Festival de cinéma de Douarnenez : Focus sur les peuples

Par nos envoyés spéciaux à Douarnenez : Larbi GRAÏNE (redacteur) et Muzaffar SALMAN (photographe)

Ce compte rendu est la réunion de plusieurs articles parus dans Kezako, le journal du festival de cinéma de Douarnenez (auquel nous contribuons). Le festival se poursuit jusqu’au 30 août, avec à l’affiche des centaines de films, des expositions, des concerts et des conférences.
Une équipe de journalistes bénévoles, venue d’un peu partout, s’attelle quotidiennement à alimenter les colonnes de Kezako. Lequel Kezako est la transposition phonétique de « qu’est-ce qui », dit en occitan « qu’es aquo ». Pour faire breton, on a donc choisi d’utiliser les K et les Z à la place des QU et des S.

 

Hiandjing Pagou Banehote, sculpteur kanak

Hiandjing Pagou Banehote [Photo crédit : Muzaffar Salman]

Hiandjing Pagou Banehote [Photo crédit : Muzaffar Salman]

 Il a la sculpture « dans le sang » et il croit au pouvoir des sorciers. Il s’est réveillé un jour alors qu’il avait 35 ans et a commencé à sculpter du bois sans avoir été jamais à l’école. Son père lui avait dit que « si tu es un héritier de cet art, tu n’as pas besoin d’apprendre », C’est que la sculpture dans la société canak relevait jusqu’à une époque récente plus du symbolique et du communicatif que de la marchandisation qu’on lui connaît aujourd’hui. Hiandjing Pagou Banehote, 50 ans a débarqué à Douarnenez avec dans ses bagages une sculpture sur bois « pour sceller les liens d’amitié entre les êtres humains de l’hémisphère sud et de l’hémisphère nord ». Demain, du reste, à 14 h 30, la salle de l’Auditorium où est attendue une délégation de kanak, verra la projection de La Tête d’Ataï, un film réalisé en Nouvelle Calédonie par Mehdi Lallaoui. Hiandjing parle de sa société avec passion. On y lit de la fougue dans ses yeux étincelants. S’il s’affirme « indépendantiste », il prévient néanmoins qu’on ne peut y parvenir sans « être soi-même indépendant ». Pour lui il y a trop d’injustices en Nouvelle-Calédonie. Il s’en prend aux Caldoches (Calédoniens blancs) descendants de bagnards, composant aujourd’hui la classe dominante. « Si il ne se passe rien, s’il n’y a pas de guerre chez nous, c’est grâce au code coutumier qui est bien ancré dans la société et au fait que le respect des anciens est encore opérant » fait-il valoir. Le clan représente pour Hiandjing Pagou Banehote un repère identitaire fort. A ses dires, il a vécu dans une société aussi bien matriarcale que patriarcale. Sa grand-mère avait de la poigne et commandait à la tribu. Un proverbe kanak énonce « sans la femme, il n’y a pas d’homme ». Dans la coutume, il revient à l’homme de prendre la parole mais c’est la femme qui analyse ensuite et c’est elle qui, à la maison, propose les solutions aux problèmes. Tout dans les propos de notre Kanak, se réfère à la cosmogonie locale. Il est impossible qu’un autre ressortissant puisse avoir le même prénom que le sien. Car le système de pré-nomination est établi sur la base d’un lexique animalier couplé à une « signalisation » territoriale qui permet de renouveler les prénoms sans risque de les voir se répéter. Hiandjing Pagou Banehote signifie « la maison du petit poisson de l’ancien guerrier ». Tout un programme.

 

De l’intersexe avec Ins A Kromminga

Un intersexe [Photo crédit : Muzaffar Salman]

Un intersexe [Photo crédit : Muzaffar Salman]

 L’intersexe s’invite à la galerie Miettes de baleine sous forme d’une exposition de dessins qui « peuvent s’assembler comme dans une bande dessinée, imbriqués les uns dans les autres » selon Ins A Kromminga, l’auteur de cette manifestation, un Allemand de 44 ans, intersexe et graphiste de son état,qui de sa haute stature regarde ses œuvres après les avoir disposé de façon à ce qu’elles soient vues en même temps dans leur ensemble et dans le détail selon qu’on s’approche ou on s’éloigne du mur sur lequel elles sont collées. De ces dessins sourd une colère, une révolte, plutôt contre la médecine. Les titres sont révélateurs : « Girl-monster or boy monster », « Medical Porno » , « Prader » qui épingle la corporation des docteurs et des toubibs, dont on souligne pour la première fois les accointances avec la société dans laquelle elle évolue. Pour Ins Kromminga « la médecine ne devrait pas trouver des solutions pour les personnes intersexe », soutenant que c’est là le rôle de la société. Les dessins de Kromminga donnent à voir du reste les organes génitaux qui interrogent les opérations chirurgicales comme pour en souligner le ridicule. Tantôt la médecine intervient pour raffermir un sexe mâle, tantôt pour étouffer dans l’œuf un soupçon de féminité « tout dépend de la largeur du pénis » ironise Kromminga. « Il ne faut pas nous confondre avec les androgynes. L’androgynie relève de l’apparence et non de l’être » analyse-t-il. L’intersexe est un état dont on hérite dès la naissance. Je milite pour qu’on sois reconnus pour ce que nous sommes. Et Kromminga de déplorer « c’est en fait notre existence en tant qu’être humain qui est remise en cause ». Que pense-t-il du mariage gay ? Un haussement d’épaules s’ensuit, de l’air de dire « ça ne concerne que les gays ». D’après lui « avec les personnes intersexes « la question de marier qui avec qui ? » se pose. En Allemagne, on commence à aborder le dossier de l’intersexe mais ça bute sur la question de l’identité des uns ou des autres ». « c’est plus facile qu’on est gay, car le couple gay est censé être du même sexe » souligne-t-il. Pour lui, le problème des intersexes concerne l’ensemble du monde occidental et non seulement l’Allemagne. « Je suis un homme, je vis avec un autre homme qui a un vagin, grâce à mes papiers masculins j’ai fait un mariage gay mais officiellement et juridiquement, on n’existe pas en que tels . Notre sexe est indéfinissable nous ne sommes ni hommes ni femmes, nous sommes ce que nous sommes » explique un ami français de Kromminga.

 

Les Messagers de Hélène Crouzillat et Laetitia Tura

Si pour Paul Valéry, « toutes les guerres sont absurdes », celle que raconte les Messagers, film documentaire de Hélène Crouzillat et Laetitia Tura est tout simplement l’histoire d’une guerre innommable. C’est l’un des immigrants camerounais rescapé de la mort qui fait cette comparaison avec la guerre. Une sombre épopée aiguillonnée par un désir d’Europe qui fait traverser aux Subsahariens, déserts, monts et vaux. Beaucoup n’y arriveront jamais, ils sont avalés par la mer et peuvent avoir une sépulture si leur corps vient à être repêché. Le Maroc et l’Espagne se partagent les rôles. Le second refoule les candidats à l’émigration clandestine d’une manière « conforme aux normes internationales » du moins c’est ce que s’efforce de soutenir le représentant de la garde civile espagnole, tandis que le premier, peut tuer ceux ou celles qui n’ont pu se faufiler entre les mailles des barbelés. « Si on me refoule, je remonte jusqu’à ce que je rentre, qu’importe le temps que ça va prendre » lance avec défi un de ces migrants coincé au Maroc.

Les Messagers, film documentaire de Hélène Crouzillat et Laetitia Tura, produit par Marie-Odile Gazin, The Kingdom en association avec Périphérie, France, 2014, 70 mn.