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Gambie : chassez le dictateur, il revient au galop

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Il n’y a pas à s’y méprendre. L’acceptation, par le président gambien sortant Yahya Jammet, de la victoire de l’opposant Adam Barrow, le 1er décembre, était une vaste mascarade. Car, plus d’une semaine après cette déclaration publique, vendredi 9 décembre, l’ex-dictateur s’est rétracté. Remettant en question, sans preuves, le résultat d’un scrutin unanimement approuvé par la communauté internationale. De ce fait, il exigeait la tenue d’un nouveau vote.

Le président sortant Yahya Jammet Crédits photo : Jérome DELAY / AP

Le président sortant Yahya Jammet
Crédits photo : Jérome DELAY / AP

La nouvelle est tombée comme un couperet parmi tous les démocrates, surtout africains. Car, à travers ce geste, ces derniers commençaient à percevoir à travers les nuages, l’aube d’une nouvelle mentalité politique, en Afrique. Et, partant, l’amorce d’un continent outragé par les méfaits de la dictature vers des horizons qui célèbrent la bonne gouvernance.

Certes, si cet espoir était légitime, il était néanmoins empreint de naïveté, puisqu’il n’avait pas pris en compte la vraie nature d’un dictateur. En fait, qui est Yahya Jammet, sinon un dictateur de la pire essence : illuminé, fantasque, kafkaïen… et, par conséquent, impénitent ? Emportés par l’enthousiasme, les démocrates avaient-ils oublié qu’un dictateur, depuis César, se prend toujours pour un « roi de droit divin » ?

Allez donc dire à Yahya Jammet que le pouvoir lui est ôté… et attendez sa réaction ! A défaut d’une réponse brutale, allant jusqu’au bain de sang, il a usé de la sournoiserie à laquelle nous venons d’assister, consistant à faire endormir, un temps, pour mieux prendre l’autre camp à revers. Et, sur le plan psychologique, il a largement gagné. Car, son revirement fut tel que tout le monde a été pris de court, y compris le peuple gambien lui-même, qui avait déjà la tête aux étoiles.

Cette manœuvre propre à l’art de guerre est efficace dans d’autres domaines. Son but est de « gagner » par effet de surprise. Yahya Jammet a oublié, à son tour, que les temps ont changé, et qu’un tel scénario n’avait pas la moindre chance de réussir. De fait, à un tournemain, sa déclaration avait fait une levée de boucliers, à tous les niveaux. L’ONU, l’UA (Union africaine), les Etats-Unis… ont appelé l’ex-dictateur à respecter la volonté du peuple gambien.

Adama Barrow, le président élu, pendant la campagne présidentielle le 29 novembre 2016. Crédits photo : Jérome DELAY/AP/SIPA

Adama Barrow, le président élu, pendant la campagne présidentielle le 29 novembre 2016.
Crédits photo : Jérome DELAY/AP/SIPA

Dans ce chapitre, parmi les quelques réactions enregistrées, en Afrique, la voix du Sénégal a été la plus audible. La Gambie étant au Sénégal comme le Lesotho est à l’Afrique de Sud, c’est-à-dire une « enclave », le pays de Senghor craint, avec raison, que les retombées de cette situation ne l’affectent, au plus haut point. Il a donc prévenu : « Nous envisagerons toutes les options, y compris celle ayant trait à l’usage de la force pour rétablir l’ordre en Gambie ».

Cette menace aura-t-elle suffisamment de poids pour convaincre Yahya Jammet de quitter le pouvoir ? Difficile d’imaginer, pour le moment, une réponse qui vaille. Si un grand nombre d’analystes se perdent en conjectures, un scénario est de plus en plus envisagé, à savoir la possibilité de « négocier un exil honorable » avec l’ex- dictateur. Exil qu’il aurait déjà préparé avec soin, quelque part dans les Emirats arabes unis, dit-on.

La question est dans tous les esprits. Mais beaucoup d’observateurs étaient ceux qui pensaient que l’ex-président fanfaron, un volcan, ne s’éteindra pas sans provoquer un dernier séisme. La dictature n’est-elle pas une seconde nature ? Alors, « chassez le naturel… ».

