Gaza, quand le nombre de victimes ne paraît pas choquer

[Par CHICHI]

La guerre entre Israël et la Palestine, c’est une vieille histoire sanguinaire. Elle continue de faire couler du sang. Espérons que la communauté internationale tranche bientôt en faveur d’une paix durable au bénéfice des deux peuples du Moyen­ Orient, puisque même des enfants et des femmes innocents sont souvent les victimes de ces guerres incessantes déclenchées depuis 1948, année de la création de l’État d’Israël. D’où les problèmes des frontières et d’ailleurs les Palestiniens ont des revendications sur le territoire israélien. Il s’ensuit alors que ces deux peuples sont toujours en guerre perpétuelle.

Le ciel de Gaza, illuminé par les bombardements et les bâtiments en flammes  [Photo tirée de www.linfo.re]

Le ciel de Gaza, illuminé par les bombardements et les bâtiments en flammes
[Photo tirée de www.linfo.re]

La région voit toutes sortes de tuerie, d’enlèvement et de bombardement. L’insécurité et l’instabilité politique sont devenues la règle.

D’où vient cette différence de traitement face à des désastres humanitaires majeurs ?

Puisque le nombre de morts ne paraît pas choquer l’opinion publique, quels sont les éléments qui polarisent l’attention sur la guerre entre Israël et Hamas, et pourquoi ceux qui meurent en Syrie ne suscitent pas le même intérêt ?

Gaza, je refuse que le Proche-Orient me soit conté

[Par Armand IRE’]

“On a entendu des cris à Rama,
Des pleurs et de grandes lamentations:
Rachel pleure ses enfants,
Et n’a pas voulu être consolée,
Parce qu’ils ne sont plus.”

Mathieu 2:18.

Photo crédits : MOHAMMED ABED/AFP/Getty Images

Les filles de Hasan Baker, 60-ans, pleurent lors de ses funérailles dans la ville de Gaza, le 22 Juillet 2014. [ Crédits photo : MOHAMMED ABED/AFP/Getty Images ]

Comme Rachel la mère hébraïque de la bible, les femmes ne cessent de hurler à Gaza car leurs enfants, leurs nouveaux nés ne sont plus. Des familles crient de douleur à Tel-Aviv, elles ont ras-le-bol d’un conflit qui tue la vie.
Qui va les sauver de Tsahal, du Hamas et de l’indifférence de la communauté internationale?

Laissez au moins vivre les enfants…pitié !

Je refuse que le Proche-Orient me soit conté, épargnez moi le compte d’un conte macabre. Je refuse le décompte sous les décombres.
La vallée de larmes et de sang ne cessera donc jamais sa crue sur la terre dite sainte?!

Stop ça suffit…ils veulent vivre tout simplement…ces enfants.

 

 

Une seule rue pas plus

Un poème de Rana ZEID

Traduit de l’arabe au français par Dima Abdallah‏.

Crédit photo : Muzaffar Salman (2007)

Crédit photo : Muzaffar Salman (2007)

 

Chaque jour je dois jeter du pain aux pigeons,
Et mon cœur aux loups.

Il y a un trou dans mon cœur,
Je le cache sous ma main tremblante,
Et j’ai peur que ma main ne suffise pas.

Chaque aube je me lève et j’écarte
Une balle tombée la veille,
À mes pieds.
Je poursuis la mort jusqu’au cimetière,
Rien dans cette ville
À part des roues de bicyclettes,
J’ignore le nom du cimetière
« C-o-p-e-n-h-a-g-u-e » !

Derrière les rochers
Sur les tombes froides,
Voilà le loup du néant lapant minutieusement les morts
Essuyant le sang sur leurs mains
Comme s’ils étaient des tueurs du passé.

Il y a un seul enfant,
Et un seul cygne,
Et un seul cadre photo,
Dans une seule rue.

Une seule rue, pas plus,
Où je marche chaque jour,
A Copenhague,
Une seule rue, pas plus,
Et un seul cimetière vert et froid,
Où il y a des corbeaux heureux,
Et des chats noirs essayant de gratter la terre gelée,
Leurs griffes s’accrochant aux esprits,
Et moi je traverse les morts chaque jour,
Je meurs chaque jour,
Une fois ou plus,
Et je pense que le tueur à Damas,
Aiguise le couteau sur les dents du tué.

« Cet endroit n’est plus celui des oiseaux désormais,
Il est celui du franc-tireur ».
Ma main sur mon cœur amène chaleur et larmes,
Et les débris de vitres coupants de la fenêtre de ma maison.

