Premiers jours en France : la vie d’Hawa

Ce matin donc, lendemain de mon arrivée en France, perdue dans cette ville où je ne distingue pas le nord du sud, j’arrive chez Hawa sans problème.

La veille, elle m’avait donné une carte sim prépayée qu’elle n’utilisait pas et comme mon téléphone n’acceptait pas là connexion via données mobiles, elle m’a aussi prêté son ancien téléphone. Il était loin d’être au top mais c’est un téléphone. Elle avait des messages dedans ainsi que ses photos mais jamais je n’ai fouillé. Jamais. Même sa page Facebook, je l’ai fermée. Je ne fais pas aux gens que ce que j’accepterais qu’on me fasse. Avec son téléphone, je pouvais être en contact avec le reste du monde. Jusque là, c’est le sien j’utilisais pour écrire et échanger avec ma famille. Pas très discret tout ça… Tous ces gestes me prouvent que c’est vraiment mon amie.

Je deviens une domestique

Dans la journée, elle m’a demandé de faire la cuisine pour qu’on mange. Un repas africain. Cela prend trop de temps, sans oublier le coût et j’en suis pas très fan. Je lui ai dit qu’on pouvait manger local, de qualité et sans dépenser une fortune. Elle connaît pas les recettes occidentales donc j’allais lui montrer quelques unes.

Après la cuisine, elle a proposé qu’on mange dans la même grande assiette, comme en Afrique. Quelle bonne idée ! Après que j’eus pris quelques cuillères de ce riz au poisson, ma copine arracha l’assiette pour manger seule. J’étais tellement sidérée que je n’ai pas eu de mots pour elle. Je ne suis pas habituée à me bagarrer pour de la nourriture. Je ne viens pas d’une famille vraiment riche mais on n’est pas des affamés. J’ai déposé ma cuillère doucement et à sa demande, je partis faire la vaisselle.

Elle a trouvé sa domestique, moi. Et je regrette de m’être laissée faire mais je ne sais pas vexer les gens, ni me disputer. Même dans ses rêves les plus fous, elle ne pouvait pas me traiter ainsi. J’avais la vie qu’elle rêvait de mener. On n’était pas du même monde. La seule chose qu’on avait en commun, ce sont les quatre jours de théâtre mensuel. A raison de 2 heures par jour mais il me semblait qu’on se respectait, je n’ai jamais eu de complexe de supériorité sur quelqu’un, jamais.
Comme pour s’excuser de ce sale comportement, elle s’est mise à me raconter son vécu en France.

L’histoire d’Hawa

La personne qui devait l’accueillir s’est désistée au dernier moment et sa voisine a appelé sa cousine pour la recevoir. Elle accepta moyennant des travaux domestiques et des tâches de nounou, elle serait payée en plus. Elle était plutôt contente de cette proposition. Chez cette femme en France, Hawa dormait sur une couette par terre. C’était en hiver. Elle la réveillait le matin à 5 heures pour nettoyer la maison, mettre la table, préparer les enfants et les accompagner à l’école. Au retour, ranger toutes les chambres, faire les lits, même celui du couple (où elle ramassait les papiers mouchoirs usagés par on sait tous quoi), faire la cuisine, aller chercher les enfants, nettoyer la maison une deuxième fois, faire le dîner, la vaisselle. Le repassage et la lessive étaient parmi ses tâches aussi. Elle n’avait jamais eu de jour de repos. Tout ceci en 2016. En France. Mais personne ne peut porter plainte. Les gens sont trop liés au pays.

Par moment, la femme sortait sans laisser de quoi manger à la maison puis elle appelait Hawa pour lui demander de faire les courses à ses frais et qu’elle rembourserait. Ce qui ne fut jamais restitué. Hawa vécu dans cette servitude pendant deux mois, ne sachant pas quelles démarches faire pour avoir les papiers ou une autre vie que celle de domestique.

Des démarches administratives

Un jour, elle s’est souvenue qu’elle avait le numéro d’un compatriote pour qui elle avait ramené un colis. Elle l’appela au secours. Celui-ci la rencontra au moment où elle déposait les enfants à l’école. A noter qu’elle était tellement débordée et monopolisée par sa patronne qu’elle n’avait jamais le temps de sortir. De toutes les façons, elle ne connaissait nulle part où aller.

