“Même dans le coin le plus sombre de la terre, les gens luttent tous les jours pour être heureux.”

Le témoignage d’Ameer Al-Halbi, photojournaliste syrien pour l’AFP.

Ameer a 22 ans, il porte des joggings et un débardeur, il a des cheveux blonds et rebelles qui lui tombent sur les épaules et deux yeux bleus qui expriment un mélange d’émotions contrastées: gentillesse, peur, courage. Arrivé à la Maison des Journalistes avec quelques minutes d’avance, il raconte son expérience en Syrie d’une voix monotone, comme si entre lui et les événements qu’il rapporte il se dressait un mur invisible et insurmontable.

“Avec mes photos, je voulais faire arrêter la guerre.”

Ameer a vécu toute sa vie en Syrie, à Alep. Il n’a que 17 ans lorsque la guerre éclate et il commence à travailler comme journaliste pour diverses agences, telles que Shahba Press, Palestinian Agency et enfin l’AFP.

Entre 2011 et 2016, Ameer prend des photos de tout ce qu’il voit autour de lui : enfants, familles, soldats, civils, animaux… en un mot, la vie quotidienne à Alep dans toutes ses nuances. Son propos : faire arrêter la guerre avec son reportage !

Ce qu’il faut comprendre à propos de la guerre, c’est que ce n’est jamais tout blanc ou tout noir. Il y a des moments terribles et des moments de bonheur, et chacun les vit à sa manière. Il y a ceux qui sont désespérés toute la journée, ceux qui souffrent par amour, mais aussi ceux qui arrivent à vivre une vie presque normale”.

Dans les photos d’Ameer, tous ces aspects sont mis à l’honneur sans distinction. Parmi les enfants aux visages poussiéreux jouant dans les décombres, les chats squelettiques à la recherche de nourriture, les quartiers en ruines et les soldats pointant leurs mitrailleuses vers l’horizon, le reportage d’Ameer est un véritable miroir de cette ville dévastée par la guerre.

Le soir, revenant de ses excursions, Ameer écoute de la musique avec ses amis, chantant et dansant avec eux jusqu’à la tombée de la nuit. Alep pendant la guerre est aussi ça: un chœur de voix et de chansons qui s’élève malgré l’horreur quotidienne.

Pendant la journée, j’allais dans la rue et je demandais aux gens comment ça les faisait sentir de vivre dans la ville la plus dangereuse du monde. L’un d’eux m’a dit une fois qu’il était heureux, car vivre à Alep nous aurait rendus célèbres ! D’autres pleuraient devant ma caméra… Tu vois, cela dépend de personne à personne“.

Quand le cœur se brise plus de deux fois, après on ne ressent plus rien

Un jour, Ameer décide de sortir avec son père et les hommes du Syrian Civil Defense (SCD) lors d’un siège. “Les sièges étaient les pires moments“, témoigne-t-il. “Les jours normaux, les bombes tombaient toutes les trois heures, mais pendant un siège, le même endroit était bombardé plusieurs fois en cinq minutes, jusqu’à ce qu’il ne restait plus rien, sauf les décombres.

Tandis que les bombes tombent sur Alep, Ameer photographie les fugitifs, et son père aide les femmes et les enfants à se mettre en sécurité. “Ca s’est passé en une seconde. Une bombe est tombée trop près et a frappé mon père. Je l’ai vu mourir sous mes yeux“. En racontant cet épisode, Ameer n’a pas l’ombre d’une hésitation dans la voix. Le mur qui le sépare de son passé ne s’effondre pas.

Après la mort de son père, Ameer continue son travail de reporter et n’arrête pas de raconter ce qui se passe dans la ville. Ameer est toujours convaincu que ses photos mettront, un jour, fin à la guerre. Mais la Syrie n’est pas un bon endroit pour les rêveurs, et le cœur d’Ameer se brise pour la deuxième et dernière fois en 2016.

C’était une journée normale, il n’y avait pas le siège. Je suis sorti en voiture avec mes deux meilleurs amis et quelques hommes de l’SCD: ça devait être une sortie rapide, le plan était d’aller chercher de la nourriture et de revenir avant la tombée de la nuit. Pendant que nous étions dehors, un avion russe a commencé à larguer des bombes sur nos têtes. Mes amis ont essayé de s’échapper, mais moi j’ai pris ma caméra et je suis allé dans la rue pour prendre des photos. Un homme du SCD est venu avec moi pour aider les gens. Autour de nous, il y avait une trentaine de personnes terrorisées et, à quelques mètres de là, une maison avec des femmes qui criaient et essayaient de se protéger des bombes. Deux d’entre eux étaient enceintes. C’était l’horreur. Je les ai toutes vues mourir, ainsi que mes amis“.

Ce jour-là, Ameer rentre à la maison. Il est vivant, mais son coeur a changé. Il ouvre son ordinateur et supprime toutes ses photos. “Je devais les envoyer à l’AFP, mais je leur ai dit que je ne les avais plus.

Pourquoi les avoir supprimées?

Pour moi, chaque photo était une histoire, et je les voyais dans mes cauchemars. J’avais atteint le point où j’avais peur de m’endormir pour ce que je verrais dans mes rêves.

Ameer est arrivé à Paris en juin 2017

Aujourd’hui, Ameer vit à Paris avec sa mère et a été acceptée dans une école de journalisme de la ville (à la seule condition qu’il apprenne le français à temps).

Sauf que pour raconter son histoire aux journalistes, il ne regarde jamais en arrière. Alep est loin, tout comme les décombres, les quartiers dégradés, les enfants aux visages poussiéreux, les chats squelettiques et les soldats avec leurs mitres sur les épaules. Il dit aimer Paris et ses yeux bleus, timides et gentils, se tournent vers l’avenir avec l’espoir d’un jeune homme qui a encore toute sa vie devant lui.

Son projet, “Rescued from the Rubble“, a été honoré par la Canon Society de France, et ses photos ont remporté sept prix internationaux.

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