Au Bangladesh, des élections législatives sous haute tension 

Dimanche 12 novembre, un ouvrier de la ville de Gazipur est mort de ses blessures après avoir participé à une grande manifestation, violemment réprimée par la police. Il est le quatrième à mourir dans des affrontements en deux semaines, alors que tout un pays s’embrase. Des milliers de manifestants et membres de l’opposition ont été arrêtés en marge des manifestations historiques qui secouent le pays depuis plusieurs mois. Comment cette recrudescence de violences va-t-elle influer sur la tenue des élections législatives, prévues pour janvier 2024 ?

Le 19 novembre, la Cour suprême bangladaise a officiellement interdit au parti islamiste Jamaat-e-Islami de se présenter aux législatives. Il s’agit pourtant de l’un des principaux parti d’opposition. En réponse, de nouvelles grèves générales ont été annoncées dans tout le pays.

Des milliers d’arrestations de civils et politiciens durant de violents affrontements 

Nous avions évoqué dans un précédent article la régression des libertés civiles au Bangladesh, avec le journaliste Jamil Ahmed. Il était revenu sur le mouvement protestataire du Parti National du Bangladesh, ou BNP, contre le gouvernement actuel de la Ligue Awami. 

Aujourd’hui, la classe dirigeante du Bangladesh (composée du président Mohammad Shahabuddin et de la Première ministre Sheikh Hasina, tous deux membres de la Ligue Awami) jouit d’un pouvoir reclus et dictatorial qui ressemble beaucoup à celui de la Corée du Nord. Comme elle, la famille dirigeante de notre pays veut obliger chaque citoyen à faire preuve d’une loyauté totale envers le pouvoir”, avait-il expliqué dans sa tribune. Créée en 1949 et au pouvoir depuis 2009, la Ligue Awami n’a cessé de brimer les libertés civiles et fondamentales de la population, qui a vu sa coupe déborder. 

Fondée en 1949, la Ligue Awami est un parti politique bangladais qui joué un rôle prépondérant dans l’indépendance du Bangladesh en 1971. Au pouvoir jusqu’en 1975, elle a été évincée du pouvoir par un coup d’Etat militaire. Mais à la fin des années 1980, la Ligue s’allie avec d’autres partis (notamment le BNP, le Bangladesh National Party) de l’opposition du pouvoir en place jusqu’à la démission du président, le général Ershad en 1990. Depuis, la Ligue n’a cessé d’être en concurrence dans les urnes avec le BNP, jusqu’à s’imposer aux élections en 2008, 2014 et 2018. Aujourd’hui, la Ligue a le plus de sièges au Parlement et domine la vie politique du pays.

Entamées l’année dernière du fait de l’instabilité économique, les manifestations antigouvernementales n’ont cessé de s’étendre depuis, de même que la réponse policière. Effondrement de la monnaie nationale, salaires extrêmement bas des 4 millions d’ouvriers et ouvrières textiles du pays, inflation et accusations de corruption dans les plus hautes sphères politiques… Le cocktail ne pouvait qu’être explosif.  

La Première ministre Sheikh Hasina au Girl Summit 2014.

Lorsque le principal parti d’opposition BNP annonce publiquement boycotter les futures élections, il est alors suivi par des milliers d’électeurs. En jeu, le poste de Premier ministre, occupé depuis 15 ans par Sheikh Hasina, fille du premier président du Bangladesh. Les citoyens demandent aujourd’hui sa démission en vue des élections. Mais dès les premières mobilisations, les policiers n’ont pas hésité à ouvrir le feu sur les civils, résultant en la mort de plusieurs d’entre eux et des blessures pour des centaines d’autres. 

Le signal d’alarme a beau avoir été tiré ces dernières semaines par de nombreuses associations, le gouvernement ne semble pas adopter des directives plus douces envers ses opposants.

Les homicides, les arrestations et la répression à répétition au Bangladesh ont des répercussions absolument terribles sur les droits humains, qui se matérialisent avant, pendant et après les élections”, a déploré Amnesty International dans son communiqué du 30 octobre. “Une fois encore, Amnesty exhorte les autorités bangladaises à cesser de réprimer les manifestant·e·s et à remplir leur obligation de faciliter les rassemblements pacifiques.” L’ONG a par ailleurs documenté les violences policières le mois dernier, notamment celles exercées sur le chef du BNP, Gayeshwar Chandra Roy.

L’opposition en berne : diviser pour mieux régner avant janvier 

Le 28 octobre 2023, le Parti Nationaliste du Bangladesh (BNP) a organisé un gigantesque rallye à Naya Paltan (quartier de la capitale Dhaka), devant leur bureau central. Le parti exigeait la démission du gouvernement de la Ligue Awami, et la mise en place d’un gouvernement intérimaire non partisan. “Il est à noter que le rassemblement pour le développement et la paix a été organisé par le parti au pouvoir, la Ligue Awami, pour contrer ce premier rassemblement”, dénote Jamil Ahmed. “Des milliers de militants de différentes régions du pays sont néanmoins venus à Dacca, capitale du Bangladesh, pour assurer le succès de la manifestation du BNP.”

Mais sur instruction du gouvernement, des contrôles de police ont été instaurés à l’entrée de la ville, tandis que les officiers ont procédé aux multiples arrestations de dirigeants et militants. Leurs voitures et téléphones ont également été fouillés. “Même la veille du rassemblement, la circulation des voitures et des bateaux a été interrompue sur ordre du gouvernement”, témoigne Jamil. Entre 100 et 150 000 personnes se sont rassemblées au rassemblement du BNP le 28 octobre, malgré les dispositifs policiers.

Aux alentours de midi, des charges policières ont déclenché des affrontements à l’intersection du quartier de Kakrail, du côté ouest du rassemblement pacifique. Les dirigeants du BNP et des ONG ont tenté de s’y opposer, en vain. « Vers 14 heures, la police et les hommes de la Ligue Awami ont attaqué et atteint la partie principale du rassemblement. À ce moment-là, la police a coupé l’électricité, l’Internet et les microphones, ce qui a entraîné l’arrêt complet du rassemblement », assure le journaliste bangladais.

La cheffe de l’opposition enfermée chez elle

« Les dirigeants et les militants du BNP ont tenté de se sauver de cette attaque barbare. Mais en raison de l’utilisation de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc par la police, un travailleur de Jubadal a été tué sur place et environ 3 000 militants ont été blessés. Il convient de noter qu’environ 28 journalistes ont été blessés. » La police a arrêté plus de 2 000 militants ce jour-là. 

Le secrétaire général du BNP, Mirza Fakhrul Islam Alamgir, a annoncé le programme suivant immédiat et les dirigeants du BNP ont quitté la zone d’assemblée et se sont enfuis. Le bureau central du BNP est fermé en raison de la présence de la police. 

« Selon les dernières informations, un total de 5 284 dirigeants et activistes du BNP et des organisations ont été arrêtés depuis le 28 octobre », relate Jamil Ahmed. « Parmi eux, le secrétaire général du BNP Mirza Fakhrul Islam Alamgir, le membre du comité permanent Mirza Abbas, Amir Khosru Mahmud, Shamsuzzaman Dudu, Selina et de nombreux autres dirigeants du BNP. Au total, 122 affaires ont été enregistrées, plus de 3 498 personnes ont été blessées et 10 personnes, dont un journaliste, ont été tuées. » 

Le secrétaire général Mirza Fakhrul Islam Alamgir est désormais accusé du meurtre d’un policier avec 164 autres membres du BNP, décédé lors des mobilisations du à Dacca. Ils encourent la peine capitale, c’est-à-dire la mort. Depuis, le BNP affirme qu’environ 1 200 de ses partisans ont été arrêtés depuis le 21 octobre.

Autre restriction inédite de liberté, l’assignation à résidence de Khaleda Zia, dirigeante du BNP et ancienne Première ministre du Bangladesh. Jugée comme une rivale sérieuse de Sheikh Hasina, Khaleda Zia a interdiction de se faire soigner à l’étranger depuis le début du mois d’octobre, malgré sa mauvaise condition de santé et les recommandations des médecins. Emprisonnée en 2008 pour corruption, elle se dit cible politique du gouvernement actuel.

Dans ce climat, comment assurer une bonne tenue des élections ? Une question à laquelle le gouvernement ne s’embarrasse pas à répondre.  Le 8 novembre, Mohammed Anisur Rahman, commissaire aux élections bangladaises, a assuré que ces dernières se tiendraient bel et bien à la date prévue.

Nous n’avons pas d’autre choix que de tenir l’élection d’ici le 28 janvier 2024, selon la Constitution. Nous sommes tous prêts à annoncer le calendrier des élections avant le 15 novembre”, a-t-il avancé dans un communiqué. Des élections sous haute tension donc, et qui ont de fortes chances de faire basculer la vie politique du pays.

Crédits photos : Russell Watkin, OHCHR

Jamil Ahmed, Maud Baheng Daizey

Hong Kong : le « procès des 47 », symptomatique d’une société liberticide

Depuis 2020, la nouvelle loi sur la sécurité nationale hongkongaise (LSN) a conduit à l’emprisonnement de nombreux avocats, journalistes et magnats de la presse. Octobre 2023 marque le début du procès hors-normes de 47 défenseurs, qui seront jugés pour complotisme. Alors que la plupart des médias indépendants ont été liquidés, comment les journalistes vivent-ils la pression et la censure chinoises ? La liberté d’expression a-t-elle encore un pouls ? Explications. 

Juristes, avocats, journalistes, propriétaires de média, politiciens, activistes LGBT… Les 47 Hongkongais sur le banc des accusés ont des profils variés, tous ont en commun d’être de fervents démocrates. Arrêtés en 2021 pour « complot en vue de commettre une subversion », ces hommes et ces femmes encourent aujourd’hui de quelques mois de prison à la perpétuité. 

Les élections de 2020, la naissance d’une révolution

Leur faute ? Avoir organisé des primaires pour les élections législatives en 2020, jugées illégales par Pékin, qui voyait d’un très mauvais œil la tentative d’indépendance hongkongaise. En effet, les élections devaient permettre le renouvellement des membres du Conseil législatif de Hong Kong, considéré comme une « province spéciale » de la Chine. 

Mais les élus pro-démocrates remportent le plus de sièges face aux pro-Pékin lors des primaires, un cuisant échec pour la Chine, qui rejette immédiatement douze candidats. Pékin se lance dans la foulée dans une « chasse aux démocrates » encore d’actualité, ponctuée par des manifestations citoyennes historiques. 

Depuis, la Chine réprime sévèrement toute tentative pro-démocratique, ainsi que toute prise de position et de parole contre son contrôle. La liberté d’expression a énormément réduit et des dizaines de journalistes sont derrière les barreaux ou en attente de leur procès.  

