« Frémont » : Babak Jalali et les femmes, ses « sources d’inspiration »

En salle depuis le 6 décembre 2023, “Frémont” relate le parcours drôle et solitaire de Donya, Afghane réfugiée aux Etats-Unis depuis la prise de pouvoir des talibans. Filmé en noir et blanc par le réalisateur Babak Jalali, “Frémont” porte fièrement la parole des exilés, avec humour et nostalgie. Il a accepté de répondre aux questions de la Maison des journalistes, partenaire du film.

Agée de 20 ans, Donya est une réfugiée afghane qui travaille désormais dans une usine de cookies porte-bonheur à San Francisco. Traductrice pour l’armée américaine en Afghanistan, elle a été contrainte à quitter Kaboul suite à la prise du pouvoir par les talibans à l’été 2021. Dans le film, elle tente de lutter contre son insomnie et sa solitude dans sa nouvelle vie, avant de faire la rencontre d’un médecin qui l’accompagne dans son ouverture au monde. Sa vie bascule lorsqu’elle se voit confier la rédaction des messages de prédictions, teintés de philosophie, dans son entreprise. Durant 91 minutes, Babak Jalali invite le spectateur à suivre le voyage introspectif de Donya, en délivrant une réflexion attachante sur les relations humaines et l’exil. Le film a été récompensé par le Prix du jury au festival du film américain de Deauville, véritable consécration pour Babak Jalali.

L’œil de l’exilée

Un film réaliste, interprété par des acteurs (et surtout, par une actrice) dont la vie fait largement écho au scénario. Anaita Wali Zada, l’actrice principale, est une journaliste connue à Kaboul dans la vie réelle, au même titre que sa sœur. C’est par ailleurs du fait de son métier et d’être une femme qui travaille qu’Anaita est devenue une cible des talibans, la poussant à la fuite l’été 2021. Réfugiée aux Etats-Unis depuis, elle joue pour la première fois de sa vie dans “Frémont.” Proche sur de multiples points avec son personnage Donya, Anaita Wali Zada tenait à éveiller les consciences sur la situation afghane, et a trouvé en “Frémont” et Donya le parfait moyen de le faire. Grâce à son personnage, le spectateur découvre à travers l’œil de l’exilée une vie et une réflexion aux antipodes des siennes.

Pour le réalisateur Babak Jalali, il relevait de l’évidence de filmer son œuvre. Il a eu l’idée du scénario en 2017, avec Carolina Cavalli, réalisatrice italienne et scénariste du film. À l’origine, il devait être tourné en juin 2020, avant même que les talibans ne reprennent le pouvoir, mais l’épidémie de coronavirus a eu raison de leur planning. Rencontre.

Le réalisateur Babak Jalali.

L’Œil : pourquoi avoir décidé de réaliser un film sur une jeune Afghane qui a fui les talibans ? L’idée vous est-elle venue lors de leur reprise du pouvoir en 2021 ?

Babak Jalali : Le film n’est pas nécessairement l’histoire d’une jeune Afghane qui a fui les talibans. Il s’agit plutôt d’une jeune afghane qui recommence sa vie dans un nouvel endroit. J’ai toujours été gêné par la représentation des femmes afghanes dans les médias et le cinéma. Elles ont toujours été dépeintes comme un groupe opprimé sans pouvoir d’action. Elles sont toujours à la maison, ne travaillent jamais, n’ont jamais de rêves ou d’aspirations. Mais les femmes afghanes que j’ai rencontrées et connues au cours de ma vie ont toujours été farouchement indépendantes. Elles avaient des désirs et des souhaits. Elles ont eu des rêves. J’ai donc voulu montrer une jeune femme afghane qui, au fond, n’est pas très différente d’une jeune femme de n’importe quel autre pays en ce qui concerne ses désirs fondamentaux.

Qu’est-ce qui vous motive et inspire à parler des femmes et de l’oppression qu’elles peuvent subir ?

Ma motivation n’est jamais liée à l’oppression dont les femmes peuvent souffrir. C’est le courage et la force qu’elles possèdent qui m’inspirent. Oui, mes sources d’inspiration sont les femmes que j’ai connues. Je suis le petit-fils de femmes iraniennes, le fils d’une mère iranienne et le frère d’une femme iranienne. Et j’ai été témoin de la persévérance d’innombrables autres femmes qui se sont opposées à l’autorité et au statu quo et les ont remis en question. Je suis toujours admiratif du courage dont elles font preuve.

Avez-vous inclus des éléments de votre propre vie dans le film et pourquoi ?

Je dirais qu’indirectement, j’ai toujours inclus des éléments de ma propre vie dans les films que j’ai réalisés. Il s’agit rarement de scènes tirées directement de ma vie, mais elles sont le résultat de choses que j’ai vécues ou que j’ai entendues de première main de la part de ceux qui les ont vécues.

Que représente pour vous le prix du jury de Deauville ?

C’était merveilleux de recevoir le prix du jury de Deauville, surtout parce que cela signifiait que certaines personnes avaient été touchées par le film. Le festival attire un très grand nombre de spectateurs et c’était très émouvant de pouvoir le montrer devant eux. J’espère que ce prix contribuera à inciter davantage de spectateurs français à voir le film dans les salles de cinéma pendant sa sortie.

Le film “Frémont” de Babak Jalali est actuellement en salle dans toute la France. Avec Anaita Wali Zada, Jeremy Allen White, Hilda Schmelling.

Crédits photo : Babak Jalali.

Maud Baheng Daizey

Table ronde. “Nous avons la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après”

Mercredi 15 novembre, la Maison des journalistes a accueilli le PEN Club Français pour une table ronde, à l’occasion de la journée mondiale des écrivains en prison. Orienté sur la liberté de la presse, l’événement a réuni des journalistes, écrivains et défenseurs de la liberté d’expression des quatre coins du monde. Parmi eux, l’émérite sociologue et écrivaine turque Pinar Selek, « harcelée par la justice de son pays » depuis plus de vingt-cinq ans.

