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Prison sans jugement pour le partage d’une publication Facebook

[CENSURE] Eddie Armel Kouassi, 20 ans, étudiant et cyber activiste fait désormais partie des pensionnaire de la plus grande prison civile de Côte d’Ivoire, la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA). Les autorités ivoiriennes lui reprochent d’avoir traité le Président Alassane Ouattara et Fabrice Sawegnon, le candidat malheureux a la mairie, d’étrangers.

Guillaume Soro, l’outsider non adoubé par le pouvoir ivoirien

[COTE D’IVOIRE] A quelques mois de l’élection Présidentielle de 2020, Guillaume Soro a encore du mal a répondre aux questions liées à son avenir politique en Côte d’Ivoire. Déjà annoncé comme candidat en 2020 par ses proches réunis au sein de l’Unions des Soroïstes (UDS), le concerné lui, laisse encore planer le doute sur cette probable candidature.

L’ombre de Laurent Gbagbo plane toujours sur la Côte d’Ivoire

[ELECTION] Ce bicéphalisme au sommet de l’Etat va se terminer par une guerre dans le pays. Deux camps s’affrontent, les rebelles restés fidèles a Alassane Ouattara et les forces de défenses et de sécurité rangées derrière le Président sortant Laurent Gbagbo. Après plus de 4 mois de conflits armés, Laurent Gbagbo est capturé dans son bunker, situé dans sa résidence.

Opinion – Procès Gbagbo, sur la route de La Haye

[Par Armand IRE’]

Le 28 janvier 2016, débute enfin le procès de Laurent Gbagbo contre la Cour Pénale Internationale (CPI). Cinq longues années de détention préventive par une cour aux normes occidentales. Accusé de crimes contre l’Humanité, l’ancien président ivoirien à 70 ans passés est désormais perçu comme une icône, victime des grandes puissances qui dirigent le monde. Il est incarcéré depuis le 29 novembre 2011. Ambiance avant joutes.

Laurent Gbagbo (source : lexpress.fr)

Laurent Gbagbo (source : lexpress.fr)

Comme Harouna Traoré jeune burkinabé et porte-parole d’un comité d’organisation du voyage à La Haye le 28 janvier 2016, de nombreux africains et européens feront le déplacement pour ce procès historique. Plusieurs cars et véhicules de particuliers prendront la route de cette ville des Pays-Bas qui a obtenu un véritable bonus de célébrité depuis que la CPI y a implanté ses quartiers et surtout que Laurent Gbagbo y est embastillé.
C’est dans un nouveau bâtiment sorti de terre, signe de la vitalité financière de la CPI, que celui qu’on accuse d’avoir perdu les élections de 2010 et occasionné la guerre dans son pays sera face à des juges et à une équipe de procureurs conduite par Fatou Bensouda l’ex-ministre de la justice du dictateur Yaya Jammeh de la Gambie et actuel procureur de la CPI depuis le départ d’Ocampo l’homme qui voulait la peau de Gbagbo à tout prix. Cette affaire constamment qualifiée de vide par tous les avertis a déjà usé trois juges, qui ont préféré s’en débarrasser, soit en démissionnant ou en passant la main.

Charles Blé Goudé (source : afriqueinside.com)

Charles Blé Goudé (source : afriqueinside.com)

Le 28 janvier 2016, Laurent Gbagbo ne sera pas seul face aux juges. Avec lui, il y aura Charles Blé Goudé ancien leader estudiantin, président de l’alliance des jeunes patriotes ivoiriens, organisation créée pour manifester pacifiquement contre la guerre déclenchée en 2002 par une rébellion tribale . Le crédo de cet homme de 44 ans que la CPI qualifie de criminel contre l’Humanité est la lutte aux mains nues. Ses actions pacifiques ont dérangé ceux qui pensaient faire une bouchée de la gouvernance Gbagbo en créant et parrainant une rébellion venue du nord du pays. Après sa mémorable sortie lors de l’audience de confirmations des charges en son encontre, l’éphémère ministre de Laurent Gbagbo en charge de la jeunesse piaffe et veut dire la vérité au cours de ce procès.
Maître Seri Zokou, avocat au barreau de Bruxelles qui a rejoint l’équipe de défense du jeune leader ivoirien pense que si le « droit est dit, Charles Blé Goudé ne restera pas en prison ». Les lignes bougent donc dans le monde et en Afrique pour que la longue détention de « l’indocile » Laurent Gbagbo se transforme en libération à la suite d’un procès qui fera date. De nombreux chefs d’Etats africains sous la conduite du mozambicain Joaquim Chissano, du sud-africain Thabo Mbéki et du ghanéen Jerry Rawlings ont écrit une longue lettre à la CPI et à plusieurs organisations internationales pour demander la relaxe pure et simple de celui qui pour de nombreuses voix autorisées – ou pas – a gagné les élections dans son pays mais perdu la guerre face à l’ONU et la France de Sarkozy.

