Articles

Algérie : quand la presse oublie la langue de Molière

[Par Mourad HAMMAMI]

Comme disait un écrivain, «  on a voulu arabiser même les oliviers ». L’arabisation était en marche et le lit arabo islamiste bien préparé. C’est le mal principal de l’Algérie dont le système en place se nourrit. Il en est de même avec la presse. On est ainsi passé d’une presse majoritairement francophone à une presse arabophone à tendance propagandiste.

Par Mourad HAMMAMI Parmi les réformes désastreuses pour l’Algérie, on compte celle de l’école. En effet, on est passé d’une école plus ou moins neutre, respectable et républicaine à un système fondamentale, qui semble être une école idéologique dédiée à la propagande panarabisme. Les Algériens lisent des journaux nationaux (Source : www.npr.org)

Les Algériens lisent des journaux nationaux (Source : www.npr.org)

Évidemment il y a lieu de citer certains organes de presse arabophones qui sont connus pour leur professionnalisme et leurs défenses des valeurs de la démocratie et de l’éthique. Mais ces organes se retrouvent esseulés et préoccupés par leur survie, sanctionnés et aussi menacés.

Les autres journaux arabophones (à l’exemple d’Echerouk et d’Ennahar) ont constamment eu le vent en poupe. Ce soutien est du tout d’abord à la loi arbitraire de répartition de la manne publicitaire de l’ANEP (Agence Nationale d’Edition et de la Publicité); mais aussi de l’indulgence dont ces organes ont bénéficié malgré leurs dérapages.

Ces journaux puisent également leur force dans l’Algérie arabisée à coup de force, quitte à tout faire pour effacer le français. Cette langue, ouverte sur le monde et considérée comme butin de guerre, a été quasi effacée en Algérie d’une façon programmée. Hormis la Kabylie, où le français perdure, en Algérie la langue de Molière se fait rare. Ces derniers temps en Kabylie, les journaux arabophones ont surpassé les journaux francophones en terme de vente. L’arabisation gagne du terrain et aujourd’hui, rares sont les jeunes de moins de trente ans capables de lire et de comprendre un journal en français.

En plus de la langue, ces journaux usent d’une stratégie redoutable : peu de place pour l’objectivité, la rationalité. La majeure partie des lecteurs consomme l’information, se laisse aspirer et siphonner en jouant sur sa sensibilité identitaire, religieuse et de son manque d’expérience dans le monde de la presse.

L’un des bastion de lutte de l’opposition au système est la région de Kabylie, et ainsi ces journaux cultivent sans cesse un sentiment de haine et d’anti-kabyle: les leaders et les organisations de cette région sont attaquées à la moindre occasion et les populations attirées vers une ligne politique désastreuse.

Une marche contre la répression à Alger, 3 mai 2001 (Source : www.themilitant.com)

Une marche contre la répression à Alger, 3 mai 2001 (Source : www.themilitant.com)

Depuis 2012, ces organes de presse ont créé des chaines de télévision offshore : elles sont accréditées en Algérie, mais leur siège social se trouve dans d’autres pays. Auparavant, seulement BRTV et BEUR TV fonctionnaient de cette méthode. Mais Echerouk, en 2012, a ouvert la brèche pour cette technique de télévision offshore et depuis, c’est la ruée vers l’or. On compte une dizaine de chaines télévisées privées en Algérie et aucune d’entre elles n’est officiellement algérienne.

Ennahar et Echerouk ne se contenteraient plus de la propagande écrite et avec ce moyen lourd ils s’adonnent à la propagande audiovisuelle.