Cette journée mondiale des écrivains emprisonnés a été instaurée en 1981 par le PEN Club international et est commémorée chaque année. La Maison des journalistes, qui accueille en ces murs des journalistes ayant parfois été incarcérés pour leur travail, est particulièrement concernée par cette journée. « C’est avec un immense plaisir que nous accueillons cette table ronde », a introduit Darline Cothière, directrice de la MDJ. « La MDJ, qui héberge et accompagne des journalistes depuis 20 ans, sait combien il est important de remuer la plume dans la plaie. Une telle table ronde à la MDJ avait donc tout son sens et ne pouvait être manquée. »

De gauche à droite : la poète Carole Carcillo Mesrobian, le président du PEN Club français Antoine Spire, l’activiste Asal Abasian et son interprète, ainsi que la directrice de la MDJ Darline Cothière.

Des centaines d’écrivains et journalistes morts ou emprisonnés en 20 ans

« Depuis 2004, 699 écrivains et journalistes ont été attaqués, emprisonnés et harcelés », explique le président du PEN Club Français, l’auteur Antoine Spire. Il a ouvert la table ronde en citant  quelques noms d’écrivains persécutés, notamment celui de María Cristina Garrido Rodríguez (emprisonnée à Cuba), ainsi que celui du Marocain Soulaimane Raissouni. Parmi ces 700 personnalités, 12 ont disparu et 28 ont été tuées. « Nous avons décidé de nous réunir à la Maison des journalistes car il s’agit d’un lieu hautement symbolique, qui donne l’asile à ces journalistes pourchassés pour avoir voulu faire leur métier. »

Mais aujourd’hui, la MDJ n’accueillait pas uniquement des journalistes. Autour de la table, Maryna Kumeda, autrice de Journal d’une Ukrainienne, ainsi que la poète ukrainienne Anna Malihon et la journaliste activiste Asal Abasian. Mais la première à s’emparer du micro fut Pinar Selek, mondialement reconnue pour ses travaux sociologiques sur la société iranienne et ses opprimés : les femmes, les personnes transsexuelles, les Kurdes. 

Chacune de ces femmes ont évoqué la nécessité du soutien de la communauté internationale envers les écrivains, et plus largement les intellectuels, harcelés ou emprisonnés. Sans cette communauté, leurs chances d’être libérés sont considérablement amoindries. A travers leurs expériences et celle relatée de leurs camarades, les journalistes et écrivains de la table ronde ont pu revenir sur l’importance des mobilisations étrangères, et sur soutien sans faille envers leurs confrères emprisonnés.

Ecrivaine et chercheuse, Pinar Selek a été accusée de terrorisme après s’être penchée sur le sort des Kurdes. Elle est arrêtée en 1998 par les autorités mais refuse de donner les noms des Kurdes ayant témoigné pour elle. Ses travaux sur la violence armée de l’État turque avaient également provoqué l’ire du gouvernement, à l’origine d’un harcèlement judiciaire s’étalant sur 25 ans. 

Réfugiée en France depuis 2011, Pinar Selek n’a jamais cessé de militer pour la paix, publiant des ouvrages pour préserver cette dernière. Particularité juridique de son pays, Pinar Selek a été acquittée à 4 reprises entre 2006 et 2014 par la justice. En janvier 2023, la Turquie émet un mandat d’arrêt international contre sa personne. Engagée dans les droits fondamentaux en France, elle est désormais une fervente militante du PEN Club français. Son nouveau roman, Le chaudron militaire turque, vient de paraître aux Editions des femmes.

Asal Abasian quelques instants avant son intervention.

Elle s’est exprimée sur « la banalisation des violences » politiques dans le monde, dont elle est un des innombrables exemples. Malgré son dernier acquittement en 2014, Pinar Selek a dû assister, impuissante, à la réouverture de son dossier par la Cour suprême de Turquie. Qualifiant son procès « d’une autre époque », Pinar Selek est théoriquement attendue au tribunal pour l’été 2024 à Istanbul. Elle risque la perpétuité.

A ses côtés, les ukrainiennes Maryna Kumeda, résidant en France depuis 17 ans, et Anna Malihon, réfugiée depuis moins d’un an et auteur de huit livres. Elle relate avoir été ballotée avec son fils depuis 2022, après  l’invasion de l’Ukraine. Pour elle, la solidarité internationale envers les écrivains et journalistes permet de sauver des vies, à l’instar du réalisateur ukrainien arrêté en Crimée Oleg Stenstov. Arrêté en 2014 alors qu’il manifestait contre l’annexion de sa Crimée natale, il avait été condamné à 20 ans de prison pour terrorisme lors d’un procès expéditif russe en 2015. Incarcéré dans une prison du nord de la Russie, Oleg Stenstov avait bénéficié du soutien de plusieurs ONG (Amnesty, RSF), gouvernements occidentaux, écrivains, cinéastes et acteurs de l’étranger. 

En septembre 2019, le cinéaste est inscrit sur une liste d’échange de prisonniers avec l’Ukraine, signant la fin de son incarcération. « Sa libération est due au soutien étranger et notamment la France. Aujourd’hui, il fait partie d’une unité de l’armée en première ligne, comme bon nombre d’intellectuels, acteurs et scientifiques. » Certains meurent sur le front, d’autres dans leur maison bombardée.

« Je veux dédier une chaise vide à Victoria Amelina, auteur d’un livre sur les crimes commis par la Russie, et qui a été tuée fin juin par un missile russe », insiste Anna Malihon d’une voix ferme. Elle n’hésite pas à parler de « génocide intellectuel » des Ukrainiens, arguant que le pays a déjà connu des épisodes similaires. Le 3 novembre 1937, plus de 200 intellectuels ukrainiens sont assassinés par les soviétiques, privant le pays d’élite intellectuelle de l’époque. « Nous appelons cette génération « la renaissance fusillée » car l’Ukraine profitait depuis quelques années d’une plus grande liberté créative », rappelle la poète. 