Le lys,
Le lys,
N’est pas pour les tueurs.

Morts et les fleurs hivernales, à Copenhague,
Morts et la chaleur des balles à Damas.
Une seule rue, pas plus,
Suffit à l’ordre mondial
À la gomme sur la chaise
À l’enfant paresseux à cause de la guerre
Tous ne savent pas que la guerre est perpétuelle et eux éphémères.

L’empreinte du tueur dans la neige et l’amour et le vin,
Dans ma main, dans mon verre, dans ma nourriture amère,
Et moi je meurs d’une gorgée du poison
Et de la force du crépuscule,
Et de la nuit et d’amour,
Et du canapé froid,
J’entends une chanson qui ne signifie rien que plus de vie,
Vie… vie, et la mort telle une morsure d’enfant,
« Qui tète d’un sein étranger ».

Je veux marcher dans la rue orpheline,
Et écrire une longue liste :
Je veux du pain et un médicament et des pansements et un couteau et une pierre
Et un échiquier
Voilà ma requête,
Et je veux aussi : des pommes et des bananes et du raisin et du vin
Je veux que les misérables reconnaissent les tyrans,
Pour qu’ils meurent,
Les morts reposent en paix, alors qu’ils mangent le sable,
Mon cœur accélère, un bégayement sort alors de ma bouche,
Avec la solitude et l’amour et la mort et la bière,
Et le fil qui dépasse du trou de mon cœur.

Vit le cimetière,
Et meurent les misérables,
C’est ainsi que le tueur a le sentiment de justice

Comment les gens sauraient-ils
Que le tueur ne vole pas les fleurs d’oranger
Parce qu’il est mauvais,
Mais parce qu’il saigne ?
C’est pourquoi, c’est pourquoi,
Il ne peut s’arrêter,
De voler chaque heure une poignée,
Et son pas lent descend l’escalier du jardin.

Là-bas une guerre
Jaune,
Une guerre jaune,
Oui, jaune mon ami,
J’aime que le cadavre soit jaune !
Et si on dansait sur une musique soft rock
Dans cette guerre si douce,
Tel le canon moite et langoureux du tank ?

Il me dit, après avoir écarté de mon épaule une feuille jaune :
Un poème ne te sert à rien,
Ce dont tu as besoin : un homme et une mitrailleuse
J’ai dit : j’ai un homme et il me manque une seule pomme.

Seulement aussitôt une feuille rouge tomba
De la petite plante au-dessus de la table,
Et j’étais à un tel degré de désespoir,
Comme si j’étais la tuée attendant son enterrement,
La tuée qui ne croyait pas que les corbeaux suivent les ruines,
Jusqu’à ce que je la vois, seulement aussitôt,
La fumée noire la tirait avec force par le cou,
À Damas.

Dans la jolie et humble cage,
Se trouve un très long miroir,
De sorte que moi-même et Dieu nous nous regardons l’un l’autre
Dans le même foyer de vision,
Dans une seule rue, pas plus,
A Copenhague.

La guerre israélo-palestinienne : Hamas, quel avenir ?

[ Par Larbi GRAÏNE ]

La guerre entre la Palestine et Israël, c’est-à-dire entre deux nations n’est pas vue par certains comme telle. Elle opposerait plutôt le Hamas, présenté comme une organisation terroriste d’obédience islamiste à l’Etat d’Israël. Cette accusation de terrorisme oriente d’emblée les lectures qu’on peut faire d’un conflit pourtant décrit au départ comme relevant de la colonisation.

Dévastation à Shejaiya, le quartier résidentiel de  Gaza  City, le 26 Juillet 2014. [ Photo: Majdi Fathi / NurPhoto / Corbis ]

Dévastation à Shejaiya, le quartier résidentiel de Gaza City, le 26 Juillet 2014. [ Photo: Majdi Fathi / NurPhoto / Corbis ]

Il est vrai que le mouvement national palestinien a profondément changé, comme a changé tout aussi profondément son environnement international. Branche palestinienne des Frères musulmans, le Hamas offre au mouvement panislamiste sa première victoire politique en remportant les législatives de janvier 2006, devançant ainsi historiquement la branche mère, qui en Égypte, ne réussit à s’emparer (temporairement) du pouvoir que six ans plus tard. Les Frères musulmans ont placé le combat contre les Juifs et la destruction d’Israël au centre de leur doctrine. Ils ont en fait de la violence leur credo. Seuls les Frères d’Égypte qui affrontent une autre réalité durent y renoncer.