Dans son rapport annuel du 18 août 2023, l’Union européenne revient sur la situation dramatique hongkongaise. Son haut représentant Josep Borrell rappelle que « tout au long de l’année 2022, la loi sur la sécurité nationale et d’autres réglementations ont continué d’être invoquées pour étouffer l’opposition et le pluralisme, ainsi que l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales à Hong Kong. »

«Le démantèlement du principe « un pays, deux systèmes » et l’érosion du haut degré d’autonomie dont jouit Hong Kong, des principes démocratiques et des libertés fondamentales qui étaient censées être protégées […] s’est poursuivie. »  En 2022, « 236 personnes avaient été arrêtées au titre de la LSN et d’autres actes législatifs liés à la sécurité, tandis que 145 personnes et 5 entreprises avaient été inculpées avec un taux de condamnation de 100% », explique l’Union.

« Outre les menaces juridiques, les journalistes et les médias de Hong Kong sont confrontés à des défis similaires à ceux d’autres pays d’Asie », nous explique un membre du comité de la Hong Kong Journalists Association. 

« Le paysage médiatique s’est fragmenté après la fermeture de plusieurs grands médias », notamment d’Apple Daily, Citizen News et Stand News, médias très populaires sur l’archipel. Le fondateur d’Apple Daily, Jimmy Lai, vient de passer le cap tristement symbolique des 1000 jours en prison. 

La Hong Kong Journalists Association (HKJA), fondée en 1968, a pour objectif de défendre la liberté de la presse, la protection et la formation des journalistes. Elle organise régulièrement des conférences et ateliers de formation, et se bat quotidiennement aux côtés des journalistes hongkongais pour leurs droits. « En tant que syndicat, nous visons également à l’élimination des obstacles à la diffusion de l’information », détaille le groupe sur leur site. La fermeture de médias n’est pas sans répercussion pour les journalistes de l’archipel, dont les perspectives professionnelles se sont drastiquement réduites. 

Certains se reconvertissent à la pige, d’autres se réfugient dans des « plateformes médiatiques de niche plus petites. » Néanmoins, « les petits médias ont parfois du mal à survivre financièrement en raison de l’absence de financement stable », dans un cercle vicieux qui ne connaît pas de fin.

La justice, arme redoutable de la Chine 

Autre menace que l’argent et l’absence de perspectives professionnelles, les pressions juridiques minent durablement le moral et le travail des journalistes. La HKJA en a déjà fait les frais : « notre président a été arrêté et accusé d’obstruction à la police cette semaine, en raison d’une interaction de 15 secondes au cours de laquelle il a simplement demandé pourquoi les officiers voulaient voir sa carte d’identité. Cela donne une bonne idée des hostilités auxquelles les journalistes sont confrontés ici », détaille le porte-parole.

Pourtant, il assure que « la HKJA fonctionne en toute intégrité. » L’organisation n’a jamais rien fait d’illégal, d’inapproprié ou qui s’écarte de nos statuts. Nous savons que le registre des syndicats de Hong Kong a contraint d’autres syndicats de la ville à se dissoudre pour diverses raisons », mais ils sont pour l’instant épargnés.

Des soutiens des 47 manifestant devant la salle d’audience. Une photo d’Anthony Kwan/Getty Images.

« Par le passé, nous avons reçu des demandes de renseignements de la part du registre concernant nos activités, ils n’ont rien trouvé à nous reprocher. Nous bénéficions d’un soutien considérable de la part de nos membres et de la communauté des journalistes à Hong Kong. Nous sommes convaincus que nous pourrons continuer à faire de notre mieux pour fonctionner et apporter notre soutien à tous les journalistes de Hong Kong. »

Une situation qui inquiète également la communauté internationale. Le ministre britannique des Affaires Étrangères, James Cleverly, a ainsi déclaré que « les autorités hongkongaises ont élargi l’utilisation de la loi sur la sécurité nationale bien au-delà » de ladite sécurité. Il s’est également dit « déçu » du non-respect de la démocratie sur l’île, évoquant une « situation critique » de son système juridique. 

Hong Kong perd 68 places dans le classement RSF en 2022

Dans les prochains jours, le « procès des 47 » déterminera si les Hongkongais seront emprisonnés ou non pour avoir seulement exercé leur droit à la liberté d’expression. Les quatre juges ont été « choisis par la Chine » selon l’association Hong Kong Free Press, tandis que la présence d’un jury, composée de résidents de l’île, a été écartée. 

Mais alors, la communauté internationale demeure-t-elle sourde à la crise hongkongaise ? Pas tout à fait. Si l’Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni accueillent des Hongkongais dissidents sur leur territoire, peu s’aventurent effectivement aux prises de paroles publiques et frontales, exceptée l’Union européenne et plusieurs institutions internationales.

Le comité des droits de l’Homme de l’ONU a pour sa part exprimé son inquiétude quant aux « possibilités de transférer des affaires de Hong Kong vers la Chine continentale pour les enquêtes et procès » ainsi que les emprisonnements, faisant craindre de terribles conditions de détention. Le comité a par ailleurs exhorté Hong Kong « à abroger sa loi sur la sécurité nationale. »

Une loi et des méthodes condamnées à l’internationale, mais sans autre mesure de contrainte. Aucune procédure de médiation par un pays-tiers n’a par exemple été discutée avec la Chine et Hong Kong, malgré la situation plus qu’alarmante.

Maud Baheng Daizey

MEETING. In Bangladesh, how “enforced disappearances” are becoming commonplace 

A Bangladeshi lawyer specializing in the rights of minorities and LGBTQI+ people, Shahanur Islam is one of the 2023 winners of the Marianne Initiative. Dedicated for many years to the queer community through his actions and criminal cases, the lawyer has been rewarded by the Initiative for his unwavering commitment. The Eye of the House of journalists had the opportunity to interview him about his commitment and his NGO.

Married with a young son, Shahanur has often feared for his family. His wife has herself specialized in defending the rights of women and children, who are also oppressed in Bangladesh. Yet Shahanur Islam has never given in to the threats, intimidation and aggression he suffers at the hands of his detractors. A lawyer by passion and deeply motivated by respect for human rights, nothing seems able to stop him.

And with good reason: Bangladesh is a South Asian country dominated by the Islamic religion. There, the LGBTQI+ community faces many and varied forms of violence, discrimination and marginalization within its family, society and state due to segregative laws, religious sentiments and social norms. Having had a transgender cousin assaulted, Shahanur knows what he’s talking about. 

Bangladesh has also experienced periods of political instability, with frequent changes of government and cases of political violence. A toxic, even deadly environment for rights defenders, where their work is seen as a challenge to the government or to powerful actors. 

Weak democratic institutions and a lack of respect for the rule of law prevent the implementation and enforcement of human rights protections,” explains the 2023 Marianne Initiative winner. “There is a culture of impunity for human rights violations. This discourages people from seeking and obtaining justice, which makes our struggle difficult,” he laments.

Journalists, activists and human rights defenders are the constant victims of harassment, threats and even violence for denouncing violations or criticizing the government. Extrajudicial executions and enforced disappearances are widespread in Bangladesh. This contributes to a climate of fear and mistrust of law enforcement agencies, and hampers efforts to protect human rights.”

But other parameters must also be taken into account: poverty and illiteracy (literacy rate 75%), “which exacerbate human rights problems in Bangladesh, as marginalized people lack access to basic rights and services. In addition, human rights organizations and institutions have limited resources, preventing them from effectively investigating and documenting violations and providing support to victims.”

A lawyer dedicated to the LGBTQI+ community

This situation has deeply shocked and moved me, especially as I have witnessed similar persecution and discrimination in my neighborhood and within my extended family.” Feeling a strong sense of empathy and concern for their well-being, “I knew I had to act to change things.”

A few years ago, he began to learn about LGBTQI+ issues around the world and to make contact with committed activists and institutions. “These experiences have strengthened my determination to defend LGBTQI+ rights in my own country,” in both his personal and professional life.

He firmly believes in the fundamental principles of human rights, equality and dignity for all individuals, regardless of their sexual orientation, age, gender identity or expression.

His work aims to empower LGBTQI+ people, helping them to assert their rights and claim their rightful place in society. He knows his role as an advocate is “essential” to “promoting positive change, raising awareness and lobbying for better legal protection for the community. “As a human rights defender, lawyer and citizen journalist in Bangladesh, I have for some years been defending the rights of minorities, as well as victims of torture, extrajudicial executions, enforced disappearances and organized violence.” An “unwavering commitment” for the queer community, and will never stop contributing to a future “where all individuals can live in dignity and freedom.”

Multiple violent assaults in Bangladesh

A fight that seems never-ending. “Last year, I received threats from Islamic extremists, which also targeted my wife and child. That’s why we have taken various security measures to protect them while they live in Bangladesh.” Threats he still receives today.

On the ground, his family avoids crowded places, only goes out in groups and not after dark; they frequently change their itinerary when traveling, as well as their place of residence. Precautions that have a heavy impact on their daily lives. “The safety of my family is an absolute priority, and I would be grateful for any help we could receive to overcome these difficult circumstances,” says the lawyer.

I have faced terrifying experiences, including repeated threats, death threats, intimidation, physical assaults, and unlawful prosecution,” he confides without lowering his head. Shahanur lodged a complaint with each assault, to no avail.

First on January 9, 2011, in the Thakurgaon district in the north of the country. At the time, he was in the presence of two other rights defenders, on a fact-finding mission to investigate a human rights violation. “During our visit, we were attacked by a group of around ten people. One of the assailants introduced himself as a member of the local Parishad Union (editor’s note: rural council), while another claimed to be its president.”

They aggressively questioned us about the purpose of our presence in the area, then one of them physically assaulted me as I tried to call the local police. They then began robbing us at gunpoint, taking video cameras, a laptop, important documents and cash among other things. I sustained further injuries during this assault when I desperately tried to call for help.”

The drama didn’t stop there: the men forced the group “to pose for photos while holding sums of money in US dollars.” Threatened with death and with the compromising photos being published in newspapers, the rights defenders failed to report the assault to the police.

On August 26, 2020, while working at the Naogaon District Court in the north of the country, Shahanur was attacked “by a group of Islamic terrorists. As soon as I left the courtroom and reached the veranda, I was suddenly attacked with the clear intention of abducting and killing me.”

Lawyers and law clerks save him in extremis from the terrorists. He emerged traumatized, with serious wounds under his left eye, on his forehead and the rest of his body, requiring hospitalization. A situation that reinforces Shahanur’s commitment to human rights. “I will continue to defend justice, equality and the protection of human rights for all, regardless of the risks we face“, he says repeatedly.

When he reports incidents to the police, they refuse to act or investigate. “For the assault that occurred in 2020, I was able to file a complaint and two of the assailants were apprehended. They were subsequently released on bail, and the investigation failed to arrest the other criminals involved. The police even submitted an erroneous investigation report against three of the perpetrators, wrongly discharging them.”

