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Portrait. Sharareh Mehboudi, journaliste et militante iranienne 

« Si je retourne en Iran, je serai emprisonnée, sous un simulacre de système judiciaire, et torturée »

Dotée d’un sourire franc et aux cheveux couleur magenta, Sharareh Mehboudi est une reporter indépendante, activiste et chercheuse iranienne, réfugiée en France depuis mars 2023. Désormais hébergée à la Maison des journalistes, elle revient pour l’Œil de la MDJ sur son parcours éclectique, ainsi que sur la répression des droits civils et sociaux en Iran. 

Sharareh Mehboudi est une femme aux multiples facettes : reporter, activiste, chercheuse universitaire, blogueuse, rien ne semble l’arrêter. Fondatrice du site irandigitalnomad, où elle documente depuis 2015 ses combats, Sharareh s’est érigée en véritable opposante du régime des Mollahs et à l’autoritarisme avec le soutien de la population iranienne. Aujourd’hui, son blog relaie les informations de journalistes sur place et couvre la résistance civile iranienne sur Paris.

La journaliste garde un doux sourire durant tout l’entretien, parlant un français courant, qu’elle a pourtant commencé à apprendre moins d’un an plus tôt. Elle explique que depuis plus de dix ans, elle s’est engagée « en Iran dans le milieu journalistique en faveur d’une diffusion libre des informations et pour la défense des droits de l’Homme », et plus particulièrement dans la protection des droits des femmes. « J’étais et je suis l’une des activistes de la campagne de lutte contre les crimes d’honneur en Iran, et de la campagne s’opposant au port obligatoire du voile. »

Sur son blog, elle poste des photos d’elle sans hijab et relate l’actualité sur les droits des femmes de son pays, ainsi que des communautés kurdes. Une activité qui a manqué de venir à bout de la reporter, contrainte à l’exil.

Sharareh durant son voyage en Turquie, à Istanbul.

Une journaliste-activiste habituée aux arrestations sommaires

Depuis dix ans donc, Sharareh a documenté son combat et ses protestations, ainsi que travaillé pour de nombreux journaux iraniens et occidentaux : Iran Intl, VOA News, Iran Global, Akhbar-Rooz, Tribune Zamaneh, Stop Honor killings, News Gooya ou encore Le Figaro. Elle traite les sujets de tous les domaines : politique, économique, culturel, sociétal, droit des femmes et des kurdes… La journaliste ne se refuse aucun sujet, malgré les menaces et la répression qu’elle subit dès 2011. 

« En novembre 2011, j’ai été emmenée dans les locaux de l’Ershad (Bureau de police de charia), rue Wozara à Téhéran. J’y suis restée trois jours car je ne pouvais pas payer la caution. Lors des interrogatoires, j’ai été torturée par les agents des services de sécurité : ils m’ont insulté, tabassé, donné des coups de pieds et des violentes gifles. » 

Courageuse, Sharareh refuse de signer des excuses et la promesse officielle qu’elle ne s’attaquera plus à certains sujets, notamment sur la communauté kurde. « Les violences ont continué. J’ai été blessée et suivie par un médecin pour cela mais je n’ai jamais pu être soignée. »

Cet épisode n’arrête pas la reporter et activiste, bien au contraire. Elle entame entre 2016 et 2019 un grand voyage en Iran : l’objectif, se balader libre et sans hijab dans les rues et sur les sites historiques. Durant 3 ans, Sharareh se prendra en photo tête nue dans tout le pays, défiant le port du voile obligatoire. 

Et dès 2016, « j’ai publié une photo de moi non voilée lors de la célébration de la mémoire de Cyrus le Grand. Cette photo a été par la suite largement relayé dans les médias étrangers. J’accompagnais souvent cette photographie d’articles critiquant l’obligation du port du voile. La publication d’une de mes premières photos sans voile obligatoire sur Internet m’a valu d’être virée de mon poste de directrice pédagogique d’un centre de conseil Moshaverin. »

Par la suite, « j’ai été la cible de menaces des Services de sécurité iraniens et ai subi de nombreuses pressions de leur part. Je recevais en permanence des appels anonymes des agents des services de sécurité, me menaçant d’arrestation et même de mort. Leur objectif était de me réduire au silence et de me pousser à renoncer à mes activités de militante. »

La communauté kurde, ligne rouge du régime des Mollahs

Un voyage peuplé d’embûches, mais durant lequel Sharareh rencontre un fort soutien de la population. Les civils ne lui font pas de remarques, alors que les services de sécurité n’hésitent pas à la terroriser. 

Qu’à cela ne tienne, Sharareh continue de documenter son aventure ainsi que la vie des Iraniens et des Kurdes qu’elle rencontre. « En 2019, je me suis rendue au Kurdistan afin de préparer un reportage sur la situation des kolbars qui s’y trouvent. À l’issue de mon travail, je me suis rendue à Chiraz dans le sud de l’Iran pour voir mes proches, en novembre de la même année. »

Une période sensible pour le pays, qui entre à l’époque dans une révolte contre le régime des Mollahs, violemment réprimée. En 2019, le pays connaît une période d’inflation extraordinaire, ruinant la population. Le 15 novembre, des manifestations géantes éclatent dans le pays, conduisant à la mort de 140 civils et à 7 000 arrestations, avant que le régime ne coupe l’accès à Internet à la population. 

« Je vivais à ce moment-là à Téhéran mais j’ai participé aux manifestations de Chiraz », nous explique Sharareh de sa douce voix. « Après quelques jours, je suis retournée à Téhéran pour assurer ma sécurité car le risque que l’on m’identifie à Chiraz était trop important. » Trop tard cependant, car une photo d’elle sans hijab dans la ville se met à circuler sur tous les médias persans. Sa visibilité explose et d’autres Iraniennes suivent son mouvement. 

Sharareh tête nue à Chiraz, en 2016.

Une notoriété qui n’est pas sans funeste conséquence : elle fait dorénavant l’objet d’une violente campagne de harcèlement en ligne, où elle est régulièrement menacée de mort. À son retour à Téhéran, sa vie bascule.

Alors qu’elle rentrait chez elle, Sharareh aperçoit la porte de son domicile enfoncée, avec des individus à l’intérieur, appartenant aux services de sécurité. « Ils ont saccagé le mobilier et ont emporté avec eux mon téléphone professionnel ainsi que mon ordinateur portable. Il contenait tous mes documents confidentiels y compris mes reportages d’investigation, mes écrits, les vidéos des manifestations ainsi que mes échanges avec des activistes des droits de l’Homme à l’étranger. »

Dès lors, Sharareh comprend que « [son] arrestation et [mon] emprisonnement étaient inéluctables. Le risque était d’autant plus important qu’à l’issue du soulèvement de novembre, la répression des services de sécurité s’est considérablement intensifiée. J’ai décidé de partir directement d’Iran vers Istanbul à la fin de l’année 2019. »

« Ils m’ont dit qu’ils m’enlèveraient et me rapatrieraient en Iran »

« À Istanbul, j’ai rejoint des amis journalistes et reporters. Ma famille m’a informé qu’une convocation au tribunal était parvenue à mon domicile à Téhéran. De même, le tribunal a contacté ma famille et a menacé ces derniers pour que je me rende au ministère des Renseignements. Je ne connaissais pas la raison de ma convocation mais je ne souhaitais pas prendre le risque de subir toute forme d’interrogatoire ou d’arrestation arbitraire. »

Le mauvais sort ne cesse d’accabler Sharareh, qui s’installe en Turquie juste avant l’annonce du confinement du fait de la pandémie. « Je ne pouvais plus retourner en Iran et mon séjour irrégulier à Istanbul s’avérait compliqué. J’ai alors effectué une démarche en ligne afin d’obtenir un visa de touriste d’une durée d’un an avec une autorisation de travail. J’ai pu le renouveler deux fois pour une durée totale de trois ans. »

C’est durant cette période que Sharareh se met à travailler pour plus de médias occidentaux, parfois sous couvert d’anonymat : Voice of America, Iran International, Tribune Zamaneh, la journaliste ne lésine pas. Elle poursuit par ailleurs son travail d’activiste, en participant à des rassemblements iraniens à Istanbul, notamment en septembre 2022, après le meurtre de Mahsa Jina Amini. Tuée le 16 septembre 2022, date d’anniversaire de Sharareh, Mahsa a durablement marqué les mémoires des Iraniens et de la communauté

« Des photos et des vidéos de ma personne en train de scander des slogans tels que « Femme, Vie, Liberté » et de brûler un voile ont été relayées dans les médias iraniens et turcs. J’ai notamment collaboré avec Le Figaro dans le cadre de la réalisation de nombreux reportages et d’interviews avec les manifestants et opposants en Iran. Ces activités ont été à l’origine d’une reprise des menaces et des appels anonymes à travers les réseaux sociaux et sur WhatsApp. »

Malgré les changements récurrents de numéro de téléphone, les agents des services de sécurité continuent de la harceler et de la traquer. « Ils m’ont dit qu’ils m’enlèveraient et me rapatrieraient en Iran. Ils connaissaient mon adresse postale. Ils pouvaient m’appeler deux à trois fois par semaine ou plusieurs fois dans la même journée. Je me suis recluse chez moi, inquiète de l’effectivité des menaces de mort et de viol. »

Elle demeure néanmoins quatre ans à Istanbul et continue son travail de correspondante étrangère pour plusieurs journaux occidentaux. « En octobre 2022, j’ai également subi une cyberattaque sur irandigitalnomad.com. J’ai perdu les articles que j’avais écrit sur des sujets féministes iraniens et droits de l’Homme, ainsi que la partie graphique de mon site », déplore-t-elle avec douleur. 