A sa rencontre avec ce monsieur, il lui offrit un manteau. Il faisait froid et elle n’avait qu’une veste que sa patronne lui avait donnée pour ses sorties “commandées”.

Ce compatriote lui expliqua qu’il faut demander l’asile politique mais de ne surtout pas quitter là où elle est, pour ne pas se retrouver dans la rue. Il l’aida beaucoup dans ses démarches. Quand elle a obtenu son premier récépissé et qu’elle l’a montré à sa patronne, celle-ci a faillit s’évanouir. Ne comprenant pas comment sa domestique a pu faire des démarches administratives et elle constatait que la jeune femme la quittait petit à petit. Hawa lui dit qu’elle va appeler le 115 pour être hébergée mais qu’elle pouvait venir le matin faire les travaux. Continuer la vie de bonne à tout faire pour avoir de l’argent.

La femme refusa catégoriquement et mit Hawa dehors quelques jours plus tard, sans lui donner sa paye intégralement. Elle l’a payée au compte goutte et un jour, elle lui remis même des faux billets. C’est à l’agence de transfert d’argent qu’on les lui a signalés. Elle l’a échappé belle hein. La dame refuse depuis lors de répondre à ses appels. Elle a fini par laisser le reste de son argent avec elle.

Une histoire d’amour… et d’argent

Bref, elle se retrouva chez le monsieur, le compatriote qui l’orientait dans les démarches. Quand le 115 ne lui donnait pas de place, c’est là où elle dormait et y passait la journée. Cette situation était désolante au point qu’il lui indiqua une association qui aide et héberge les femmes. Mais comble de malheur, quand Hawa s’y présenta, on lui dit que c’est juste pour les femmes avec enfants ou les familles.
Ma copine était perdue mais rusée qu’elle est, elle ne tarda pas à trouver une solution.

Sa relation amicale avec le compatriote se mua en relation amoureuse. Il était de nationalité française et il était en séparation de corps avec sa femme. Elle avait vu une double opportunité à saisir. D’après ce que j’ai compris dans son récit malgré sa tentative catastrophique de voiler la vérité et de modifier les faits.
1- Faire un enfant pour avoir les papiers sans souffrir
2- Faire un enfant et aller voir l’association pour être hébergée.

De toutes les façons, elle ne voulait pas être perdante. En plus de profiter de l’argent et des parfums qu’il lui achetait et qu’elle envoyait à sa famille, elle vivait bien à ses crochets.

Il y a des mères en Afrique, ce qui leur reste à faire, c’est mettre leurs filles sur le trottoir et attendre que les clients payent pour prendre l’argent. Tellement ce proxénétisme quotidien à peine voilé est désolant. C’est pas seulement du à la pauvreté, c’est aussi une cupidité de haut niveau. Tu sait que ta fille vit avec un homme qui n’est pas son mari mais tu l’encourage à le piller et tu réceptionnes tout ce qu’elle récolte. Pourtant le concubinage n’est pas dans nos cultures. C’est même une honte pour une famille si une fille vit seule, à plus forte raison avec un homme qui n’est pas son mari. C’est une abomination. Mais cela ne veut pas dire que toutes les filles sont sages hein, loin de là. Des astuces existent pour faire les pires perversions tout en restant sous le toit familiale. Parfois même ce sont les filles, célibataires sans emploi, qui assurent les dépenses de la famille.

Revenons à nos moutons sil vous plait. Ma copine finit par tomber enceinte. Elle appela son frère au pays( il n’était même pas au courant de la situation) pour lui dire qu’elle est enceinte d’un gars qui a les papiers mais elle va faire une interruption de la grossesse.
Naturellement, celui-ci l’en dissuada. Elle a joué avec les mots de telle sorte que la décision finale vienne de quelqu’un d’autre. Comme ça, elle dira qu’elle voulait s’en débarrasser mais les gens l’en ont empêchée. c’est malin ça. A moi, elle a dit que le gars la violait presque parce qu’elle n’était pas consentante mais ceux qui les ont connu ensemble m’ont rapporté qu’ils étaient vraiment amoureux et heureux…