 

 

Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara, le dictateur élu

[Par Armand IRE’]

« Atakokélé » qui signifie en malinké, l’une des langues du nord ivoirien : « un coup KO » ou ne pas rater son coup. « Un coup KO » c’est le slogan d’Alassane Ouattara pour la campagne présidentielle de 2015 qui a débuté le vendredi 9 octobre dernier dans une Côte d’Ivoire non réconciliée et en proie aux démons facteurs de la crise militaro-politique que traverse ce pays depuis 1999.

Alassane Ouattara (crédit : news.abidjan.net)

Alassane Ouattara (crédit : news.abidjan.net)

L’actuel homme fort des lagunes veut gagner absolument au premier tour qui aura lieu le 25 octobre prochain. Coup de projecteur sur une présidentielle obscure qui ne restera pas dans les annales.
Le pays peine à sortir de la crise post-électorale de 2010 qui a exacerbé les tensions et divisé profondément l’ancien havre de paix ouest africain dont la cohésion se conjugue désormais dans les profondeurs de l’incertitude… voire de l’inconnu. Arrivé au pouvoir dans les chars de l’ONU et des soldats français agissant sur les ordres de Nicolas Sarkozy, Ouattara est toujours en quête d’une légitimité que lui refuse obstinément un grand nombre de leaders politiques et citoyens ivoiriens. L’engorgement des prisons par ses opposants, le chantage, la violence et même les meurtres n’ont réussi à faire de l’ancien élève du lycée Zinda Kaboré de Ouagadougou, le président de tous les ivoiriens. Le vainqueur de la guerre post-électorale de fin 2010 peine à se tailler un costume de démocrate malgré l’organisation de cette présidentielle.
Voici un scrutin pour lequel il a placé des garde-fous pour ne pas perdre. Il est à la fois arbitre, juge de touche, joueur et cerise sur le bulletin de vote, financier de ses adversaires. En effet en dehors de toute procédure légale, il a fait décaisser par le Trésor ivoirien environ 150 000 euros (100 millions de francs CFA) pour chaque candidat retenu. Des sources bien informées affirment que Ouattara a une cagnotte de 15 millions d’euros (10 milliards de FCFA) pour convaincre les ivoiriens à voter pour lui. Tous les panneaux publicitaires du pays sont entre ses mains, ainsi que les médias d’Etat.
Enfreignant à nouveau les règles constitutionnelles, il a installé un conseil constitutionnel à ses ordres avant la fin du mandat du désormais célèbre Yao Ndré. Il a maintenu dans ses fonctions de président de la commission électorale, celui qui fut l’un des artisans du déclenchement de la crise post-électorale de 2010, Youssouf Bakayoko qui avait choisi (on s’en souvient) le QG de campagne d’Alassane Ouattara pour annoncer les résultats de la présidentielle de 2010.

Le dictateur élu par… la communauté internationale

Mamadou Koulibaly (source : ivoirebusiness.net)

Mamadou Koulibaly (source : ivoirebusiness.net)

