Entrées par Rédaction

Mamadou Bhoye Bah en Guinée: une lutte contre la corruption (PORTRAIT 1/2)

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000.

  •   Par. Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes et Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes.

Enfant calme et studieux, Mamadou Bhoye Bah débute dans le journalisme dès le lycée, au début des années 2000. L’un de ses professeurs travaille dans une radio de la capitale guinéenne. Fasciné, Mamadou tente très vite de lui démontrer son intérêt pour le domaine, ce qui lui vaut un droit d’accès en tant qu’observateur plusieurs fois par mois dans les locaux de la radio. Mamadou en est persuadé, il a trouvé sa voie. Les perspectives sont claires, après le lycée, il s’inscrira dans une école de journalisme.

Toujours très lié à son professeur, qu’il avoue même considérer comme un « demi-dieu », il suit ses conseils et poursuit une licence en droit des affaires. « J’avais déjà le verbe, et il le savait. Mais une formation en droit serait un réel atout par rapport à d’autres journalistes ». Il obtient donc sa licence en 2012, et développe le projet d’enseigner. Le jeune guinéen en est persuadé, journalisme et enseignements sont liés. Il évolue dans le processus de formation et dans les concours afin d’obtenir son matricule d’enseignant.

Mamadou à la radio rurale de Pita

Mais alors qu’il obtient le concours avec brio, son nom ne figure pas sur la liste des étudiants intégrant la fonction publique. C’est là que débute le combat de Mamadou contre la corruption en Guinée : « Certaines personnes ont le bras long et quand tu as un bras dans l’administration on peut facilement te pistonner ».

 Un combat contre l’injustice 

Seule la moitié des étudiants ayant réussi le concours a été engagée, et Mamadou n’en fait pas partie. Il ne compte pas se laisser faire et comprend très vite que ces places, sa place, ont été données à des individus haut placés, n’ayant jamais validé toutes les étapes nécessaires pour obtenir le matricule, en échange d’une somme d’argent versée au ministère. « Certains d’entre eux n’avaient même jamais mis un pied dans une école ». Un long travail d’investigation débute alors pour Mamadou. Il rencontre plusieurs personnes de l’administration, se présente en tant que journaliste, et demande à voir différentes listes : celle des admis au concours, celle des différents stages effectués par chacun, celle des recrutés à la fonction publique. Il finit, après avoir insisté pendant plusieurs jours, par les obtenir. Face à ces listes, Mamadou le sait, il doit garder des traces, commencer à collecter des preuves matérielles qu’il pourra montrer au grand public. « Avec l’administration, ce sont les actes qui parlent ». Dans un élan d’adrénaline et de courage, et alors qu’il est seul dans un bureau pour consulter ces listes, il court dans un autre bureau pour faire des photocopies des pages les plus importantes. Ces photocopies, il les cache dans sa veste. Il revient tranquillement dans le bureau, repose les originaux, et s’en va. C’est la première fois qu’il est confronté à un tel travail d’investigation.

Mamadou interviewe des femmes productrices de légumes dans la banlieue de Pita.

Il faut maintenant exploiter ces listes. « Quand je suis sorti il y avait aussi un travail en aval, il fallait avoir toute une équipe. Mener ce combat seul c’est compliqué. » Mais Mamadou n’est pas seul, comme lui, plus de trois cent autres personnes ont réussi le concours sans être finalement titularisées. Pour les connaître, un travail méticuleux a dû être réalisé. La liste des personnes titularisées est affichée en ville. Ainsi, Mamadou vient chaque jour et observe le comportement des gens qui passent devant. Chaque air étonné, déçu, chaque signe de colère ou d’incompréhension est un indice précieux pour identifier les personnes qui, comme lui, sont victimes de la corruption guinéenne. De cette manière, Mamadou recense plus de deux cents personnes, et les invite à rejoindre sa lutte. Communications, révélations, tout un travail se déclenche. Il reçoit alors ses premières menaces, notamment de la part du chef de l’enseignement pré-universitaire. Il n’est pas question d’abandonner, Mamadou poursuit sa lutte, continue à se rendre dans des émissions, à rédiger des articles. Il lance un appel à toutes les personnes étant dans la même situation, et organise un sitting devant le ministère. Manifester fait partie de ses droits, il le sait, tout comme les quatre-cent personnes qui l’accompagnent.

Article de D. Labboyah, en date de mai 2012, faisant état du sit-in.