In October 2022, my transgender cousin and I were forcibly detained by a group of individuals in Kolabazar, Naogaon district. They threatened me with death if I didn’t withdraw the complaint filed against Jahurul Islam and my attackers in 2020. Despite these challenges and threats, I did not get justice and I continue to fight for accountability and for the protection of myself and others.”

Continued threats and harassment, even though he’s no longer in the country. “On July 11, 2023, a sub-inspector from the Special Branch of Police (SB) in Badalgachhi, Naogaon, visited my home in Bangladesh. He sought detailed information about me and my family, and asked me for personal information.” He also questioned his cousin about his work, “related to the establishment of LGBTQI+ rights and my advocacy for the decriminalization of homosexuality in Bangladesh.”

Furthermore, on June 21, 2023, “a user named ‘Mon Day’ on Facebook launched a vicious campaign against me, on an Islamic extremist Facebook group called ‘Caravan’. This campaign was aimed at deporting me from Bangladesh. They called me an enemy of Islam and falsely accused me of implementing a Western agenda to legitimize homosexuality. They also called for a ban on JusticeMakers Bangladesh, an organization I founded.”

JusticeMakers, the voice of forgotten Bangladeshis

Together with a group of young lawyers and social workers, Shahanur Islam founded JusticeMakers Bangladesh in 2010, after receiving a grant from International Bridges to Justice (IBJ) in Switzerland. Their NGO is dedicated to justice, rehabilitation and community development, with a focus on “the protection and promotion of human rights”, explains the award winner. They go so far as to represent victims in court and accompany them in their complaints.

Shahanur during a conference.

We are committed to respecting the principles set out in the Universal Declaration of Human Rights and the fundamental provisions of the Constitution of Bangladesh. We also provide humanitarian assistance to Bangladeshi victims of violations and discrimination.”

JusticeMakers defends “victims of extrajudicial killings, torture, organized violence and disappearances, as well as people facing violence and discrimination, including women and children.”

Despite the challenges and dangers I face, the moments of success and knowing I’m making a difference in someone’s life make it all worthwhile. Seeing the smiles on the faces of those whose rights have been defended, and knowing that they can now live in dignity and freedom, is truly rewarding.”

The organization, now based in France, also aims to “contribute to the defense, promotion, education, protection and realization of human rights, guaranteeing equality for all individuals, regardless of race, gender, sexual or religious orientation, caste or social class. We also provide access to existing support services for asylum seekers, refugees and immigrants of Bangladeshi origin living in France,” explains Shahanur.

Our legal experts will provide them with knowledge of existing legislation, constitutional rights and international human rights instruments.” At the same time, they communicate Bangladeshi criminal cases internationally, in order to “raise public awareness and lobby for the resolution of cases.”

They even mobilize the highest international institutions and jurisdictions, not hesitating to organize meetings, seminars and training courses. Shahanur and JusticeMakers don’t intend to stop there: they plan to “soon publish a monthly newsletter on the state of violations in Bangladesh”, as well as “research papers and books.”

We will maintain close relations and cooperation with other human rights organizations, embassies, local associations of lawyers, doctors, journalists’ associations and other professionals.” Finally, “a hotline” will be set up in Bangladesh for anyone concerned.

Marianne Initiative, an “invaluable opportunity” for JusticeMakers

These milestones would not have been possible without his participation in the Marianne Initiative, a veritable incubator for rights defenders. Shahanur feels “extremely lucky and honored” to be a laureate of the promotion of 2023. “This recognition has had a significant impact on my work as a rights defender,” he proclaims. His NGO has gained greater visibility and reached “a wider audience.” He speaks of an “invaluable opportunity” within the program, which has enabled him to have a “greater positive impact.”

Being recognized as a laureate validates my dedication and impact in promoting human rights,” the lawyer tells us. “It has strengthened my credibility, attracting support, partnership and collaboration from individuals and organizations who share this common commitment.”

At the same time, he was able to develop his advocacy skills and deepen his knowledge of international law. In short, “the international attention and support generated by the Marianne Initiative has contributed to my security and well-being in carrying out my work.”

Courageous, Shahanur is undeterred by the violence or the dizzying mass of work: he knows just how marginalized the LGBTQI+ community is in his country, and that all too often it’s a matter of life and death.

Credits photo : Jon Southcoasting

Maud Baheng Daizey

RENCONTRE. Au Bangladesh, comment « les disparitions forcées » se banalisent 

Avocat bangladais spécialisé dans les droits des minorités et personnes LGBTQI+, Shahanur Islam est l’un des lauréats 2023 de l’Initiative Marianne. Dévoué depuis de longues années à la communauté queer à travers ses actions et affaires pénales, l’avocat a été récompensé par l’Initiative pour son engagement sans faille. L’Œil de la Maison des journalistes a eu l’opportunité de l’interviewer sur son engagement et son ONG.

Marié et père d’un petit garçon, Shahanur a souvent craint pour sa famille. Sa femme s’est elle-même spécialisée dans la défense des droits des femmes et des enfants, eux aussi brimés au Bangladesh.

Shahanur Islam n’a pour autant jamais cédé aux menaces, intimidations et agressions qu’il subit de la part de ses détracteurs. Avocat par passion et profondément animé par le respect des droits humains, rien ne semble pouvoir l’arrêter. 

Et pour cause : le Bangladesh est un pays d’Asie du Sud dominé par la religion islamique. Là-bas, la communauté LGBTQI+ est confrontée à de nombreuses et diverses formes de violence, de discrimination et de marginalisation au sein de sa famille, de la société et de l’État en raison de lois ségrégatives, de sentiments religieux et de normes sociales. Ayant une cousine transgenre déjà agressée, Shahanur sait de quoi il parle. 

Le Bangladesh a également connu des périodes d’instabilité politique, avec des changements fréquents de gouvernement et des cas de violence politique. Un environnement toxique voire mortel pour les défenseurs des droits, où leur travail est perçu comme un défi au gouvernement ou à des acteurs puissants. 

« La faiblesse des institutions démocratiques et le manque de respect de l’État de droit empêchent la mise en œuvre et l’application des protections des droits de l’Homme », explique le lauréat 2023 de l’Initiative Marianne.

« Il existe une culture d’impunité pour les violations des droits de l’homme. Cela décourage les gens de demander et d’obtenir justice, ce qui rend difficile notre lutte », regrette-t-il.

« Les journalistes, les militants et les défenseurs des droits de l’homme sont les victimes constantes de harcèlement, de menaces, voire de violences pour avoir dénoncé des violations ou critiqué le gouvernement. Les cas d’exécutions extrajudiciaires et de disparitions forcées sont très répandus au Bangladesh. »

« Cela contribue à créer un climat de peur et de méfiance à l’égard des forces de l’ordre et entrave les efforts de protection des droits humains. »

Mais d’autres paramètres doivent également être pris en compte : la pauvreté et l’analphabétisme (taux d’alphabétisation de 75%), « qui exacerbent les problèmes de droits de l’homme au Bangladesh, car les personnes marginalisées n’ont pas accès aux droits et aux services de baseDe plus, les organisations et institutions de défense des droits de l’homme disposent de ressources limitées, ce qui les empêche d’enquêter efficacement sur les violations, de les documenter et d’apporter un soutien aux victimes. »

Un avocat dévoué à la communauté LGBTQI+

« Cette situation m’a profondément choqué et ému, d’autant plus que j’ai été témoin de persécutions et de discriminations similaires dans mon quartier et au sein de ma famille élargie. » Ressentant un fort sentiment d’empathie et d’inquiétude pour leur bien-être, « j’ai su que je devais agir pour changer les choses. »

Il a commencé il y a quelques années à s’informer sur les questions LGBTQI+ dans le monde et à entrer en contact avec des militants et des institutions engagés.

« Ces expériences ont renforcé ma détermination à défendre les droits LGBTQI+ dans mon propre pays », dans sa vie personnelle comme professionnelle. Il croit fermement aux principes fondamentaux des droits humains, de l’égalité et de la dignité pour tous les individus, indépendamment de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur expression.

Son travail vise à renforcer les capacités des personnes LGBTQI+, en les aidant à faire valoir leurs droits et à revendiquer la place qui leur revient dans la société. Il sait son rôle d’avocat « essentiel » pour « promouvoir un changement positif, sensibiliser l’opinion et faire pression pour une meilleure protection juridique de la communauté. »

« En tant que défenseur des droits de l’homme, avocat et journaliste citoyen au Bangladesh, je défends depuis quelques années les droits des minorités, ainsi que des victimes de torture, d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de violences organisées. »

Un « engagement inébranlable » pour la communauté queer, et n’arrêtera jamais de contribuer à un avenir « où tous les individus pourront vivre dans la dignité et la liberté. »

De multiples et violentes agressions au Bangladesh

Un combat qui semble sans fin. « L’année dernière, j’ai reçu des menaces d’extrémistes islamiques, qui visaient aussi ma femme et mon enfant. C’est pourquoi nous avons pris diverses mesures de sécurité pour les protéger lorsqu’ils vivent au Bangladesh. » Des menaces qu’il reçoit toujours aujourd’hui. 

Sur place, sa famille évite les endroits bondés, ne sort qu’en groupe et pas après la tombée de la nuit ; ils changent fréquemment d’itinéraire lorsqu’ils se déplacent, de même que de lieu de résidence.

Des précautions aux impacts lourds sur leur vie quotidienne. « La sécurité de ma famille est une priorité absolue et je serais reconnaissant de toute aide que nous pourrions recevoir pour surmonter ces circonstances difficiles », précise l’avocat.

Shahanur en conférence.

« J’ai été confronté à des expériences terrifiantes, notamment des menaces répétées, des menaces de mort, des intimidations, des agressions physiques, et des poursuites judiciaires illégales », se confie-t-il sans baisser la tête. Shahanur porte plainte à chaque assaut, en vain.

D’abord le 9 janvier 2011, dans le district de Thakurgaon, au nord du pays. Il est alors en présence de deux autres défenseurs des droM2307-DHOYVits, pour mener une mission d’enquête concernant une violation des droits de l’homme.

« Au cours de notre visite, nous avons été attaqués par un groupe d’une dizaine de personnes. L’un des assaillants s’est présenté comme un membre de l’union locale Parishad (NDLR : conseil rural), tandis qu’un autre a prétendu en être le président. »

« Ils nous ont interrogés de manière agressive sur l’objet de notre présence dans la région, puis l’un d’entre eux m’a agressé physiquement alors que j’essayais d’appeler la police locale. Ils ont alors commencé à nous voler sous la menace d’une arme, emportant notamment des caméras vidéo, un ordinateur portable, des documents importants et de l’argent liquide. J’ai subi d’autres blessures au cours de cette agression lorsque j’ai tenté désespérément de demander de l’aide. »

Le drame ne s’est pas arrêté là : les hommes ont forcé le groupe « à poser pour des photos en tenant des sommes d’argent en dollars américains. » Menacés de mort et de diffusion des photos compromettantes dans les journaux, les défenseurs des droits ne signalent pas l’agression à la police. 