Ouattara est donc en campagne avec pour unique challenger sérieux…Alassane Ouattara. Les jeux sont faits et le résultat semble connu d’avance. Ce qui a irrité et poussé l’ancien président de l’Assemblée nationale Mamadou Koulibaly ainsi que l’ex-ministre des Affaires Etrangères puis premier président de la commission de l’union africaine, Essy Amara à retirer leurs candidatures. Le premier a interpellé la communauté internationale en poussant un véritable cri du cœur : « qu’est-ce que Ouattara vous a donné pour fermer les yeux sur la souffrance de la population, votre capacité à punir les régimes dictatoriaux diminue lorsqu’il s’agit de Ouattara ». A-t-il martelé au dernier meeting de la coalition nationale pour le changement (Cnc-opposition véritable) à Yopougon dans la banlieue nord d’Abidjan, le mercredi 7 octobre 2015.
Assurément, Ouattara est le chouchou de la communauté internationale notamment l’ONU et de la France. A Abidjan, la représentante du secrétaire général de l’ONU, Aichatou Mindaoudou est une antiGbagbo viscérale qui lors de la crise post-électorale avait signé avec quelques intellectuels africains une déclaration incendiaire pour demander à Laurent Gbagbo de laisser le pouvoir à Ouattara. François Hollande quant à lui ferme les yeux sur les exactions et les atteintes multiples aux droits de l’Homme du régime Ouattara. Voulant sans doute préserver les énormes intérêts des entreprises françaises dans l’ex fleuron du pré-carré gaulois, l’Elysée évite de regarder de trop près la gouvernance Ouattara.
Curiosité intéressante de ce scrutin, de nombreux candidats y compris Alassane Ouattara lui-même mènent leur campagne au nom de Gbagbo. C’est à qui promettra aux populations la libération de l’ex-président détenu par la CPI, ou qui se pavanera en meeting avec des « gbagboistes » tombés sous son charme. Rappelons que c’est désormais huit candidats au total dont deux dames qui briguent les suffrages des électeurs dans une présidentielle dont le principal enjeu est le taux de participation.

 

 

Côte d’Ivoire : Rapt et assassinats d’enfants : psychose et interrogations

[Par Armand IRÉ]

A Abidjan capitale économique ivoirienne un phénomène inquiétant prend de l’ampleur : celui du rapt et assassinats d’enfants. En pleine année électorale dans ce pays qui peine à retrouver une cohésion sociale, s’installe une psychose et les interrogations se multiplient. Lucarne sur une situation en passe de devenir un fléau.

Des enfants en Côte d'Ivoire [Image tirée du reportage de la correspondante de l'UNICEF, Eva Gilliam, 2012 (source : unicef.org) ]

Des enfants en Côte d’Ivoire [Image tirée du reportage de la correspondante de l’UNICEF, Eva Gilliam, 2012 (source : unicef.org) ]

Mareau Bénitier n’avait que 5 ans. Sorti à quelques mètres de la maison paternelle pour s’acheter son goûter du jour, il n’est plus jamais rentré. Son frêle corps a été retrouvé une semaine plus tard au bord de la lagune à la base navale de Locodjro dans la commune d’Attécoubé au nord d’Abidjan, avec un pied et la tête emportée. Il est le visage médiatisé de la douleur de plusieurs familles ivoiriennes. En moins d’un mois 25 enfants ont été selon la version officielle, kidnappés et tués ou dans le « meilleur » des cas, portés disparus. A Abidjan en cette année électorale, la psychose qui ne s’est d’ailleurs pas vraiment éloignée, ressurgit de plus belle et la population de ce pays de l’Afrique de l’ouest, ensanglanté par une guerre politico-militaire et une crise postélectorale tout aussi meurtrière ne sait vraiment à quel saint se vouer désormais face à ce qu’une ivoirienne a qualifié de « nouvelle plaie pour la nation ivoirienne ».

Des crimes qualifiés de rituels, les « brouteurs » et la propagande politique

Les étranges mutilations observées sur le corps des victimes font penser à des crimes rituels. Le petit Mareau Bénitier aux dires de sa mère Nina-Olywann Guinan a été enlevé par un jeune de leur quartier selon un témoin. Ce jeune selon les infos fournies par la mère endeuillée devant les caméras de la télévision ivoirienne au cours d’une émission grand public de grande écoute, ferait parti « d’un groupe de brouteurs et qu’il ne serait pas à son premier forfait ». Les brouteurs ce sont ces jeunes gens qui écument les cyber-cafés ivoiriens ou qui connectés depuis leurs domiciles ciblent des pigeons sur le net et arnaquent des naïfs à tour de bras avec à la clef des sommes faramineuses. Le phénomène s’est amplifié au point qu’une brigade policière chargée de lutter contre ce mal a vu le jour depuis des années à Abidjan. Le désarroi est à son paroxysme. Les familles victimes et les ivoiriens ont été empêchés par les autorités ivoiriennes de manifester alors que ces mêmes autorités et l’opposition ivoirienne ont manifesté main dans la main devant l’ambassade de France à Abidjan lors des attentats contre Charlie Hebdo ! Pis seulement 1 million de CfA soit environ 1500 euros ont été remis à chaque famille de victime.