Une culture d’origine reniée

Mais malgré l’appellation que l’enfant issu de cette union peut avoir en Afrique, sa grand-mère l’appelle “Dieu donné”.  Elle a tellement spolié le gars quand il est parti en Afrique pour un séjour. Elle a profité de sa voiture et de son argent avec une telle aisance… Seigneur, j’ai du mal à imaginer ma mère dans un tel rôle. Je vous épargne le qualificatif donné aux enfants illégitimes en Afrique. Surtout quand les parents n’ont pas d’argent. L’argent achète presque tout. Tout le monde se tait quand tu fais des bêtises si tu es riche ou s’il t’arrive de dépanner financièrement les gens de temps en temps. Tu deviens le roi ou la reine, tout ce que tu fais est bon. Cette Afrique des fiers guerriers n’existe presque plus. La cupidité et la misère ont eu raison sur la dignité et les bonnes mœurs.

Revenons à nos moutons encore s’il vous plait. Pendant qu’Hawa vivait cette idylle avec le fœtus qui grandissait sens ses entrailles, le compatriote s’est réconcilié avec sa femme. C’est pas beau tout ça. Ne sachant pas encore la vérité, ma copine est allée à l’association qui héberge les femmes et enfants qu’elle a rencontrée auparavant. Mais vu qu’elle a demandé l’asile d’elle-même, elle devait continuer sa procédure. Elle fut hébergée dans un Centre d’accueil pour demandeurs d’asile et le monsieur disparu pour aller rejoindre sa femme et ses enfants. J’imagine comment Hawa à du souffrir. Devant tout le monde en plus. Tout le monde connaissait son histoire et il paraît qu’elle était très malheureuse. La pauvre. C’est vrai que ça fait mal ça.

Le comble, le géniteur ne voulait pas reconnaître l’enfant. Il a fallu qu’elle le menace  de tout raconter à sa femme pour qu’il cède. L’enfant eut la nationalité française mais pas là mère et étant un garçon, elle ne pouvait pas demander la protection contre les mutilations génitales féminines que subissent quasiment toutes les filles chez nous. Son asile fût refusée et le recours n’eût rien donné.
Elle était désemparée mais l’association d’aide aux familles l’a contactée et hébergée dans cet hotel où je l’ai trouvée, malheureuse et désemparée. Son état n’était vraiment pas enviable.

La morale que j’ai tirée de son histoire est qu’il ne faut jamais chercher à trop profiter des gens, la situation risque de se retourner contre soit si les choses ne se passent pas comme prévu et dans la plupart des cas, ça finit toujours mal, c’est la loi de la nature.

Ce jour, j’ai affronté seule les transports (j’ai validé les tickets cette fois) pour aller dormir chez la fille qui a accepté de m’héberger la nuit. Elle est tellement froide… limite hautaine et méprisante. Même quand je la salue, elle murmure au lieu de me répondre. C’était devenu gênant et moi qui n’avait pas dîné ce soir chez ma bonne amie, j’ai remercié Dieu pour le toit sous lequel j’ai été abritée et j’ai dormi.

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Le demandeur d’asile a toujours deux histoires, une qu’il présente aux services de l’immigration et une autre qu’il ne peut révéler et qu’il garde pour lui.”

Les services d’asile occidentaux interrogent les arrivants sur les menaces qui les poussent à quitter leurs pays d’origine en quête d’une nouvelle vie. Le demandeur d’asile a toujours deux histoires, une qu’il présente aux services de l’immigration et une autre qu’il ne peut révéler et qu’il garde pour lui. C’est une question complexe et épineuse que l’écrivain et cinéaste irakien Hassan Blasim résume bien dans son recueil de nouvelles Cadavre Expo (Seuil, 2017).

Pour comprendre la réalité de cette menace, il faut se demander si les militants et les journalistes sont en danger en Irak ? Les empêche-t-on de faire leur métier ? Risquent-ils leur vie s’ils ne font pas assez attention et s’ils ne se préparent pas à fuir leur pays ?

D’où vient cette menace et dans quel contexte ces nombreux militants et civils sont-ils morts ? Après chaque assassinat, le gouvernement : « des parties inconnues avec une déclaration accompagnée, entre autres, par l’ouverture d’une enquête pour trouver et poursuivre les tueurs devant la justice ». Ce qui est étrange, c’est qu’il s’agit toujours des mêmes déclarations, même si le gouvernement a changé, comme s’il s’agissait systématiquement d’une réponse toute faite.