Le sit-in a lieu le 2 mai 2012. Le climat est tendu, la menace est grande. « On se savait sous la menace mais j’estime que c’est un combat noble ». Mamadou est la figure de ce soulèvement, il est particulièrement recherché par les autorités. Après quelques minutes seulement, il est arrêté, passé à tabac. « L’arrestation était très brutale. J’ai reçu plusieurs coups de matraque, dont un sur la main. J’avais une bague à cet endroit, elle est rentrée dans ma peau. J’étais ouvert, on voyait mon os ». Il reste en garde à vue, sans recevoir de soins pour ses blessures, pendant plus de vingt-quatre heures. Le groupe a tout de même manifesté, mais sans son porte-parole. Mamadou est finalement relâché. 

Loin d’être intimidé, il poursuit sa lutte et rencontre de grandes personnalités politiques, directement dans leur cabinet : le ministre de l’éducation ou encore le ministre de la sécurité. « J’étais assis en face d’eux, et je ne mâchais pas mes mots. Je savais que je détenais des preuves tangibles ». Plusieurs tentent de le corrompre en lui proposant de grosses sommes d’argent. Hors de question pour Mamadou qui n’hésite pas à faire part aux médias de ces tentatives pour étouffer l’affaire. « Je suis resté intraitable durant toute ma lutte contre la corruption ». Les responsables politiques le comprennent, le mouvement ne s’étouffera pas. La lutte a été efficace puisque plus de deux cents trente personnes ont été rétablies dans leurs droits.

Une victoire la lutte continue

Mamadou fait partie des personnes qui ont finalement réussi à se faire entendre. Mais comme une sorte de punition, il est envoyé à plus de quatre cents kilomètres de la capitale, dans l’une des plus petites écoles du pays, coupé de tout. C’est un moyen de le faire taire, mais c’est mal connaître le jeune guinéen.

Il réussit à se rapprocher de la capitale grâce à une mutation et saisit donc un poste dans une autre école quelques mois plus tard. Il rejoint aussi une radio, pour poursuivre sa lutte contre la corruption. 

Article de Mamadou dans lequel il dénonce la destitution des délégués scolaires

Le combat sera encore long, il le sait. L’émission dans laquelle il figure est de plus en plus connue, et Mamadou s’intéresse désormais aux personnes déchues de leur poste en raison de leurs affinités politiques, ou de leur origine ethnique. Même si les Peuls constituent l’ethnie majoritaire en Guinée, ils n’ont pas le pouvoir politique et sont considérés comme des opposants. « La politique en Afrique a été ethnicisée. Aujourd’hui en Guinée, quand tu es de cette ethnie même si tu n’es pas politicien le pouvoir te voit comme un opposant ». Mamadou est Peul, et dans le cadre de sa lutte contre la corruption, il trouve cette situation inacceptable. Il mène plusieurs interviews à ce sujet, et se retrouve à nouveau sous le coup de menaces, principalement des coups de téléphone très virulents. « Une fois, alors que je cherchais à avoir de nouvelles informations auprès de l’administration, un employé m’a menacé d’appeler la police, et de me faire arrêter ». Il est finalement contraint de quitter la Guinée en 2017, alors que les menaces s’intensifient.


Si vous souhaitez en savoir plus sur le parcours de Mamadou, restez connectés. L’épisode 2 sera publié très prochainement et fera part du périlleux parcours de Mamadou lors de son arrivée en France.


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Jean-Luc ROMERO MICHEL reçu à la Maison des journalistes

Il est environ dix heures, ce mercredi, lorsque Jean-Luc ROMERO-MICHEL fait son entrée à la Maison des Journalistes. L’adjoint à la Maire de Paris, également chargé des droits humains, de l’intégration et de la lutte contre les discriminations, est accompagné de son directeur de cabinet, Michel GELLY-PERBELLINI ainsi que de deux stagiaires.

L’ambiance est de suite conviviale. Darline Cothière, directrice de la Maison des Journalistes, commence la visite. Le hall retient déjà l’attention de Jean-Luc ROMERO-MICHEL “elle est belle cette exposition” en montrant les panneaux de l’exposition Cartooning for Peace. Il se retourne, remarque une seconde exposition à l’étage, mais Darline Cothière préfère garder le suspens, elle leur montrera plus tard.