 

Naissance du Hamas

Le Hamas apparaît sur la scène politique en 1987 après que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) conduite par Yasser Arafat qui alors était le seul représentant de la révolution palestinienne, eut amorcé un changement dans son attitude en acceptant de reconnaître l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1948 ainsi que l’idée de partager avec lui le territoire. L’Autorité palestinienne fruit d’un accord avec Israël, voit le jour dans des conditions de difficultés extrêmes. Le Hamas rejette en bloc les accords de paix israélo-palestiniens. Il est du reste aiguillonné par la première Intifada de décembre 1987, un mouvement populaire de désobéissance civile qu’il va grandement soutenir. Très vite l’Autorité dirigée par Yasser Arafat chef historique de la révolution palestinienne,  entre en conflit avec les islamistes  qui dans un premier temps, préfèrent s’auto-exclure du jeu politique en boycottant l’ensemble des échéances électorales. Deux événements vont pousser le Hamas à changer de tactique : le déclenchement de la seconde Intifada en 2000 qui survient dans un contexte marqué par un contrôle militaire de plus en plus strict et la mort de Yasser Arafat en 2004. Le Hamas prône désormais la participation à la vie politique nationale. Il en sort du renforcé de l’épreuve des urnes en raflant à la majorité absolue les sièges de l’assemblée nationale. Dès sa prise de pouvoir, le premier ministre hamasiste Ismaïl Haniyeh, pointe la corruption du Fatah et sa mauvaise gouvernance. Ce succès retentissant ne lui ramène pas  pourtant la reconnaissance du monde occidental.

 

Soldats de Hamas en Palestine [Photo tirée de http://islamic-hdwallpapers.blogspot.fr ]

Soldats de Hamas en Palestine [Photo tirée de http://islamic-hdwallpapers.blogspot.fr ]

Déclaré « terroriste » par les Etats-Unis

Élu en 2005 comme président de l’Autorité palestinienne, Mahfoud Abbas du Fatah, ne cache pas son animosité envers le Hamas dont il promeut l’image d’un mouvement dangereux. Mahfoud Abbas ne bronche pas lorsque les États-Unis, suivis bientôt par d’autres pays européens classent le Hamas parmi les organisations terroristes.  Il va sans dire que les émotions médiatiques pèsent de plus en plus sur l’issue d’un conflit. On a vu du reste nombre de commentateurs pro-palestiniens rabâcher  sur les circonstances à l’origine de l’offensive israélienne sur Gaza déclenchée le 8 juillet 2014. Tous ont à cœur de prouver que Hamas n’a pas commis l’enlèvement des personnes qui a donné prétexte à l’armée israélienne  d’intervenir. Or le Hamas veut montrer qu’il a une stratégie et qu’il s’en tient à ses objectifs. Depuis le début des hostilités, le parti islamiste ne cesse de clamer haut et fort qu’il n’accepterait pas le principe d’un cessez-le-feu comme celui défendu par l’Egypte d’Al Sissi. Le Hamas a déclaré qu’il y consentirait que si Israël lève le blocus de l’enclave palestinienne, cesse ses bombardements sur Gaza, libère les 50 prisonniers palestiniens échangés en 2011. Autre demande de Hamas : la réouverture du poste-frontalier de Rafah avec l’Égypte.

 

Des roquettes en nombre

En outre, Hamas paraît avoir renforcé ses capacités militaires durant ces 5 dernières années en se dotant de roquettes pouvant atteindre des objectifs jusqu’à 160 km. Pratiquement c’est le triangle névralgique Haïfa – Tel-Aviv-Jérusalem qui est concerné. Il a creusé des tunnels partout pour cacher son arsenal. L’armée israélienne peine à localiser ces caches attendant davantage de renseignements pour les démanteler. Elle sait que tout cessez-le-feu est de nature à arranger les affaires de son ennemi. Il n’y a pas meilleure façon d’encourager les Palestiniens à développer leur production de roquettes que de les laisser tranquilles.

Pour autant le parti islamiste n’est pas en aussi bonne posture qu’il le prétend. En exhibant ses capacités destructrices face à Tel-Aviv, le Hamas se condamne tôt au tard au désarmement. Du reste, sa gestion des différentes incursions de l’armée israélienne, a fait baisser l’estime que la population avait envers lui. Si Hamas joue sa survie, en tentant de gagner une légitimité qu’il n’a plus, à coup sûr l’issue de cette énième confrontation avec l’État hébreux , le conduira à mille renoncements.

 

 

 

Franc-tireur

Un poème de Rana ZEID.

Traduit de l’arabe au français par Dima Abdallah‏. 