Cri du cœur des intellectuels iraniens

Asal Abasian, activiste queer iranienne, a été contrainte de quitter son pays en octobre 2021. Ayant fait partie de la promotion 2023 de l’Initiative Marianne, elle aspire aujourd’hui à continuer son combat en France et dénoncer les exactions du régime iranien. 

Elle explique durant la table ronde qu’elle est triplement victime du régime, étant queer, femme et journaliste. « En Iran, j’ai été accusée et interrogée à plusieurs reprises sur mes activités, ce qui m’a forcé à fuir le pays en 2021 pour Istanbul, puis à venir à Paris » où l’Initiative Marianne lui a permis de laisser libre cours à son activisme. Bouleversée par la mort de Mahsa Amini, Asal Abasian se bat pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ depuis de longues années. Elle compte par ailleurs rejoindre le PEN Club français dans les prochains mois.

« Comme vous le savez, à l’annonce choc du meurtre de Mahsa Amini », arrêtée car son voile ne couvrait pas tous ses cheveux, « deux de mes collègues ont été emprisonnées pour 25 ans pour avoir donné les noms des hommes qui l’ont tué », explique Asal Abasian en lisant une lettre qu’elle a préparé à cette occasion. En Iran, « nous avons certes la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après », assène-t-elle avec conviction.

« Cette histoire n’est pas juste celle des écrivains de la capitale, le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous. »

Une supplication entendue par toutes les personnes présentes, et qui l’ont longuement applaudie. Des rencontres et échanges chargés d’émotions et surtout animés par la même cause, la même passion : la quête constante de vérité. Une quête que la Maison des journalistes soutiendra toujours aux travers de ses actions et au sein de ses murs. 

Crédits photos : Chad Akhoum, Banksy.

Maud Baheng Daizey

Liberté de la presse : la démocratie est-elle en danger ?

Ce mardi 19 septembre à la Bourse du travail dans le 3ᵉ arrondissement de Paris était organisé un colloque sur la thématique « Conditions de travail des journalistes : la démocratie est-elle en danger ? Quelles solutions ? ». L’objectif : échanger sans filtres avec plusieurs intervenants sur les différentes pressions exercées sur les journalistes et sur la fracture avec l’opinion publique. 

D’après la définition du CLEMI (Le centre pour l’éducation aux médias et à l’information), « Si la profession de journaliste consiste pour l’essentiel à rassembler, vérifier et mettre en forme des informations à destination du public, elle regroupe toutefois des réalités différentes, notamment en fonction des supports de publication et des époques ».  Des réalités qui peuvent aussi vite devenir complexes. Un journaliste peut-il effectuer ces tâches  dans de bonnes conditions de travail, dans une société actuelle fracturée, à l’heure où Ariane Lavrilleux, journaliste à Disclose, passe 39 heures en garde à vue ? C’est la question à laquelle ont tenté de répondre plusieurs intervenants, lors d’un colloque organisé par le groupe Technologia, ce mardi 19 septembre à la Bourse du travail, dans le 3ᵉ arrondissement de Paris, ayant pour thématique : « Conditions de travail des journalistes : la démocratie est-elle en danger ? Quelles solutions » ? Parmi ces intervenants  : Marion Denneulin, directrice de mission chez Technologia, un groupe spécialisé dans la prévention des risques et de l’amélioration des conditions de travail, Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans les médias et chercheur associé à l’EHESS, Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde, Eric Valmir, Sécrétaire général de l’Information du groupe Radio France, Emmanuel Poupard, Secrétaire Général du Syndicat National des Journalistes (SNJ) et Jean-Claude Delgènes, Président Fondateur du cabinet Technologia.

Un baromètre aux chiffres explicites 

Dans un premier temps, Marion Denneulin, directrice de Mission au sein du groupe Technologia s’est focalisée sur les conclusions du quatrième baromètre effectué en 2022 sur les conditions de travail des journalistes, réalisé conjointement avec le Syndicat National des Journalistes. Parmi les chiffres clés, sur les 1102 répondants, 83% d’entre eux estiment qu’un manque d’effectif et / ou de moyens sont les causes d’une augmentation de la charge de travail. 

Le développement du numérique, utile en temps normal pour rajeunir le public cible d’un média, possède aussi une face sombre, puisque 77% des sondés déclarent que l’ultra polyvalence du numérique est une cause de surcharge de travail. La pression de la hiérarchie de la rédaction est aussi un autre facteur important pour 60% des répondants. Un bond de 7% par rapport à l’année 2018. L’un des envols les plus impressionnants concerne le fait de ressentir un manque de place au sein d’une rédaction, une compétition en interne pour faire passer des sujets : ils étaient 27% de journalistes à le déplorer en 2018, ils sont 36% à toujours le dénoncer en 2022. Le jeune public, quant à lui, délaisse de plus en plus les médias traditionnels pour s’informer : d’après la dernière étude de l’Insitut Reuters su les pratiques d’information en ligne, 20% des 18-24 ans utilisent le réseau social Tik-Tok comme première source d’information.

Ne pas pouvoir livrer une information de qualité 

Jean-Marie Charon, sociologue spécialisé dans l’étude des médias et du journalisme a ensuite pris la parole pour compléter ces chiffres.  Le spécialiste est par ailleurs auteur d’une nouvelle enquête, qui s’intitule « Jeunes journalistes, l’heure du doute » qui paraîtra le 19 octobre prochain, dans laquelle il donne la parole à ces jeunes journalistes, aujourd’hui las du métier et qui songent à se reconvertir dans une autre profession. « Dans mon enquête, j’ai interrogé une centaine de journalistes de moins de 30 ans. J’ai été frappé qu’un nombre important de  jeunes journalistes ont recours à un suivi psychologique qui se caractérise par des arrêts de travail court et font souvent face à un burn-out, suite à une accumulation de tâches », analyse Jean-Marie Charon, lors de ce colloque. Il tient à illustrer ses entretients par des pourcentages marquants : « Parmi cette centaine de journalistes, ils sont 16% d’entre eux à s’interroger de quitter la profession. 89% de ces jeunes journalistes ont côtoyé des personnes qui ont quitté la profession, ce qui peut influencer le choix final », complète t-il. Plus globalement, Jean-Marie Charon retient que ses témoins déplorent d’une même voix ce sentiment de ne pas pouvoir livrer une information de qualité, qui peut s’expliquer par un manque de temps pour recouper et vérifier les sources consultées, mais aussi face aux violences contre les journalistes, dans les manifestations ou sur les terrains de guerre. En 2022, l’UNESCO a par ailleurs dénombré 86 journalistes morts dans des pays en guerre.

