Être journaliste au Moyen-Orient

Ce 3 mai, à l’issue de la Journée mondiale de la liberté de la presse, l’Institut des Cultures d’Islam a proposé une table ronde en compagnie de trois figures du journalisme. Chacun s’est confronté à l’extrême difficulté d’être un journaliste au Proche et Moyen-Orient. Tous ont été contraints de choisir l’exil pour survivre mais aussi dans le but de pouvoir exercer leur métier en toute liberté.

 

Dans un cadre intimiste, face à une quarantaine de personnes, Rajeha Al Tameemi,  Halgurd Samad et Wareth Furaiji se sont exprimés afin de relater comment l’exercice de leur métier de journaliste a failli leur coûter la vie. Comment la condition du journalisme en Irak et en Syrie est critique. Chacun s’est révélé, a raconté la vérité glaçante dans le récit de leurs vies.

Haya lève le voile sur Raqqa

Dans un premier lieu, suite à l’avant-propos du maître de conférence, Alberic de Gouville, rédacteur en chef de France 24 et vice-président de la Maison des Journalistes, le documentaire Haya, rebelle de Raqqa, a été projeté. Un documentaire de 23 minutes qui suit Haya, une syrienne ayant eu l’audace de filmer clandestinement la ville de Raqqa alors sous l’oppression de l’organisation de l’Etat Islamique.

Comme le déclare Alberic de Gouville le mot “héroïne” n’est peut-être pas le plus approprié. Pourtant, cette jeune femme a risqué sa vie en s’équipant d’une caméra miniature dissimulée dans une simple petite pochette noire pour filmer une ville plongée dans la terreur. A travers des images particulièrement fortes, Haya dénonce ce que l’E.I. inflige à Raqqa et ses habitants. Elle fréquente leur monde et délivre des messages saisissants. On peut notamment y voir une jeune française portant le niquab et parlant au téléphone avec un membre de sa famille “Pas la peine de pleurer ou d’avoir peur” “Tout ce que tu vois à la télé, c’est faux”.

 

On peut également la voir en compagnie d’autres syriens, protester devant une église. Le visage découvert, unis face aux membres de Daech, rodant autour, ils scandent “Liberté pour toujours, malgré toi Assad !”.

 

Suite à cela, Haya a été repérée par les membres de l’organisation terroriste et a fuit dès les premières menaces de morts reçues. Après un arrêt en Turquie, elle rejoint Paris où sa nouvelle vie de réfugiée reste complexe dans un pays où elle ne connaît ni la langue, ni les codes. Néanmoins, Haya en est certaine, ce n’est que temporaire. “Je n’ai même pas défait ma valise. Je suis prête à rentrer n’importe quand.

Trois histoires, un seul but

Rajeha Al Temeemi est la première à s’exprimer. Elle parle un français excellent mais souhaite s’exprimer en arabe car comme elle le déclare “c’est là que les idées viennent le mieux”. Son mari s’occupe de la traduction. Rajeha est journaliste à Monte Carlo Doualiya. Elle a quitté l’Irak, son pays d’origine, en 2006 pour la Syrie avant d’arriver en France après les meurtres de son ami et son frère ainsi que les menaces reçues à son encontre et celle de sa famille. Là-bas, en Irak, elle exerçait sous le régime totalitaire de Sadam Hussein et nous rappelle qu’il n’existe aucun journal indépendant. L’Etat irakien ne possédait que de 2 chaînes de télévision ainsi que 4 journaux, tous strictement contrôlés. La liberté de parole y est inexistante, c’est le gouvernement qui dicte les sujets à traiter. “Jamais de politique” souligne la journaliste. Mais cette dernière ne se confrontait pas seulement au problème de sa profession. Sa condition de femme la mettait en grande difficulté, également. Agressions et harcèlements en tout genre, étaient les maîtres mots pour une femme journaliste en Irak.

 

A la droite de Rajeha, Halgurd Samad prend ensuite le relais. Journaliste irakien de la région du Kurdistan, il raconte par des statistiques terrifiantes l’état du journalisme par chez lui : 231 journalistes tués durant ses années d’activités là bas. 139 violations de la loi du gouvernement sur les journalistes. Autrement dit, Halgurd s’est également confronté aux menaces, aux intimidations pour avoir tenté de faire son travail. Il est journaliste au magazine kurde indépendant Lvn de 2005 à 2010, média traitant de politique, de culture et société, et grand ennemi du gouvernement en vigueur. Il évoque les meurtres des journalistes, écrivains et poètes ayant eu l’audace de penser et d’écrire en faveur d’une liberté étrangère aux mesures répressives du gouvernement. Dans cette vague meurtrière, un ami très proche de Halgurd est retrouvé mort après avoir disparu quelques jours plus tôt. Le journaliste décide de s’exiler après 5 ans de menaces. Il s’arrête en Turquie pour y attendre son visa français puis arrive dans l’Hexagone. A Paris, il s’arrête à la Maison des Journalistes où il y reste un peu moins d’un an. Pour Halgurd, c’est un refuge, où il peut continuer à exercer son métier en sécurité.

 

Wareth Kwaish est le troisième à prendre la parole. Dans un anglais parfait, on le sent loquace, il a des choses à dire. Mais il choisit la voie de l’image pour raconter son histoire. “Je fais des films pour montrer au monde ce que les irakiens ont à dire. Chacun a des histoires à raconter”. La diffusion de son court-métrage Once they were here (“Une fois ici-bas”) sélectionné au Festival de Cannes de 2015, en est la preuve édifiante. Filmé clandestinement à l’Iphone, le réalisateur raconte comment les irakiens sont les victimes de l’ostracisme du gouvernement. En quelques minutes, on assiste aux tentatives des habitants de contester le régime et tenter de toucher ce rêve de liberté bien trop difficile à atteindre. “On le jure devant Dieu, on t’aime Irak”.

Avec fierté, il raconte comment il a pu habilement conserver les images en vidant sa batterie afin que les autorités ne puissent contrôler son téléphone portable. Mais Wareth, au même titre que ses confrères et consoeurs à ses côtés, a dû fuir. “Je me suis enfui car mes films vont me tuer” raconte t-il. Arrivé en France en 2015 et hébergé à la Maison des Journalistes, il a dû recommencer une nouvelle vie, loin de son pays et de sa famille.

Tous relatent des histoires différentes mais pourtant tragiquement similaires. Tous sont liés par ce besoin d’exprimer leur liberté de parole dans des pays où ils étaient bâillonnés. Mais tous partagent cette même conviction “la liberté est grande et de droit mais ne rentre jamais en conflit avec celle de l’autre”, un rêve devenu maintenant réalité pour Rajeha, Halgurd et Wareth.