Rencontre avec l’équipe de la Maison des Journalistes

La visite se poursuit, et Jean-Luc Romero-Michel fait la connaissance du personnel de la Maison des Journalistes. Antonin Tort, responsable d’action sociale et d’hébergement, explique comment il accompagne les journalistes exilés, à leur arrivée mais également tout au long de leur demande d’asile. Jeanne Albinet Chargée de mission Communication et Sensibilisation, échange avec Jean-Luc Romero-Michel sur l’importance de la sensibilisation du grand public, et en particulier des jeunes à travers le programme Renvoyé Spécial par exemple. Malgré la crise sanitaire, elle confie être heureuse d’avoir pu mener à bien la quasi-totalité des rencontres Renvoyé Spécial de l’année, dans les lycées et auprès des jeunes sous protection judiciaire. Le journaliste libanais, Ibrahim Cheaib nous a rejoint. Il revient tout juste de Marseille où il a effectué une rencontre Renvoyé Spécial et témoigne donc de son expérience : “Les jeunes ont beaucoup apprécié nos échanges et ils me l’ont fait savoir” explique t-il. “Le discours authentique de quelqu’un qui a vécu ça dans sa chair, ça leur parle”, confirme Darline Cothière. L’adjoint à la Maire de Paris soutient énormément cette initiative, et s’étonne d’ailleurs que la Maison des Journalistes ne reçoive pas de contributions de la part d’autres régions françaises alors même que Renvoyé Spécial se déplace dans toute la France. Après un regard complice avec Michel Gelly-Perbellini il indique “Nous pourrions sûrement vous aider à ce propos…”. L’adjoint à la Maire de Paris fait également la connaissance d’Hicham Mansouri, ancien résident de la Maison des Journalistes, et désormais chargé d’édition dans le média de l’association : l’Oeil de la Maison des Journalistes.

Visite des locaux, entre rires et émotions

L’équipe déambule dans les longs couloirs de la Maison des Journalistes, elle s’arrête parfois pour lire les nombreux articles accrochés aux murs. Nous montons à l’étage, puis Jean-Luc Romero-Michel s’arrête devant la fenêtre ouverte. Il lance, ironiquement, “Vous ne devez pas avoir de problème avec le voisinage”. En effet, la vue donne sur un cimetière. L’ambiance est à la rigolade, mais Darline Cothière évoque le choc de certains résidents à leur arrivée : “Certains résidents ont été choqués les premiers jours et m’ont expliqué que dans leur culture les vivants ne côtoient pas les morts. Moi je leur dis qu’il faut voir le bon côté des choses, car ils auraient pu bien être de l’autre côté !”, confie-t-elle. Cette symbolique a finalement aidé beaucoup de journalistes à accepter de vivre près des morts, cela a même aidé certains dans leur processus de reconstruction personnelle. “Depuis ma fenêtre en exil, je regarde avec envie les sépultures de Grenelle et j’entends l’écho des bien-aimés évoquer leurs tendres souvenirs.”, un extrait de l’exposition “D’ici” et plus particulièrement des propos de Hani Al Zeitani, journaliste syrien (pages 6 à 9 du Journal D’ici).

À la suite de ce passage à la fois drôle et touchant, Jean-Luc Romero-Michel découvre des photographies intriguantes, qui attirent l’œil. Darline Cothière explique qu’il s’agit d’une partie de l’exposition Alep Point Zéro, des photographies prises par Muzaffar Salman, d’origine syrienne. “Il a réussi à capturer des moments incroyables” remarque l’adjoint à la Maire de Paris. Après avoir finalement découvert les dessins que Jean-Luc Romero-Michel avait repéré dès le début de la visite, et illustrant la liberté de la presse et sa répression, l’ensemble du groupe descend au sous-sol pour y découvrir la bibliothèque et la cuisine.

Échange avec les résidents et anciens résidents de la Maison des Journalistes

La visite touche à sa fin. Mais Jean-Luc Romero-Michel prend le temps de découvrir chacun des journalistes présents. Ahmad, arrivé il y a peu depuis la Syrie, tient à offrir à l’adjoint à la Maire de Paris un cadeau, cadeau qui restera secret. Il échange ensuite pendant de longues minutes avec Vianney, journaliste burundais tout juste accueilli par la Maison des Journalistes. “Qu’est ce qui vous est arrivé ?” lui demande Jean-Luc Romero-Michel, et après la réponse de Vianney, l’adjoint s’émeut : “ça ne doit vraiment pas être facile de devoir quitter son pays, et tout ce qui s’y rattache”. Les résidents acquiescent, mais Ibrahim Cheaib ne manque pas d’ajouter que maintenant qu’ils sont là, à la Maison des Journalistes, tout va mieux.

Soudain, la porte s’ouvre. Mamoudou Gaye, journaliste mauritanien et ancien résident est venu faire une visite. Jean-Luc Romero-Michel s’étonne “Vous n’êtes plus résident et vous continuez à venir ?”, “Bien sûr, la Maison des Journalistes, ça a été ma Maison, mais c’est aussi une famille. J’y reviendrai toujours de temps en temps” confie Mamoudou.

L’adjoint à la Maire de Paris parle de la Maison des Journalistes comme d’un sanctuaire : “Chaque centimètre carré de mur est utilisé, ça rend le lieu unique”. Avant de partir, Jean-Luc ROMERO-MICHEL souhaite rappeler que la protection des droits humains et notamment de la liberté d’expression est une lutte de tous les instants. “La pandémie a été un prétexte pour réprimer et punir les voix dissidentes. La régression n’a pas touché uniquement les régimes autoritaires mais aussi des pays démocratiques”, affirme-t-il en donnant l’exemple de la France avec la loi Sécurité globale (le Conseil Constitutionnel a finalement censuré les articles les plus controversés).