Hamed Bakayoko (source : news.abidjan.net)

Le ministre Hamed Bakayoko (source : news.abidjan.net)

Hamed Bakayoko le ministre de l’intérieur ivoirien tout en affirmant qu’il prenait des mesures pour lutter contre ce phénomène y a ajouté sa touche politicienne en affirmant que « les jaloux veulent ternir l’image du pays ». Son patron à savoir le chef de l’état ivoirien Allassane Dramane Ouattara qui face à l’ampleur de la situation a écourté son séjour d’Addis-Abeba ou il participait au sommet de l’Union Africaine (UA), n’a trouvé de mieux à faire que d’accuser les réseaux sociaux. Pour lui cette situation a été « amplifiée par les réseaux sociaux ».

Au moment ou nous écrivons ces lignes la commune balnéaire de Port-Bouet au nord d’Abidjan la mégapole ivoirienne est fermée au reste du pays pour cause de manifestation de la population qui voulait coûte que coûte se faire justice après la découverte de restes d’enfants dans le sac d’un individu pratiquant de sciènes occultes. La police du quartier n’a pu venir à bout de la détermination de la population et s’en est tiré avec trois officiers blessés. Il a fallu la rescousse de la CRS et des éléments du centre de commandement et d’opérations-CCDO- pour qu’un calme précaire revienne. « L’heure est grave » comme on le dit à Abidjan et les populations n’accusent plus seulement les brouteurs mais tournent aussi leur regard accusateur du coté des politiciens en cette année électorale car un silence inexpliqué entoure le sort des quelques coupables aux mains de la police.

Adèle Khudr, Représentante Résidente de l'UNICEF en Côte d'Ivoire (source : trust.org)

Adèle Khudr, Représentante Résidente de l’UNICEF en Côte d’Ivoire (source : trust.org)

La principale organisation mondiale de défense des droits de l’enfant, l’UNICEF est préoccupée par la situation et sa représentation d’Abidjan s’est fendu d’un communiqué sans équivoque :« L’UNICEF est profondément préoccupé par les enlèvements d’enfants et les corps mutilés retrouvés, » a déclaré Adèle Khudr, Représentante de l’UNICEF en Côte d’Ivoire. « Ces actes sont inacceptables, constituent des violations graves de droits de l’enfant, et les autorités ivoiriennes doivent tout mettre en œuvre pour retrouver rapidement les individus qui ont commis ces crimes pour qu’ils soient traduits en justice. »

A Abidjan plusieurs parents on retiré leurs enfants des écoles.

INTERVIEW. Côte d’Ivoire : « Ouattara est un président bâtisseur »

Franklyn Nyamsi (source : leseptentrion.net)

Franklyn Nyamsi (source : leseptentrion.net)

Franklin Nyamsi, 42 ans, est professeur agrégé de philosophie, et chercheur à l’Université de Lille 3. D’origine camerounaise, il fait partie des rares intellectuels à avoir conservé leur indépendance vis-vis du pouvoir de Yaoundé. Il critique en effet régulièrement l’immobilisme qui le caractérise.
Polémiste parfois passionné, c’est l’Afrique de l’Ouest – notamment le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire – qui constitue son principal centre d’intérêt. Un choix de cœur, sans doute. Au début des années 90, il dut partir en exil, lors de la répression brutale qui sanctionna une longue grève des étudiants de l’université de Yaoundé. C’est la Côte d’Ivoire qui l’accueillit et lui permit de poursuivre ses études dans de meilleures conditions, avant de répondre à l’appel de l’université française. Depuis, il suit de près les soubresauts politiques du pays de Félix Houphouët-Boigny. Dans cette interview, il répond aux questions que de nombreux observateurs se posent au sujet des choix économiques du président Alassane Ouattara, et esquisse l’avenir de ce pays, qui sort d’une longue période de troubles politiques.