Alep, Syria, 2012. © Muzaffar Salman‏

Alep, Syria, 2012. © Muzaffar Salman‏

Moi, Dieu et toi,

Deux oiseaux et un franc-tireur.

Le franc-tireur ne se rappelle rien de son passé,

La précipitation lui fait oublier ses plaisirs…

Ses poches sont lourdes de la douleur des balles,

Son doigt attend le départ rapide après le tir.

Vivrai-je assez pour que les feuilles de vigne bourgeonnent sur moi,

Si je ne meurs pas qui serai-je ?

Une danseuse de ballet,

Qui a jeté son cœur au puits,

Tel un récipient métallique

Puis l’a ressorti fissuré,

Que le monstre a trainé au puits

Et elle est devenue monstre comme lui.

Le franc-tireur a t-il oublié

Le sang à découvert sur mon épaule

Et la fraicheur de la paume d’un homme

Contemplant la mer

Dans son autre paume ?!

Moi, Dieu et toi

Deux oiseaux et un franc-tireur

Sans odeur de meurtre,

Il a sa sombre cave

Et le battement lent du cœur

Et pour nous tous les trous des arbres anciens.

 

 

Printemps arabe : Les femmes vont-elles faire leur révolution ?

[Par Maha HASSAN]

Traduit de l’anglais au français par Quentin Davidoux.

Cliquez ici pour lire l’article en arabe paru dans le blog de Maha Hassan, le 1er Avril 2014.
Cliquez ici pour lire l’article en anglais paru dans le site du Heinrich Boell Stiftung, le 24 Avril 2014.

Je suis venue au monde comme une femme : avant la révolution syrienne.
Je ne nie pas avoir oublié parfois que je suis une femme, préoccupée par l’écriture et la vie, et obsédée par mon pays qui oscille entre les berges de la mort. Au moment où j’ai commencé à écrire, j’avais longtemps ignoré  que j’étais une femme. L’éducation masculine que j’ai reçue m’a poussée à renier mon sexe et je sentais mon infériorité du fait de ma féminité ; par ailleurs les modèles féminins apparus dans les domaines littéraire et médiatique ne m’ont jamais captivée, le rêve qu’ils poursuivaient n’ont jamais du reste croisé le mien.

Protester contre le harcèlement sexuels et la échecs de la police. Syndicat de la presse. Photo: Hossam el-Hamalawy. Creative Commons LizenzvertragThis image is licensed under Creative Commons License.

Protester contre le harcèlement sexuels et la échecs de la police. Syndicat de la presse. Photo: Hossam el-Hamalawy. Creative Commons LizenzvertragThis image is licensed under Creative Commons License.

Mes rêves étaient masculins. Je m’identifiais aux hommes ; j’étais l’un d’entre eux : Sartre, Nietzsche et Hegel, puis Kafka et Proudhon, et, finalement, dans la période précédant mon éveil féministe, Dostoïevski, Kundera et beaucoup d’autres, tous, en fait. Dans ma vie privée, je rencontrais beaucoup de femmes exceptionnelles, mais aucune n’était une célébrité de la littérature ou du cinéma ; ainsi, à l’époque, je ne me rendais pas compte de leur distinction car mon jugement sur les autres était lié à ce qu’ils écrivaient.

Enfant, ma bibliothèque était remplie de livres de Camus, Sartre et Colin Wilson ; j’ai grandi comme un homme et c’était à eux que je m’identifiais. Peut-être qu’inconsciemment je détestais ce que j’étais : une femme.

Les textes de Nawal el Saadawi étaient nouveaux pour moi. Ce monologue me repoussait et ne me concernait pas. Je ne lisais pas les textes de Ghada Al Samman ou d’autres auteures arabes, et même des écrivains arabes, dont les textes me laissaient de marbre avec leur narcissisme, leur immaturité intellectuelle en quête d’une identité – d’une unicité, peut-être…

En grandissant, je fus soudain confrontée aux tabous sociaux. Je découvris que d’autres ne me voyaient pas comme moi je me voyais. Je ne me présentais pas comme une femme, mais ces gens-là, d’un coup de crayon (cette expression tombe à point nommée) me plaçaient dans la boite étiquetée « femme » et je subissais leur mépris et leur manque de respect. Dans un minibus à Alep, un jeune homme tenta de me violenter, et lorsque je le repoussai – comme son égal et non comme une créature inférieure à un homme –, il dit d’un ton menaçant qui me fit peur : « Ferme-la ou je te frappe devant tout le monde ! » . Je me tus, en victime, et subis ma peur. A ce moment-là, je réalisai que j’étais une femme, et que mon identité dans les sociétés de l’est était déterminée par mon corps, non par mon esprit. Jour après jour, les barrières s’érigeaient toujours plus hautes devant moi, juste à cause de ma condition de femme. Beaucoup d’opportunités m’étaient refusées à cause de ce corps de femme, un corps, croyait-on, qui contenait un esprit différent de ceux des hommes.