Un échange profond et très intéressant qui s’est soldé par la réaffirmation du soutien de la Mairie de Paris envers la Maison des Journalistes.

Pour en savoir plus sur la visite de Jean-Luc ROMERO MICHEL à la maison des journalistes :  Jean-Luc Romero-Michel rencontre les journalistes de la MDJ

(*) Clémence Papion, étudiante en droit international, stagiaire à la Maison des journalistes


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Biélorussie. La répression brutale d’un régime de plus en plus isolé.

Depuis le 9 Août 2020 manifestations et contestation s’enchaînent en Biélorussie à l’encontre du président Loukachenko suspecté de fraude électorale qui le maintient au pouvoir. La répression continue et affiche un visage toujours plus brutal. Dernièrement un avion transportant un journaliste d’opposition a été contraint d’atterrir sur le sol biélorusse, un opposant a tenté de se suicider au cours de son procès au début du mois. Mais derrière la férocité de ce régime quasi-dictatorial se cache un pouvoir vacillant, de plus en plus dépendant d’un allié russe qui le voit presque comme un fardeau.

  •   Par. Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à L’oeil de la Maison des journalistes.

Depuis le 9 Août 2020 manifestations et contestation s’enchaînent en Biélorussie à l’encontre du président Loukachenko suspecté de fraude électorale qui le maintient au pouvoir. La répression continue et affiche un visage toujours plus brutal. Dernièrement un avion transportant un journaliste d’opposition a été contraint d’atterrir sur le sol biélorusse, un opposant a tenté de se suicider au cours de son procès au début du mois. Mais derrière la férocité de ce régime quasi-dictatorial se cache un pouvoir vacillant, de plus en plus dépendant d’un allié russe qui le voit presque comme un fardeau.

Le gouvernement biélorusse multiplie les scandales

Parmi les derniers épisodes de brutalités à l’égard de ses opposants, il y a évidemment le scandale international de l’avion détourné. Le 23 mai, un vol commercial Ryanair survole la Biélorussie, intercepté par les autorités biélorusses il est forcé d’atterrir. Le prétexte étant un risque d’attentat à la bombe, mais les faits sont que Roman Protassevich un journaliste et militant d’opposition, et sa compagne Sofia Sapega ont été arrêtés, et détenus arbitrairement par les autorités. Les réactions d’indignations ont été nombreuses, propulsant Roman Protosevich à l’international comme symbole de la cause du peuple biélorusse. Ce journaliste militant d’opposition, de 26 ans, est toujours détenu arbitrairement par les autorités biélorusses. Les réactions diplomatiques n’ont pas tardé. L’Union européenne a fermement condamné cette action, puis établi des sanctions économiques contre la Biélorussie et travaille à de nouvelles mesures. Lundi 31 mai, le commissaire européen Thierry Breton déclarait à l’AFP que ce détournement était “un acte de piraterie d’état” et a déclaré que l’Union Européenne se concertait quant à des sanctions économiques supplémentaires contre la Biélorussie.

Le Kremlin soutient le régime Biélorusse. Vladimir Poutine a reçu à Sotchi le 28 mai son homologue biélorusse. Au cours de cet entretien public, le président russe a réaffirmé son soutien à son allié, indiquant être “en train de construire une union” avec la Biélorussie, et estimant la demande de l’Union Européenne de contourner l’espace aérien biélorusse d’“irresponsable”, ne voyant aucune raison de douter du gouvernement biélorusse.

Enfin, l’ultime épisode marquant de la répression biélorusse s’est déroulé au cours du procès de l’opposant Sciapan Latypov, qui a tenté de se suicider au cours de l’audience du 1er juin. Selon l’ONG Viasna de défense des droits humains, il faisait l’objet de brutalité et de tortures régulières de la part des autorités biélorusses depuis son arrestation en septembre 2020, pour organisation de mouvements de contestation du pouvoir en place. Sa famille a également été la cible de menaces du régime.

Ces évènements de répression brutale font suite au vaste mouvement de contestation qui traverse le pays depuis près d’un an.

L’origine de la contestation

Avant les manifestations d’août 2020, le régime semblait s’être quelque peu relâché en autorisant l’opposante Svetlana Tikhanovskaïa à se présenter à l’élection présidentielle. Celle-ci a acquis  de nombreux soutiens et  lancé des appels à manifester contre le régime, notamment lorsque son mari a été arbitrairement emprisonné par le gouvernement. Elle a fait pour promesse de campagne d’instaurer de véritables élections démocratiques. Le 9 Août 2020 des manifestations sont organisées en Biélorussie après les résultats du scrutin de l’élection présidentielle donnant à 80% des votes, la victoire au président sortant, Alexandre Loukachenko.