Un manque de temps flagrant

Louis Dreyfus, président du directoire du groupe Le Monde et Emmanuel Poupard, Secrétaire Général du Syndicat National des Journalistes (SNJ) dénoncent eux aussi en coeur le manque de temps flagrant des journalistes pour se consacrer pleinement à leurs missions. Pour l’illustrer, Louis Dreyfus prend l’exemple d’un journaliste du Monde, en charge de l’actualité politique, qu’il a côtoyé. « Lors de son pot de départ, il avait naturellement convié sa famille et donc ses enfants. À un moment dans son discours, ce journaliste se tourne vers l’un de ses fils et lui dit : ‘’je m’excuse de tout ce temps que je n’ai pas pu passer avec toi’’. Pour moi, cette seule phrase veut tout dire ». Afin d’éviter une trop grande rotation dans ses équipes, Louis Dreyfus explique qu’une équipe dédiée, basée à Los Angeles, se charge de traiter l’information et de réaliser de la veille médiatique, entre 23 heures et 6 heures du matin. Emmanuel Poupard, lui, s’indigne des remontés des journalistes qu’il fréquente : « Rendez-vous compte, on a des journalistes qui ne trouvent maintenant même plus le temps de recouper les informations, de les vérifier avant de les publier, tellement ils sont fatigués, acculés par la charge de travail. On parle quand même du cœur du métier ! Il y a un effondrement général du métier. Plus qu’une revalorisation salariale, en particulier pour les pigistes, il faut retrouver un traitement humain dans les rédactions qui soit digne de ce nom », lance-t-il. Le secrétaire général ne digère pas non plus le fait que lors des manifestations, des journalistes puissent avoir une protection rapprochée de policiers : « On est en France, pays des Droits de l’Homme », rapelle t-il d’un ton ferme.

« Mettre en place un vote auprès des journalistes »

Tous les intervenants ont en tête l’exemple de la grève historique du JDD, qui a duré six semaines, durant laquelle la quasi-totalité de la rédaction s’est mobilisée en vain contre l’arrivée de Geoffroy Lejeune au poste de directeur de la rédaction, ex de Valeurs Actuelles.  Eric Valmir, Secrétaire général de l’Information du groupe Radio France et membre du conseil d’administration de la MDJ, propose une solution concrète pour éviter que cette situation se reproduise dans d’autres rédactions : « Je pense qu’il faut réfléchir à mettre en place un vote auprès des journalistes, pour qu’ils puissent conforter le directeur de rédaction. C’est impensable de prendre ses fonctions dans un climat délétère et de défiance générale ! »

La peur de l’intelligence artificielle 

Avant de donner la parole au public, composé de journalistes de divers médias, mais aussi d’élus, la totalité des participants ont tenu à faire part d’une crainte légitime, dans l’ère du temps : le développement de l’intelligence artificielle. Aujourd’hui en effet, plusieurs logiciels permettent de faire dire n’importe quoi à n’importe qui. « Je pense que vous avez tous en tête les vidéos où l’on voit le Président Macron casquette à l’envers avec un timbre de voix frappant, ou encore celles où l’on voit Mbappé se faire engueuler par son père… La gestuelle, la voix… C’est une technologie qui peut sérieusement faire vibrer les fondations du journalisme », s’alarme Jean-Claude Delgènes, Président Fondateur du cabinet Technologia. Un cas concret peut en effet suscité l’inquiétude : l’entreprise Onclusive, spécialisée dans la veille médiatique, basée à Courbevoie, a décidé d’effectuer un plan social massif. Plus précisément, sur les 383 postes, 217 vont disparaître et être remplacés… par l’intelligence artificielle. Les salariés rédigent des synthèses et des revues de presse pour près de 900 clients, comme des entreprises du CAC 40 mais aussi des banques. « Aujourd’hui c’est nous mais demain ? Les professeurs, les journalistes, les traducteurs ? Quelle éthique y a t-il derrière tout ça ? », s’interroge un salarié, interviewé par Le Parisien. « Il faut davantage l’appréhender comme un outil, comme un complément qui peut notamment faire gagner du temps », ajoute Emmanuel Poupard du SNJ, lors du colloque. « Croire ce que l’on voit va devenir un dicton de plus en plus difficile à appliquer », soupire Éric Valmir.

Présents à mes côtés lors de ce débat, Chokri Chihi, journaliste tunisien et Alhussein Sano, journaliste guinéen, hébergés par la MDJ, ont particulièrement apprécié cet événement. « Pour moi, c’était une belle occasion de faire connaître les nombreux problèmes que rencontrent les journalistes, notamment le stress, les différentes maladies liées à l’angoisse. Mais je regrette un peu le manque de solutions apportées par les intervenants. J’ai entendu à plusieurs reprises ‘’je n’ai pas de réponses à apporter’’. Mais j’ai appris beaucoup de choses et j’ai été content de pouvoir retrouver un compatriote journalite tunisien à ce colloque », sourit Chokri Chihi.  Alhussein Sano a quant à lui été interpellé par la partie traitant de l’intelligence artificielle, tout en ayant une pensée pour les journalistes isolées : « En tant que journaliste, je ne peux être que marqué par cette technologie qui va bouleverser le métier. J’ai aussi apprécié que l’on évoque l’aspect du télétravail, qui a un impact non-négligeable sur la qualité du traitement journalistique ». D’après une étude mondiale réalisée en 2021 en plein confinement par l’agence britannique de relation presse au service de sociétés technologiques TouchdownPR, 24% des journalistes ont perdu une partie de leur activité, 65% ont reconnu travailler plus longtemps à domicile et 32% ont confirmé l’impact négatif du confinement sur leur santé mentale. 