Des campagnes de harcèlement en ligne, des menaces quotidiennes et des cyberattaques qui lui font craindre pour sa sécurité à Istanbul. Il n’y a plus d’autres choix que de fuir dans un pays « tiers et lointain », où le régime des Mollahs ne pourrait pas l’atteindre. « Ainsi, j’ai adressé une demande de visa à l’Ambassade de France en Turquie. Ils m’ont proposé de me remettre un visa talent afin que je puisse entrer sur le territoire français et déposer ma demande d’asile, avec la recommandation de Reporters sans frontières. »

« Lorsque j’ai dû déménager à Istanbul, puis en France, ma plus grande crainte et ma plus grande inquiétude étaient de perdre mon indépendance en tant que journaliste. Ma vie a été détruite deux fois parce que j’écrivais et disais la vérité. J’ai dû laisser mon chat à Istanbul pour immigrer en France », témoigne-t-elle avec douleur.

« Avec l’aide d’organisations comme RSF et la MDJ, et avec l’aide de journalistes indépendants comme Delfin Minoui, je suis une journaliste indépendant parrainé par l’Union européenne. Aujourd’hui, je suis un journaliste indépendant parrainé par la Maison des journalistes. S’il n’y avait pas de MDJ, la vie en exil serait plus difficile pour moi. » Des partenaires que Sharareh tient à remercier chaleureusement, lui ayant permis de se sentir plus en sécurité.

Depuis, Sharareh Mehboudi poursuit sa lutte à Paris. Ayant fait l’objet d’un procès par contumace en Iran, dont l’accusation a été formée selon les informations recueillies sur son ordinateur. « Si je retourne en Iran, je serai emprisonnée, sous un simulacre de système judiciaire, et torturée », affirme-t-elle. Alors, elle prolonge la lutte pour ses sœurs iraniennes et pour elle-même, malgré la haine qu’elle subit.

Grâce à la Maison des journalistes, Sharareh a pu bénéficier d’un accompagnement sur le plan administratif, et profiter des cours de français qui y sont dispensés. « Faire la connaissance de journalistes d’autres pays qui ont été contraints d’émigrer en raison de la liberté d’expression est pour moi intéressant et inspirant », précise-t-elle.

« J’aimerais beaucoup publier en français mon livre, qui est une biographie de 20 combattantes iraniennes, et pouvoir poursuivre ma carrière de journaliste dans les médias francophones. Comme vous le savez, plus de 100 journalistes sont emprisonnés en Iran. En raison du manque de liberté d’expression en Iran, je peux publier la vérité sur les événements actuels de mon pays avec Le Figaro. »

Elle continue par ailleurs d’alimenter son blog, Irandigitalnomad, et de travailler avec des médias iraniens indépendants. Elle souhaite également publier son livre en français, récit de la lutte et de la résistance civile des femmes iraniennes. « Je souhaite rester journaliste pour le reste de ma vie et travailler sur les droits de l’homme, les droits des femmes et l’information. Et pouvoir aider les journalistes indépendants dans les pays dictatoriaux », rappelle-t-elle avec fermeté. « Et après la victoire du peuple iranien, je retournerai dans mon pays pour ouvrir une Maison des journalistes en Iran et consolider la liberté d’expression. »

Maud Baheng Daizey

Rencontre. En Iran, « la révolution contre l’apartheid des sexes » gronde

Lauréat(e) 2023 de l’Initiative Marianne, Asal Abasian est un(e) journaliste et activiste queer iranien(ne), au sourire lumineux et au tempérament obstiné. Depuis dix ans, iel se mobilise pour la communauté LGBTQIA+ en Iran, dont les voix ont une nouvelle résonnance depuis les manifestations et la mort de Mahsa Jina Amini. Iel a écrit de nombreux articles sur le sujet, notamment pour le journal Shargh Daily. En quelques questions, Asal revient sur la situation des personnes queer dans son pays.  

L’Œil : pouvez-vous décrire votre expérience en tant que journaliste non-binaire en Iran ?

Asal : L’atmosphère dans les équipes éditoriales en Iran est très patriarcale et misogyne. En tant qu’homosexuel(le), vous risquez donc toujours d’être exclu(e). La marginalisation dans l’environnement patriarcal des équipes de rédaction en Iran est un phénomène quotidien pour les minorités homosexuelles. Dans l’espace professionnel du journalisme, dans les médias persans, même exilés, il faut être très patient, infatigable et déterminé.

Pourquoi vous êtes-vous engagé(e) dans les luttes féministes et queer ? 

Être homosexuel n’est pas du tout un choix. On naît homosexuel, mais on peut néanmoins en devenir plus conscient avec le temps. C’était donc le cas depuis le début, mais c’est peut-être à partir de l’adolescence que je me suis intéressé(e) aux questions de discrimination sexuelle et que j’ai commencé à me rebeller contre le patriarcat. C’était le destin et non un choix. Peut-être que lutter contre l’apartheid des sexes est un choix, mais être une minorité de genre ne l’est pas, c’est une réalité qui nous accompagne depuis la naissance.

Quel événement a motivé votre militantisme il y a dix ans ? 

Il peut être intéressant de savoir que j’ai pris conscience de mon identité en tant qu’homosexuel(le) en lisant la traduction persane de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, livre censuré dans la République islamique. Plus tard, j’ai lu la version anglaise et j’espère pouvoir bientôt lire la version originale en français. C’était le début de mon chemin, qui s’est ensuite complété par l’étude de penseurs comme Judith Butler, philosophe américaine spécialisée dans les études de genre. 

En lisant les livres et les essais des philosophes du genre, j’ai compris que je devais accepter qui j’étais, contrairement à la marginalisation de la société patriarcale iranienne, et essayer de mieux la comprendre, et bien sûr, que je devais être infatigable dans cette démarche et ne pas avoir peur.

La journaliste et activiste Asal Abasian pour l’Initiative Marianne.

Pouvez-vous nous parler d’un événement ou d’une activité qui a eu un impact profond sur votre combat ?

Le mouvement de libération des femmes en Iran a plus d’un siècle. L’étude de ce parcours tumultueux a inspiré mon combat. L’évolution du mouvement des femmes après les ères Qadjar et Pahlavi a été une véritable source d’inspiration. En particulier les campagnes récentes telles que le million de signatures contre les lois anti-femmes, ou la campagne contre le hijab obligatoire, qui a pris de l’ampleur au cours de la dernière décennie et est devenue une demande publique de la société après le meurtre de Mahsa Jina Amini.

Après le meurtre de Mahsa Jina Amini, les manifestations ont été marquées pour la première fois par la présence visible de la communauté homosexuelle dans les rues, ce qui a réellement inspiré les luttes. Et ce, alors que le fait d’être homosexuel est passible d’exécution. Aujourd’hui, grâce aux médias sociaux, nous voyons la performance de la communauté queer sur la scène politique iranienne. Quelque chose qui n’avait pas un tel visage avant la révolution “femmes, vie, liberté”. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il s’agit d’une révolution contre l’apartheid des sexes et que la question va au-delà de la lutte contre le hijab obligatoire. Mahsa Jina Amini est un symbole de courage. Son nom est le code de la lutte en Iran aujourd’hui ; pour lutter contre toutes les discriminations, contre l’apartheid des sexes, contre l’oppression. D’ailleurs, la campagne “Femmes, vie, liberté” est toujours d’actualité. Mes courageuses collègues Niloofar Hamedi et Elaheh Mohammadi sont toujours emprisonnées. J’espère que nos collègues du monde entier prendront conscience des difficultés du journalisme dans ce pays qu’est l’Iran.

Avez-vous un entourage qui vous soutient ?

Oui, mes parents ! Ils sont une source d’inspiration car, malgré leurs origines islamiques, ils ont été incroyables en acceptant mon identité queer et en me soutenant. Mes amis me soutiennent également et c’est ma grande chance ! La société iranienne est très homophobe, mais j’ai la chance de pouvoir compter sur le soutien de mes amis et de ma famille, même si j’ai subi de nombreuses violences dans mes relations.

Pourquoi avez-vous décidé de participer à l’Initiative Marianne ? 

J’ai pensé qu’en rejoignant un programme international de défense des droits de l’homme, je pourrais être la voix des luttes à l’intérieur de l’Iran, la voix de mes courageuses sœurs. L’Initiative Marianne m’a apporté beaucoup de choses. Avant tout, j’ai appris comment et avec quels outils lutter pour la liberté à un niveau plus large. Ce programme m’a donné de la force, du courage et m’a permis d’élargir mes relations dans l’arène internationale.