Protestation en août 2020

La volonté des manifestants étant de contester les résultats d’une élection frauduleuse et irrégulière qui le donne gagnant face à la candidate d’opposition, pratique qu’il exerce régulièrement depuis 1994. Les manifestations se poursuivent désormais régulièrement depuis près d’un an, de même que la violence de leur répression. Le mari de Svetlana Tikhanovskaïa est toujours en prison en Biélorussie et elle, menacée, vit en exil en Lituanie. L’État biélorusse ne cède pas face à la contestation et confirme par là son statut de “dernière dictature en Europe”.

Une dictature en Europe

En 1990 la Biélorussie sort de l’Union soviétique, quatre ans plus tard, A. Loukachenko est élu après deux ans de parenthèse démocratique, réprimée par le pouvoir.  Élu avec 80% des voix,  Alexandre Loukachenko jette les bases de son régime autoritaire, modifiant la Constitution au profit du président, étendant ses pouvoirs à sa convenance. Depuis cette première accession au pouvoir, le régime accumule les accusations de fraude électorale et d’atteinte aux libertés fondamentales, perpétuant les méthodes anti-démocratiques de la période soviétique. Loulia Shukan, maîtresse de conférences en études slaves à Paris-Nanterre expliquait en août dernier que «les fraudes sont un fait avéré en Biélorussie, pointé par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à chaque élection».

Alexandre Loukachenko entretient une forte idéologie nationaliste et étouffe toute velléité libertaire. Cet état de fait repose à l’origine sur un certain statu quo établi avec le peuple de Biélorussie, lequel est privé du respect des libertés et droits fondamentaux et de toute protection des droits de l’Homme en échange d’une sécurité économique et nationale. Économique tout d’abord, en n’adhérant que partiellement à l’économie de marché après la fin de l’ère soviétique et ensuite une sécurité existentielle face aux puissances voisines, les Européens et la Russie. Alexandre Loukachenko s’appuie fortement sur ce besoin de sécurité du peuple et sur cette domination de type “charismatique” et paternaliste, passant par une forte personnalisation du pouvoir.

Alexandra Goujon, politologue française spécialiste des pays d’Europe de l’Est et en particulier de la Biélorussie nous offrait un décryptage du système politique biélorusse dans un article paru en 2002. Elle y qualifie la domination du président Loukachenko de “populisme autoritariste”, fréquemment appelé par ses opposants de “loukachisme”. Expliquant que ce régime s’appuie notamment sur la perpétuation de l’autoritarisme issu de la période soviétique et employant des discours basés sur une vision conflictuelle, martiale et autoritaire de la société, la justifiant par des antagonismes irrémédiables entre différents corps de la société, comme les riches contre les pauvres, les occidentaux et les slaves etc..

Le régime biélorusse a renforcé sa domination sur un besoin de sécurité du peuple, en présentant la figure forte d’Alexandre Loukachenko comme unique solution. Le président biélorusse instrumentalise ce besoin comme  argument de choix pour légitimer sa politique, son discours présente la situation sous la forme de deux choix possibles pour le peuple biélorusse : c’est lui ou le chaos et le désordre. Il s’affirme donc en garant de  paix, de  sécurité dans le pays, les opposants seraient les véritables porteurs de la violence. Au moment de l’éclatement des manifestations en août dernier, il fait jouer à l’opposition le rôle d’une menace pour le pays, manipulée par les ennemis extérieurs, ainsi les contestataires constituent un danger soutenu par les ennemis étrangers contre le peuple biélorusse. Il déclare alors que les manifestations s’accompagnent d’importants “agissements des forces de l’OTAN à proximité immédiate”, et qu’il est de son devoir de “prendre les mesures les plus strictes pour défendre l’intégrité territoriale de notre pays”.

La liberté de la presse bafouée 

Si les manifestations sont toutes systématiquement réprimées depuis 1994, la liberté de la presse y est aussi sévèrement bâillonnée. Reporter sans frontière faisait état de chiffres alarmants dans un rapport de novembre 2020, rapportant que “335 interpellations ont été recensées en trois mois par l’Association biélorusse des journalistes (BAJ), sur un total de plus de 400 exactions commises par les forces de l’ordre”. L’ONG apporte d’autres faits édifiants, “au moins 60 journalistes ont été victimes de violences graves, de mauvais traitements, voire de torture “, rappellant le calvaire de la journaliste Alena Doubovika, “frappée, à moitié nue, à coups de matraque lors de sa détention en août (2020), privée de nourriture pendant 24 heures, incarcérée avec une cinquantaine d’autres détenues dans une cellule de 12 m2, prévue pour 4”.