Le 26 août 2020, alors qu’il travaillait au tribunal du district de Naogaon, au nord du pays, Shahanur a été attaqué « par un groupe de terroristes islamiques. Dès que j’ai quitté la salle d’audience et atteint la véranda, j’ai été soudainement attaqué avec l’intention manifeste de m’enlever et de me tuer. »

Des avocats et clercs d’avocats le sauvent in extremis des terroristes. Il en ressort traumatisé, avec de graves blessures sous l’œil gauche, sur le front et le reste du corps, nécessitant son hospitalisation. Une situation qui conforte d’autant plus Shahanur à s’engager pour les droits humains.

« Je continuerai à défendre la justice, l’égalité et la protection des droits de l’homme pour tous, quels que soient les risques auxquels nous sommes confrontés », martèle-t-il à plusieurs reprises.

Lorsqu’il signale les incidents à la police, celle-ci refuse d’agir ou d’enquêter. « Pour l’agression survenue en 2020, j’ai pu déposer plainte et deux des agresseurs ont été appréhendés. Ils ont ensuite été libérés sous caution et l’enquête n’a pas permis d’arrêter les autres criminels impliqués. La police a même présenté un rapport d’enquête erroné contre trois des auteurs de l’attentat, les déchargeant à tort. » 

« En octobre 2022, ma cousine transgenre et moi-même avons été détenus de force par un groupe d’individus à Kolabazar, dans le district de Naogaon. Ils m’ont menacé de mort si je ne retirais pas la plainte déposée contre Jahurul Islam et mes agresseurs de 2020. Malgré ces défis et ces menaces, je n’ai pas obtenu justice et je continue à me battre pour que les responsables rendent des comptes et pour que moi-même et d’autres personnes soient protégés. »

Des menaces et un harcèlement continu, même s’il n’est plus au pays. : « le 11 juillet 2023, un sous-inspecteur de la Special Branch of Police (SB) de Badalgachhi, Naogaon, s’est rendu à mon domicile au Bangladesh. Il a cherché à obtenir des informations détaillées sur moi et ma famille, et m’a demandé des renseignements personnels. »

Il a également interrogé son cousin sur son travail, « lié à l’établissement des droits des LGBTQI+ et sur mon plaidoyer pour la décriminalisation de l’homosexualité au Bangladesh. »

De plus, le 21 juin 2023, « un utilisateur nommé “Mon Day” sur Facebook a lancé une campagne vicieuse contre moi, sur un groupe Facebook extrémiste islamique appelé “Caravan”.

« Cette campagne visait à m’expulser du Bangladesh. Ils m’ont qualifié d’ennemi de l’Islam et en m’accusant à tort de mettre en œuvre un programme occidental visant à légitimer l’homosexualité. Ils ont également demandé l’interdiction de JusticeMakers Bangladesh, une organisation que j’ai fondée. »

JusticeMakers, la voix des Bangladais oubliés

Avec un groupe d’avocats et de jeunes travailleurs sociaux jeunes, Shahanur Islam fonde JusticeMakers Bangladesh en 2010, après avoir reçu la bourse de l’organisation International Bridges to Justice (IBJ), en Suisse.

Leur ONG se consacre à la justice, la réhabilitation et le développement communautaire, en mettant l’accent sur « la protection et la promotion des droits humains », explique le lauréat. Ils vont jusqu’à représenter les victimes au tribunal et les accompagner dans leur plainte.

« Nous nous engageons à respecter les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme et les dispositions fondamentales de la Constitution du Bangladesh. Nous fournissons aussi une assistance humanitaire aux Bangladais victimes de violations et de discriminations. »

JusticeMakers défend des « victimes d’exécutions extrajudiciaires, de tortures, de violences organisées et de disparitions, ainsi que des personnes confrontées à la violence et à la discrimination, y compris les femmes et les enfants. »

« Malgré les défis et les dangers auxquels je suis confronté, les moments de réussite et le fait de savoir que je fais la différence dans la vie de quelqu’un en valent la peine. Voir les sourires sur les visages de ceux dont les droits ont été défendus, et savoir qu’ils peuvent désormais vivre dans la dignité et la liberté, est vraiment gratifiant. »

L’organisation, aujourd’hui basée en France, a également pour objectif de « contribuer à la défense, à la promotion, à l’éducation, à la protection et à la réalisation des droits de l’homme, en garantissant l’égalité pour tous les individus, peu importe leur race, sexe, orientation sexuelle ou religieuse, caste ou classe sociale. »

« Nous donnons aussi accès aux services de soutien existants pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les immigrés d’origine bangladaise vivant en France », précise Shahanur.

« Nos experts juridiques leur fourniront des connaissances sur la législation existante, les droits constitutionnels et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. »

Ils communiquent par la même occasion les affaires pénales bangladaises à l’internationale, afin de « sensibiliser l’opinion publique et faire pression pour la résolution des affaires. »

Ils remuent jusqu’aux plus hautes institutions et juridictions internationales qu’ils mobilisent, n’hésitant pas à planifier des meetings, séminaires et formations. Shahanur et JusticeMakers ne compte pas s’arrêter là : ils comptent « publier prochainement un bulletin mensuel sur l’état des violations au Bangladesh”, ainsi que “des documents de recherches et de livres. »

« Nous maintiendrons des relations étroites et une coopération avec d’autres organisations de défense des droits humains, des ambassades, des associations locales d’avocats, de médecins, des associations de journalistes et d’autres professionnels. » Enfin, « une ligne téléphonique d’urgence » sera mise en place au Bangladesh pour toute personne concernée. 

Initiative Marianne, « opportunité inestimable » pour JusticeMakers

Des étapes qui n’auraient pu être atteintes sans sa participation à l’Initiative Marianne, véritable incubateur pour les défenseurs des droits. Shahanur se sent « extrêmement chanceux et honoré » d’être lauréat de la promotion 2023.

« Cette reconnaissance a eu un impact significatif sur mon travail en tant que défenseur des droits », clame-t-il. Son ONG a obtenu plus de visibilité et atteint « un public plus large. » Il parle d’une « opportunité inestimable » au sein du programme, qui lui a permis d’avoir un « plus grand impact positif. »

« Le fait d’être reconnu comme lauréat valide mon dévouement et mon impact dans la promotion des droits de l’homme », nous explique l’avocat. « Cela a renforcé ma crédibilité, attirant le soutien, le partenariat et la collaboration d’individus et d’organisations qui partagent cet engagement commun. »

Il a pu par la même occasion développer ses compétences en plaidoyer et d’approfondir ses connaissances en droit international. En résumé, « l’attention et le soutien internationaux suscités par l’Initiative Marianne ont contribué à ma sécurité et à mon bien-être dans l’accomplissement de mon travail. »

Vaillant, Shahanur n’est pas découragé par les violences ou la masse vertigineuse de travail : il sait à quel point la communauté LGBTQI+ est marginalisée dans son pays, et qu’il s’agit bien trop souvent de vie ou de mort.

Crédits photo : Jon Southcoasting, Shahanur Islam.

Maud Baheng Daizey

Bangladesh : quand la liberté d’expression se réduit

La liberté d’expression est le principe selon lequel chaque individu ou communauté peut exprimer librement leurs opinions sans crainte, sans être surveillé, ou sans être sous la contrainte d’accepter les ordres des autorités. A l’heure actuelle, plusieurs pays du monde ne respectent pas ce principe. En d’autres termes, ils ne protègent pas la liberté d’expression. Le Bangladesh, pays d’Asie du Sud, est l’un des pays, et environnements où la liberté d’expression est la plus menacée.

Le Bangladesh est un pays prometteur, situé en Asie du Sud. Bien que petit par la taille, ce pays à forte population regorge de beautés naturelles. Le pays a obtenu son indépendance du Pakistan occidental le 16 décembre 1971, au terme d’une guerre sanglante.

Dans le cadre d’un processus démocratique, la Constitution contemporaine stipule que le gouvernement du pays est élu par un vote direct du peuple. Depuis 2009, le gouvernement du Bangladesh est dirigé par un grand parti politique appelé « Ligue Awami ».

Sheikh Hasina,  la fille de l’architecte du pays Sheikh Mujibur Rahman, est la présidente du parti et aussi la Première ministre du pays.

Sheikh Hasina affronte de nombreuses critiques en raison de sa politique stricte qui étouffe les voix des partis de l’opposition, des dissidents, mais aussi la couverture des médias. Ses détracteurs et ses opposants la considèrent comme une « Partisane de la Dictature ».

Les critiques adressées à ce gouvernement, dirigé par Sheikh Hasina, concernent principalement les cas de la suppression de la liberté de la presse, la torture des journalistes, les disparitions et les meurtres de journalistes touchent tout le territoire du pays.

Les États-Unis ont déjà sanctionné plusieurs officiers des forces de l’ordre du pays (RAB) pour leur implication présumée dans des cas de violation des droits de l’homme.  

Sous le régime de la Ligue Awami, de nombreux journalistes ont été tués, d’autres parmi eux ont été attaqués et poursuivis en justice et plusieurs médias de presse écrite et web ont été fermés et censurés.

Plus d’un millier de journalistes blessés en cinq ans

Selon le ‘Ain o Salish Kendra (ASK, Law and Justice Center en anglais), une association de défense des droits de l’homme au Bangladesh, 35 journalistes ont été tués dans le pays entre 1992 et 2023. Entre 2013 et 2018, ce sont 1226 journalistes qui ont été blessés, torturés et tués.

Parmi eux, la Ligue Awami a torturé 383 journalistes. La police en a tué 130 et 240 journalistes ont été torturés par divers terroristes. Pas un seul cas n’a fait l’objet d’un procès juste au tribunal.

Asak indique également qu’en six mois, de janvier à juin de cette année 2023, pas moins de 119 journalistes ont été torturés et harcelés de diverses manières.

En 2013, Dainik Amar Desh, Diganta TV, Channel One, CSB et 35 médias en ligne ont été fermés. En conséquence, des milliers de journalistes bangladais se sont retrouvés au chômage.

Effrayés par les attaques, les persécutions et la torture dont ils font face, de nombreux journalistes de renoms du Bangladesh ont fait le choix de vivre en exil. Parmi eux, Mahmudur Rahman, le rédacteur en chef du journal Amar Desh, le chroniqueur Pinaki Bhattacharya, le journaliste Kanak Sarwar et Elias Hossain.

Digital Security Act, nouvelle menace pour la presse libre

La question de la torture des journalistes et de la suppression des journaux au Bangladesh est largement critiquée dans les cercles internationaux, au-delà des frontières du pays.

Plus particulièrement, la loi noire contre les journalistes appelée « Digital Security Act » (loi sur la sécurité numérique), a suscité l’inquiétude de la communauté internationale.

