Ce jeudi 5 juin, le président congolais Félix Tshisekedi a rencontré son opposant principal, Martin Fayulu, grand perdant des élections de 2018. Cette entrevue inattendue au Palais de la Nation, marque-t-elle le retour de Martin Fayulu sur le devant de l’échiquier politique ?
[Par Jean-Jules LEMA LANDU, publié le 18/06/2025]

En politique, peut-on faire marche arrière sans être accusé de se renier ? Sans être taxé d’opportuniste et autres qualificatifs vexatoires ? La question est posée, à propos du volte-face supposé de Martin Fayulu, un des farouches opposants de Félix Tshisekedi, président de la République. Jeudi, 5 juin, Palais du peuple. Martin Fayulu rencontre son adversaire politique, Tshisekedi. C’est la première rencontre officielle enregistrée entre les deux personnalités, depuis quasiment sept ans. La circonstance crée une polémique enflammée sur les réseaux sociaux. Les grands médias en parlent aussi non sans commentaire à la mesure de l’événement.
D’abord, pourquoi ce face-à-face, hâtivement aménagé ? La réponse est toute faite. Il s’agit de la situation difficile que traverse le pays dans sa partie est, autant sur le plan sécuritaire que socio-économique. En ce sens, l’initiative prise par les deux leaders en vue d’en parler ne pouvait être que fort louable. En dépit de toutes les interrogations que cela a suscitées. Eu égard, singulièrement, à la rapidité avec laquelle l’accord était conclu.
En effet, entre la demande formulée par Fayulu, la réponse positive y afférente réservée par la présidence de la République et la matérialité de la démarche, le tout enfermé dans un mouchoir de poche ! En quelques jours. Cela ne pouvait que faire tousser !
Avec le recul d’une petite semaine, ce qui en ressort d’essentiel, c’est que l’initiative de l’opposant n’apporte aucun élément nouveau sur la problématique. De fait, rencontrer le chef de l’Etat, à propos de la situation qui prévaut dans l’est du pays, c’est « parler dialogue ». Or, les dialogues, il y en a déjà eu à foison… jusqu’au Bureau ovale de la Maison Blanche.
Ce qu’il y a de nouveau, par ailleurs dans le sens négatif, c’est l’approche de Martin Fayulu de vouloir créer un « camp de la patrie ». En association avec le président de la République. Or, quand on raisonne en termes des « camps », on cultive forcément le principe d’ambivalence. En l’espèce : le « bien », d’un côté, et le « mal », de l’autre. Mais, pour en atténuer les rigueurs, les partisans de l’opposant utilisent plutôt un euphémisme, en parlant de « choix du moindre mal ». Donc, pour eux, Tshisekedi, par rapport à Kabila et à Nangaa, est le moindre mal.
A ce sujet, Hannah Arendt, politologue américaine de renom, décèle dans cette considération deux défauts de la cuirasse. Premièrement, « le choix du moindre mal a toujours eu le don de mécontenter tout le monde sans satisfaire personne » , affirme-t-elle. En deuxième lieu, l’intellectuelle ajoute que « ceux qui choisissent le moindre mal oublient très vite qu’ils ont choisi le mal. » (Expressions philosophiques, Edition du Chêne).
En dépit du caractère philosophique de cette réflexion, la compréhension en est aisée : quand on choisit le moindre mal, on ajoute au mal le mal. Pour l’illustrer, c’est ici l’occasion d’évoquer la ligne de fracture entre l’est, swahiliphone, et l’ouest, lingalaphone. Entraînant, pour les deux camps, une lutte latente pour le pouvoir. L’idée de mettre en œuvre un « camp de la partie » ne renforcerait-elle pas le trait de cette démarcation ?
Dans ce cas précis, la rébellion, à Goma, totalement swahiliphone de par ses dirigeants, ne se sentirait-elle pas dans l’obligation de continuer la guerre, jusqu’à la prise de Kinshasa ? Car, en toute vérité, tel est l’objectif premier poursuivi par toutes les rébellions nées à l’est.
Cette réalité demeure vivace depuis la date de l’indépendance, en 1960. Le président Mobutu ne le comprit pas moins, puisqu’il édicta des mesures politiques drastiques pour le nécessaire maintien de la cohésion nationale. A tout seigneur, tout honneur, il réussit ce pari.
La promesse des fleurs
Quant au procès d’intention porté contre le leader de l’opposition, personne n’a la portée de parole d’évangile. Des points de vue contraires peuvent être développés. L’argument de Hannah Arendt peut être contredit, par le poids d’une autre réflexion philosophique, basée sur le principe de la « relativité ». Celui-ci confirme que « toute connaissance humaine est relative ». Donc, la notion de « choix du moindre mal » n’est pas infaillible.
Il y a aussi l’interrogation sur la position de celui qui affectionne le surnom de « président élu », du fait d’avoir rencontré son adversaire politique, le chef de l’Etat Tshisekedi. Un adage populaire avance que « l’homme, parfois, est appelé à changer ses décisions ; sinon, il fait l’imbécile ». Autant dire que même dans l’hypothèse où Martin Fayulu avait changé de camp, il aurait été disculpé, si le nouveau chemin choisi menait à l’honneur. Au Bien.
Du coup, l’opposant se trouve délesté de toute suspicion de volte-face politique, tout comme l’argument de la politologue américaine ne semble pas tenir la route. Bien que le concept de « moindre mal » ait été avancé par l’entourage de l’intéressé.
En attendant la réponse du président Tshisekedi, laquelle doit apporter un éclairage sur la création d’un « camp de la patrie », autant que sur la nécessité d’envisager ou non le dialogue entre Congolais, dans le sens de la démarche entreprise par les Eglises Catholique et Protestante, toute conclusion dans cette affaire serait hâtive.
Dilemme, donc, ou diversion ? Difficile à dire, avant de savoir si les fruits porteront la promesse des fleurs, c’est-à-dire si la rencontre entre les deux leaders était sincère. Si celle-ci n’aura pas été une farce supplémentaire à laquelle le peuple congolais est habitué.
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