En remontant mon chemin (encore un cliché) dans le monde des femmes, je me suis considérée comme une étrangère parmi elles. Car, dans l’environnement où je vivais, les femmes sont des dictionnaires d’elles-même, très différent du monde de ces hommes qui m’éduquèrent : mes pères. J’eus de nombreux pères : Sartre, mon père spirituel ; mon père biologique ; Khaled, mon père intellectuel ; et bien d’autres…

Je me suis retrouvée comme une étrangère dans le monde des femmes : des tentatrices, des mangeuses d’hommes avec de la ruse, de l’intuition et une foule d’autres qualités que je ne comprenais pas. Troublée, je comptais me trouver un endroit qui me correspondrait mieux, et un ami me dit : « Une vraie femme couche avec des douzaines d’hommes sans qu’aucun ne le découvre. Tu es trop transparente ». Mes amis considéraient que la féminité chez une femme vient de sa capacité à tourmenter les hommes, or, j’étais très loin de la tourmenteuse idéale : à travers mes lectures et mon éducation, j’avais appris à croire en l’égalité parmi les êtres et au respect mutuel. « Transparence » était mon mot d’ordre dans la vie, et je finissais par être accusée d’un manque de féminité. Moi, une femme élevée dans le scepticisme, avec Descartes, Nietzsche et la pensée rationnelle, comment pouvais-je m’en tenir à une féminité consistant à suggérer mais jamais déclarer, flirter et manipuler, approcher et reculer… ? Des garçons plus jeunes que moi m’enseignèrent la chose : fais-le danser, mais garde-le dans l’incertitude…et j’échouais. En cherchant à me rapprocher des hommes, je découvris aussi leur hypocrisie ; une hypocrisie qui, à de rare exceptions près, était en quête d’une compagne libérée, une sœur ou une femme, qui ne se révélerait devant personne d’autre.

Je baissai les bras. Je ne suis pas un homme fourbe, une femme dissimulatrice. Je suis une écrivaine. Je me réfugiai dans la narration et commençai à réévaluer ces femmes que j’avais précédemment ignorées. Et J’écrivis.
Je n’ai aujourd’hui pas l’intention de discuter des portraits des femmes dans mes récits, ou même de Daughters of the Wilderness, la nouvelle qui représente mon manifeste artistique, dans lequel j’annonce que je suis devenu une femme, là où un jour je m’étais détournée de mon sexe, convaincue que l’œuvre de l’écrivain n’avait rien à voir avec son genre biologique.
Je ne suis pas si féministe que ça, mais lorsque j’écris – écrire étant une des pierres angulaires de mon identité – je prends le parti des victimes, des plus faibles, et il est toujours clair pour moi que, en gros, la femme est constituante de ce parti, même si ce n’est pas toujours l’homme qui la rabaisse.
Marquez a dit qu’il était né pour raconter des histoires, et je crois que n’importe quel romancier contient cette vérité en lui. Moi aussi, je suis née pour raconter des histoires, mais notez bien : je suis née femme et j’ai laissé mon pays parce que j’étais une femme ; serais-je née homme, j’aurais subie moitié moins d’épreuves que ce que j’ai subi en étant une femme. Être une femme, c’est subir deux fois plus de douleurs : une part pour l’être humain et une part supplémentaire pour la femme.

A l’âge que j’ai maintenant, je ne crois pas que le sexe influence l’écriture, mais, alors que j’écris, une magnifique voix résonne : la voix de ma grand-mère, la voix de femmes disparues, et de celles qui restent, torturées, enchaînées, effrayées ; un chœur enfoui profondément en moi qui chante lorsque j’écris, et, voltigeant à travers mes textes, me rappelle le fait que je suis, comme elles, une femme.

La révolution en tant que femme : Lorsqu’un air printanier a atteint la Syrie.
Lorsque commença la révolution en Syrie, j’allai là-bas dans le même état d’esprit : comme une femme qui embrasse de nouveaux horizons et qui les sent avec son capteur interne… Un mélange d’instinct biologique et de connaissances acquises lors d’une vie de lectures et d’expériences théoriques.