Par Chad Akoum

 

À l’Hôtel de ville de Paris, une cérémonie d’accueil des plus symboliques

Ce mercredi 3 mai, la Maison des journalistes a tenu sa cérémonie d’accueil des nouveaux journalistes exilés, dans les salons de l’Hôtel de ville de Paris. Aux côtés de Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la mairie de Paris en charge des droits humains, et Arnaud Ngatcha, adjoint chargé des relations internationales, la MDJ a célébré la liberté de la presse avec ses journalistes et de nombreux ténors du monde de la presse : France Média Monde, Reporters sans Frontières, Ouest-France ou encore France Télévisions, beaucoup se sont joints à la célébration pour nous soutenir.

Dans un cadre solennel, au milieu des tableaux et moulures des salons de l’Hôtel de ville, douze journalistes se sont vus offrir une carte de la citoyenneté. Chaque année, la MDJ convie ses nouveaux résidents à l’événement, afin qu’ils reçoivent de la mairie de Paris cette carte, leur permettant d’accéder gratuitement à un large panel d’activités culturelles.

Grâce à elle, nos journalistes peuvent désormais découvrir les coulisses des services publics et rencontrer des élus. Elise Lucet, journaliste d’investigation, nous a fait l’honneur d’être la marraine de la promotion 2023.

Une photo d’Atef Ammari. Elise Lucet en plein discours à l’Hôtel de Ville.

Une solidarité sociale et professionnelle

Dix nationalités ont été représentées : l’Ukraine, la Russie, l’Iran, la Syrie, l’Afghanistan, Cuba, la Guinée Conakry, la Chine, Haïti et le Bangladesh. Des pays qui traversent actuellement de nombreuses crises, qu’elles soient politiques, sociales, économiques ou environnementales, et qui connaissent tous une mauvaise liberté de la presse.

L’occasion parfaite pour raffermir la solidarité de la Ville de Paris et de la MDJ envers les journalistes accueillis, et leur rappeler qu’ils peuvent jouir d’une véritable solidarité professionnelle et française. “Nous sommes là chaque fois qu’un média ou qu’un journaliste est attaqué, nous nous tenons à leurs côtés”, a par exemple salué Isabelle Parion, représentante du bureau du 15e arrondissement de la Ligue des Droits de l’Homme.

Photo d’Atef Ammari. De gauche à droite : Ihsan Ismail , Geneviève Garrigos, Omaima Al Majarish, Elise Lucet, Arnaud Ngatcha, Ahsan Ahmed, Darline Cothière, Adnan Hassanpour, Samereh Rezaei.

Ouest-France, France Média Monde et France Télévisions marchent aux côtés de la MDJ et des résidents depuis plusieurs années, ne s’arrêtant pas au simple soutien financier d’une chambre. Entre les reportages de Mortaza Behboudi pour France 2 ou encore les stages dans les rédactions de Ouest-France, nos collaborations ont nourri un journalisme objectif, passionné et libre.

Le devoir de solidarité doit se traduire de manière concrète”, a martelé François-Xavier Lefranc, récemment nommé président du directoire Ouest-France. Le journal tient depuis plusieurs années un stage d’immersion pour les journalistes de la MDJ, afin de leur permettre de s’insérer dans le milieu médiatique français.

Ouest-France a toujours parlé de l’actualité internationale, et “les contacts que nous avons avec vos journalistes réfugiés sont extrêmement importants et intéressants, sur une matière que l’on veut suivre en permanence. Ils apportent un regard différent sur l’analyse de l’actualité et les manières de travailler, ce qui est toujours passionnant et très enrichissant” autant pour Ouest-France que pour nos résidents.

Les journalistes et dessinateurs, “fantassins de la démocratie”

Mais tous n’ont pas la chance d’effectuer un stage, de trouver directement du travail après son exil ou d’échapper purement et simplement à la censure. Mortaza Behboudi, journaliste franco-afghan, se rendait régulièrement en Afghanistan pour dénoncer le régime des Talibans. Depuis le 7 janvier 2023, il est enfermé dans une prison à Kaboul et est accusé d’espionnage, ayant été arrêté en plein milieu d’un tournage.

Geneviève Garrigos, élue conseillère de Paris, a tenu à rappeler que le franco-afghan, ancien résident de la MDJ, devait être libéré au plus vite. La Mairie de Paris a donc réaffirmé son appui envers sa personne et pour la presse indépendante.

Nous savons combien, dans le cadre actuel, il est important que nous soyons mobilisés pour défendre la liberté de la presse. […] J’ai une pensée toute particulière pour les journalistes emprisonnés, en particulier Mortaza Behboudi, dont nous demandons la libération immédiate avec la Ville de Paris, car le journalisme n’est pas un crime.”

Une photo d’Atef Ammari.

Pour Barbara Moyersoen, déléguée générale de l’association Cartooning For Peace, la mobilisation doit également s’étendre à tous les acteurs de la presse. En effet, “les dessinateurs de presse, à l’instar des journalistes d’investigation et photographes, sont parfois les premières cibles” des censure et répression de la liberté d’expression.

Les dessins de presse vont dénoncer les travers du pouvoir ou de la société à travers l’humour et la satire, ce que les autoritarismes détestent le plus. Ce sont les premiers fantassins de la démocratie”, a-t-elle affirmé. Leur emprisonnement et les répressions qu’ils subissent témoignent de l’état général de la liberté de la presse dans un pays ou un domaine, ce pourquoi leur protection demeure si cruciale pour le monde de la presse et la Maison des journalistes.

Maud Baheng Daizey

La Maison des Journalistes au cœur de la lutte contre la désinformation

Ce jeudi 26 janvier, la Maison des Journalistes a accueilli une conférence sur l’action européenne en faveur de la liberté de la presse et contre la désinformation, en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères. La MDJ a eu l’honneur de recevoir la secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, Laurence Boone, ainsi que Patrick Penninckx, chef du service « Société de l’Information » au Conseil de l’Europe.