Lancée en décembre 2021 par le président Emmanuel Macron, l’Initiative Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme est un programme qui comporte trois volets. Le premier est international, comprenant le soutien des défenseur.es des droits humains dans leurs pays respectifs par le biais du réseau diplomatique français.
Un volet national, impliquant l’accueil en France pendant six mois de défenseur.es des droits humains issu.es du monde entier pour permettre leur montée en compétences et leur mise en réseau, est également de mise. Enfin, un volet fédérateur vise la constitution d’un réseau international des acteurs de la défense des droits humains à partir des institutions (associatives, publiques, privées) françaises.            
Ces défenseurs et défenseures des droits humains venus du monde entier peuvent, durant six mois, construire et lancer leur projet en France. Cette année, treize personnes de diverses nationalités ont été primées pour leurs combats : la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak, le Venezuela, l’Ouganda, la Russie, le Mali, le Bangladesh, le Bahreïn ou encore le Pérou ont été mis à l’honneur pour cette édition.

Après avoir reçu quatorze femmes l’année dernière, c’est au tour d’une promotion mixte d’être accueillie en France dans le cadre de l’Initiative. Les lauréats accéderont à un programme de formation afin de renforcer leurs capacités et leur engagement dans leur pays d’origine ou en France, qu’il soit en faveur des droits des minorités, de la liberté de la presse et d’expression, des droits civiques et politiques, des droits des femmes ou encore des droits environnementaux.
Grâce au programme, les lauréats peuvent développer leur association ou leur travail depuis la capitale française, ainsi que tisser un solide réseau de défenseur.es des droits. Un moyen pour la France de fédérer les lauréats et de faire rayonner son action à l’étranger. Depuis 2022, la Maison des journalistes et l’Initiative Marianne s’associent afin de renforcer les échanges entre journalistes exilés et défenseur.es des droits humains du monde entier.

Que devient votre association ?

Mon association s’occupe des personnes LGBTQI dans les pays persanophones d’Iran, d’Afghanistan et du Tadjikistan, et sa priorité est d’aider les homosexuels en danger. J’espère pouvoir défendre la communauté queer, en particulier les personnes en danger qui ont besoin d’être amnistiées. Cette fois-ci, dans le cadre d’une offre internationale et dans une zone plus large.

Pourriez-vous retourner en Iran si vous le souhaitiez, et pourquoi ?

Non, malheureusement, car être homosexuel en Iran est passible de la peine de mort et j’exprime ouvertement mon identité féministe homosexuelle. J’espère qu’après l’effondrement de la République islamique, je pourrai revenir vivre là-bas et y militer… Je peux contribuer à rendre l’espace de la communauté LGBTQI sûr et sans risque. Cela ne peut se faire qu’en créant une culture et en essayant de sensibiliser le public. J’espère pouvoir, un jour…

En attendant, Asal Abasian inspire par ses textes et travaille d’arrache-pied pour sensibiliser la communauté internationale à ses pairs incarcérés, qu’ils soient queers, journalistes et activistes. « Le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous, » avait-iel proclamé lors d’une table ronde à la MDJ le 15 novembre dernier.

Table ronde. “Nous avons la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après”

Mercredi 15 novembre, la Maison des journalistes a accueilli le PEN Club Français pour une table ronde, à l’occasion de la journée mondiale des écrivains en prison. Orienté sur la liberté de la presse, l’événement a réuni des journalistes, écrivains et défenseurs de la liberté d’expression des quatre coins du monde. Parmi eux, l’émérite sociologue et écrivaine turque Pinar Selek, « harcelée par la justice de son pays » depuis plus de vingt-cinq ans.

Cette journée mondiale des écrivains emprisonnés a été instaurée en 1981 par le PEN Club international et est commémorée chaque année. La Maison des journalistes, qui accueille en ces murs des journalistes ayant parfois été incarcérés pour leur travail, est particulièrement concernée par cette journée. « C’est avec un immense plaisir que nous accueillons cette table ronde », a introduit Darline Cothière, directrice de la MDJ. « La MDJ, qui héberge et accompagne des journalistes depuis 20 ans, sait combien il est important de remuer la plume dans la plaie. Une telle table ronde à la MDJ avait donc tout son sens et ne pouvait être manquée. »

De gauche à droite : la poète Carole Carcillo Mesrobian, le président du PEN Club français Antoine Spire, l’activiste Asal Abasian et son interprète, ainsi que la directrice de la MDJ Darline Cothière.

Des centaines d’écrivains et journalistes morts ou emprisonnés en 20 ans

« Depuis 2004, 699 écrivains et journalistes ont été attaqués, emprisonnés et harcelés », explique le président du PEN Club Français, l’auteur Antoine Spire. Il a ouvert la table ronde en citant  quelques noms d’écrivains persécutés, notamment celui de María Cristina Garrido Rodríguez (emprisonnée à Cuba), ainsi que celui du Marocain Soulaimane Raissouni. Parmi ces 700 personnalités, 12 ont disparu et 28 ont été tuées. « Nous avons décidé de nous réunir à la Maison des journalistes car il s’agit d’un lieu hautement symbolique, qui donne l’asile à ces journalistes pourchassés pour avoir voulu faire leur métier. »

Mais aujourd’hui, la MDJ n’accueillait pas uniquement des journalistes. Autour de la table, Maryna Kumeda, autrice de Journal d’une Ukrainienne, ainsi que la poète ukrainienne Anna Malihon et la journaliste activiste Asal Abasian. Mais la première à s’emparer du micro fut Pinar Selek, mondialement reconnue pour ses travaux sociologiques sur la société iranienne et ses opprimés : les femmes, les personnes transsexuelles, les Kurdes. 

Chacune de ces femmes ont évoqué la nécessité du soutien de la communauté internationale envers les écrivains, et plus largement les intellectuels, harcelés ou emprisonnés. Sans cette communauté, leurs chances d’être libérés sont considérablement amoindries. A travers leurs expériences et celle relatée de leurs camarades, les journalistes et écrivains de la table ronde ont pu revenir sur l’importance des mobilisations étrangères, et sur soutien sans faille envers leurs confrères emprisonnés.

Ecrivaine et chercheuse, Pinar Selek a été accusée de terrorisme après s’être penchée sur le sort des Kurdes. Elle est arrêtée en 1998 par les autorités mais refuse de donner les noms des Kurdes ayant témoigné pour elle. Ses travaux sur la violence armée de l’État turque avaient également provoqué l’ire du gouvernement, à l’origine d’un harcèlement judiciaire s’étalant sur 25 ans. 

Réfugiée en France depuis 2011, Pinar Selek n’a jamais cessé de militer pour la paix, publiant des ouvrages pour préserver cette dernière. Particularité juridique de son pays, Pinar Selek a été acquittée à 4 reprises entre 2006 et 2014 par la justice. En janvier 2023, la Turquie émet un mandat d’arrêt international contre sa personne. Engagée dans les droits fondamentaux en France, elle est désormais une fervente militante du PEN Club français. Son nouveau roman, Le chaudron militaire turque, vient de paraître aux Editions des femmes.

Asal Abasian quelques instants avant son intervention.

Elle s’est exprimée sur « la banalisation des violences » politiques dans le monde, dont elle est un des innombrables exemples. Malgré son dernier acquittement en 2014, Pinar Selek a dû assister, impuissante, à la réouverture de son dossier par la Cour suprême de Turquie. Qualifiant son procès « d’une autre époque », Pinar Selek est théoriquement attendue au tribunal pour l’été 2024 à Istanbul. Elle risque la perpétuité.

A ses côtés, les ukrainiennes Maryna Kumeda, résidant en France depuis 17 ans, et Anna Malihon, réfugiée depuis moins d’un an et auteur de huit livres. Elle relate avoir été ballotée avec son fils depuis 2022, après  l’invasion de l’Ukraine. Pour elle, la solidarité internationale envers les écrivains et journalistes permet de sauver des vies, à l’instar du réalisateur ukrainien arrêté en Crimée Oleg Stenstov. Arrêté en 2014 alors qu’il manifestait contre l’annexion de sa Crimée natale, il avait été condamné à 20 ans de prison pour terrorisme lors d’un procès expéditif russe en 2015. Incarcéré dans une prison du nord de la Russie, Oleg Stenstov avait bénéficié du soutien de plusieurs ONG (Amnesty, RSF), gouvernements occidentaux, écrivains, cinéastes et acteurs de l’étranger. 

En septembre 2019, le cinéaste est inscrit sur une liste d’échange de prisonniers avec l’Ukraine, signant la fin de son incarcération. « Sa libération est due au soutien étranger et notamment la France. Aujourd’hui, il fait partie d’une unité de l’armée en première ligne, comme bon nombre d’intellectuels, acteurs et scientifiques. » Certains meurent sur le front, d’autres dans leur maison bombardée.