Je m’engageai dans la révolution en tant que femme. Une femme qui croyait à son rôle, non comme une fonctionnaire au sein des systèmes des parties politiques, associations ou croyances majoritaires, mais comme une personne entrant spontanément dans la chaîne et la trame de l’expérience des autres : de leurs douleurs, leurs injustices, leur rébellion, leur liberté…
La révolution entame sa quatrième année, et de jour en jour, la marée de sang, de mort et de destruction augmente.

Une femme… pardon : je voulais dire une révolution à laquelle nombreux rêvaient : une femme belle et impartiale balayant une histoire d’injustice, de discrimination et de désespoir imposé transformée chaque jour en cadavre pour réapparaître le suivant, l’espoir serré dans son poing.
Une femme… pardon : je voulais dire une révolution qui sait qu’elle doit traverser un champ de mines placé en travers de ses espoirs les plus chers, traverser une foule d’hommes, l’un après l’autre essayant de la couvrir d’un voile, de la dissimuler, de la guider, comme s’il était son mari légal et officiel.

Djihad, islamisation, militarisation, chacun avec leurs objectifs et étapes soigneusement définis. La révolution est passée de main en main, de slogan en slogan ; elle esquive et glisse à travers et au-delà des camps des belligérants et en ressort inaltérée, franchissant carrefour après carrefour, barrière après barrière, d’une prison idéologique à une autre, la tête haute et sur les lèvres : « Je suis la Révolution ; je ne suis pas comme vous. »
Beaucoup d’hommes se prétendent son protecteur, pour la représenter et faire respecter sa légitimité ; ils y sont aidés et encouragés par des femmes, alors que les filles de la révolution souffrent et sont violentées. Mais la révolution… pardon, la femme, qui connaît et comprend les stupidités de ses enfants, tant légitimes qu’illégitimes, ceux qui frappent à sa porte et affirme en pleurant qu’elle est leur, elle leur ouvre la porte à tous, car la femme… pardon, la révolution, rejette la discrimination.

C’est son coté sentimental, sa faiblesse peut-être, qui l’empêche de claquer la porte sur ceux qui viennent, animés de bonnes intentions, ou de mauvaises, pour l’aider. Aujourd’hui, elle est femme, femme au sein d’une révolution : c’est la formulation adéquate, la formulation qui transmet sa justice et sa droiture.
Un révolutionnaire ne respectant pas la femme ne mérite pas la gloire de la révolution. Quiconque essaye de soustraire la femme ou de la faire taire est contre les deux, femme et révolution.

Quiconque enlève les femmes est contre les deux ; quiconque empêche les femmes d’obtenir ce qui leur appartient de droit, qui leur jette de la mie de pain comme compensation de leurs pertes, est un ennemi de la femme et de la révolution.
Lorsque la femme est en danger, la révolution est en danger, la société est en danger, l’homme est en danger. La femme est la base de la révolution. La révolution est en danger si la femme est en danger : la femme est la pierre de touche de la révolution.
La révolution est en danger lorsque Samira Khalil, Razan Zeitouneh et bien d’autres femmes et hommes sont retenus par ceux qui affirment être les enfants de la révolution. Les deux femmes ont été enlevées le 10 décembre 2013 par un groupe d’hommes armées anonyme qui a attaqué le Centre de documentation des violations de Douma, ville proche de Damas. Ils ont enlevé les deux activistes, ainsi que deux de leurs collègues masculins, Wael Zeitouneh (le mari de Razan) et Nazim Hamadi, dont on est toujours sans nouvelle à ce jour.

C’est ce qu’est la révolution, comme l’histoire des femmes : les ennemis brandissent des slogans abscons, s’abritant derrière pour atteindre leurs buts, pendant que la révolution, ou la femme, demeure la moindre de leurs préoccupations.
La même chose se vérifie à travers l’histoire schizophrénique des hommes : les hommes qui défendent les droits de femmes avec lesquelles il n’ont aucun lien biologique ou légal bafouent ces mêmes droits chez eux pour bien montrer que ce sont eux qui dirigent.
Certains hommes blanchissent leurs dossiers honteux avec un liquide nettoyant magique appelé « les problèmes des femmes ». Ainsi, dans la révolution, nous pouvons aussi trouver ceux qui tentent de dissimuler les sombres taches qui gangrènent leurs pensées, comportement et intentions, avec cette javel occulte qu’est la révolution.