[Interview réalisée par René DASSIE]

Alassane Ouattara (source : amanien.info)

Alassane Ouattara (source : amanien.info)

1- Professeur, vous êtes Français d’origine camerounaise. Mais vous êtes plus présent sur la scène ivoirienne qu’ailleurs. Qu’est ce qui explique ce lien particulier avec ce pays ?
Votre question ne me surprend point. Elle confirme ce bon mot de Heidegger qui dit que « la célébrité n’est que la somme des malentendus qui se forment autour d’un nom ». Pour en venir au fond, je me définis avant tout comme un être humain, et à ce titre, un citoyen du monde, car mon idéal est d’enraciner l’action dans une vision qui articule l’ici et l’ailleurs, dans un Tout harmonieux. Être Camerounais ou être Français ne sont de ce point de vue, que des déterminations accidentelles de mon être, puisque je m’efforce essentiellement d’être tout simplement un homme dans son siècle. Cela dit, vous rendez-vous compte que j’ai écrit deux livres sur le Cameroun et un seul sur la Côte d’Ivoire ? Vous rendez-vous compte que pour beaucoup d’Ivoiriens, je suis essentiellement Camerounais comme pour beaucoup de Camerounais, je suis éventuellement franco-ivoirien ? J’ai horreur d’être défini, daté et classifié comme une boîte de sardines sortant de sa fabrique. J’existe, et exister c’est être en devenir tout en demeurant soi-même. La Côte d’Ivoire, comme pays, a une plus grande ouverture sur le monde que mon Cameroun natal. Je me dois de penser que si l’on me connaît surtout pour mon engagement ivoirien, c’est parce qu’une voix qui parle de Côte d’Ivoire touche plus vite l’Afrique entière qu’une voix qui parle de Yaoundé ou de Douala. L’enclavement mental et médiatique, mais aussi une certaine politique enténébrée caractérisent un peu trop les pays de la forêt équatoriale d’Afrique Centrale. Communiquer, c’est sortir de la forêt, c’est savoir habiter la savane où autant en emporte le vent. Une véritable déforestation politique du Cameroun s’impose. Elle seule pourra du reste empêcher la déforestation sauvage de la flore naturelle du Cameroun. Enfin, j’ai envie de vous dire, journaliste camerounais de votre état, que je ne vous parlerai pas de la Côte d’Ivoire si vous ne me posez pas des questions sur la Côte d’Ivoire. Le tropisme ivoirien que vous m’attribuez est sans doute celui de la presse camerounaise elle-même, lasse de parler du régime monotone de Paul Biya et avide de parler d’un pays comme la Côte d’Ivoire, qui a changé par quatre fois de Chef de l’Etat en moins de vingt ans.

2- Le troisième pont d’Abidjan a été inauguré en grandes pompes il y a quelques jours. Cela faisait au moins quatorze ans que le lancement de sa construction traînait. Peut-on enfin dire que le pays se relève après une longue crise ?
Vous l’avez dit vous-même. La renaissance ivoirienne n’est pas une fiction idéologique. Elle se concrétise dans l’action d’un président résolument bâtisseur, doué d’une vision et d’une volonté de grandeur pour son pays qu’il a manifestée en moins de trois ans de pouvoir. Rien à voir avec les slogans creux qu’on nous a servis ailleurs pendant plus de trente ans. J’aime beaucoup ce mot du Président Ouattara qui, citant Newton lors de son discours d’inauguration le 16 décembre 2014, a souligné que les hommes devraient cesser de construire entre eux des murs, pour mettre en lieu et place des ponts. La politique au sens le plus noble est un art du pontificat. Elle tisse des liens féconds au cœur de la pluralité humaine. La symbolique de ce 3ème pont sur la lagune Ebrié est remarquable : il relie deux grands quartiers de la capitale, l’un bourgeois et l’autre, populaire. Il unit deux grands hommes d’Etat, qui ont reconstitué une union ivoirienne plus parfaite après avoir été les pires ennemis de la république : les présidents Bédié et Ouattara, dont la leçon de fraternité servira sans doute de schème à l’espérance ivoirienne. Enfin, ce pont est un succès architectural et une belle promesse de fluidité commerciale pour la capitale économique ivoirienne, qui méritera encore plus son doux surnom de « perle des lagunes ».

