En Afghanistan, les talibans répandent encore et toujours la peur auprès des journalistes

Depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021 en Afghanistan, la liberté de la presse est quasi inexistante. Les médias sont sous l’étroite surveillance et le contrôle permanent de la milice talibane. Entre censure médiatique, persécutions, emprisonnements, tortures et assassinats de journalistes, le gouvernement a mis en place un véritable règne de la terreur qui traque les journalistes et les professionnels des médias pour les réduire au silence. Retour sur l’état de la liberté de la presse en Afghanistan deux ans après le retour au pouvoir des talibans

Le 15 août 2021, les talibans prenaient le contrôle de l’Afghanistan. Apparu pour la première fois en 1994, le mouvement taliban prône un retour à l’islam pur (proche de celui existant au temps du prophète), et s’appuie sur une interprétation extrémiste de la loi divine aussi appelée la charia.

Le 27 septembre 1996, les talibans s’emparent de Kaboul et prennent le contrôle du pays pour la première fois, où ils font régner la peur et imposent des lois strictes. Le théâtre, la musique, le sport et la télévision sont interdits. Les femmes sont privées d’éducation et n’ont plus le droit de travailler. Les exécutions publiques font partie du quotidien.

Mais les attentats du 11 septembre 2001 réveillent la colère des Etats-Unis, marquant le début de la guerre d’Afghanistan. Le 13 novembre 2001, les soldats américains, aidés par l’Alliance du Nord, libèrent Kaboul, la capitale afghane. Le régime taliban s’écroule après cinq ans de terreur.

Le 1er mai 2021, les Etats-Unis annoncent officiellement le retrait de leurs derniers soldats présents sur le sol afghan, et les talibans ne tardent pas à s’emparer du pouvoir pour la deuxième fois. 

À leur retour au pouvoir en août 2021, ils avaient pour objectif de séduire les médias et de faire oublier le souvenir de leur premier régime (1996-2001). Ils se sont ainsi montrés souriant, posant pour des selfies, mangeant des glaces, répondant à une interview télévisée avec une femme journaliste, ou encore faisant des tours d’autos tamponneuses et de manège dans un parc d’attractions à Kaboul.

Alors qu’ils avaient déclaré vouloir faire partie de la communauté internationale, évoqué un « gouvernement inclusif », et promis que « les droits des minorités et de tous les citoyens seront garantis par le système à venir », le gouvernement mène une politique de répression médiatique qui ne laisse aucune chance de survie à la liberté de la presse

Les autorités multiplient les menaces envers les médias, qu’elles considèrent comme des « ennemis » du régime en vigueur. Interdictions de travailler, arrestations, emprisonnements, tortures, et assassinats de journalistes se succèdent en Afghanistan.

Lorsqu’ils accèdent au pouvoir en 2021, les talibans établissent 11 règles à respecter pour les journalistes. Parmi elles, on retrouve l’interdiction de diffuser des sujets contraires à l’islam et celle de critiquer le gouvernement, de près ou de loin.

Être journaliste en Afghanistan, un métier de tous les dangers

En Afghanistan, les journalistes risquant des accusations « d’immoralité ou de conduite contraire aux valeurs de la société ». De nombreux journalistes sont traqués par la milice talibane et sont forcés de se cacher ou de prendre la fuite.

Certains journalistes afghans formulent des demandes d’asile ou de visa, mais ces requêtes peuvent être des procédures longues et incertaines. Des centaines d’entre eux ont fui l’Afghanistan et se sont rendus en Iran et au Pakistan dans l’espoir d’y obtenir un visa pour un pays sûr, comme la France. 

En ce qui concerne les journalistes étrangers, il est difficile de se rendre en Afghanistan, notamment en raison de la difficulté à obtenir un visa.

L’ambassade de France en Afghanistan étant fermée, « le respect des droits fondamentaux et la sécurité des personnes ne sont pas assurés » en cas d’arrestation ou de détention, comme l’indique le site internet du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères. 

Selon les derniers chiffres datant de 2022, plus de 60 % des journalistes ont perdu leur emploi. Près de 40 % des médias afghans ont disparu. La presse écrite est entièrement contrôlée par le gouvernement et c’est environ la moitié des radios qui ont cessé leurs activités.

