sall fut accusé de blanchiment d’argent avant de bénéficier d’un non-lieu. Cela ne l’empêcha pas d’être ensuite élu président par un peuple qui avait su garder sa lucidité.