Dans son propos introductif, Darline Cothière directrice de la MDJ a rappelé l’étendue de l’action de la Maison des journalistes en faveur de la liberté de la presse et la lutte contre la désinformation. « Cette conférence a toute sa pertinence dans ce lieu unique au monde qui accueille des journalistes exilés venus des quatre coins du monde. Elle permet d’apporter un éclairage sur les initiatives européennes pour lutter contre le fléau de la désinformation qui affecte nos sociétés », a-t-elle déclaré avant d’adresser ses remerciements à la Secrétaire d’Etat chargée de l’Europe, Laurence Boone, initiatrice de l’événement. 

La directrice de la MDJ Darline Cothière avec la secrétaire d’Etat Laurence Boone. Crédit photo : MEAE

Au micro de la MDJ, la secrétaire d’Etat affirme avoir choisi la Maison des Journalistes pour sa raison d’être, à savoir protéger la liberté de la presse et d’expression. « Tenir cette conférence au sein de la MDJ était l’évidence-même », a-t-elle assuré avec le sourire.

La secrétaire d’Etat chargée de l’Europe Laurence Boone ouvre la conférence. Crédit photo : MEAE

La secrétaire d’Etat Laurence Boone.

Sciences Po Media Lab, l’AFP et l’INA étaient également présents pour discuter du projet, accompagnés de divers journalistes européens. Sabina Tsakova, responsable juridique et politique de la DG Connect de la Commission européenne, a évoqué le « Media Freedom Act », instauré en septembre 2022 et dont les bénéfices se font déjà sentir auprès des populations concernées. Cet acte permet en effet de préserver l’indépendance éditoriale des médias, tant de la part des états-membres que de la presse elle-même. La nouvelle législation accorde également un large pan à la protection des sources et à la transparence des détenteurs de médias (qui possède quoi).

Des outils toujours plus nombreux pour assister les journalistes

« La vérité n’est pas une chose absolue, nous pouvons tous avoir des opinions, mais les faits demeurent une fondation stable. » Ainsi fut lancé la seconde partie de la conférence, consacrée à la lutte contre la désinformation en Europe. Des journalistes biélorusse, maltais, polonais, lituanien se sont succédés pour évoquer la censure, les mensonges étatiques et l’exil que certains ont subi. Antoine Bayet, directeur éditorial de l’INA, était chargé de la modération. Pour éviter les fake news, deux grands outils : l’éducation et les fact-checker.

Soutenue par l’AFP, le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information) et le Media Lab de Sciences Po, « De Facto » est la plateforme recensant les outils de fact-checking des médias français, pour permettre à tous de lutter contre la désinformation. Affiliée au réseau européen EDMO (European Digital Media Observatory), « De Facto » sera en position jusqu’en 2024 et continue de présenter ses nouveaux outils et méthodes dans les écoles et pour le grand public.

Pour ce faire, la plateforme européenne « De Facto » permet aux professeurs, citoyens, et organismes de presse d’utiliser les outils en ligne pour vérifier les informations, apprendre à s’informer ou encore « debunker » les rumeurs les plus populaires (notamment sur la guerre en Ukraine). Mais ces outils et plateformes peuvent se révéler insuffisants, à l’instar de la lutte contre la désinformation en Lituanie, très préoccupante depuis le début de la guerre. 

« Certains des outils créés pour combattre la désinformation ne s’appliquent pas sur les petites langues comme le lituanien. Ce pourquoi nous avons besoin de spécialistes et chercheurs pouvant adapter nos outils à tous les pays-membres », a expliqué un des intervenants.

Autre problème, la plupart des lois européennes se basent sur la démocratie et la pluralité, poussant les Etats-membres à ne pas interdire certaines chaînes d’informations russes sur leur territoire. Alors, comment l’Europe va-t-elle se prémunir de la désinformation ? Patrick Penninckx, chef du service « Société de l’information » au Conseil de l’Europe, a accepté de nous adresser quelques mots, notamment sur la mauvaise situation de la presse en Grèce.

Le chef de service Patrick Penninckx

Une conférence réussie au sein de la Maison des Journalistes, qui continue d’œuvrer pour la liberté de la presse et de protéger des journalistes du monde entier.

Un article de Maud Baheng Daizey. Tournage d’Alhussein Sano.

« Portrait(s) d’une Résistance » La MDJ reçoit la photographe Justyna Mielnikiewicz.    INTERVIEW

Traduction Rim Benomar

Invitée à La Maison des journalistes à l’occasion de son exposition photo « Portrait(s) d’une Résistance », Justyna Mielnikiewicz, photographe polonaise installée à Tbilissi (Géorgie) a été interviewée par Manar Rachwani, Journaliste syrien actuellement résident de La MDJ.

M.R : Généralement, les gens admirent les photos, mais s’intéressent peu à la personne derrière l’objectif. Selon vous, quelle est la différence entre un photojournaliste et un journaliste, et comment pourriez-vous décrire votre expérience en tant que photographe de guerre ? 

J.M : La photographie est un outil de communication dont disposent les journalistes, à travers lequel ils peuvent transmettre au monde des fragments de nos réalités. J’ai capturé ces cinq dernières années l’évolution de l’invasion russe et ses conséquences sur la vie quotidienne du peuple ukrainien. C’était important pour moi de dévoiler la réalité d’une vie en guerre et de raconter l’histoire d’une résistance qui dure depuis 2014. J’ai vécu sous l’ombre de l’invasion russe en Géorgie et notamment en Ukraine. Ma motivation pour documenter la guerre est surtout personnelle avant d’être professionnelle. Je raconte tout simplement les difficultés des deux pays qui m’ont accueillie. Je considère que la technologie permet de faciliter la communication dans le monde, ma mission est de donner une voix à l’Ukraine et la Géorgie. Ces deux pays manquent de moyens nécessaires pour transmettre leurs propres messages. Depuis le début de l’invasion russe, de nombreuses fausses informations sur l’Ukraine ont été diffusées sur internet. La Russie a le pouvoir d’orchestrer de diverses campagnes de désinformation sur la guerre en Ukraine. En tant que photographe, je désire partager la vérité.