« Je veux dédier une chaise vide à Victoria Amelina, auteur d’un livre sur les crimes commis par la Russie, et qui a été tuée fin juin par un missile russe », insiste Anna Malihon d’une voix ferme. Elle n’hésite pas à parler de « génocide intellectuel » des Ukrainiens, arguant que le pays a déjà connu des épisodes similaires. Le 3 novembre 1937, plus de 200 intellectuels ukrainiens sont assassinés par les soviétiques, privant le pays d’élite intellectuelle de l’époque. « Nous appelons cette génération « la renaissance fusillée » car l’Ukraine profitait depuis quelques années d’une plus grande liberté créative », rappelle la poète. 

Cri du cœur des intellectuels iraniens

Asal Abasian, activiste queer iranienne, a été contrainte de quitter son pays en octobre 2021. Ayant fait partie de la promotion 2023 de l’Initiative Marianne, elle aspire aujourd’hui à continuer son combat en France et dénoncer les exactions du régime iranien. 

Elle explique durant la table ronde qu’elle est triplement victime du régime, étant queer, femme et journaliste. « En Iran, j’ai été accusée et interrogée à plusieurs reprises sur mes activités, ce qui m’a forcé à fuir le pays en 2021 pour Istanbul, puis à venir à Paris » où l’Initiative Marianne lui a permis de laisser libre cours à son activisme. Bouleversée par la mort de Mahsa Amini, Asal Abasian se bat pour les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ depuis de longues années. Elle compte par ailleurs rejoindre le PEN Club français dans les prochains mois.

« Comme vous le savez, à l’annonce choc du meurtre de Mahsa Amini », arrêtée car son voile ne couvrait pas tous ses cheveux, « deux de mes collègues ont été emprisonnées pour 25 ans pour avoir donné les noms des hommes qui l’ont tué », explique Asal Abasian en lisant une lettre qu’elle a préparé à cette occasion. En Iran, « nous avons certes la liberté d’expression, mais pas la liberté d’après », assène-t-elle avec conviction.

« Cette histoire n’est pas juste celle des écrivains de la capitale, le régime détient au moins quatre journalistes et écrivains dans la prison d’Evin, au nord du pays. Chers collègues et écrivains, je vous conjure de ne pas oublier les prisonniers et toutes les autres victimes des droits humains en Iran. Le régime islamique continue de museler la population, ne nous laissez pas seuls dans cette lutte. Ne nous oubliez pas : racontez-nous. »

Une supplication entendue par toutes les personnes présentes, et qui l’ont longuement applaudie. Des rencontres et échanges chargés d’émotions et surtout animés par la même cause, la même passion : la quête constante de vérité. Une quête que la Maison des journalistes soutiendra toujours aux travers de ses actions et au sein de ses murs. 

Crédits photos : Chad Akhoum, Banksy.

Maud Baheng Daizey

Woman, Life, Freedom : a misunderstood concept ?

We are now in the fifth month of the women-oriented movement “Woman, Life, Freedom” or the #Jina_Revolution (derived from the name of Jina “Mehsa” Amini). A movement that started in Kurdistan, then included the rest of Iran’s regions and spread to an extent that it attracted the attention of the people of the world. There has been a lot of global support for this movement, both from the people and from the media, from politicians and thinkers.

A kind of support that still continues thus far. The “Charlie Hebdo” magazine also published issues in support of this movement and published caricatures criticizing the oligarchy ruling class of Iranian clergy. But some of these cartoons were against the content and message of the women’s movement of Kurdistan and Iran, and therefore were criticized by some feminist activists, especially the feminists in Kurdistan.

Before addressing criticism towards Charlie Hebdo, I must spend some time to shed needed light on the Jina Movement itself and also explain the mechanism of how “power” functions in modern Iran. For without this short introduction, the critiques towards the Charlie Hebdo magazine could not be properly justified and explained.  

Control the women to control the people

The Jina Movement emphasizes the centrality of women in social change and development. As time passes, the discursive and epistemological nature of this movement deepens even further. But on the other hand, the patriarchal currents that still continue their activities with the same patrimonial reactionary thoughts, generate a serious effort to divert the movement and cut off its progressive and egalitarian features. Some of these currents have tried to reduce the effectiveness of the movement by creating reactionary slogans against the strategic slogan “Women, Life, Freedom” to weaken and even destroy its liberating and radical dimensions.

They only have a problem with the government system established in Iran, and they solely want to replace the current regime with another regime that will protect the interests of the new ruling class. In fact, they are not trying to change the current patriarchal, centrist, mononational and non-democratic social relations, but they just want to take control of power and government without any radical change in the social structure. The monarchists, pan-Iranists and religious fanatics such as the People’s Mojahedin Organization of Iran are among these very groups. Although they do not have a significant following inside Iran, they have taken control of the media outside of Iran and have gained a much bigger voice than their actual weight. But the goal of the Jina Movement is far higher and greater than removing one group from power and replacing it with another group in their place.

In the meantime, it is very important to preserve the true core and nature of the movement, which is based on the complete equality of people on the basis of a women-centered movement. There are many reasons for basing the desire of social transformation on the axis of women, and I will limit myself to mention only two of previous-mentioned reasons :

  • As the French thinker Michel Foucault says, “power” always tries to dominate people’s bodies and applies and imposes its norms on the body through various physical and discursive means; because the control of the body has a direct relationship with the expansion of the sphere of “power”. Foucault sees power as something that is widespread in all relationships and areas of human life, where everything and everyone are in its constant motion[1]. Although, according to Foucault’s definition, power is not only defined in the definition of the government as the governing structure of the society, but without a doubt, government structures are among the most important factors that contribute to the power mechanisms that exercise control over the body. In Iran, even before the Islamic Revolution of 1979, the monarchy had comprehensive programs to control the bodies of people, especially women, including the mandatory law of removing the hijab for women and wearing European-styled clothes and hats for men during the dictatorship of Reza Khan, the father of Mohammad Reza, whose government was overthrown in the 1979 revolution. The Islamic government of Iran also opted for the subjugation of the human body and especially women as one of the most fundamental pillars of its power expansion from the very beginning of its formation. This attempt was made through a religious Islamist reading in which women are considered to be a man’s property and honor, and men can dominate women and their bodies in any way they please. The imposition of the compulsory hijab law on the Iranian women’s society and the great effort to assimilate women, both in terms of clothing and in terms of worldview, were among the strategies of the new government to control women. In addition to using coercive and forceful power, they also tried to impose and institutionalize their religion-based laws on the society by using the mechanisms of the modern world such as the media and the education system.

  • On the other hand, the order governing the current world has been formed on the basis of patriarchy for thousands of years and still continues to exist. The main victim of this order has undoubtedly been “human equality“. Because it is based on the supremacy of the male over the female, and despite many legal reforms and social changes throughout history, mankind has still not been able to overcome the patriarchal-based structure. It is this that has led to the subjugation and deprivation of women from equal human rights throughout history, but this has not the only consequence. Institutionalization, postulation, and consequently taking human inequality for granted has exposed the entirety of human natural existence to face serious risks. This idea has made humans – it is clear that its means the male man who has dominated history – consider himself entitled to take any action to increase his power and pleasure. Granting authenticity to Added Value and Gross Domestic Product as a measure of economic development and adopting a Fordist economic approach – unlimited consumption for unlimited production – are one of the results of this inequality-seeking attitude by humans, which has now exposed the environment to destruction. Therefore, it can be said that no effort to overcome the super crisis facing humanity and save the planet will succeed unless it puts the principle of complete equality of human beings at the center of its discourse.

Currently, the social movement of Kurdistan and Iran with the light of knowledge shone on these facts, wants to destroy the current oppressive system and order and take steps towards the creation of a completely new world in accordance with the natural and fundamental human rights. Maybe this statement seems very idealistic, but we have no other way and we cannot save life except by fundamentally changing the way we live in the world.

In addition, the Jina Movement has the ability and capacity to establish such a radical action, because due to the fact that women have been the most oppressed class of human society, also have the greatest potential for human liberation. Insisting on women’s rights will put the movement on the right track of full human equality. All the great turning points in human history were initially considered idealistic and out of reach, so the radicalness of the goal does not mean that it is unachievable.

Furthermore, Iran’s former and current regimes have each tried to expand their power to the smallest layers of individual and social life in different ways. This practice, which was well ongoing in the period before the revolution of 1979, continued with more vigor and in a greater wave during the Islamic regime after the revolution. In current Iran, the process of controlling people has passed through the control of women’s bodies, and the government has tried to introduce women’s bodies as a taboo matter.

From the very beginning, Mullahs and the clergy described the previous government as an immoral and promiscuous regime that kept women away from their “chastity and virginity“. Therefore, they had to establish their rule by restoring their desired religious values to the society, and the most important part of this conquest came back to the issue of women. In fact, the change in the image and role of women in the new Iran became a manifestation of the power of the new regime.