© Reuters par DR  Tourisme - Vue aérienne d`Abidjan Photo : le pont Félix Houphouët-Boigny et le Plateau, centre d`affaires

© Reuters par DR
Tourisme – Vue aérienne d`Abidjan
Photo : le pont Félix Houphouët-Boigny et le Plateau, centre d`affaires

3- Ce pont a coûté très cher. 270 millions d’euros. C’est deux fois le prix qu’auraient proposé les Chinois, selon certaines sources.
Ce pont rapportera à long terme davantage que son prix. Votre allégation est donc infondée sur ce point. Je n’aime ni la Françafrique, ni la Chinafrique, ni la Russafrique, ni l’Américafrique. L’impérialisme m’insupporte, d’où qu’il vienne. Les décideurs ivoiriens, légitimement et légalement élus par leur peuple, ont cependant le droit de choisir le rapport qualité/prix qui leur convient entre plusieurs offres internationales. Je ne pense pas que le seul coût du pont puisse servir de critère suffisant à la décision des autorités ivoiriennes.
• Pourquoi le président Ouattara a-t-il préféré l’offre de Bouygues ? Un cadeau pour dire merci à la France ?
Je conteste votre méthode. Vous posez une question en préemptant la réponse. Par hypothèse, il faut aussi se demander si la France n’a pas fait l’offre la plus fiable en rapport qualité/prix. Je ne suis pas certain que la Chine ait atteint tous les standards de qualité des entreprises françaises dans tous les domaines. Je laisse donc ouverte l’hypothèse d’une préférence objective des Ivoiriens pour les entreprises françaises, y compris en raison de la longue histoire qui lie ces deux pays. Car il y a quelque chose que les Camerounais ne veulent pas confondre. En Côte d’Ivoire, le sentiment anti-français a parfois été instrumentalisé par le régime Gbagbo, mais il n’y a pas véritablement de camp politique anti-français en Côte d’Ivoire. Rendez-vous compte que c’est la France jospinienne qui a été la première à aider Laurent Gbagbo à s’installer au pouvoir en octobre 2000 ! Lui-même l’a dit, dans une vidéo disponible sur le web : « en 2000, la France nous a aidé sur tous les plans ». Et d’ailleurs, sous Gbagbo, la France a toujours eu la plupart des gros marchés internationaux ivoiriens. Alassane Ouattara, de ce point de vue, est dans la parfaite continuité de la tradition de coopération privilégiée entre Français et Ivoiriens depuis Félix Houphouët-Boigny.
• Ce pont doit permettre de désengorger Abidjan. Cependant, la traversée sera payante. Interdit aux pauvres donc ?
Le pont n’est pas interdit aux pauvres puisqu’il est fait pour des véhicules que les pauvres ne possèdent pas mais qu’ils pourront emprunter, sous forme par exemple de transports publics. Je crois donc que votre objection est sans fondement, car les pauvres passeront sur le pont via les transports publics qui sont accessibles à leur portefeuille modeste. Je crois savoir aussi que le péage de ce pont ne sera pas indéfini. Le pont finira par fonctionner comme toutes les routes urbaines.

4- Sur le même plan, selon Jeune Afrique, l’Autorité nationale de régulation des marchés publics (ANRMP) que dirige M. Coulibaly Non Karna a émis le 18 septembre un rapport très critique sur le mode de passation des contrats par le gouvernement. Jusqu’à 500 milliards de F CFA de marchés publics ont été passés de gré à gré, entre 2011 et 2013, c’est-à-dire en contournant la procédure usuelle des appels d’offres. N’y a pas là un risque évident de favoritisme ?
Oui, c’est un grave risque de favoritisme. Il y a urgence que l’éthique de la bonne gouvernance redresse les réflexes de prédation délétères. Et le gouvernement Ouattara, qui a commandité ce rapport, manifeste ainsi sa réelle volonté de combattre la corruption d’Etat, véritable fléau mondial et africain que les Camerounais connaissent d’ailleurs davantage que les Ivoiriens. N’est-ce pas ?
• L’urgence qu’il y a à relancer l’économie suffit-elle à expliquer ce procédé de gré à gré ?
Il s’agit là de nos pesanteurs sociologiques africaines, à surmonter de toute urgence. On peut constater, dans tous nos pays d’Afrique francophone par exemple, que la tentation de gestion patrimonialiste de l’Etat est très développée. Le rapport Coulibaly doit permettre au gouvernement Ouattara de mettre un coup de pied dans cette fourmilière de parasites qui jouissent au détriment des plus besogneux.