Le rapport annuel du Département d’État américain sur les droits de l’homme a également soulevé la question de la liberté d’expression au Bangladesh.

Le rapport américain indique que si la liberté d’expression est bien inscrite dans la Constitution du pays, le gouvernement a échoué à la faire respecter dans de nombreux cas et qu’il existe des restrictions significatives à la liberté d’expression dans le pays.

Cette question a été mentionnée dans le rapport publié par le Département d’État américain le 30 mars 2020 qui traite de la situation des droits de l’homme au Bangladesh.

D’un point de vue global, on peut comprendre que la situation au Bangladesh est très limitée. Jour après jour, la liberté d’expression dans le pays s’amenuise.

Les médias et les journalistes du pays traversent une situation dangereuse.

Photo credit : Syed Mahamudur Rahman/NurPhoto via Getty Images

Jamil Ahmed   

Afghanistan : cri d’alarme des femmes journalistes

Le 15 août 2021 semble avoir signé la mort de la presse en Afghanistan avec le retour au pouvoir des Talibans. Abandonné à son sort par l’OTAN et les Etats-Unis, le pays sombre depuis plus d’un an dans un obscurantisme total. Si le régime promettait vouloir respecter les droits de l’Homme, ses nombreuses politiques exclusives et autoritaires n’ont cessé de prouver le contraire. En un an, les médias afghans ont subi tant de répression que plus de 50% d’entre eux ont disparu. Des dizaines de journalistes ont été contraints de fuir le pays pour échapper au régime, sans pour autant renoncer à l’Afghanistan et à leur liberté. Comment s’organisent-ils à l’étranger et en Afghanistan pour faire entendre leurs voix et continuer leur travail sans risquer la prison ?

En septembre 2021, le gouvernement Taliban impose une directive contenant 11 articles pour censurer et contrôler la presse et les journalistes afghans. Ils utilisent les organes de presse pour répandre leurs propres informations, rendant le travail des journalistes très éprouvant. Selon le rapport du SIGAR, l’Inspecteur Général Spéciale pour la Reconstruction de l’Afghanistan, « des lois ont été promulguées pour prohiber la publication ou la diffusion d’informations considèrent contre l’Islam ou le régime. »

Plus de la moitié des médias fermés en Afghanistan

Depuis la prise de pouvoir, au moins 80 journalistes ont été arrêtés et tous subissent la censure. Plus de 51% des organes de presse ont été fermés et 80% des femmes journalistes se sont retrouvées sans emploi en 15 mois. Ainsi, 10 provinces sur 34 d’Afghanistan sont dépourvues de femmes journalistes. Zan et Bano TV, deux médias privés qui étaient dirigés par des femmes, ont dû stopper leurs activités et licencier leurs équipes, majoritairement féminines.

Le cas le plus récent est Kaboul News TV, une des plus grandes chaînes d’information du pays. Elle a été fondée par l’ancien chef de cabinet de l’ancien président Karzai, Karim Khorram. Durant ces dernières années, la chaîne était en opposition avec le gouvernement du président Ghani, mais a été fermée en 2021 sous la pression exercée par les Talibans et de difficultés économiques.

Depuis plusieurs mois, les femmes et filles ont vu leur liberté se réduire comme peau de chagrin. Elles n’ont désormais plus le droit d’aller à l’école ou d’exercer leur profession et les journalistes afghanes encore en place luttent pour garder cette dernière. Nous avons pu échanger avec l’une d’entre elles ainsi que des confrères désormais basés au Pakistan, pays limitrophe, sur leur condition actuelle et leurs moyens de lutte contre la censure et le régime. 

Facteur révélateur de leurs difficultés, les multiples obstacles rencontrés afin d’entrer en communication avec eux : les numéros de téléphones des journalistes réfugiés au Pakistan ne sont joignables que sur une période donnée, avant qu’ils ne soient redistribués à d’autres personnes. 

Deux contacts n’ont ainsi jamais répondu à nos appels, leur visa ayant expiré et leur numéro de téléphone donné à un autre réfugié. D’autres n’ont pas la mainmise sur leur téléphone, leur frère ou des inconnus répondant à leur place.

La double punition de la femme journaliste afghane

Heureusement, certains ont pu répondre à nos appels. Banafsha Binesh est une Afghane vivant toujours à Kaboul et travaillant pour TOLOnews, première chaîne d’information télévisée d’Afghanistan. Il nous faudra attendre le second appel qu’elle soit seule pour l’interviewer et obtenir des réponses sans détour. 

Banafsha Binesh pour TOLOnews

« Nous travaillons dans de très mauvaises conditions », déplore-t-elle au combiné. « La censure est extrêmement stricte et les interdits dans notre travail se multiplient. Par exemple, j’ai couvert il y a quelque temps un événement des Nations-Unies concernant la situation des Afghanes. Des représentants y critiquaient l’agenda et les politiques talibanes et nous avons reçu l’interdiction de diffuser notre reportage car nous n’avons pas le droit de critiquer le régime. » Avec sang-froid et fierté, Banafsha Binesh nous assure ne pas vouloir être anonymisée car elle se bat « déjà contre les Talibans depuis Kaboul. » 

Mais pourquoi continue-t-elle de travailler malgré la censure et le danger ? En-dehors de la nécessité de « faire entendre la voix des femmes et du peuple afghan », la journaliste explique être la seule à supporter financièrement sa famille. Sans elle, personne ne mangerait. TOLOnews n’a pas échappé à la répression et a réduit le nombre de ses employés d’elle-même, mais Banafsha Binesh est parvenue à conserver son poste. 

« Nous devons continuer notre travail et montrer à la communauté internationale que les Afghanes n’ont pas abandonné leur vie. Elles continuent de se battre pour leur liberté, la démocratie et à tenir tête aux talibans. Elles sont toujours vivantes ! », clame-t-elle d’une voix franche. « Si les Talibans ne nous laissent pas travailler, nous nous tiendrons debout et nous refuserons d’être dévalorisées. » 

Avant les Talibans, la jeune femme a expérimenté ce qu’elle qualifie de « vrai journalisme » lors de ses multiples reportages et refuse de s’en détourner.  « Avec [mes] collègues, nous élevons les voix du peuple qui vit sous la menace constante. Nous nous sentons comme des activistes, dans un sens. »

De la prison pour une interview

Mais son courage est quotidiennement menacé. Elle est terrifiée chaque matin à l’idée de se rendre à son bureau, étant à la fois femme et journaliste. « Un jour, alors que j’effectuais avec mon cameraman un reportage sur la terrible situation économique des Afghanes, nous avons été brutalement interrompus. J’interrogeais une vendeuse de crème glacée à Kaboul lorsque le Département des Renseignements du 8ème district de la ville est arrivé pour nous arrêter. Nous avons été emprisonnés pendant quatre heures, menacés et torturés. Ils nous ont interdit de faire des interviews et de donner une image négative du gouvernement. Nous n’avons pu diffuser notre travail. »

Banafsha Binesh et son caméraman.

Il ne s’agissait pas de l’unique intervention des Talibans durant ses heures de travail, loin de là. Binesh témoigne qu’à plusieurs reprises le régime a interrompu et coupé ses interventions en live, notamment lorsqu’elle interviewait des réfugiés ou des étudiants devant les écoles. Ce jour-là, « ils sont venus m’empêcher de parler avec les étudiants et les filles sur place, je n’ai pu que les saluer avant de devoir partir. » Elle ne peut d’ailleurs pas apparaître à l’écran sans son hijab et son masque.

Mais Banafsha Binesh et ses compatriotes ne peuvent remporter cette lutte seuls, martèle-t-elle à de nombreuses occasions. « C’est le rôle de la communauté internationale de mettre la pression sur les Talibans. Elle les rencontre tous les jours à Doha au Qatar, qu’attend-t-elle pour les obliger à respecter les droits des femmes, la liberté d’expression ? Nous ne pouvons plus aller dans les parcs ou au hammam, nous ne pouvons plus nous instruire ou faire des activités culturelles. Nous ne pourrons avancer sans la communauté internationale. Les journalistes du monde entier doivent aussi pouvoir porter l’attention sur l’Afghanistan et la condition des femmes ici, il en va de notre responsabilité. »

Tenter de remettre un pied à l’étrier du journalisme

D’autres journalistes n’ont eu d’autre choix que de s’enfuir loin du régime et de trouver refuge au Pakistan. La situation n’est hélas guère plus brillante pour eux, comme en témoignent les deux Afghans avec qui nous avons pu communiquer et qui ont tenu à rester anonymes. 

Le premier d’entre eux est basé au Pakistan depuis 15 mois et travaillait auparavant pour Itlat-E-Rooz Daily en tant que journaliste d’investigation et de la paix. Wahid Haderi et quatre membres de sa famille ont fui leur pays d’origine en août 2021. Il relate que ces derniers mois, les journalistes réfugiés étaient arrivés par des visas médicaux et de tourisme. « Mais sans un visa de journalistes, nous ne pouvons travailler au Pakistan. Il coûte environ 1000 dollars si on veut passer par un intermédiaire, une somme bien trop importante lorsqu’on a fui avec ce qu’on avait sur le dos et sans travail. » 

Wahid Haderi au travail

« La plupart des journalistes qui ont un visa ne l’ont que pour trois ou six mois et même le mien est arrivé à expiration. Le Pakistan a annoncé fermer les frontières et nos collègues n’ont d’autre choix que de passer la frontière illégalement. A la fin de l’année, ils risqueront trois ans de prison ou la déportation en Afghanistan, mais que peuvent-ils faire ? Beaucoup ont à charge une famille et ils ont plus de chance de répondre à leurs besoins depuis le Pakistan qu’en Afghanistan. »

Risquer la mort sur place ou tenter une maigre chance ailleurs, voilà ce qu’exprime notre intervenant. Il évoque des aides internationales aux conditions d’accès trop spécifiques pour véritablement aider les journalistes afghans. 

« Quelques organisations comme Amnesty International ou le Comité de Protection des Journalistes fournissent des aides financières, mais vous devez prouver que vous êtes en grand danger pour les obtenir. Or, la plupart ont fui sans aucun document légal pour sauver leur peau. Et quand bien même vous parvenez à toucher les aides, elles ne sont jamais suffisantes pour survivre plus de quelques semaines. Il faut par ailleurs que vous ayez été torturé ou emprisonné, pas simplement menacé. Ils sont pourtant tous victimes de problèmes mentaux ou psychologiques parce qu’ils sont traumatisés. Beaucoup n’arrivent toujours pas à évoquer leur vécu et leur fuite. » 

Wahid Haderi en reportage sur la liberté de la presse en Afghanistan

Même son de cloche au micro de notre troisième journaliste. Lui aussi s’est réfugié au Pakistan pour échapper à la mort promise par les Talibans, mais le pays n’est pas sûr pour les journalistes. « Nous nous sentons menacés ici aussi, nous ne pouvons pas non plus critiquer le gouvernement du Pakistan. Des groupes terroristes comme Daesh et les Talibans eux-mêmes ont de l’influence et des soutiens au Pakistan. Nous pouvons toujours être emprisonnés par Islamabad pour nos opinions ou à la suite de l’expiration de notre visa. Nombre de journalistes ne peuvent désormais même plus louer un appartement », se désole-t-il. « C’est une situation cauchemardesque. » Il a beau avoir demandé un visa à la France et l’Allemagne en février dernier, aucune réponse ne lui est parvenue.