Therefore, compulsory hijab was imposed on women’s heads and bodies, and their roles as household caretakers and mothers were strongly promoted and even sanctified. At first, a part of the women’s community resisted this anti-feminist trend, but they were not seriously supported by any of the political currents inside or outside of the state. The regime severely repressed them and constantly increased its misogynistic laws to even greater lengths.

With the passage of time and under the influence of the government’s ideological system, the society adapted itself to the values of the government for about two decades, and the social space became much more limited and difficult for women. In fact, it was not only the government that restricted and oppressed women, but the society did as well, which had a long history of patriarchy behind it, became a partner of the government in suppressing women. In such a way that in the public mentality of the people, women were a commodity belonging to men and any deviation of women from religious and male-oriented values were considered as an unforgivable crime. These developments intensified and deepened sexist schism and sexist literature and patriarchal behavior, and sexism thus expanded even more in the society. The situation was in such a state that matters pertaining to the issue of women, the opponents of the regime were not seriously different from the regime itself.

In Iran’s religiously-ingrained patriarchal system, the woman’s body became the epitome of vice and inferiority. Every negative thing and attribute is compared to a woman’s body, and a woman’s body is considered only if it fully conforms to the will of the government and the religiously-ingrained society.

A review of the Iran special issue of Charlie Hebdo

Nevertheless, since about two decades ago and as a result of social developments and women’s own struggles, this process in its social aspect slowed down to some extent and gradually the space for opposing the subjugation of women became more open. The women struggle ignited once again and this coincided with the gradual decline of the legitimacy belonging to the Islamic regime amongst its people. In the process of struggle, women correctly recognized that one of their main duties is to fight and reject sexism in all its forms, and they should not remain silent in front of any of the manifestations of sexist attitudes – be it action, speech, law or media representation, or let it pass by with a blind eye.

The experience of the 1979 revolution and its failure to achieve its goals has become a great experience for women. They have correctly understood that any neglect or tolerance towards issues related to women’s rights will lead to the reproduction of the old patriarchal order, and even if the current regime falls, we cannot have much hope for the institutionalization of human equality. This is why the radical part of the Iranian women’s movement made the fight against sexism one of its top priorities.

Thus, in the light of this very brief introduction, it should be considered if all the cartoons of Charlie Hebdo were consistent with the goals of the women’s movement of Iran and Kurdistan?

The cover of the January 4, 2023 issue of “Charlie Hebdo.”

Unfortunately, in some cartoons of this magazine, especially in the most famous of them, it shows the Mullahs and clergy going back into a woman’s stomach through her vagina, and this gives off an unsettling sexist viewpoint. In this caricature, the female body is once again represented as something inferior and low in status, as if the dictator Mullahs are only deserving to live in that low of a place. In another cartoon, Khamenei is shown with his clothes off and it is revealed that he has a female body. The “Tawar Collective”, which is one of the Kurdish feminist women’s collectives, wrote in this regard:

In one of the cartoons, mind you in France, which claims to defend women’s freedom and right to their bodies… Khamenei’s naked body is shown in the form of a woman’s body, which is stripped of its dignity and everyone sees her body (as if he has been dishonored) ). It is as if a woman’s body in itself is a source of shame and should not be seen. In fact, the apparently progressive Charlie Hebdoi directly repeats the Iranian government’s patriarchal discourse about the female body. In another cartoon, to convey the message of the fall of that regime, Mullahs are depicted returning to their mother’s vagina. In addition to the fact that the woman’s body was also targeted here, it was pretended that the European governments had no role in the establishment of this anti-feminist repressive government![2].

Cartoon by James, a UK-based cartoonist. JAMES

It can be safely said that the view of the designers and the editorial board of Charlie Hebdo magazine on the issue of women is still simplistic and lacks any kind of perspective and epistemological depth. They have reduced the support of the women’s movement of Kurdistan and Iran to a purely political support – that too in the everyday sense of politics. The reason for this issue should be sought in the lack or poverty of the epistemological foundation.

Understanding issues related to humanity requires pre-existing knowledge related to that issue, and in most cases this knowledge must be obtained from several branches of scientific approaches. Maybe they thought to themselves that in contrast to the mandatory hijab policy of the Iranian regime, a woman’s body should be shown without a hijab and naked, and we should not shy away from portraying female genitals. Even if we tolerantly accept this simplistic notion with the benefit of the doubt under the title of “de-tabooing the female body“, we still cannot ignore their lack of knowledge about the way it was represented. The meaning hidden behind the above-mentioned caricatures indicates the continuation of the sexualized look at the female body as a low and inferior thing.

Showing a naked woman alone cannot lead to the removal of taboos from the female body, but this work must be done in a non-sexist and positively contextual setting. It is questionable whether the people involved in Charlie Hebdo basically have any knowledge of the concept of sexism? If they have, then why have they reproduced the same attitude view?

Maybe their idea of a struggle is based on the logic of armed war; in war, whichever side has most and more effective weapons and ammunition will win. Does Charlie Hebdo think that with more and more blatant sexism, they can go to war against the sexism of the Mullahs and the clergy regime and win?! Don’t they really know that the logic of this struggle is very different from armed war and conflict, and repeating any sexist ideas or action will lead to the increase and reproduction of sexism in turn?

Such support for the women’s struggles of Kurdistan and Iran will not serve their movements best interests, but will in fact only strengthen the other anti-feminist authoritarian currents that are in opposition of the regime as well. The currents that, tomorrow after the fall of the Islamic Republic, will implement the plan to control human bodies and especially women’s bodies with complete authority, and thus the void cycle of the birth of a new dictatorship from the heart of the old dictatorship will continue. The Jina movement is still developing its discourse, because even some women and activists within the movement are still unable to recognize its true content and sometimes fall into the trap of conservative currents.

The progressive and radical composition of women activists in the Jina Movement have made a continuous and very challenging effort to institutionalize its basic concepts and to face the deviations and dangers ahead. We should not add to their problems under the title of “solidarity and support”, any kind of support for this movement first of all requires a complete understanding of its foundations and goals. This is not solely a protest movement against the status quo, but a radical social movement that wants to uproot the foundation of inequality and destroy the opportunity to reproduce oppression in newer forms. The Jina movement, which obviously has universal dimensions, is one of the great chances of mankind to understand the current multiple super-crises and find ways to deal with them.

Therefore, even when having daily comments and conversations about this movement, one should be very sensitive, because slipping and diverting from its foundations will lead to the reproduction of misogyny and the strengthening of the movement’s enemies and opponents.

The problem of the editors of Charlie Hebdo is not that they have a bad intention behind supporting this, but that they have no knowledge of the history of Kurdistan and Iran, and they have not understood the historical and philosophical roots of “Women, Life, Freedom” as they should. Furthermore, there is another universal problem, which is the weakening of philosophical and radical visions to change the human world. For several decades, the world order has been teaching us that there is no way to transition from the current order and that it is only within this order that it is possible to think about any change.

This limitation has caused humanity to no longer have big dreams and aspirations and to accept a set of incomplete hypotheses that are inconsistent with the principle of “human equality” as definitive and proven issues. For this reason, people often think about human phenomena with an incomplete mentality and stereotypical world view. Charlie Hebdo is one of the publications that has a high profile and has a significant impact on its audience, for this reason, the managers of this publication should first of all think more in-depth and sensitively about their subjects. Second of all, they should gradually strip themselves of the conservative covering and clichés and dare to think radically. Undoubtedly, the history of French thought can provide an opportunity for such a courageous act on their part!

Adnan Hassanpour


[1]. For information about this theory, go to:

Michel Foucault, Histoire de la sexualité, Paris, Gallimard, 1994 [1976]

[2]. https://www.instagram.com/p/CnCc0x3Nrjn/

Iran : les femmes, « l’avant-garde de la révolution » nationale

Près de trois mois après le début de la révolte populaire iranienne, le régime théocratique a décidé de mettre fin à la police des mœurs, présente sur le territoire depuis 2005. Les images des manifestations historiques continuent de faire le tour du monde, transmises par les journalistes et les citoyens. L’Iranienne Massoumeh Raouf, ancienne journaliste et ex-prisonnière politique du régime des mollahs, revient pour l’Oeil de la MDJ sur l’influence cruciale des femmes sur les manifestations d’aujourd’hui, ainsi que celle, plus ténue, de l’Occident sur le gouvernement iranien.

Massoumeh Raouf a été arrêtée en septembre 1981 dans la rue. Pourquoi ? Elle était soupçonnée d’être sympathisante des Moudjahidines du peuple d’Iran par le régime, une accusation passible de torture et de mort, mais quotidienne dans le pays à cette époque. L’Organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran brave avec les armes le régime depuis près de 50 ans, et est devenu un courant politique et historique incontournable d’Iran. Massoumeh ne reverra jamais son frère, Ahmad Raouf, emprisonné la même année pour être un membre actif de l’Organisation, mais parviendra à contacter ses anciens compagnons de cellule afin de raconter son histoire.