M.R : On parle souvent de l’objectivité et surtout de l’obligation de neutralité en journalisme. Selon vous, est-ce que chaque journaliste doit disposer d’un message particulier à transmettre ?

J.M : En tant que journalistes, l’objectivité est un outil que nous devons appliquer et respecter dans nos recherches. Il faut partager l’information sans faire intervenir des préférences personnelles. C’est à nous de restaurer la crédibilité des médias, et dévoiler les vérités. Toutefois, il est difficile d’atteindre l’objectivité dans certaines situations, surtout face à des événements monstrueux. 

M.R : Que représente pour vous cette exposition de vos portraits à la Maison des journalistes ?

J.M : Voir mes portraits tirés en grand format et exposés sur la façade de la MDJ me fait très plaisir, cela les rend beaucoup plus accessibles, en effet, les passants s’arrêtent et peuvent découvrir les photographies directement, contrairement aux galeries. De plus, j’admire beaucoup le travail de cette structure qui défend les journalistes menacés. La France se mobilise beaucoup plus que la Géorgie et l’Ukraine pour les journalistes.  

Quelques pages du livre “Ukraine Runs Through it (2019)” de Justyna Mielnikiewicz

M.R : Les photos affichées sur la façade de la MDJ ne sont qu’une petite partie des portraits que vous avez pris lors de votre déplacement en Ukraine. Quelle est la particularité de ces photos et est-ce qu’elles montrent les différents aspects de la guerre ? 

J.M : La guerre n’est qu’une partie de la vie parmi tant d’autres, et elle n’empêche pas les habitants du pays de pratiquer leurs activités et d’assurer les responsabilités quotidiennes : faire les courses, emmener les enfants à l’école, etc.. Ces aspects de la vie, certes, impactés par la guerre, continuent d’exister.

Le but de ces photographies est de montrer que la vie de ces femmes et ces hommes continue malgré la pression du conflit, afin que chacun puisse s’identifier dans leur quotidien et de se retrouver dans leur histoire.

Dans mon travail, j’essaye de mettre en avant la résistance de tous ces gens ordinaires face à cette guerre qu’ils sont en train de subir, et essentiellement les femmes, afin de déconstruire les idées reçues et démontrer que la guerre n’est pas qu’une affaire d’hommes.

M.R : En tant que photographe qui documente la vie en Ukraine depuis 2014, est-ce que vous étiez surprise par la résistance Ukrainienne, ou vous vous y attendiez ? 

J.M : En 2014, un grand nombre d’Ukrainiens s’est porté volontaire dans l’armée et l’État ne pouvait pas fournir l’équipement à tout le monde. Donc les Ukrainiens ont organisé plusieurs campagnes de collecte de fonds afin de se procurer des armes, des gilets de sauvetage et des médicaments. C’est en restant unis qu’ils ont réussi à résister face à l’invasion russe. Actuellement, l’armée de l’Ukraine est mieux équipée et mieux gérée, mais  les Ukrainiens continuent à faire des dons et d’aider de toutes les manières possibles. Par exemple, une de mes amies a perdu son compagnon durant le conflit de 2014. Suite à ce drame, elle a décidé de travailler dans le bureau des personnes disparues à Dnipro en tant que bénévole en parallèle de son travail à l’Université. Quand la guerre a éclaté en 2022, elle a commencé à récolter les dons pour les réfugiés et à préparer les médicaments pour les soldats. Les gens qui sont bien informés sur la situation de l’Ukraine, savent très bien que les Ukrainiens ont toujours résisté face à l’occupant russe. 

M.R : Est-ce que vous avez peur que le monde commence à oublier la guerre en Ukraine et à négliger la souffrance du peuple ukrainien ? 

J.M : Je pense que c’est un souci qui vient avec chaque guerre. Les guerres en Syrie et Afghanistan ont été oubliées au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine. J’espère que le monde n’oubliera pas l’Ukraine et que le peuple ukrainien continuera à écrire son histoire. 

Justyna Mielnikiewicz avec Darline Cothière, directrice de la MDJ, et Alberic De Gouville, président de la MDJ

 « Portrait(s) d’une Résistance – Ukraine 2004-2022 » est une exposition de photographies de la photographe-documentaire Justyna Mielnikiewitcz, mise en place par la Maison des journalistes en partenariat avec L’Institut polonais de Paris, le Centre Culturel Ukrainine et la communauté des bellaruss à paris 

Justyna Mielnikiewicz, photographe polonaise, vit à Tbilissi, en Géorgie, depuis 2003. Ses travaux ont été publiés dans le monde entier entre autres par le New York Times, Newsweek, Le Monde, Stern et National Geographic. Elle a été lauréate du World Press Photo, de la Bourse Canon de la Femme Photojournaliste , du prix du jeune photographe du Caucase de la Fondation Magnum, de l’Aftermath Project Grant et du Eugene Smith Fund. La plus grande partie de son travail est consacrée à des projets personnels de long terme, publiés sous forme de livres: Woman with a MonkeyCaucasus in Short Notes and Photographs (2014), Ukraine Runs Through it (2019). Ce dernier a été présélectionné parmi les 20 meilleurs livres par Paris Photo et Aperture. Justyna Mielnikiewicz est représentée par l’agence MAPS

© Elyaas Ehsas


Revue de presse

« Photographie : la résistance ukrainienne dans l’objectif de Justyna Mielnikiewicz », La Croix

« Exposition « Portrait(S) D’une Résistance – Ukraine 2004-2022 » À Paris XV », Carnets de Week-end

« L’Ukraine dans le viseur de Justyna Mielnikiewicz : « Portrait(s) d’une résistance ». Maison des Journalistes, Paris », Blog de Philippe Rochot

« UKRAINE : UNE EXPO PHOTO À LA MAISON DES JOURNALISTES », Sgen-CFDT 

« Portrait(s) d’une ukrainienne sur les grilles de l’Hôtel de Ville », Mairie de Paris