Il nous confie attendre simplement de nous « qu’on nous laisse être entendus et de pouvoir travailler sans être menacés de mort ou de torture. » Près de 350 journalistes et acteurs des médias sont actuellement réfugiés au Pakistan et demandent à la communauté internationale de s’occuper de leurs dossiers d’asile.

Il s’agit de leur donner une réponse le plus rapidement possible, afin qu’ils puissent prendre un nouveau départ et avoir une vie normale. Ils doivent également être informés de leurs dossiers et visas qui nécessitent beaucoup de temps pour être examinés afin de les sortir de leur situation désespérée. Leur vie est en jeu.

Ces journalistes doivent être soutenus par la communauté internationale, sur la base d’un mécanisme clair et transparent, afin que leur voix puisse être entendue dans le pays. Les journalistes en danger en Afghanistan doivent également être évacués, et leur dossier d’asile doit être examiné dans un pays approprié.

Après tout, l’Afghanistan n’est pas figé dans l’immobilisme politique. Le fait que le gouvernement taliban ait conservé son bureau politique au Qatar signifie qu’ils veulent négocier dans de nombreux cas, ils ont des réunions régulières avec les représentants du bureau politique de l’Émirat islamique et des sections politiques européennes. Ces visites ont permis de faire comprendre aux talibans que le maintien de leur pouvoir politique dépend de l’acceptation des droits fondamentaux des citoyens.

Les questions de la liberté et des droits de l’homme, en particulier la liberté d’expression, ont été abordées avec les représentants politiques de ce groupe. Et cela a ouvert la voie à une conversation politique, conversation qui a abouti à la création d’un gouvernement global et à la fin de quarante ans de violence.

Maud Baheng Daizey et Noorwali Khpalwak

ISRAËL – Le logiciel espion de NSO Group traque les journalistes en toute impunité

Des centaines de journalistes à travers le monde surveillés par leurs téléphones, des liens obscurs avec les meurtres des journalistes Jamal Khashoggi et Javier Valdez, des contrats à plusieurs millions de dollars pour équiper les services de renseignement de régimes répressifs… Derrière ces affaires, une société israélienne fournit aux États un logiciel d’espionnage ultraperfectionné : NSO Group.

Mise à jour 21/07/2021 : Un an après la publication de cet article, la société israélienne NSO Group fait la une des journaux. Amnesty International, Forbidden Stories et dix-sept rédactions internationales ont obtenu une liste de 50 000 numéros de téléphone ciblés par des États clients de la firme. Amnesty International Security Lab a pu confirmer la présence du virus dans certains de ces téléphones. Parmi ces numéros, 180 journalistes à travers le monde ont été identifiés. Vous pouvez retrouver la liste des journalistes ciblés par Pegasus mise à jour ci-dessous. Le collectif de chercheurs Forensic Archicture a également mis en place une plateforme interactive pour exposer l’étendu des cyberattaques de Pegasus depuis dix ans. Dans un communiqué de presse, NSO Group a dénoncé “une campagne médiatique planifiée et bien orchestrée » et  assure que la liste des 50 000 numéros n’avait rien à voir avec son produit phare Pegasus.

De février à avril 2021, Hicham Mansouri, journaliste marocain réfugié en France aujourd’hui chargé d’édition de l’Œil de la Maison des Journalistes a été infecté par Pegasus. Orient XXI a raconté la surveillance dont il a été victime dans les rues de Vienne.

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D’abord cantonné à quelques apparitions dans la presse économique ou informatique, pour vanter les prouesses technologiques d’une petite start-up israélienne, NSO Group fait maintenant les titres de journaux. La cause de la médiatisation grandissante est son produit phare : Pegasus, un virus espion qui vise des centaines de journalistes, défenseurs des droits humains et dissidents politiques à travers le monde.

NSO Group, un prédateur numérique

Cette année, NSO Group rafle même la première place dans la liste des prédateurs numérique, catégorie espionnage et surveillance, de Reporters sans frontières. Depuis, la société israélienne continue à faire parler d’elle. Fin juin, c’est un journaliste marocain, Omar Radi, qui témoignait dans une enquête de Forbidden Stories et d’Amnisty International, avoir été mis sur écoute grâce à la technologie israélienne. Malgré que ce ne soit pas la première affaire dans le royaume, le gouvernement rejette les accusations en bloc.

Plus récemment encore, NSO Group est au cœur d’une nouvelle polémique dans les relations entre gouvernement espagnol et indépendantistes catalans. Le 13 juillet, c’est une enquête conjointe de El País et The Guardian qui alertait sur l’espionnage grâce à Pegasus de plusieurs personnalités politiques indépendantistes (notamment Roger Torrent, actuel président du Parlement de Catalogne et Anna Gabriel, ancienne parlementaire catalane aujourd’hui exilée en Suisse). Par la suite, les journalistes ont pu confirmer, selon leurs sources, que les services de renseignements espagnols ont bien eu accès depuis 2015 au logiciel espion de NSO Group.


Dès sa création, le virus aurait d’ailleurs été utilisé pour la surveillance et la capture du baron de la drogue El Chapo.


La société voit le jour en 2009 à Herzliya dans la banlieue nord de Tel Aviv, fondée par trois entrepreneurs Niv Carmi, Shalev Hulio et Omri Lavie (Initiales de la firme).

Les deux derniers sont d’anciens agents de l’Unité 8200, services de renseignement informatiques israéliens, considérés parmi les plus technologiquement avancés au monde. Avec cette expérience, la société d’abord financée par un fonds de pension israélien propose dès 2011, une première version de son logiciel espion Pegasus. Les divers produits proposés par NSO Group sont uniquement destinés aux agences de renseignement étatiques et visent à lutter contre «le crime organisé, le terrorisme, les réseaux pédophiles». Dès sa création, le virus aurait d’ailleurs été utilisé pour la surveillance et la capture du baron de la drogue El Chapo.

Après ce premier succès, trois agences se retrouvent équipés de Pegasus courant 2013, et cible bientôt des cibles d’un autre genre.

C’est en août 2016 que le logiciel espion est étudié en détail pour la première fois. Ahmed Mansoor, défenseur des droits humains aux Émirats Arabes Unis, reçoit un message promettant des informations sur des actes de torture se déroulant dans les prisons et incluant un hyperlien suspicieux.


Enfin, il contient un mécanisme d’auto-destruction pour disparaître complètement du téléphone s’il risque de se faire découvrir.


Déjà touché par des cyberattaques de ce type par le passé, il contacte le laboratoire de recherche canadien Citizen Lab, spécialisé dans les domaines de la cybersécurité et des droits humains. Les chercheurs canadiens décident d’ouvrir le lien sur un téléphone de test puis collaborent avec la société de cybersécurité américaine Look Out pour étudier son action.

Les chercheurs découvrent un logiciel espion très perfectionné. Le virus est capable d’extraire les données des messageries, d’appels ainsi que contacts, mails, calendrier ou de paramètres (WIFI, mots de passe divers) de la cible. Son action s’étend également aux applications de réseaux sociaux (Facebook, VK) et de messageries cryptés (Telegram, Viber, WhatsApp, iMessage, Facetime, WeChat) en copiant des données en clair avant que l’application ne les chiffre pour envoi.

En plus de cet accès total, Pegasus est capable de transformer le téléphone en véritable mouchard en activant caméra, microphone et traçage GPS, sans que l’utilisateur ne puisse se douter de quelque chose grâce à un cryptage qui lui permet de passer au-dessus des antivirus traditionnels. Enfin, il contient un mécanisme d’auto-destruction pour disparaître complètement du téléphone s’il risque de se faire découvrir.


«De part sa modularité, la quantité de données utilisateur et de communication qu’il surveille ainsi que ses méthodes adaptatives pour extraire des données selon les applications, Pegasus est, à ce ce jour, le virus (…) le plus sophistiqué que nous ayons pu observer sur un téléphone.»

Citation extraite du dossier d’analyse technique de Pegasus de Look Out


«Aujourd’hui, le vrai problème, c’est le root des téléphones [ou jailbreak pour les smartphones d’Apple]» estime Anis Mazak, fondateur d’une entreprise de développement informatique. «C’est cette opération qui permet un accès système avancé («super utilisateur») et autorise des opérations normalement impossibles sur le téléphone.» Retirer cette sécurité, revient à débrider le téléphone comme on peut le faire pour une voiture ou une moto et d’accéder à des fonctions terminales normalement limitées.

«Cette manipulation permet de déverrouiller des failles et des accès non prévus par le constructeur. Des fonctions qui n’existent normalement pas sur un téléphone peuvent alors être implémentées comme un historique de navigation GPS».


Pour réaliser le jailbreak de l’iPhone de l’activiste émirati Ahmed Mansoor, Pegasus exploitait trois de ces failles.


Pour limiter l’accès root aux pirates, les développeurs cherchent à fermer dans leur logiciel toutes les failles qui permettrait à un virus de le réaliser. En plus d’équipes de spécialistes en sécurité informatique, les constructeurs organisent des «bug bounties» (chasses aux bugs) afin de mobiliser une large communauté de développeurs. Après chaque sortie de nouvelles versions du logiciel iPhone et Mac, Apple propose par exemple, pour toute personne dans le monde qui lui ferait remonter une faille permettant un accès root à un pirate, une récompense pouvant atteindre un million de dollars. 

Si le constructeur n’offre pas assez, ces failles peuvent se monnayer pour plus cher encore sur le Darknet. Pour réaliser le jailbreak de l’iPhone de l’activiste émirati Ahmed Mansoor, Pegasus exploitait trois de ces failles. Les enjeux de sécurité informatique sont également des enjeux économiques majeurs pour les constructeurs.


Son prix d’entrée est de 500.000 dollars pour l’installation du virus sur un téléphone


En septembre, le New York Times révèle le prix demandé par NSO Group aux États pour obtenir le sésame. Son prix d’entrée est de 500.000 dollars pour l’installation du virus sur un téléphone, à laquelle il faut ajouter une somme selon le nombre de terminaux visés. Pour 10 téléphones Android ou iPhone il faut compter 650 000 dollars, le prix est ensuite dégressif selon la quantité de cibles. En plus de cela NSO Group exige 17 % de la somme totale pour les frais de maintenance. Pour cette somme, la firme promet un accès complet et indétectable aux données de la victime.