Lors de son arrestation, « le guide suprême du régime Khomeini avait donné carte blanche à ses agents. Mon soi-disant “procès” n’a duré que dix minutes et le tout – sans avocat ni juge – a été bouclé en un rien de temps par un seul mollah, appelé “juge de la charia”. Sans aucun droit à la défense, j’ai été condamnée à 20 ans de prison. J’avais 20 ans. » 

Incarcérée, Massoumeh s’évade en 1982 et devient un membre actif de la révolution à venir. Elle rejoint la France en juin 1985, pays dans lequel elle vit encore aujourd’hui et continue de militer pour la libération de l’Iran. Elle collabore également avec Conseil National de Résistance iranienne depuis les années 80, Conseil fonctionnant comme un gouvernement depuis l’étranger. Mais en 1988 un nouveau drame vient endeuiller son avenir, celui de l’exécution de son frère de 24 ans, à l’instar des 30.000 prisonniers politiques iraniens cette année-là. Trente ans plus tard, toujours profondément marquée par sa disparition, Massoumeh lui rendra hommage en 2018 à travers la bande-dessinée « Un petit prince au pays des mollahs », relatant le parcours de son cadet et publiée en France.

Engagée dans la « Campagne du mouvement pour la justice en faveur des victimes du massacre de 1988 », l’écrivaine se bat depuis de longues années pour faire traduire en justice les auteurs des crimes contre l’humanité qui ont été commis et qui sont commis en Iran en toute impunité. 

Dans son dernier livre « Évasion de la prison d’Iran », paru aux Éditions Balland en février 2022, elle relate son parcours engagé et son évasion d’une prison de haute sécurité en 1982. Elle y décrit également la situation explosive en Iran et la révolution à venir. Les événements qui chamboulent la République islamique depuis le 16 septembre 2022, jour de la mort de Mahsa Amini, prouvent la justesse de ses propos. Retour sur des manifestations explosives et un régime liberticide.

La vie des journalistes iraniens en danger

Depuis le début des mobilisations, les journalistes iraniens font face à une augmentation des arrestations de leurs confrères et consœurs. L’écrivaine nous assure que « les journalistes risquent leur vie pour porter la voix du peuple, beaucoup ont été arrêtés ou sont simplement portés disparus. » Le 16 septembre 2022, jour de l’arrestation de la kurde Mahsa Amini pour avoir laissé dépasser une mèche de cheveux de son voile islamique, deux journalistes iraniennes décident de couvrir l’évènement. Niloofar Hamedi (journal Shargh) et Elahe Mohammadi travaillent toutes les deux à Téhéran et se sont rendues à l’hôpital Kasra de la capitale, où Mahsa Amini était soignée après sa détention par la police des mœurs.

« Plus tard dans la journée, et à peu près au moment de la mort d’Amini, Hamedi a tweeté une photo des parents d’Amini en train de pleurer à l’hôpital. Cette image s’est rapidement propagée avec les reportages d’Hamedi sur la mort d’Amini », donnant naissance à des manifestations nationales extraordinaires.

Malheureusement, Hamedia été arrêtée par les forces de sécurité le 21 septembre. Selon le journal Shargh, deux autres reporter et photographe de ses locaux ont été arrêtés. Ils sont aujourd’hui détenus à la tristement célèbre prison d’Evine. « Il n’y a pas de liberté d’expression en Iran, même pour les journalistes dans des médias officiels. Pour tout rapport et information qui ne plaisent pas au gouvernement et au guide suprême, arrestation, prison et torture les attendent. »

Les femmes, figure de proue de la révolution iranienne

Si le peuple soutient aisément les femmes journalistes (en particulier les jeunes générations prônant l’égalité des sexes), « le régime et ses agents sont misogynes et réactionnaires. Les femmes ont été les principales cibles de l’oppression et de la discrimination du régime », mais elles ont développé des armes et une grande résistance en accumulant des années d’expérience. Les Iraniennes « ont également appris par expérience que leurs droits ne se concrétiseront pas tant que ce régime sera en place », ce pourquoi elles battent le pavé, soutenues et saluées par la communauté internationale. « Elles sont organisées, inspirées, pleines d’abnégation et prêtes à apporter des changements fondamentaux », martèle Massoumeh Raouf.

« Les femmes iraniennes sont l’avant-garde et la force du changement et vont renverser ce régime, (…) le courage des femmes et des jeunes dans les rues de l’Iran a émerveillé tout le monde », se réjouit notre intervenante. « Malgré la répression, des rassemblements continuent de se tenir quotidiennement dans les universités du pays, des manifestations ont lieu dans diverses provinces, des raffineries sont en grève, des lycéennes et des collégiennes se photographient défiant le régime. Dans les universités, dans les rues et sur les tombes de martyre, ils crient : « jurons sur le sang de nos amis de résister jusqu’au bout. »

« La nouvelle génération, cauchemar du régime »

Autre signe révélateur de la résolution des manifestants, leurs slogans : “Mort à Khamenei !” “Mort à l’oppresseur, qu’il s’agisse du Chah ou du guide [suprême] !” “Liberté, liberté, liberté !” “Mort au principe du velayate faqih [pouvoir clérical absolu] !” Les Iraniens n’avaient pas osé s’exprimer en ces termes depuis plusieurs décennies. L’exemplaire organisation de leur mobilisation est à mettre en exergue pour l’écrivaine iranienne. « Malgré la répression, les unités de résistance de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI) continuent de se développer dans tout le pays », explique-t-elle au micro de l’Œil de la MDJ. « Leurs activités comprennent la conduite de protestations populaires et la destruction des symboles de répression du régime. Ces unités, essentiellement composées de jeunes de la nouvelle génération, filles et garçons, sont le cauchemar du régime », se réjouit Massoumeh Raouf.

« Les femmes et les jeunes iraniens font progresser le mouvement de protestation chaque jour et chaque heure, malgré une répression massive et brutale, au prix de leur vie, de leur santé et de leur liberté. Ils endurent la torture et diverses formes de mauvais traitements, y compris des viols répétés, dans des prisons sales et surpeuplées, sans nourriture suffisante et avec des contacts limités avec leurs familles. » L’écrivaine revient également sur la violence de la répression à même les rues, arguant que « des agents agressent sexuellement des jeunes femmes dans les rues, d’autres en civil enlèvent des manifestants en plein jour. D’autres encore kidnappent des étudiants dans leur dortoir au beau milieu de la nuit, tandis que certains mobilisés sont battus jusqu’à ce qu’ils se rendent. » Mais rien n’arrête pour autant les citoyens, dont la plupart n’ont plus rien à perdre.

Une photo d’Hadi Yazdi Aznaveh.

Une situation que Massoumeh Raouf a elle-même vécu et qu’elle a relaté dans ses livres. Elle affirme avoir voulu écrire non pas pour « simplement faire une œuvre littéraire », mais parce que cela « faisait partie de ma lutte pour la justice et pour attirer l’attention du public sur la terrible situation dans mon pays. Depuis deux mois, en plus de 600 manifestants tués, plus de 30 000 personnes ont été arrêtées et jetées en prison. Leur moyenne d’âge est de 20 ans et sont en majorité des étudiants, certains mineurs. Les détenus sont battus, parfois à mort, violés et torturés. » Les arrestations sont accompagnées de procès expéditifs et parfois des peines de mort.

Des emprisonnements aussi arbitraires que les libérations, comme ce fut le cas le soir du match Iran-Pays de Galles à la Coupe du Monde le 25 novembre dernier : suite à la victoire des Iraniens, les autorités avaient annoncé la libération de 700 manifestants.

Le 6 novembre 2022, le Parlement iranien vote un texte pour pousser la justice à appliquer la « loi du talion » envers les manifestants, à 227 voix pour contre 63. Dans un communiqué signé par la majorité des députés, ces derniers ont comparé les manifestants à l’Etat Islamique et les ont qualifiés « d’ennemis de Dieu » méritant la mort. De son côté, l’Autorité judiciaire iranienne a annoncé que des procès se tiendront pour les milliers de personnes arrêtées durant les manifestations. Neuf condamnations ont par ailleurs déjà été prononcées.

L’influence peu exploitée des Nations unies et de l’Occident

Les Iraniens ne sont pas obligés de se battre seuls pour leurs libertés, loin de là. Pour Massoumeh et les milliers de manifestants, le soutien de la communauté internationale est indispensable. 30 000 personnes risquent ainsi leur vie et « les Nations unies doivent prendre des mesures urgentes pour aller visiter les prisons du régime. Ils doivent renvoyer le dossier des violations des droits humains par ce régime devant le Conseil de sécurité de l’ONU et au Tribunal international spécial », et y inclure « le meurtre atroce d’une soixantaine d’enfants et adolescents par les pasdarans (NDLR : les gardiens de la Révolution) du guide suprême Ali Khamenei et le massacre de prisonniers politiques en Iran. »

Jamais le peuple iranien ne pourra bénéficier d’un élargissement de ses libertés sans un changement de régime. D’autres mesures doivent être prises pour aider les femmes à faire tomber le régime : « les femmes iraniennes ont besoin de la solidarité et du soutien du monde entier, de voir les ambassades du régime iranien fermer, les relations diplomatiques et économiques avec le régime rompues. Ce régime devrait être expulsé des Nations unies, il n’est pas représentant du peuple iranien. »

Pour Massoumeh, une alternative démocratique au régime théocratique existe : Maryam Radjavi, présidente du Conseil national de la Résistance Iranienne (CNRI). « Elle possède un programme politique déjà défini qui bénéficie d’une reconnaissance internationale. Le CNRI milite en faveur d’élections libres permettant au peuple iranien de se choisir des représentants politiques dignes, à l’opposé de la dictature religieuse que nous subissons. »

Maud Baheng Daizey

IN IRAN, THE “JINA REVOLUTION” TO COMBAT ALL OPPRESSIONS

07/12/2022

Adnan Hassanpour is a Kurd Iranian journalist who has lived in the MDJ for two months. Facing the revolution that is shaking the Iranian power for three months, he gave us an interview to return to the origins and possible outcomes of these historic protests. 