Connu pour être subventionné, le journal Ennahar est connu pour être un journal de la police. Les lecteurs sont séduits  par la multitude d’informations et de faits divers qu’il fournit. Le secret réside dans l’alimentation de ces journaux par les services de renseignements algériens, connus sous le nom des RG. En lisant ces faits divers on comprendra vite que c’est la traduction directe des PV et des rapports des différents commissariats d’Algérie. Mais dans ces journaux on retrouve rarement des reportages ou des articles d’analyse, de réflexion. Dans ces faits divers ou de l’info de proximité de ces journaux, je retrouve parfois des infos de ma région d’où j’étais correspondant. Parfois je suis surpris de lire une info rapportée par l’un de ces journaux. Le plus souvent se sont des informations tenues secrètes par la police et que l’on ne découvre qu’en consultant les rapports des services de sécurité. Parfois aussi je trouve un article sur un fait que je connais et dont j’ai consacré aussi un article. Souvent les faits sont défigurés pour des raisons politiques. Par exemple, je me demande comment un journaliste indépendant pourrait être au courant que la villa de l’ex-président de la république Ahmed ben Bella a été cambriolée et que deux pistolet ont été dérobés ? Il est clair que ces organes de presse bénéficient des moyens de l’Etat. Ils sont appuyés par un important clan de politiques, de militaires et de services secrets. Un clan qui manœuvre pour une Algérie orientalisée et prônant l’idéologie panarabisme.
Ces entreprises n’ont pas uniquement porté atteinte à l’image de la presse mais au-delà.
Ce complot commence à porter ses fruits et atteindre ses objectifs.

L’Algérie qui était l’un des pays les plus ouverts, les plus occidentalisés, se retrouve de nos jours relégué en arrière. L’islamisme prend de l’ampleur, les valeurs du progrès sont de plus en plus diabolisées. L’Algérie régresse et tout mouvement important à venir pourra faire plonger le pays dans le chaos et l’instabilité.

Algérie : El Watan, symbole de contre-pouvoirs

[Par Elyse NGABIRE]

Malgré toute la pression, censure, etc. exercée contre la presse algérienne dans des contextes politiques contraignants, « Contre-pouvoirs » de Malek Bensmaïl montre le combat quotidien des journalistes pour défendre leur liberté et celle du peuple.

3

Michel David et Larbi Graïne

Mardi, 2 février à l’Espace Saint-Michel, à Paris. Le film « Contre-pouvoirs » de Malek Bensmaïl est projeté devant un public varié de journalistes, écrivains, réalisateurs, etc. « Contre-pouvoirs » nous transporte dans une rédaction bien particulière : celle du grand journal algérien El Watan. L’ambiance conviviale qui règne lors des différentes conférences de rédaction de ce journal : une remarque par-là du directeur de publication sur un article, défense de son sujet par ici du journaliste-auteur. Et après, ce sont des discutions qui s’en suivent entre collègues qui n’ont certainement pas les mêmes sensibilités ou convictions politiques.
2Dans un climat ouvert, tolérant et démocratique, aucun sujet n’est tabou : de la politique à l’économie, de la justice à la société, etc. tout est commenté, analysé à bâton rompu et sans faux-fuyant avec un esprit collégial. Parfois, le respect du deadline est problématique et le secrétaire de rédaction doit jouer son rôle de rappeler à chaque fois que de besoin. Le bruit de l’imprimerie juste dans les enceintes d’El Watan est devenu la routine et n’empêche pas aux journalistes, rédacteurs, directeurs, etc. de se concentrer sur leur travail.
Le film a été tourné au moment précis de l’histoire politique algérienne : la réélection de Bouteflika pour son quatrième mandat. Et le titre de La Une d’un numéro d’El Watan sorti à cette époque ne s’empêche pas de titrer : « Bouteflika élu dans un fauteuil ».
5Le droit, dit-on, s’arrache, il ne se donne pas. El Watan a donc très bien compris qu’il doit se battre pour sa liberté et son indépendance. Les armes de cette « guerre », explique Larbi Graïne, journaliste algérien de la MDJ, ne sont autres que les enquêtes fouillées que le grand journal algérien mène, des reportages sur le factuel, etc. ; bref, l’exercice du métier de journalisme avec un professionnalisme inattaquable.
En outre, poursuit Michel David de Zeugma Films, distributeur de ce film, l’autonomie financière permet aux journalistes d’El Watan, d’être encore plus indépendants vis-à-vis des pouvoirs publics.
Signalons qu’El Watan fait un tirage de 130 mille exemplaires. Il a son propre imprimerie et prochainement, il va déménager dans son bâtiment qu’il vient de construire avec ses propres moyens financiers.
Et le film « Contre-pouvoirs » a été dédié aux 120 journalistes algériens assassinés durant la décennie noire des régimes militaires dictatoriaux.