 
 
 

Liste des affaires impliquant Pegasus contre des journalistes et acteurs de l’informations

*Le pays titré est suspecté d’avoir perpétré l’attaque même si l’affaire ne se déroule pas sur son territoire.


Arabie saoudite :

Entre mai et juin 2018, un défenseur des droits humains et un membre d’Amnistie Internationale aux sont la cible de Pegasus.

Entre mai et juin 2018, deux dissidents et défenseurs des droits humains exilés en Grande Bretagne sont la cible de Pegasus.

Fin juin 2018, un activiste saoudien exilé au Canada est la cible de Pegasus. Proche du journaliste Jamal Khashoggi, la surveillance de leurs communications est suspecté d’avoir mené à l’assassinat de Khashoggi dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul en octobre 2018.

Fin juin 2018, un journaliste du New York Times est ciblé par Pegasus.

Entre juillet et août 2020, les chercheurs de Citizen Lab découvrent que les téléphones de 18 journalistes, producteurs, présentateurs et cadres, de la chaîne qatarie Al Jazeera ont été infectés par un opérateur Pegasus soupçonné d’être contrôlé par le pouvoir saoudien.


Azerbaïdjan :

Sur les 245 numéros de téléphone azerbaïdjanais qui apparaissent dans le Projet Pegasus, un cinquième appartient à des journalistes ou propriétaires de médias. S’il n’existe pas de preuve d’un contrat reliant le régime autoritaire d’Ilham Aliyev et NSO Group, l’Azerbadjan est un client régulier de l’industrie militaire israélienne. Sur la période 2016-2020, deux tiers des importations d’armements étaient en provenance de l’État d’Israël. Baku n’a pas répondu à ces accusations.


Émirats arabes unis :

En août 2013, un contrat de 18 millions de dollars est conclut pour l’utilisation de Pegasus. Un second de 11 millions de dollars aurait été signé via une filière à Chypre deux ans et demi après. Pegasus aurait été utilisé pour cibler de hautes personnalités politiques au Qatar (159 personnes concernées), en Arabie saoudite et au Liban. Un journaliste du quotidien londonien Al-Arab aurait également été la cible de Pegasus.

En août 2016, un défenseur des droits humains est la cible de Pegasus.

Entre juillet et août 2020, les chercheurs de Citizen Lab découvrent que les téléphones de 15 journalistes, producteurs, présentateurs et cadres, de la chaîne qatarie Al Jazeera ont été infectés par un opérateur Pegasus soupçonné d’être contrôlé par le pouvoir émirati. Ce même opérateur avait été utilisé en août 2016.

Le Projet Pegasus révèle que plusieurs journalistes internationaux victimes de Pegasus pourraient avoir été ciblés par les Émirats arabes unis. Le téléphone de la rédactrice en chef du journal britannique Financial Times, Roula Khalaf, a été infecté au court de l’année 2018. Le téléphone d’un journaliste du journal américain The Washington Post, Bradley Hope, a été infecté pendant l’été 2018. Le téléphone d’un journaliste turc, Turan Kışlakçı, proche de Jamal Khashoggi a été infecté peu après son assassinat, ce sont les services renseignement turc qui l’informèrent à l’époque de la surveillance de son téléphone.


Espagne :

Entre avril et mai 2019, trois personnalités politiques et un militant indépendantiste catalan ont été la cible de Pegasus.


Hongrie :

Parmi les plus de 300 numéros ciblés en Hongrie, cinq journalistes et un patron de presse ont été victimes de Pegasus. Zoltán Varga, milliardaire et propriétaire d’un groupe de presse a été infecté début juin 2018 alors qu’il organisait un dîner pour discuter d’un projet de think tank apartisan de recherches d’intérêt public en réaction à la réélection du président Viktor Orbán. Six autres convives également critiques du pouvoir ont été infectés à la suite de cette rencontre. Le ministre des Affaires étrangères hongrois a nié tout recours par l’État au logiciel espion de NSO Group.


Inde :

Durant les élections législatives de 2019, qui coïncide avec la faille WhatsApp de avril-mai 2019, plus d’une vingtaine de journalistes, avocats et activistes ont été ciblés par Pegasus.

À la suite de la faille WhatsApp de avril-mai 2019, au moins une vingtaines de hauts fonctionnaires ont été la cible de Pegasus.

Plus de 40 numéros de journalistes indiens sont apparus dans la liste de Projet Pegasus. L’ensemble des grandes rédactions indiennes ont été visées. Les surveillances ont eu cours de 2017 à juin 2021. Le ministère indien des technologies électroniques et de l’information a nié toute implication de l’État. Néanmoins, le Premier ministre indien, Narendra Modi, a déjà montré par le passé l’importance qu’il porte au contrôle des espaces numériques, notamment à travers les stratégies d’influence à grande échelle des réseaux sociaux mises en place par la cellule informatique de son parti, le Bharatiya Janata Party.


Kazakhstan :

Le projet Pegasus révèle que 2000 numéros de téléphones ont été visés par le virus au Kazakhstan. Au moins deux journalistes et trois activistes de défense des droits humains ont été identifié comme victimes potentielles.


Maroc :

Entre octobre 2017 et juillet 2019, deux défenseurs des droits humains ont été régulièrement la cible de Pegasus.

Entre janvier 2019 et janvier 2020, un journaliste marocain est la cible régulière du virus de NSO Group.

Le Projet Pegasus révèle que 10 000 numéros marocains, algériens et français ont été ciblés. Parmi ceux-là, au moins 38 journalistes et patrons de presses ont été identifiés. En France on retrouve des journalistes du Monde, Le Canard enchaîné, Mediapart, Le Figaro, l’Humanité, TSF Jazz ou encore l’AFP et France Télévisions. Le moment de l’infection des téléphones de certains journalistes, notamment ceux d’Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, Lenaïg Bredoux, journaliste au même média, ou encore Rosa Moussaoui, journaliste à l’Humanité, coïncide avec des prises de position ou des articles critiques du pouvoir de Rabat. En Algérie, plusieurs journalistes ont également été surveillés au début de l’année 2019 (soulèvement du Hirak), notamment le directeur du média web Tout sur l’Algérie.

La présidence marocaine a nié en bloc toute implication dans ces opérations de surveillance.

 


Mexique :

Entre 2011 et 2017, le gouvernement mexicain a passé contrat avec NSO Group
pour un total de plus de 80 millions d’euros pour fournir Pegasus à au moins trois agences de renseignement
.

Entre 2015 et 2016, sept journalistes qui enquêtaient sur la corruption politique et cinq militants des droits humains et anti-corruption sont la cible de Pegasus.

Entre septembre et octobre 2015, deux avocats des familles du massacre de Narvarte (cinq personnes assassinées dont un photojournaliste et un activiste) sont la cible de Pegasus.

En mars 2016, un membre du groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIEI) qui enquêtait sur la disparition des 43 étudiants d’Iguala est la cible de Pegasus.

Entre juin et juillet 2016, trois personnalités politiques du parti d’opposition Action Nationale sont la cible de Pegasus.

En mai 2017, deux jours après l’assassinat du journaliste Javier Valdez Cárdenas, deux de ses collègues puis sa femme sont la cible de Pegasus.

 

Panama :

En juillet 2012, Ricardo Martinelli, président de la république, signe un contrat de 8 millions de dollars avec NSO Group pour obtenir Pegasus. Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui en mai 2017 pour la surveillance de 150 personnes, dont des journalistes et personnalités politiques de l’opposition. Ricardo Martinelli est finalement innocenté par la justice panaméenne en août 2019.


Togo :

Le Projet Pegasus révèle que les téléphones de deux journalistes togolais et d’un activistes ont été ciblés par le virus de NSO Group. En 2020, une enquête conjointe du Guardian et du Monde révélait que des acteurs de la société civile, des opposants politiques et des religieux avaient déjà été visés par des attaques. La présidence n’avait pas souhaité répondre aux questions des journalistes.


Rwanda :

Le projet Pegasus révèle que plus de 3500 téléphones ont été ciblés entre 2016 et 2021. Au moins quatre journaliste et deux défenseurs des droits humains ont été ciblé par Pegasus entre 2017 et 2019.


Monde :

Le Projet Pegasus révèle que des journalistes de l’agence américaine Associated Press, de CNN, du New York Times ou encore de l’agence britannique Reuters ont été ciblés par le virus de NSO Group. Les victimes n’ont pas toujours souhaité être nommer publiquement. Les États responsables des attaques ainsi que les motivations ne sont pas connus.

Citizen Lab a également pu identifier en 2018 la présence d’opérateurs de Pegasus dans 45 pays. Six de ces États ont eu recours à des logiciels espions par le passé. (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Kazakhstan, Maroc et Mexique)

Les chercheurs émettent cependant des réserves sur l’interprétation de ces résultats. Tout d’abord la géolocalisation des serveurs DNS peut être trompé par l’utilisation d’un serveur proxy, d’un réseau privé virtuel ou d’une connexion par satellite. La Chine n’a pas pu être investigué en raison de l’isolement de son réseau Internet.

Carte des 45 pays ou Pegasus opère réalisé par Citizen Lab

Pour l’investisseur londonien, business as usual

Les enjeux économiques considérables pour développer un logiciel pirate de cette envergure nécessite des moyens financiers importants pour concurrencer les sommes offertes par les constructeurs. Derrière NSO Group, plusieurs fonds d’investissement internationaux se sont succédés pour permettre la croissance de la firme israélienne. Le premier, Francisco Partners, gestionnaire d’investissement américain, engage en mars 2014 plus de 120 millions de dollars pour acquérir NSO Group. En février 2019, Novalpina Capital, un fonds de gestion londonien créé deux ans plus tôt, rachète les parts de Francisco Patners pour un milliard de dollars, soit plus de huit fois l’investissement de départ.

“Les seules limites légales sont les embargos internationaux.”


«Il n’existe pas de lois pour réguler les investissements présentant des risques de controverse» reconnaît Hervé Aubert, directeur général adjoint de Swen Capital Partners, fonds d’investissements français. «Les seules limites légales sont les embargos internationaux. Deux vecteurs orientent la décision d’investissement d’un fonds de gestion. En premier lieu, l’image publique et les valeurs internes que l’entreprise véhicule, et ensuite la prise en compte des orientations d’investisseurs institutionnels (mutuelles, assureurs, fonds de pensions) qui souhaiteraient que tels secteurs ne soient pas investis.» Les questions d’éthiques sont pour les investisseurs relégués à de simples politique interne qui peuvent varier selon leurs ambitions et les contextes sociopolitiques. C’est ainsi que certains comme Novalpina Capital se font connaître pour leurs placements dit à risque et n’hésite pas malgré les polémiques à financer des entreprises problématiques comme NSO Group. Deux jours après l’annonce du rachat, Stephen Peel, fondateur de Novalpina Capital, se faisait doucement pousser vers la sortie de l’ONG anti-corruption Global Witness où il était également membre à cause de sa nouvelle acquisition.