Le Bélarus est le pays le plus dangereux en Europe pour les journalistes (RSF)

Le Bélarus est le pays le plus dangereux en Europe pour les journalistes (RSF)

Une autre mesure liberticide a été prise le 13 septembre 2020, avec la suspension d’internet dans le pays, mesure inefficace car, comme l’expliquaient des opposants biélorusses exilés en Lituanie au micro d’Arte, bien souvent les images et communications des opposants sont conservées et envoyées une fois la connexion rétablie ou sont transmises de l’extérieur. Les témoignages de ces journalistes empêchés d’entrer ou de sortir du pays, ou encore les cas de torture des opposants durant leur détention se multiplient depuis près d’un an.

Un allié de la Russie, dépendant et embarrassant

Pour mieux comprendre la situation délicate du pays, il faut rappeler qu’économiquement, la Biélorussie est surtout dépendante de la Russie, avec 55% d’importations et 48% d’exportations. La Russie est un acteur économique nécessaire à la Biélorussie. Cependant le pétrole raffiné biélorusse, est destiné pour 50%, à l’Union Européenne, laquelle s’appuie notamment sur ses liens économiques pour entamer des sanctions contre le régime très dépendant de l’allié russe.

Les derniers évènements ont permis de constater que Vladimir Poutine continue d’afficher une ostensible confiance à l’égard de cet allié, car tous deux sont unis par une peur commune. Florent Parmentier, politologue, expliquait le 31 mai au micro de France culture ce qui rapproche les deux hommes, affirmant qu’ils ont “ un cauchemar commun : le rejet des révolutions colorées. Qu’est-ce qu’une révolution colorée dans le contexte post-soviétique ? C’est l’idée selon laquelle, des manifestations de masse populaires viennent renverser un pouvoir avec le soutien des services de renseignements étrangers afin d’aligner les préférences sur les préférences des politiques étrangères américaines.” La relation Poutine-Loukachenko est cependant traversée de divisions, le président russe n’apprécie pas vraiment la figure de Loukachenko mais soutient le régime dans son ensemble. Florent Parmentier explique aussi que Loukachenko essaie quant à lui de ne pas devenir intégralement dépendant du Kremlin, et de ne pas “se retrouver en tête avec la Russie. La Biélorussie ne peut être un acteur sur la scène internationale, que si elle est capable en même temps de profiter du soutien de la Russie (…), mais en même temps d’être capable d’avoir des relations avec les Etats-Unis et avec les européens.” Pour la Biélorussie il s’agit de profiter du soutien de la Russie, bien seule à la défendre sur la scène internationale, sans tomber dans une trop grande dépendance vis-à-vis de cette dernière. C’est pourtant bien ce qui semble se produire. Le Kremlin peut profiter de la faiblesse de cet allié pour étendre son influence, et renouveler un possible scénario ukrainien en Biélorussie.

Néanmoins, cet allié peut devenir préoccupant pour la diplomatie russe, qui ne tient pas à perdre cet appui dont elle peut profiter, mais qui doit le soutenir lorsqu’il devient embarrassant. Le détournement de l’avion intervient par exemple peu avant la rencontre avec Joe Biden prévue le 16 Juin, «Cette rencontre a été particulièrement difficile à organiser, et le Kremlin en attend beaucoup, explique le politologue Andreï Sinitsyne. Cela rend la démarche de Loukachenko très déplaisante pour Poutine.” En effet, cette fois le dictateur biélorusse semble être allé trop loin. Les pays membres de l’Union européenne, d’ordinaire peu enclins à s’unir sur des sanctions contre un pays étranger, se sont montrés unanimement fermes, adoptant immédiatement des premières sanctions économiques. L’UE, l’OTAN et l’ONU ont tous trois exigé la libération immédiate de l’opposant. Le Conseil de sécurité de ce dernier s’est d’ailleurs réuni en urgence mercredi 27 mai pour traiter la question biélorusse. Les Etats réunis exceptionnellement ont publié une déclaration, affirmant que le détournement du vol Ryanair “constitue une attaque flagrante contre la sécurité de l’aviation civile internationale et la sécurité européenne, et témoignant d’un mépris flagrant du droit international”, le lendemain, jeudi 27 mai, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a décidé d’ouvrir une enquête sur l’incident.

Alors que la répression brutale se poursuit et que le régime ne cède rien à la contestation, il se trouve de plus en plus isolé sur la scène internationale et finit par embarrasser son voisin russe. Les jours du “Loukachisme” sont peut-être comptés. 