On ne peut pas se fier à ce qui ne peut pas être féminisé. Les révolutions qui ne peuvent pas être féminisées ne sont vouées qu’à devenir des champs de batailles et des massacres mutuels. La révolution se porte bien si la femme en son sein se porte bien. La révolution se porte bien quand tous baissent la tête devant les femmes et brandissent haut leurs images, comme l’ont fait d’autres nations. Les Français, par exemple, brandissent toujours l’image de Marianne, inébranlable, plus puissante que les portraits de leurs dirigeants. Marianne, l’incarnation de la république française, la femme à bonnet dont les statues et les peintures sont à l’honneur lors des célébrations républicaines, qui fait jeu égal avec le drapeau. Le choix du nom, cela dit, demeure un mystère. Marie-Anne était un prénom très populaire au XVIIème siècle, et souvent utilisé comme un diminutif pour « le peuple ». Sous la révolution, Marianne en vint à symboliser la liberté et la République. Elle servit d’inspiration pour nombre d’œuvres, comme le tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple.

La révolution est une femme. Libre, elle n’a pas besoin de pères, de guides ou de chefs. Elle a besoin d’enfants qui travaillent avec l’amour et la foi du changement, et de prendre fait et cause pour les femmes (en particulier) et pour l’espèce humaine.

Le printemps, les femmes et la culture.
L’an dernier, en mai 2013, j’ai pris part à un forum d’une manifestation culturelle ayant lieu pour marquer la fondation du PEN au Liban, et faisant partie d’une série d’événements organisées en collaboration avec PEN international, et avec le support du festival de Hay. La discussion au forum tournait autour des révolutions arabes et des femmes.

Ce qui fut alors dit à propos des droits des femmes semble maintenant presque complaisant à la lumière des derniers événements en Syrie : ce serait comme tenter de sauver un livre d’un bâtiment en flamme s’écroulant autour de ses occupants. J’ai souligné mon rejet de la militarisation de la révolution et de l’arrivée au pouvoir des groupes islamistes parce que j’étais sûr qu’ils supprimeraient le peu que les femmes avaient réussi à obtenir. J’ai dit qu’il n’était possible de ne parler des droits des femmes qu’en temps de paix, que les femmes elle-mêmes pourraient être les grandes perdantes en temps de paix comme en temps de guerre. J’ai révélé le niveau de despotisme dans la société arabe, affirmant que les sociétés arabes sont profondément despotiques, et que ce despotisme dans nos pays est complexe, comme des couches sédimentaires. Si l’on retire la couche du despotisme politique, on trouve le despotisme religieux. En retirant celle-ci, le despotisme familial est révélé. cycles après cycles, la plupart emmenée par une femme qui, comme l’homme, est la victime de chacune de ces couches, mais est finalement aussi la victime du despotisme de l’homme, quand bien même celui-ci fut peut-être lui-même la victime d’une oppression antérieure. C’est comme si la femme habitait dans un champ de clôtures de barbelés. A la fin, la femme est la grande perdante, perdante en temps de paix comme en temps de guerre. Et maintenant, alors que des révolutions ont lieu autour d’elles, révolutions pour lesquelles elles n’ont pas le choix de prendre les armes (principalement par le fait que la majorité des femmes s’y oppose, encore que cela soit un problème profond et épineux lié à la recherche des tendances instinctivement pacifiques des femmes et de leur prédilection pour l’esprit de famille, l’habitude et des processus de changement rationnels et sans confrontation), les femmes n’abandonnent pas et poursuivent leur lutte non-violente au sein de cycles verrouillés de violence.

Une discussion sur les violences commises par tous les partis ne signifie à aucun moment que nous mettons sur un pied d’égalité la victime et l’auteur, mais cela implique d’obliger les femmes à entrer dans une lutte qui n’est pas la leur en leur qualité de citoyenne et d’égaler le partenaire qui s’engage en politique, dans la société civile ou dans des actions d’aide publique, tout en payant parallèlement deux fois ce que paierait un homme. A la fin, pour une écrasante majorité, elle est un objet et un symbole, jamais une entité indépendante. En temps de guerre elle est une otage, en temps de paix l’honneur de la famille : dans les deux cas un symbole avec des valeurs génériques et jamais une personne en soi. Les femmes sont la fille, l’honneur et la honte, la première de la famille, puis du clan, puis des environs, puis du pays.