NSO s’offre le pantouflage d’anciens diplomates français et américains

Pourtant NSO Group tente de montrer patte blanche devant les ONG de défense des droits humains. Sur son site Internet, la firme israélienne a mis en place un mail spécifique pour les lanceurs d’alertes qui souhaiteraient les avertir d’abus d’États dans l’utilisation de Pegasus. Cité dans les sections «Transparence» et «Droits Humains» NSO Group affirme se référer pour sa politique interne aux principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.

«Les Principes des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme ne sont pas juridiquement obligatoires, mais seulement recommandés» souligne Hervé Ascensio, professeur à l’école de droit de la Sorbonne et spécialiste de droit international.


À gauche : Gérard Araud confirme sa colaboration avec NSO Group au journaliste Olivier Tesquet. À droite : liste des conseillers recrutés par NSO Group sur leur site

Dans l’optique de rassurer l’opinion sur son soutien financier, Novalpina Capital incite  NSO Group à la création d’un comité de conseil pour se conformer à ce texte.

Le 10 septembre 2019, l’annonce du recrutement de l’influent ambassadeur français Gérard Araud comme conseiller principal (mais également de Tom Ridge, ancien secrétaire de la sécurité intérieure des Etats-Unis sous George W. Bush, et de Juliette Kayyem qui se retire finalement en février 2020, ex-secrétaire adjointe aux Affaires intergouvernementales du président Obama au département de la Sécurité intérieure) fait grincer des dents au ministère des Affaires étrangères.

Et pour cause… Trois jours après, le piratage du téléphone de Omar Radi, journaliste marocain, vient une fois de plus ternir les engagements auxquels la firme israélienne prétend se plier.

«Les Principes des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme ne sont pas juridiquement obligatoires, mais seulement recommandés» souligne Hervé Ascensio, professeur à l’école de droit de la Sorbonne et spécialiste de droit international. «De plus, ils ne comportent aucune procédure de contrôle, même pour les entreprises qui s’y réfèrent dans des chartes ou autres engagements éthique. La seule procédure qui pourrait en découler est une simple médiation entre entreprise et particuliers (ou ONG, syndicat) pour violation de ces principes.»


«C’est tout le problème de l’externalisation des services militaires ou de sécurité: la structure de l’entreprise et le lien seulement contractuel mettent de la distance entre ceux qui fournissent les moyens et ceux qui les utilisent. Juridiquement, cela devient très compliqué de rechercher des responsables» conclut Hervé Ascensio.


La responsabilité finale d’atteinte aux droits humains revient par ailleurs aux États et non à NSO Group comme la firme le rappelle en conclusion de sa politique en matière de droits humains. Cela lui permet de se dédouaner de tout abus dans l’utilisation de Pegasus. Non seulement il est difficile de prouver devant un tribunal une complicité de l’entreprise aux actes d’espionnages perpétrés par les États mais les outils juridiques de droit pénal international manquent.

«C’est tout le problème de l’externalisation des services militaires ou de sécurité: la structure de l’entreprise et le lien seulement contractuel mettent de la distance entre ceux qui fournissent les moyens et ceux qui les utilisent. Juridiquement, cela devient très compliqué de rechercher des responsables» conclut Hervé Ascensio.

La justice et NSO Group

À ce jour, la firme israélienne est poursuivie en justice dans deux affaires distinctes.


Proche du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, il avance que la surveillance de leurs conversations par l’État saoudien a un lien avec l’assassinat du journaliste en octobre 2018 dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.


La première, intentée par Omar Abdulaziz dissident saoudien exilé au Canada dont le téléphone a été infecté par Pegasus fin juin 2018. Proche du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, il avance que la surveillance de leurs conversations par l’État saoudien a un lien avec l’assassinat du journaliste en octobre 2018 dans l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul. L’affaire toujours en cours a été retenu en début d’année par les tribunaux israéliens. Abdulaziz a été rejoint par six journalistes et activistes victimes de Pegasus au Mexique et au Qatar. NSO Group a depuis déclaré geler ses futurs contrats avec Riyad.


La plainte accuse NSO Group d’avoir violé des conditions d’utilisation de l’application WhatsApp


La seconde affaire a lieu devant les juges étasuniens. En octobre 2019, NSO Group est attaqué en justice par WhatsApp. La plainte accuse NSO Group d’avoir violé des conditions d’utilisation de l’application qui exigent de ne pas «(a) réaliser de l’ingénierie inverse, modifier, décompiler nos Services, en créer des œuvres dérivées ou en extraire le code ; (b) envoyer, stocker ou transmettre des virus ou tout autre code informatique dangereux par le biais de nos Services ou sur ces derniers.» La faille exploitée par Pegasus permettait à un pirate d’infecter un téléphone par un simple appel vocal WhatsApp, même dans le cas où l’utilisateur ne décrochait pas. 

Contrairement aux précédentes failles exploitées par Pegasus, celle de WhatsApp nécessitait de détourner l’application de son utilisation normal.


Will Cathcart, patron de WhatsApp, déclare que leur enquête interne a permis de déceler 1.400 appareils infectés de cette manière dans différents pays, dont le royaume de Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Mexique.


C’est grâce à une version largement modifiée de l’application qu’il était possible d’infecter le numéro appelé, ce qui permet à la firme de Mark Zuckerberg d’intenter une action juridique contre NSO Group. Will Cathcart, patron de WhatsApp, déclare que leur enquête interne a permis de déceler 1.400 appareils infectés de cette manière dans différents pays, dont le royaume de Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Mexique.

Cette plainte repose cependant sur un différend commercial entre deux entreprises, les questions d’atteintes aux droits humains et des victimes d’espionnage («avocats, journalistes, défenseurs des droits humains, dissidents politiques, politiques et hauts fonctionnaires étrangers») restent secondaires dans l’affaire.

Une législation insuffisante pour encadrer le commerce d’outils de surveillance numérique

En Europe également, ce commerce est loin d’être régulé correctement. Malgré une législation interdisant la vente d’outils de surveillance de ce type aux États ne respectant pas les droits de l’homme ou en embargo, plusieurs récentes affaires, en Italie ou même en France, démontrent que ces sociétés privées sont susceptibles de collaborer avec des États répressifs, les premiers intéressés par ces outils de surveillance.


Pour réguler ce commerce, la législation internationale se limite à des textes non contraignants.


«Les conflits ont changé, ils s’orientent de plus en plus sur du contrôle de population» estime Tony Fortin, chargé d’études à l’Observatoire des armements. «L’arme est de plus en plus électronique et on peut avec ces systèmes numériques échapper plus facilement aux législations. Le matériel militaire a évolué, mais la loi, elle, n’a pas suivi.» 

Pour réguler ce commerce, la législation internationale se limite à des textes non contraignants. Tout d’abord le Traité sur le commerce des armes, mais surtout l’arrangement de Wassenaar qui régule les exportations de matériels à double usage (ensemble des technologies, comme Pegasus, qui peuvent être utilisé à des fins civiles et militaires). Israël, n’a ratifié aucun des deux textes.

Huitième vendeur d’arme mondial, l’État d’Israël est réputé être conciliant avec les États répressifs auxquels les États Unis et l’Europe refuse de vendre des armes.

La décision d’autorisation d’export de matériels à double usage revient en Israël au ministère de la Défense. Mais une certaine opacité demeure sur les critères qui justifie qu’une exportation soit octroyée ou non à un État.


Contrairement aux agences de renseignements étatiques, NSO Group est soumise aux lois fondamentales d’Israël (lois constitutionnelles), mais malgré les nombreux scandales, elle bénéficie dans les faits, d’une certaine indulgence de la part de l’État.


«Sous la pression des ONGs, une transparence limitée a été obtenu sur les montants des contrats d’exportation d’armement, mais cela n’existe absolument pas dans le cadre du matériel à double usage ou de maintien de l’ordre» souligne Tony Fortin. Si les contrats de ventes d’armements conventionnels sont bien répertoriés (voir base de donnée du SIPRI), Pegasus n’apparaît sur aucun d’entres eux.

Le 13 juillet dernier, alors qu’étaient révélées de nouvelles affaires entre l’Espagne et la Catalogne, le tribunal de district de Tel Aviv rejetait la demande d’annulation d’exportation de Pegasus émise par Amnistie Internationale. Contrairement aux agences de renseignements étatiques, NSO Group est soumise aux lois fondamentales d’Israël (lois constitutionnelles), mais malgré les nombreux scandales, elle bénéficie dans les faits, d’une certaine indulgence de la part de l’État.

Le juge estimait que Amnisty International n’avait pas «avancé d’éléments permettant d’affirmer qu’il y aurait eu une tentative d’espionner le téléphone d’un activiste des droits humains [à l’aide de Pegasus]».

Enfin le juge a rappelé que le ministère de la Défense israélienne dispose de «suffisamment de précaution pour prendre en compte la protection des droits humains dans la distribution de licence d’exportation d’armes».

Intimidations et menaces

Entre décembre 2018 et janvier 2019, deux chercheurs du laboratoire de recherche canadien Citizen Lab, sont approchés par des agents sous fausses identités. Dans un hôtel de luxe de Toronto, Abdul Razzak pensait évoquer des questions syriennes, mais la conversation rejoint rapidement le sujet NSO Group et ses enquêtes réalisées sur Pegasus. « Est-ce que vous priez ? Pourquoi écrivez-vous seulement à propos de NSO ? Le faites-vous parce que c’est une entreprise israélienne ? Détestez-vous Israël ? » se fait interroger Abdul Razzak.

Un mois après, c’est au tour de John Scott-Railton de se faire interroger. Le chercheur reconnaît l’approche utilisée contre son collègue et contacte des journalistes d’Associated Press pour l’accompagner discrètement lors de la rencontre. La conversation change rapidement de ton, de la même façon que la précédente. Par la suite, une enquête conjointe entre le New York Times et l’émission d’investigation israélienne Uvda identifie la personne comme Aharon Almog-Assouline, agent de la société israélienne de renseignement privé Black Cube.

Mazen Masri, avocat de Omar Abdulaziz dans le procès qui l’oppose à NSO Group a été également visé par ce type d’intimidation. « Quelqu’un semble avoir intérêt à saboter le procès » déclare-t-il au Times of Israel. Pour l’avocat, ces opérations visaient à obtenir « des informations compromettantes sans lien avec l’affaire, sur les personnes impliquées ». Almog-Assouline a refusé de répondre aux questions des journalistes et Black Cube dément qu’il s’agit d’un de leurs agents. Il est enfin impossible de relier ces actions à NSO Group qui dément être un commanditaire « directe ou indirecte » de l’affaire.

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