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Michèle Léridon, notre grande amie de la Maison des journalistes n’est plus.

Ancienne directrice de l’information de l’Agence France-Presse, première femme à ce poste, Michèle Léridon est décédée brutalement, lundi 3 mai à l’âge de 62 ans, date de la journée mondiale de la liberté de la presse. Elle était une grande amie de la Maison des journalistes.

Figure du paysage médiatique français (lire sa biographie détaillée), membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en charge du pluralisme, elle a œuvré – avec l’AFP – pour l’accueil et l’insertion professionnelle des journalistes réfugiés.

Reconnue à l’unanimité par ses pairs, de nombreux hommages saluent son professionnalisme, son engagement et son courage. “Quelle tristesse! Quelle perte pour le journalisme! (…) Michèle était une vraie amie de la Maison des journalistes”, a twitté Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes.

En juin 2017, Michèle Léridon et ses collègues[1] avaient reçu une délégation de journalistes de la Maison des journalistes au sein du siège de la rédaction de l’Agence France Presse (AFP), dans le cadre du partenariat. « L’AFP est heureuse et fière de s’associer à la Maison des journalistes. Celle-ci joue un rôle essentiel dans l’accueil et l’accompagnement des journalistes qui ont fui leur pays pour avoir voulu exercer leur métier d’informer au péril de leur vie ou de leur liberté », avait déclaré à cette occasion la directrice de l’Information de l’AFP, Michèle Léridon.

Michèle Léridon aux côtés des journalistes résidents de la MDJ

Pour Fabrice Fries, président de l’AFP, Michèle était “l’archétype du journaliste de l’AFP avec un parcours varié, une expérience internationale et faisait preuve d’un grand courage sur le terrain”.

Roch-Olivier Maistre, président du CSA, très ému, a salué sa très grande rigueur intellectuelle et professionnelle.

Le personnel de la Maison des journalistes et ses journalistes résident.e.s adressent à sa famille, ses proches et ses collègues, de chaleureuses et affectueuses pensées. Ils s’engagent à poursuivre son combat aux côtés de l’AFP dans le cadre de leur partenariat.

[1] Boris Bachorz (directeur régional Afrique), Sonia Bakaric (adjointe au chef du Desk international et chargée de la cellule Afrique), Sophie Wronecki (assistante à la direction de la communication),  Frédéric Dumoulin, (chef du service politique), Philippe Chetwynd (rédacteur en chef central), Rémi Banet (Journaliste réseaux sociaux), Leon Bruneau (chef du Desk international), Sébastien Casteran (adjoint du chef de Service Infographie) et Frédéric Bourgeais (Graphiste Web/Designer interactif).


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Dara (dessinateur iranien) : “Des jeunes vivent la liberté sans en avoir conscience”

En collaboration avec la Maison des journalistes, L’Orient à l’envers vous présente Dara, caricaturiste iranien aujourd’hui réfugié en France. Via son parcours, cet ancien résident de la MDJ revient sur son métier, ses conditions de travail en Iran, son arrivée en France et les valeurs qu’il porte aujourd’hui.

Ancien résident de la Maison des journalistes (MDJ), Dara est arrivé en France en 2015 après la fermeture de son journal et fuyant les menaces à son encontre. “Je suis arrivé ici par hasard. C’est étrange, avec toutes les difficultés, comme l’obstacle de la langue. Un changement radical”.

Dessinant depuis l’âge de huit ans, ce langage universel lui permet de penser, communiquer et partager. C’est SA vie, résume-il. D’ailleurs, la première chose faite le jour de son arrivée à Paris, fut de se rendre au musée du Louvre. “C’était MON rêve d’enfant. C’était impressionnant. La culture française en général m’attire beaucoup”.

Dans ce podcast, Dara évoque aussi sa vision de la société française, estimant que son pays est incompris des Français, par leurs jugements “ erronés” sur les Iraniens. Ce constat le choque surtout lorsque les médias sont impliqués. “Nous sommes restés étrangers au monde occidental. L’Iran est malheureusement très absent des médias français, ses images très stéréotypées découlent d’un jugement partial, comme pour voile ou l’autorité religieuse. Parfois c’est vrai, mais ce ne sont pas des choses fondamentales. Nous pourrions par exemple évoquer différents Irans : Iran de la politique, de la culture, de la religion, etc.” Dara estime que les Iraniens sont “plus modernes” qu’ils ne paraissent. “L’Iran n’est pas un pays démodé. Les chiffres montrent que les femmes iraniennes sont plus éduquées que les hommes. Nous sommes une société moderne, bien à jour par rapport à l’actualité, et l’islam iranien est particulier.”