Adnan Hassanpour was imprisoned for 10 years in Iran, from 2007 to 2016. Working for a Kurdish weekly had been accused and found guilty of espionage and of “separatist propaganda.” Condemned to death in 2007, a judge had converted the death penalty to 31 years in prison, which Adnan will never complete.

He spent the first seven years of incarceration in the Kurd city of Sanandaj (ou Siné), then two years in the Marivan prison, and finally one year in the Balochistan prison in Zāhedān. The region is found in the south of the country, in which the capital region is really in full revolution. 

More than 150 deaths during the protests of 2019

Not losing courage, Adnan Hassanpour continued to resist in the multiple prisons that welcomed him. Considered as the “dean” of journalist prisoners in Iran, he notably wrote a letter denouncing the services that the Kurds undergo in prison and in daily life, triggering the ire of the government and the president Hassan Rohani. 

Adnan was then sent even further in Balochistan, to punish him and to deprive him of his family. His letter about the bad treatment and harassment experienced by the Kurds had been shared in the media and made headlines for several weeks.

Still wanted today, Adnan Hassanpour once again drew the wrath of the government in 2019 for having spoken on three television platforms: BBC Perse, Iran International, and Radio Farda. He explained there that serious protests punctuated daily life in the country in that era, until November 2019, when the price of gas had slowed down the good performance of the demonstrations. 

He had cited Reuters and had confirmed that the government killed 1,500 people in the streets during these big protests that had been rumored on the internet. He ended up taking refuge in Iraqi Kurdistan before joining France in September 2022. Three friends had been accompanied in the same manner by the Maison des Journalistes some years earlier, which is why he came to seek refuge here when the Iranian regime forced him into exile. 

A journalistic revolution

Adnan does not hesitate to speak of “revolution” and “protests”, judging that, “these protests are revolutionary, which displeases the government.” In fact, “the journalists provoked the protests. Two persian women journalists distributed the news of the death of Masha/Jina Amini to the general public, which is why they are currently in jail. If the public took the hand of the media who triggered the protests and revived the anger of the people towards the government.”

The journalists and other media actors remain fully engaged, also for themselves by carrying their own demands alongside those of the people. To be a journalist in Iran pays more or less, without counting the level of danger: “the Kurdish journalists don’t earn money, they are completely voluntary. There is no organization, Kurdish journal or media to finance them.”

As for the Persian newspapers, their financial situation is only marginally better. “Journalism isn’t a valued profession in Iran,” hammers Adnan Hassanpour. “A lot of newspapers and TV shows were closed by the government because of protests and many journalists lost their work. As proof, the closing of the daily Jahan-é-Sanat (“The World of the industry) based in Tehran on November 21, 2022, condemned 40 journalists to unemployment.”

This economic newspaper criticized the country’s financial situation and did not escape censorship. The two Iranians who broke the news of Mahsa (or Jina from her Kurdish first name) Amini, are given names Niloofar Hamedi and Elahe Mohammadi and work in Tehran. They are detained today in the Evine prison, suspected by the government to have “close links with the CIA.” They risk the pain of death simply for having done their job. 

The worst is yet to come for the Kurdish newspapers and media, who have no means to defend themselves without money. If a dozen medias of this minority community existed in the country before the death of Mahsa Amini, there are only two today, with very limited influence. They distribute their information on social media, in the same manner that the population shares videos of protests.

“Kurdish televisions are also installed in Kurdistan and in Europe to escape the regime. In addition, two Persian televisions (BBC Perse and Iran International), opponents of the regimes, publish information on the protests and the Kurds. Kurdish media survives only on networks or far from Tehran, far from the prison. The videos are shot and shared by the citizens and directly feed the protests.” 

The indelible imprint of the Kurdish

Picture from Craig Melville.

But who leads and motivates the protests? Adnan Hassanpour is categorical: “Any Revolution in Iran starts with the Kurdish and then spreads nationwide.” As proof, the slogan of current mobilisations “Women Life Freedom,” initiated by the Kurdish community. “This slogan was issued by Kurdish combatants in Syria against Daesh, and today was reappropriated by the entire nations – especially the youth – whether you are Kurdish or Persian,” explains Adnan. If the two journalists who exposed the case of the death of Mahsa Amini are Iranian, it was Kurdish women who beat the pavement first. 

They subsequently involved the entire population and today worry the government. “All these protests prove the courage of the people. Despite the Islamic law, the women don’t wear the veil and the population sings ‘death to the dictator,’ a sign of the overflow of an exhausted people. Today the government no longer pressures Iranian women to wear their veil as much, one can say that they were surprised by the anger of the people. Iranians descended by millions in the street and this figure is not to be taken lightly. Adnan maintains a piece of frank optimism in him, assured that, “the protests today are more important than the ones of yesterday or of four years ago.”

As proof, the abolition of the morality police this Sunday, December 4. It was set up in 2006 to respect the dress code of the country and lashed out at women who did not cover their hair enough. Ordered by the attorney general of the country, Adnan remains skeptical as to the real application of the abolition.

“Unfortunately, the published information on the abolition of the morality police are not yet very reliable, because various Iranian officials made contradictory statements on the subject,” he lamented. “We think they want to appease the society in order to prevent the pursuit of protests. In my opinion, despite the disappearance of the morality police, the protests are going to not only increase but also spread out, because the people will be sure they have the ability to roll back the government.”

What people are crying for in the streets is the destruction of the government and, clearly, they don’t want to be content with limited reforms. For me, possible reforms will only be taken seriously by the people if they include clearly the revision of the constitution and the abolition of the post of Supreme Leader (Khamanei).”

Interesting fact, Adnan indicates after reflection, the very nature of these new riots. If the population had previously aimed for“the destruction of the government,” today it has placed, “the female axis at the center of its claims. It seeks to destroy all forms of traditional backwardness and anti-women, anti-freedom, anti-justice, and anti-rhetoric conservatives. From now on, the people are against all forms of oppression and discrimination. This is the Jina revolution.”

A revolution that still waits on the rest of the world

Moreover, he maintains good relationships with journalists and writers on the spot but, since the start of the clashes, major electricity and internet problems prevent communication. The first cuts were noticed at the dawn of the revolution, to try in vain to nip it in the bud. Since then, Adnan can no longer receive videos from his colleagues and the latter struggle to distribute them when they can. 

Thanks to the Kurdistan Human Rights Network in place for years in Iran, the list of arrested, missing, or killed Iranian writers and journalists continues to be regularly updated. Certain intellectuals were threatened with a death sentence for having helped the protests. This organization also worked in partnership with La Maison des Journalistes nine years ago, in order to welcome Iranian and Kurdish journalists. 

But, what can we do as ordinary western citizens, we may ask? The response is rather simple for Adnan: “It is necessary that governments stop political relations with the Iranian government and provide democratic support to the population. But, as an ordinary citizen, we can always carry our voice in the media and on social networks, which constitutes a very significant support for us, a lot of it is about raising awareness amongst the international community. Civilians can also place pressure on their own government to put an end to political relations with Iran and to push the country to listen to its people.”

Written by Maud Baheng Daizey, translated by Amelia Seepersaud

En Iran, la “Révolution Jina” pour combattre toutes les oppressions

Adnan Hassanpour a été emprisonné pendant 10 ans en Iran, de 2007 à 2016. Travaillant pour un hebdomadaire kurde, le journaliste avait été accusé et reconnu coupable d’espionnage et de « propagande séparatiste. » Condamné à mort en 2007, un juge avait converti la peine de mort en 31 ans de prison, qu’Adnan n’achèvera jamais. Il a passé les sept premières années d’incarcération dans la ville kurde de Sanandaj (ou Siné), puis deux ans dans la prison de Marivan, et enfin un an dans la région du Balochistan au Zāhedān.

La région se trouve au sud du pays, dont la capitale régionale est actuellement en pleine révolution.  Ne manquant pas de courage, Adnan Hassanpour a continué de résister dans les multiples prisons qui l’ont accueilli. Considéré comme le « doyen » des journalistes prisonniers en Iran, il a notamment écrit une lettre pour dénoncer les sévices que les Kurdes subissent en prison et dans la vie quotidienne, déclenchant l’ire du gouvernement et du président Hassan Rohani. 