5- La croissance de la Côte d’Ivoire en 2013 qui est d’environ 8,8 est vigoureuse malgré un léger repli par rapport à l’année précédente. On doit cela notamment à la politique de relance par les grands travaux entrepris par le gouvernement. Cependant, le PIB par habitant reste faible par rapport à son niveau de 2000. On entend ainsi des Ivoiriens dire : « on ne mange pas béton ». Quelles sont les mesures que le président prévoit pour :
• Améliorer le pouvoir d’achat des Ivoiriens ?
• Pérenniser cette croissance ?
• Inciter le secteur financier en surliquidité, à financer les PME ?
• Créer des emplois au profit des jeunes Ivoiriens ?
• Améliorer la compétitivité du pays qui souffre, selon le rapport Paying Taxes 2014, de procédures douanières peu fluides et d’une fiscalité très complexe (62 dossiers d’impôts face à 36 en moyenne en Afrique)?

Williamsville, un des quartiers pauvres d'Abidjan (source : 20minutes.fr)

Williamsville, un des quartiers pauvres d’Abidjan (source : 20minutes.fr)

Je ne suis pas le porte-parole du gouvernement ivoirien. J’observe cependant que le Président Ouattara a relevé le SMIG ivoirien à 60000 CFA. J’observe qu’il envisage une croissance à deux chiffres pour son pays, avec de solides raisons d’y croire. J’observe qu’en septembre dernier, il a publiquement critiqué la surliquidité des banques ivoiriennes qui ne prêtent pas autant aux entrepreneurs locaux qu’elles le font avec les grandes firmes internationales. Je vois le Président Ouattara soucieux d’employer des centaines de milliers de jeunes dans l’industrie, dans l’agriculture et de donner à chacun une chance de s’en sortir par la politique de micro-crédits qui va sans doute être plus vigoureuse dans son second mandat. Toutes les mesures que j’entrevois ainsi me semblent être des axes de la politique du gouvernement ivoirien. La fluidification du code des investissements, l’amélioration constante des indices de référence de la Côte d’Ivoire dans les classements Moody’s et Doing Business témoignent d’une forte volonté de progrès constant impulsée par le manager d’exception qu’est le président Ouattara. Comme vous le savez sans doute, la croissance – en attendant l’élaboration d’indices plus diversifiés – est encore la clé de tout, à condition qu’elle ne produise pas cette incongruité qui veut dans bien des pays africains, que les chiffres macroéconomiques élogieux ne se reflètent pas toujours positivement dans le panier de la ménagère. Le second mandat du Président Ouattara sera sans doute un mandat social. Je le vois prendre à bras le corps, après avoir reconstruit les fondamentaux.

6- Parlons maintenant un peu de politique. Laurent Gbagbo, Blé Goudé jugés à La Haye et sans doute bientôt Simone, l’épouse de M. Gbagbo. Comment mettre fin aux rancœurs dans ces conditions?
La justice politique est longue et patiente. Laurent Gbagbo, Blé Goudé et Simone Gbagbo sont les vrais responsables de l’escalade sanglante de 2010-2011 en Côte d’Ivoire. Je ne suis pas surpris qu’ils aient été sévèrement épinglés par la justice internationale et nationale. S’ils n’avaient pas voulu usurper le vote populaire, ils vivraient librement chez eux en Côte d’Ivoire. Quand vous parlez de rancœur, je vous réponds que vous oubliez un peu trop les victimes du régime discriminatoire de l’ivoirité. 3000 morts, tout de même, par la faute originelle de ces téméraires ! Ne les oublions pas si vite ! La justice est réparation des torts faits aux victimes, pas glorification des coupables. Laissons-la faire son travail.

7- Les enquêtes internationales ont reconnu des torts partagés, peut-être pas au même niveau, dans la crise sanglante qui a suivi la présidentielle de 2010. Seuls des membres du camp Gbagbo se retrouvent devant la justice à Abidjan et à La Haye. Justice des vainqueurs ?