Les femmes prises dans la révolution ne se sentent pas immédiatement concernées par leurs droits. Bien sûr, quelques faibles efforts sont faits par des collectifs de femmes et des associations qui œuvrent pour informer et contrôler la situation des femmes en Syrie et les violations de leurs droits, mais au regard des massacres et des meurtres de masses, de tels efforts semblent irréalistes.
La femme perd parce qu’elle met ses droits de côté, parce qu’elle rejoint les hommes dans une révolution qui, selon elle, va garantir ses droits en tant que citoyenne et le concept même de citoyenneté, ce qui devrait nécessairement lui assurer ces droits et l’égalité. Mais tout ça n’est que théorie, parce que la réalité, c’est que les révolutions dans les pays avoisinant ont laissé la place à des régimes dictatoriaux, des régimes dictatoriaux de nature différente certes, mais, pour la femme, une dictature religieuse n’est pas moins dangereuse et abusive qu’une dictature politique. Les Syriennes ne sont pas descendues dans la rue pour défendre les conseils de la Charia ou la mise en place de punitions islamiques. Elles sont descendues dans la rue pour la défense de concepts civils et contemporains : pour la justice et l’égalité.

Il y a ensuite la tyrannie sociale, lorsque les femmes souffrent de l’autoritarisme masculin : le diktat du frère, du mari, du fils du voisin ou du cousin. Tous ces hommes ont des droits sur la femme parce qu’elle porte leur honneur et leur honte. Il n’y a pas de période de post-oppression : à la tyrannie d’aujourd’hui en succède toujours une autre.

La plus profonde couche de tyrannie que les femmes doivent combattre est celle de l’homme réactionnaire, l’ombre dissimulée derrière tous les hommes occidentaux qui les empêche de considérer la femme comme leur égal. La présence des femmes aux conférences culturelles et politiques est symbolique. Au fond d’eux, les hommes pensent que la femme leur est inférieure, qu’elle a besoin de conseils, et certaines femmes s’identifient à ce courant de pensée masculin, elles oppressent leurs semblables et souscrivent avec une infériorité subconsciente à cette idée que l’homme est un protecteur. Elles se blottissent contre les hommes et recueillent les bénéfices : contentement, protection et sensation de sécurité.

Parce que la femme est la garante de l’honneur, et parce que tous les hommes ont le droit d’intervenir dans ses affaires pour protéger cet honneur, il en résulte que même ces femmes qui se sont élevées contre le régime se sont heurtées à la religion et à l’autorité patriarcale une fois le pouvoir du régime mis en pièces. C’est ce qu’il s’est passé pour Samira Khalil et Razan Zeitouneh qui se sont battues contre le régime et le despotisme politique, et sont devenues en fin de compte les premières victimes de la révolution « patriarco-religieuse » qui, identique en cela au régime, réprima leur liberté et les enferma.

Nue dans sa tombe

Un poème de Rana ZEID.

Traduit de l’arabe au français par Dima Abdallah‏. 

 

Dessin de Mohamad Omran, artiste syrien.

Dessin de Mohamad Omran, artiste syrien.

La fleur sauvage que j’aperçois sur ton visage,

Comment la cueillir de ma bouche

Sans devenir sauvage ?!…

 

J’ai besoin de quelques illusions

Pour que la nuit soit plus courte,

Je frotte ma main pour la millième fois

Avant de l’ouvrir à la pluie,

C’est qu’au matin

Je me préparerai pour mon enterrement

Comme je le voudrais

Et non comme il sera.

 

Une seule feuille est tombée,

Ni plus ni moins,

De l’arbre,

Je la regardais

Comme si elle était tout ce qui fut,

J’ai su que le vent léger,

A décidé son sort,

Qui suis-je alors pour repousser le vent de ma main ?

 

Ici

La silhouette de Tina Modotti,

Et l’ennui, et une eau froide,

Un disque qui t’est laissé,

Et Catherine chante en espagnol,

Alors que Vincent joue bien pour les fantômes passés.

 

Mes mains sont ensanglantées

Des épines,

Mes mains sont ensanglantées,

Et je saigne.

Personne entre moi et l’hémorragie !

 

 

Le faon blessé / mange de mes lèvres

Le faon blessé / met la main dans mes cheveux / et vole,

Et personne pour faire coaguler le sang du bout du doigt.

 

Je dois passer,

Sans le moindre regard

Sur le tombeau derrière moi,

Il est pour celui qui ne m’a pas connue

Et à mes bienaimés aussi.

 

Que le monde prenne ce qu’il veut de moi

Des faibles et des misérables,

Qu’il prenne ma vie pliée

Telle une feuille

Inutile,

Dans la poche

D’un mort humide et raide,

Mais ce n’est pas juste

Il n’est pas juste,

Que le tyran lace

Ses chaussures le matin,

Avec des mains qui ne sont pas les siennes.