 

Le geste de Hollande et les tyrans africains

[Par Jean-Jules LEMA LANDU] 

François Hollande a décroché pour un second mandat, en 2017. Il ne se représentera pas à sa propre succession. L’annonce a fait grand bruit, en France, jeudi 1er décembre. Tout comme elle n’a pas manqué de créer la surprise, ailleurs dans le monde. Quel sera l’impact de ce geste sur les tyrans africains, partisans de la « monarchie présidentielle » ?

François Hollande au Sommet de la Francophonie à Madagascar le 26 novembre 2016. Crédits photo : Elysee.fr

François Hollande au Sommet de la Francophonie à Madagascar le 26 novembre 2016.
Crédits photo : Elysee.fr

Dans les pays démocratiques, on en a vite conclu à une « démarche politique courageuse », qui ennoblit davantage la notion de démocratie. Car, l’impopularité que connaît le quinquennat finissant du président Hollande, pour l’honneur, n’avait pas un autre levier que de pousser celui-ci vers la sortie.

Pourtant, le renoncement au fauteuil présidentiel, quelles qu’en soient les raisons, est un cas rarissime. Car, en l’espèce, c’est renoncer aux nombreux privilèges exceptionnels que confère cette fonction qualifiée de « magistrature suprême ». Parmi ceux-ci, citons la puissance et l’honneur, notamment, pour lesquels l’Histoire a vu couler des rivières de sang !

En France même, les commentaires continuent d’aller bon train. Ils sont de deux ordres : d’un côté, il y a ceux qui pensent que le geste du président de la République est empreint de « lucidité », témoignages émanant des leaders de gauche ; de l’autre, ceux qui ravalent ce geste, jusqu’à le qualifier « d’aveu terrible d’échec ». Ces derniers propos sont le fait de l’opposition.

Depuis, quelles ont été les réactions émises par l’Afrique politique ? Elles y sont, naturellement, absentes, sinon évasives. Et pour cause. Le continent demeure réfractaire à la démocratie. A l’exception de quelques Etats, à compter sur les doigts de la main, le reste somnole encore dans les brouillards de l’absolutisme.

La force des vertus démocratiques

L’exemple récent, sur les élections qui viennent de se dérouler, en cette année 2016, nous en fournit la mesure. Là où les élections ont donné l’apparence d’avoir bonne figure, l’atmosphère post-électorale s’enlise dans de vaines querelles politiciennes, comme au Burkina Faso, ou s’illustre par la question de vengeance personnelle, comme au Bénin. Autrement, comme ce fut le cas au Gabon, au Congo/Brazza et au Tchad, où la transparence a fait défaut, on s’attend plutôt au pire : révoltes, rébellions, guerres civiles…

Globalement, le résultat est tellement maigre, au point d’exclure l’octroi d’une simple « cote d’amour », c’est-à-dire cette appréciation basée uniquement sur l’affectif.

Le renoncement du président français peut-t-il avoir le don d’appeler les tyrans à la modestie autant qu’à la réflexion sur les méfaits de la dictature ? Rien n’est moins sûr quand l’exemple de Mandela, un Africain, ne leur a pas inspiré le modèle à suivre. En Afrique du Sud même, pays de cette icône politique, la démocratie est à la peine. Certains analystes parlent du « chaos » de ce pays, relégué déjà au grenier sur le plan économique, laissant sa place de premier rang au Nigéria.

Jacob Zuma, président de l'Afrique du Sud Crédits photo : Reuters

Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud
Crédits photo : Reuters

C’est donc peine perdue ? Que non. Si Goebbels, l’Allemand, disait, pour asservir les peuples : « Un mensonge souvent répété devient vérité pour les peuples », pourquoi pas ne pas penser, en parallèle, que « la répétition des vertus démocratiques finira par vaincre les dictateurs ? ». En dépit de la lenteur qui caractérise l’éveil des peuples africains ?

En témoigne le résultat de la présidentielle, en Gambie, vendredi 2 décembre. A la surprise générale, c’est l’opposant Adema Barrow, 51 ans, qui en est sorti vainqueur. Il a engrangé 45,6 % des suffrages contre 36,7 % attribués au dictateur Yahya Jammet. Un des pires autocrates de l’Histoire contemporaine – illuminé, mégalomane et cruel -, qui a dirigé le pays de main de fer pendant 22 ans.

Qui y croirait ? Fini, le slogan « Jamais sans Jammet » !