La Haye -  Tribunal international

La Haye – Tribunal international

Vous faites une lecture morale et politique erronée du conflit ivoirien. A-t-on condamné et emprisonné les résistants français qui ont défait les nazis parce que des civils innocents étaient morts lors de leurs combats contre l’Allemagne nazie ? A-t-on condamné l’ANC combattant contre le régime de l’Apartheid parce que des civils étaient parfois tombés lors des attaques de l’Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC ? Faut-il condamner les upécistes camerounais qui ont pris les armes entre les années 50-70 pour délivrer le Cameroun du colonialisme français et de ses héritiers, parce que lors de leurs confrontations avec le colon des civils trouvèrent la mort ? Il n’y a, hélas, pas encore de guerre propre au monde ! Telle est la dureté de l’Histoire, par quelque bout qu’on la prenne. Il vous faut apprendre que la résistance contre l’idéologie criminelle de l’ivoirité, bien qu’elle ait été violente, n’a pas la même portée morale que les agressions violentes du régime illégitime de Gbagbo contre les populations ivoiriennes. C’était une question de vie ou de mort pour les citoyens exclus et ostracisés par les Escadrons de la mort de Laurent Gbagbo et ses milices xénophobes. La légitime défense trace la ligne de démarcation nécessaire entre les victimes et les coupables. Depuis le charnier de Yopougon jusqu’aux tirs d’obus sur les femmes d’Abobo, le régime Gbagbo n’a pas laissé le choix aux vaillants ivoiriens. Ils devaient vaincre Gbagbo ou périr sous Gbagbo. Les Forces Nouvelles de Guillaume Soro, puis les FRCI sous les ordres du Président Ouattara ont sauvé le peuple de Côte d’Ivoire d’une dislocation certaine dans une tragédie génocidaire.

8- Sur le même plan, la Commission dialogue, vérité et réconciliation a plutôt déçu les attentes. Peu d’impact à travers le pays, en dépit des commissions locales installées un peu partout dans les communes. Certains pensent que cette commission souffre d’un péché originel : elle est présidée par l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny, alors qu’elle aurait dû se placer au-dessus des chapelles politiques. Etes-vous d’accord avec cette analyse ?
Je ne crois pas en la capacité de l’homme le plus saint au monde d’être dépourvu de vision politique. Le Christ, Gandhi, Luther King, etc., avaient tous une vision politique de l’humanité. Sortons donc de cet angélisme désuet qui consiste à croire qu’il y a des hommes « au-dessus des chapelles ». Etre « au-dessus des chapelles », c’est appartenir à une chapelle tout de même : la chapelle de ceux qui se croient ou qu’on croit être au-dessus des chapelles. Non. Assumons nos valeurs. Une commission de telle nature a toujours des résultats dans le temps long. Je n’ai pas eu le sentiment que la CDVR ivoirienne était partiale, bien que son président, Charles Konan Banny, ait davantage parfois pensé à son propre avenir politique qu’au succès de sa mission capitale. Soyons mesurés. On ne panse pas les plaies morales d’une société en un tour de passe-passe verbal. Il faut laisser aux mémoires le temps de l’émotion, puis celui de l’apaisement. Le travail de la justice vient aussi clarifier les responsabilités et ramener les choses aux proportions de la raison. Le régime Ouattara a tout de même mobilisé 16 milliards de FCFA pour les travaux de cette Commission dont les conclusions devraient inspirer une meilleure justice transitionnelle ivoirienne dans les prochaines semaines.

9- Si la réconciliation n’est pas effectivement réalisée, ne risque-t-on pas de renouer avec les troubles lors des prochaines élections ?
La qualité des élections et le respect des résultats justes sont les conditions de la paix postélectorale. La force doit, bien sûr toujours, demeurer au droit. Je ne saurais préjuger des comportements de tous les acteurs politiques. Je souhaite simplement que Gbagbo ne fasse pas tâche d’huile parmi les leaders politiques ivoiriens, car son attitude terrible en 2010-2011 a failli tuer la Côte d’Ivoire.

Guillaume Soro (source : laguneinfo.net)

Guillaume Soro (source : laguneinfo.net)

10- Enfin, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, est très actif au plan international, surtout africain. Certains le présentent comme le dauphin du président Ouattara. Vous qui êtes proche de lui, partagez-vous ce regard?
Selon la constitution ivoirienne, le président de l’assemblée nationale est le dauphin du président de la république. Voilà qui est clair et sans commentaire. Pas la peine ici donc, d’enfoncer les portes ouvertes. Pour ce qui est de l’avenir, Guillaume Soro lui-même répond toujours : « la patience est de Dieu ; la précipitation, du Diable ». J’aime beaucoup cette sagesse du Chef du parlement ivoirien. Et la proactivité du parlement ivoirien devrait servir de modèle positif dans toute l’Afrique francophone, au lieu de susciter une jalousie stérile, comme c’est parfois malheureusement le cas. Guillaume Soro est essentiellement un homme de mission et non l’esclave de quelque grande ambition de pure forfanterie.