« Portrait(s) d’une résistance ukrainienne sur les grilles de l’Hôtel de Ville », Sortir à Paris

« Journée internationale de la liberté de la presse : mise à l’honneur de la résistance ukrainienne par la Maison des journalistes », L’Oeil de la Maison des journalistes 

« Une exposition pour rendre hommage aux reporters de guerre en Ukraine », France 24, reportage 

« Portrait(s) d’une résistance en Ukraine », TV5 monde

Journée internationale de la liberté de la presse : mise à l’honneur de la résistance Ukrainienne par la Maison des journalistes

Par Emma Rieux-Laucat

« C’est une guerre géopolitique mais c’est aussi une guerre de l’information avec tout ce qui va avec : les fakes news, la manipulation, le complotisme. Présenter ce travail c’est montrer en « toute objectivité » ce qui se passe en Ukraine » a expliqué Darline Cothière, directrice de la MDJ, invitée par la chaîne de télévision TV5 monde pour présenter l’exposition grand format «Portrait(s) d’une Résistance. Ukraine 2004-2022. Justyna Mielnikiewicz » accueillie sur la façade de l’association du 3 mai au 3 septembre 2022.

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*S.E Vadym Omelchenko, ambassadeur d’Ukraine, pendant sa prise de parole
* Natalia Barbarska, chef de projet à l’Institut Polonais de Paris, et Laetitia Ganaye, coordinatrice chez MAPS, en train de présenter l’exposition
*Darline Cothière, directrice de la MDJ, lors de sa prise de parole

Le 3 mai dernier, journée mondiale de la liberté de la presse et dans le cadre des célébrations de ses vingt d’existence, la Maison des journalistes a mis à l’honneur le travail de Justyna Mielnikiewicz, journaliste polonaise qui documente la situation ukrainienne depuis le début des années 2000. Résidents-journalistes, partenaires et amis de la MDJ ont pu découvrir sur la façade de la Maison, 13 photos grands format prises en Ukraine par la photographe entre 2004 et 2022. Date à la symbolique forte, pour la liberté de la presse et les droits des journalistes dans le monde et aussi fête nationale pour la Pologne.

En collaboration avec l’Institut Polonais, l’Ambassade d’Ukraine en France et la Communauté des Bélarusses à Paris, ce projet, lancé à une date hautement symbolique pour la défense du droit à l’information et des droits des journalistes, a surtout été l’occasion de mettre en lumière l’actualité immédiate du conflit en Ukraine, notamment en offrant une tribune à son Ambassadeur en France, S.E Vadym Omelchenko. Devant une assemblée de représentants diplomatiques et politiques européens et internationaux, tels que l’Ambassadeur de Colombie en France, l’Ambassadeur d’Haïti en Belgique, le Ministre plénipotentiaire auprès de l’Ambassade d’Allemagne, la Représentante de la France auprès de l’Unesco ou encore le Maire du 15ème arrondissement,  l’ambassadeur ukrainien en France a délivré un poignant discours.  Prenant en exemple l’assassinat de la journaliste russe Anna Politovskaïa et le rapprochant des décès des 12 journalistes depuis le début du conflit, il a rappelé l’importance de documenter la guerre et a salué cette exposition expliquant, qu’ « être ukrainien c’est le choix d’être libre et cela est très bien exprimé dans le travail de Justyna Mielnikiewicz ».

Monsieur l’ambassadeur d’Ukraine S.E Vadym Omelchenko accompagné de son traducteur, pendant sa prise de parole le 3 mai 2022.

Sur le terrain en Ukraine, au moment du vernissage, la photographe a cependant rédigé un texte pour accompagner ses photographies. Elle y explique notamment son travail de documentation depuis plus de 10 ans sur les divergences politiques entre l’Ukraine et la Russie vis-à-vis de leur passé soviétique commun et des conflits idéologiques et territoriaux qui en ont découlés. Les photographies de Justyna Mielnikiewicz sont prises dans les régions avoisinantes du Dnipro, fleuve qui traverse le Bélarus et l’Ukraine, que la documentariste  a choisi comme ligne métaphorique de son travail. Ce choix n’est pas le fruit du hasard :  ce courant d’eau est devenu au fil des années la ligne de défense des soldats ukrainiens face à l’arrivée des troupes russes. Au travers de ses reportages, la photographe cherche à mettre en lumière l’omniprésence de la guerre et ses impacts immédiats sur le quotidien des Ukrainiens. Dans le texte accompagnant l’exposition, elle explique d’ailleurs que « les récits rassemblés ici sont le témoignage d’expériences individuelles sur fond de problèmes fondamentaux, moteurs de la transformation d’un pays et de sa société ».  Des portraits de femmes et d’hommes dans l’ombre de la guerre pour parvenir à dresser celui d’un peuple en résistance.

Au premier plan, Laetitia Ganaye membre de l’agence MAPS qui représente Justyna Mielnikiewicz en France, entrain de faire une présentation du travail de la photographe.

« Portrait(s) d’une Résistance. Ukraine 2004-2022. Justyna Mielnikiewicz » est exposée jusqu’au 3 septembre sur la façade de la Maison des journalistes. 

Le travail de la photographe est aussi  visible sur les grilles de l’Hôtel de ville à Paris du 10 mai et jusqu’au 20 juin 

Une table-ronde est organisée à l’Académie du Climat, le 08 juin 2022, avec la participation de Justyna Mielnikiewicz, Mohamed Badra photojournaliste syrien lauréat des Prix Bayeux Calvados-Normandie et Worldpress photographie, Julie Dungelhoeff grande reporter à France 24 et à RFI, Stefan Foltzer journaliste franco-polonais correspondant de la radio “Polskie Radio SA” et Manon Loizeau grande reporter franco-britanique prix Albert Londres et spécialiste de la Russie. Albéric de Gouville, président de la MDJ et Secrétaire général de l’info à France 24  est en charge de la modération de la discussion. 

©Ahmed Muaddamani

REPORTAGE, FRANCE 24