Nous sommes donc face à une nouvelle théorie : quiconque va manifester et revendiquer ses droits risque de mourir et quiconque essaie de critiquer le régime, qu’il soit journaliste ou militant, fera face à la menace directe de la mort.

Cette nouvelle série d’assassinats a commencé le 1er octobre 2019 lors de la Révolution d’Octobre. Suite à des interventions de la police anti-émeute (ou d’autres forces encore inconnues), ces manifestations ont coûté la vie à plus de 600 jeunes Irakiens.

Countryman, un court métrage de Hassnaien Khazaal.

Parmi eux, des journalistes et des militants assassinés dans des opérations planifiées. À Bassora, dans le sud de l’Irak, Hussein Adel et sa femme ont été tués chez eux après un assaut organisé par des hommes armés. Amjad Al-Dahamat, lui, a été assassiné au sortir du domicile du chef de la police du gouvernorat de Maysan. Dans le gouvernorat de Karbala, devant un hôtel, un motard a tiré sur Fahim al-Ta’i puis s’est enfui, etc.

Des femmes ont également été visées comme Reham Shaker Yaqoub, médecin, assassinée dans sa voiture par trois balles.

Cette série d’assassinats se poursuit, bien après la Révolution d’Octobre. Il y a quelques jours, Ihab al-Wazani, un autre militant de Karbala, a été tué devant sa maison avec un pistolet silencieux. Pour avoir exprimé leurs opinions ou revendiqué leurs droits et les droits du peuple, les militants sont visés. 

Qu’en est-il des forces de sécurité, du gouvernement et des services du renseignement ? L’Irak est considéré comme un système démocratique, mais de quelle démocratie parle-t-on lorsque le pays reste sous l’influence des États-Unis et de l’Iran ?

Quel est l’intérêt de ce système démocratique et des élections si chaque candidat au poste de Premier ministre n’est pas nommé sans l’accord préalable des États-Unis et de l’Iran ?

L’organisation que les États-Unis ont mis en place après 2003 n’est pas une démocratie mais plutôt un système de quotas sectaires.

Qu’en est-il des Nations Unies ? Leur rôle s’apparente à celui des grandes institutions islamiques. L’ONU condamne le gouvernement seulement lorsqu’il y a des soulèvements et des révolutions lors desquels de nombreuses personnes perdent la vie mais en dehors de cela, on ne l’entend pas.

Qui sont les premières victimes de ce système ? L’ensemble du peuple irakien. Car, si on met de côté la guerre, les arrestations et les assassinats, nous sommes aujourd’hui confrontés à un processus de politisation du peuple. C’est-à-dire que les Irakiens sont incités à parler politique, mais pas à débattre tranquillement… Ils sont encouragés à s’écharper sur les réseaux sociaux. Objectif : créer des tensions entre les enfants d’un même peuple. Et gare à ceux qui s’opposent à ce système, comme les journalistes ou les militants, car dès lors le gouvernement n’hésitera pas à les éliminer.

Puisque ces personnes ciblées ne sont plus de ce monde et prouvent ainsi que leur vie était en danger, une question reste sans réponse : peuvent-elles maintenant émigrer et demander l’asile ?!

Hassanein Khazaal, journaliste et réalisateur irakien. Ancien résident de la Maison des journalistes. Il est l’auteur de Jidar Baghdad (“Le mur de Bagdad”).

En sept semaines de révolte en Irak, il y a eu plus de 330 morts, avec environ 15.000 blessés.

Les jeunes Irakiens revendiquent l’accès à l’emploi, l’égalité sociale et la fin du régime politique totalement corrompu selon eux.

La plupart des personnes tuées ont été abattues à balles réelles, d’autres ont subi des blessures mortelles causées par des grenades lacrymogènes tirées à bout portant sur les manifestants.

En outre, des canons à eau ont été utilisés, pulvérisant de l’eau bouillante selon les informations fournies par les manifestants.

Il n’y a pas que la jeunesse de Bagdad qui se soulève en Irak, la ville pétrolière de Bassorah a réduit sa production de 50% suite au mouvement de protestation dans la ville. 

Pour mieux comprendre la situation actuelle en Irak, voici une série de reportages traitant de la révolte irakienne.