Membre de l’association Cartooning for Peace créée par le dessinateur Plantu et Kofi Annan, prix Nobel de la Paix et ancien Secrétaire général des Nations Unies, Dara est engagé dans des combats lui tenant à cœur. C’est le cas par exemple de l’éducation aux médias avec de multiples ateliers qu’il anime au profit des collégiens et lycéens français. “Il y a des jeunes qui vivent la liberté sans en avoir conscience. J’adore partager cela avec eux et leur dire combien ils ont de la chance”.


Halgurd S. © L’Orient à l’envers

Écoutez également le podcast de Halgurd, réfugié kurde d’Irak et un autre ancien résident de la MDJ.

https://podcast.ausha.co/l-orient-a-l-envers/portrait-du-kurdistan 


À PROPOS DE L’ORIENT À L’ENVERS

Le podcast de décryptage inspirant et réaliste sur le danger d’une histoire unique sur le Moyen-Orient. Une histoire de catastrophes, de guerres incessantes, de pauvreté, de désespoir, mais surtout une représentation incomplète, négative, stéréotypée, qui éloigne, dépossède et déshumanise.

L’Orient à l’envers se propose d’analyser et critiquer ces représentations, de découvrir ces sujets oubliés et de comprendre cette actualité compliquée, méconnue ou mal connue pour porter une représentation différente, juste, authentique.


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Ibrahim Cheaib : La Maison des journalistes m’a sauvé !

Ibrahim Cheaib, journaliste Libanais et résident de la MDJ, était l’invité de Radio Notre Dame pour une émission consacrée à la journée mondiale de la liberté de la presse. Il revient sur la situation de la liberté de la presse au Liban, les raisons de son exil et sa vie actuelle en France.


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Syrie. Du béton, de la guerre et de la reconstruction

Notre pays serait-il un champ d’expérimentations perpétuelles ? Le béton constitue-t-il LE matériau militaire à bas prix pour perpétrer sans relâche cette guerre : démolir les maisons, déplacer les gens, “réguler les naissances” à  leur gré (12 millions de déplacés à cause de la guerre) et défigurer ce pays en une immense décharge?!

J’aimerais comprendre le rôle de cette dévastation par le béton contribue-t-elle  à la désintégration sociale syrienne via ces bidonvilles ceinturant les grandes villes comme Damas et Alep ?

L’autorité syrienne a misé sur le béton et détruit la nature, parfois inconsciemment mais souvent avec préméditation. Le Corbusier ne disait-il pas qu’une maison est « une machine à habiter»? Une machine fonctionne, tombe en panne et s’arrête. Il fallait donc bien construire pour détruire, puis reconstruire aléatoirement, etc.

Chers amis, n’étant pas architecte, je connais pourtant, avec émotion, les matériaux, à savoir le béton et la terre. Après de nombreuses années de labeur, mes parents ont enfin achevé la construction de notre maison en Syrie, construite avec du ciment sur des terres rouges dans un village de la région de Hauran, au sud du pays. Débuté par un deux pièces, et avec le temps, le chantier s’est agrandi, incluant un grand salon et deux pièces supplémentaires. A la fin des travaux, une couche de béton, issue de restes de ciment, a recouvert une bonne partie de la terre rouge du jardin. Imaginez mon bonheur lorsque nous l’avons enlevée. Mais ce n’était pas suffisant. J’ai encore une envie pressante de déraciner toute la maison et d’en construire une autre à base de pierres de basalte caractéristiques de la région.

Ayant par la suite visité plusieurs villes et villages en Syrie, j’ai déploré l’occupation du béton sur l’ensemble du pays. La Syrie est devenue le site d’une pollution sans précédent, une scène de crime.

La guerre est arrivée

Les bombardements ont commencé, ciblant le ciment étendu comme un cancer, en ont résulté de gigantesques décombres dont on ne sait que faire. Ces quantités auraient suffi au remblai d’une partie de la méditerranée, comme l’avait fait l’ancien premier ministre libanais, Rafiq Hariri, après la destruction de Beyrouth dans la guerre civile du Liban (1978 à 1990).

Je me pose toujours la même question : la guerre étant une malédiction humaine permanente, que se passerait-il si nous construisions deux maisons, l’une en pierres, l’autre en béton, et que nous les bombardions, quelle serait alors la différence? Beaucoup.

Arrivé en France, j’avais toujours espéré trouver un jour une pincée de terre rouge et un peu de gravier de basalte de Hauran. Ce rêve s’est réalisé un jour. Ayant vu une parcelle de terre rouge près d’un champ de blé, je m’y suis jeté, roulé dedans. J’ai alors ressenti une paix immense.

  

Waed Almhana

Ingénieur et journaliste syrien

Spécialiste dans la protection du patrimoine syrien

waedalmhana@gmail.com  


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