Adnan a alors été envoyé encore plus loin dans le Balochistan, pour le punir et le priver de ses proches. Sa lettre sur les mauvais traitements et le harcèlement subis par les Kurdes avait été transmise aux médias, qui en avaient fait les gros titres pendant plusieurs semaines. 

Toujours recherché à l’heure actuelle, Adnan Hassanpour s’était à nouveau attiré les foudres du régime en 2019 pour s’être exprimé sur trois plateaux télévisés :  BBC Perse, Iran international et Radio Farda. Il y expliquait que de sérieuses manifestations rythmaient le quotidien du pays à l’époque, jusqu’en novembre 2019, où le prix du gaz avait ralenti la bonne tenue des manifestations.

Il avait cité Reuters et avait assuré que le gouvernement avait tué 1.500 personnes dans les rues, lors de ces grandes manifestations qui n’avaient pas été ébruitées sur Internet. Il a fini par se réfugier au Kurdistan irakien avant de rejoindre la France en septembre 2022. Trois amis avaient été accompagnés de la même manière par la Maison des journalistes quelques années plutôt, ce pourquoi il est venu s’y réfugier lorsque le régime iranien l’a poussé à l’exil.

Journaliste kurde iranien, Adnan est hébergé à la MDJ depuis deux mois. Face à la révolution qui fait trembler le pouvoir iranien depuis bientôt trois mois, il nous a accordé un entretien pour revenir sur les origines de ces protestations historiques. 

Plus de 1 500 morts lors des manifestations de 2019

Adnan n’hésite pas à parler de « révolution » et non de « manifestations », jugeant que « ces protestations sont révolutionnaires, ce qui déplaît au gouvernement. » En effet, « les journalistes ont provoqué les manifestations. Deux femmes journalistes perses avaient diffusé la nouvelle de la mort de Masha/Jina Amini au grand public, ce qui leur vaut l’emprisonnement à l’heure actuelle. Si le public a pris la main, ce sont les médias qui ont déclenché les manifestations et ravivé la colère du peuple envers le régime. » 

Les journalistes et autres acteurs des médias restent pleinement engagés, également pour eux-mêmes en portant leurs propres revendications à côté de celles du peuple. Être un journaliste en Iran rapporte peu ou prou, sans compter le niveau de dangerosité : « les journalistes kurdes ne gagnent pas d’argent, ils sont totalement bénévoles. Il n’existe aucun organisme, journal ou média kurde pour les financer. » 

Quant aux journaux perses, leur situation financière est à peine meilleure. « Le journalisme n’est pas un métier valorisé en Iran », martèle Adnan Hassanpour. « Beaucoup de journaux et d’émissions télévisées ont été fermés par le gouvernement à cause des manifestations, et moult journalistes ont perdu leur travail. Pour preuve, la clôture du quotidien Jahan-é Sanat (“le Monde de l’industrie“) basé à Téhéran le 21 novembre 2022, condamnant 40 journalistes au chômage. »

Ce journal économique critiquait la situation financière du pays et n’a pas échappé à la censure. Les deux Iraniennes qui ont fait éclater l’affaire Mahsa (ou Jima de son prénom kurde) Amini, se prénomment Niloofar Hamedi et Elahe Mohammadi et travaillent à Téhéran. Elles sont aujourd’hui détenues à la prison d’Evine, soupçonnées par le régime d’avoir « des liens étroits avec la CIA. » Elles risquent la peine de mort pour avoir simplement fait leur travail.

Le pire reste à vivre pour les médias et journaux kurdes, qui n’ont aucun moyen de se défendre sans argent. Si une dizaine de médias de cette communauté minoritaire existaient dans le pays avant la mort de Mahsa Amini, ils ne sont plus que deux aujourd’hui, à l’influence très limitée.

Ils diffusent leurs informations sur les réseaux sociaux, de la même manière que la population se partage les vidéos des manifestations. « Des télévisions kurdes sont également installées au Kurdistan et en Europe pour échapper au régime. De plus, deux télévisions perses (BBC perse et Iran International), opposantes au régime, publient des informations sur les manifestations et les kurdes. Les médias kurdes ne survivent que sur les réseaux ou loin de Téhéran, loin de la prison. Les vidéos sont tournées et partagées par les citoyens et alimentent directement les manifestations. » 

L’empreinte indélébile des Kurdes 

Mais qui dirige ou motive les protestations ? Adnan Hassanpour est catégorique, « toute révolution en Iran débute avec les Kurdes et se diffuse ensuite à l’échelle nationale. »  Pour preuve, le slogan des mobilisations actuelles « Femmes Vie Liberté », initié par la communauté kurde. « Ce slogan est issu des combattantes kurdes en Syrie contre Daesh, et a aujourd’hui été réapproprié par toute la Nation – surtout les jeunes – qu’on soit Kurde ou Perse », explique Adnan.

Si les deux journalistes ayant exposé l’affaire de la mort de Masha Amini sont Iraniennes, ce sont bien les femmes Kurdes qui ont battu le pavé les premières. Elles ont par la suite entraîné toute la population et inquiètent aujourd’hui le régime. « Toutes ces manifestations prouvent le courage du peuple. Malgré la loi islamique, les femmes ne portent plus le voile et la population chante « mort au dictateur », signe du trop-plein d’un peuple exténué.

Photo de Craig Melville

Le gouvernement ne presse plus autant les Iraniennes à porter leur voile aujourd’hui, l’on peut dire qu’il a été surpris de la colère du peuple. « Les Iraniens sont descendus par milliers dans la rue et ce chiffre n’est pas à prendre avec légèreté. » Adnan conserve une part franche d’optimisme en lui, assuré que « les manifestations d’aujourd’hui sont plus importantes que celles d’hier ou d’il y a quatre ans. » 

Pour preuve, l’abolition de la police des mœurs ce dimanche 4 décembre. Elle avait été mise en place en 2006 pour faire respecter les codes vestimentaires du pays et s’en prenait aux femmes qui ne cachaient pas assez leurs cheveux à ses yeux. Ordonnée par le procureur général du pays, Adnan reste sceptique quant à l’application réelle de l’abolition. « Malheureusement, les informations publiées sur l’abolition de la police morale ne sont pas encore très fiables, car différents responsables iraniens ont fait des déclarations contradictoires à ce sujet », a-t-il déploré. « Nous pensons qu’ils veulent apaiser la société afin d’empêcher la poursuite des protestations. À mon avis, même si la police de la morale disparaît, les manifestations vont non seulement augmenter mais aussi s’étendre, car les gens seront sûrs qu’ils ont la capacité de faire reculer le gouvernement. Ce que les gens crient dans les rues, c’est la destruction du régime et, apparemment, ils ne veulent pas se contenter de réformes limitées. Pour moi, les réformes possibles ne seront prises au sérieux par le peuple que si elles incluent clairement la révision de la Constitution et la suppression du poste de Guide suprême (Khamenei). »

Fait intéressant, dénote Adnan après réflexion, la nature-même de ces nouvelles émeutes. Si la population avait auparavant pour but « la destruction du gouvernement », elle a aujourd’hui placé « l’axe féminin au centre de ses revendications. Elle cherche à détruire toute forme de retard traditionnel et conservateurs anti-femmes, anti-liberté et contre la justice et la rhétorique. Désormais, le people est contre toute forme de répression et discrimination. C’est cela, la révolution Jina. »

Une révolution qui attend encore le reste du monde

Il conserve par ailleurs de bonnes relations avec des journalistes et écrivains sur place mais depuis le début des heurts, d’importants problèmes d’électricité et d’Internet les empêchent de communiquer. Les premières coupures ont été remarquées à l’aube de la révolution, pour tenter en vain de la tuer dans l’œuf. Depuis, Adnan ne peut plus recevoir de vidéos de ses confrères et consœurs et ces derniers luttent pour les diffuser quand ils le peuvent. 

Grâce à l’Organisation Kurde des Droits de l’Homme (Kurdistan Human Right Network) en place depuis des années en Iran, la liste d’écrivains et journalistes iraniens arrêtés, disparus ou morts continue d’être régulièrement mise à jour. Certains intellectuels ont été menacés d’une condamnation à mort pour avoir aidé les manifestants. Cette organisation a également travaillé en partenariat avec la Maison des Journalistes il y a de cela neuf ans, afin d’accueillir des journalistes iraniens et kurdes. 

Mais que peut-on faire en tant que simples citoyens occidentaux ? « Il faudrait que les gouvernements arrêtent les relations politiques avec le régime iranien et apportent un soutien démocratique à la population. »

« Mais en tant que simple citoyen, vous pouvez toujours porter notre voix dans les médias et sur les réseaux sociaux, ce qui constitue un soutien très conséquent pour nous, il s’agit en grande partie de sensibilisation de la communauté internationale. Les civils peuvent aussi faire pression sur leur propre gouvernement pour qu’il mette un terme aux relations politiques avec l’Iran et pousser le pays à écouter son peuple. »

Maud Baheng Daizey