Les journalistes femmes ont quasiment disparu du paysage médiatique afghan: plus de 80 % d’entre elles n’ont plus de travail. Dans 15 des 34 provinces du pays, il n’y a plus aucune femme journaliste en activité.

L’Afghanistan occupe la 156e place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse de RSF en 2022. Le pays était passé de la 150e place (en 2012) à la 122e place (en 2021). 

Dès les premières semaines qui ont suivi leur prise de pouvoir, les autorités se sont attaquées aux journalistes. L’assassinat de Dawa Khan Menapal, ex-journaliste et ancien porte-parole adjoint du président afghan Ashraf Ghani, marqua le début d’une longue série d’assassinats et de violences envers les journalistes.

Dawa Khan Menapal, figure emblématique des médias à Kaboul, n’hésitait pas à critiquer le gouvernement à travers les réseaux sociaux. Il a été assassiné par la milice talibane lors de la prière du vendredi, le 6 août 2021. Quelques jours avant lui, Fazal Mohammad, un policier qui publiait des vidéos humoristiques sur internet, a également été tué par les talibans suite à ses commentaires en ligne.

En septembre 2021, les journalistes Taqi Daryabi et Nematullah Naqdi ont été tabassés par les autorités. Les deux hommes couvraient une manifestation de femmes pour défendre leurs droits à travailler et étudier à Kaboul. Ils ont été arrêtés puis violemment frappés à coups de bâtons, de câbles, et de tuyaux

Les journalistes Taqi Daryabi et Nematullah Naqdi tabassés et frappés avec des câbles par les talibans le 8 septembre 2021. WAKIL KOHSAR VIA GETTY IMAGES

Le 1er décembre 2022, les talibans avaient annoncé avoir interdit deux grands médias présents dans le pays, The Voice of America et Radio Azadi, la branche afghane de Radio Free Europe/Radio Liberty. Leurs sites internet respectifs avaient été suspendus. 

Depuis le 1er janvier 2023, deux journalistes ont été tués en Afghanistan, et cinq ont été emprisonnés.

Le 14 février 2023, les autorités ont organisé une descente dans les locaux de la chaîne de télévision afghane, Tamadon TV, où le personnel a été violemment agressé.

Reporters sans frontières (RSF) a réagi et leur a demandé de libérer les journalistes et de respecter la liberté d’informer. Ce n’est pas la première fois que les talibans ciblent les chaînes de télévision ou de radio.

En effet, le 12 février 2023, la seule radio pour femmes qui diffusait des programmes éducatifs destinés aux filles, Radio Sahar, a elle aussi reçu l’interdiction d’émettre.

Le 11 mars 2023, une explosion à la bombe a tué un agent de sécurité et fait huit blessés dont cinq journalistes afghans lors d’une cérémonie en l’honneur de la  « Journée nationale des journalistes » à Mazar-I-Sharif, dans le nord de l’Afghanistan. 

Entre 2022 et 2023, plusieurs journalistes ont été arrêtés sur le sol afghan: Mohammad Yaar Majroh, reporter de ToloNews, l’une des principales chaînes de télévision du pays, Khairullah Parhar, de la chaîne de radio et télévision Enikass, ou encore Mortaza Behboudi, reporter franco-afghan dont l’arrestation a été largement médiatisée.


Le 7 janvier dernier, Mortaza Behboudi, âgé de 29 ans, a ainsi été interpellé par une patrouille de combattants avant d’être accusé d’espionnage, puis placé en détention. Sa femme, Reporters sans frontières (RSF) et de nombreux médias français tels que France 2, Mediapart, Libération, Arte, ou encore Radio France (pour lesquels il a travaillé) se sont mobilisés et réclament toujours sa libération de prison à ce jour.

La Maison des Journalistes se tient également aux côtés de Mortaza Behboudi.

Sous les talibans, les journalistes vivent dans la peur, un quotidien synonyme de censure et de persécutions. Certains se cachent, d’autres tentent de trouver refuge ailleurs. Force est de constater que la répression médiatique n’est pas prête de s’arrêter au vu des récents événements.