Hong Kong. L’Apple Daily, symbole d’une presse à l’agonie

Le quotidien Hongkongais Apple Daily a annoncé jeudi 17 juin 2021 la fin de parution du journal, confirmant un peu plus l’agonie de la liberté d’expression dans la région administrative spéciale chinoise.

  •   Par. Ange Fabre, étudiant en droit et science politique, stagiaire à la rédaction de l’Oeil de la Maison des journalistes. 

Ce journal incarnait l’esprit du mouvement pro-démocratie à Hong Kong et doit la fin de sa parution aux manœuvres de Pékin. Cela confirme la tendance dans la région où le principe “un pays, deux systèmes” sera bientôt un souvenir. Les libertés dont jouissaient les Hongkongais disparaissent les unes après les autres. 

L’emprise de Pékin sur Hong Kong se durcit de jour en jour. Tout d’abord, le 4 juin les autorités chinoises ont interdit la commémoration annuelle des évènements de Tian an Men. Cette première mesure brutale vient renforcer un contexte de répression des aspirations démocratiques. En effet, depuis un an désormais la loi de sécurité nationale, contre laquelle les hongkongais se sont battus l’année passée, est effective. Cette loi a considérablement renforcé les pouvoirs de la police qui, pour tout motif de soutien à Taiwan, au Tibet, au Xinjiang ou à l’indépendance de Hong Kong, peut perquisitionner sans mandat, arrêter, supprimer ou censurer tout contenu en ligne subversif. Depuis le 24 juin, c’est cette fois le principal journal d’opposition au pouvoir exécutif à Hong Kong qui a cessé son activité. L’emprise de Pékin sur l’ancienne colonie britannique se resserre et la liberté de la presse se meurt. 

Le jeudi 17 juin, les policiers effectuaient une intervention au siège du quotidien, confisquant ordinateurs, bloc notes et disques durs et arrêtant cinq cadres du journal. Les autorités de la région administrative spéciale ont également gelé les avoirs du propriétaire de l’Apple Daily, le milliardaire pro-démocratie Jimmy Lai. Ce dernier a été condamné en mai dernier à 14 mois de prison. D’autres procès et probables condamnations l’attendent pour avoir encouragé les manifestations contre la loi de sécurité nationale en 2019 et 2020 ainsi que pour être le propriétaire d’un quotidien de presse très critique envers Pékin.  Cinq cadres de l’Apple Daily ont été arrêtés pour collusion avec des forces étrangères en vue de porter atteinte à la sécurité nationale de la Chine. 

Le propriétaire de l’Apple Daily est aujourd’hui enfermé, il a été condamné en avril dernier à 14 mois de prison pour sa participation aux manifestations de 2019, d’autres procès l’attendent. Le quotidien est également privé de ses fonds par le gel des fonds économiques de son propriétaire Jimmy Lai  et de ses rédacteurs, il était prévisible qu’il cesse toute parution. L’Apple Daily a finalement écrit sur son site internet le 23 juin  : “Apple Daily a décidé que le journal cessera ses activités à partir de minuit et que le 24 juin sera son dernier jour de publication”. Le dernier tirage de l’Apple Daily a connu un record de vente historique, plus d’un million de journaux écoulés, signe que la population de Hong Kong ne reste pas indifférente. Le rédacteur en chef de l’Apple Daily, Fung Wai-Long, a été arrêté le dimanche 27 juin à l’aéroport au nom de la loi de sécurité nationale. Il tentait de quitter le territoire, il est désormais le septième cadre du journal détenu par les autorités.  

Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine, les libertés ne cessent de se réduire comme peau de chagrin sous l’impulsion du Parti Communtse Chinois qui souhaite faire disparaître l’exception politique que constitue Hong Kong en Chine. La liberté de la presse y est particulièrement menacée depuis plusieurs années. En 2002, Hong Kong figurait à la 18ème place au classement annuel de la liberté de presse établi par Reporter Sans Frontières, aujourd’hui la région autonome occupe le 80ème rang, la Chine en est au 177ème sur 180 pays. 

 


En 1997, le Royaume-Uni rétrocède à la République Populaire de Chine le territoire de Hong Kong qu’il administrait jusqu’alors depuis les guerres de l’opium. Au moment de la rétrocession, Deng Xiaoping, alors leader de la République populaire de Chine prévoit que soit établi le principe “un pays, deux systèmes”, à Hong Kong le système capitaliste sera préservé par exception sur le territoire chinois pour les cinquante ans suivant la rétrocession. La ville jouit du statut de « Région administrative spéciale » et a longtemps bénéficié d’un système politique, législatif et économique différent du reste de la Chine. Cependant depuis plusieurs années ces libertés politiques ne cessent de se morceler. A Hong Kong, le chef de l’exécutif, aujourd’hui Carrie Lam, n’est pas élu au suffrage universel mais par un conseil électoral composé de manière favorable à Pékin, les députés au Conseil législatif ne sont que 20% à être élus directement par la population Hongkongaise.  

Depuis la rétrocession de 1997, les droits de la liberté de la presse se réduisent. 

Alors que la presse était libre et florissante à la fin des années 1990, aujourd’hui, le dernier quotidien d’opposition parmi la quarantaine de journaux officiellement disponibles à Hong Kong a mis la clef sous la porte.


 

La chef de l’exécutif à Hong Kong, Carrie Lam a déclaré au sujet des mesures prises contre le quotidien que «Critiquer le gouvernement de Hong Kong n’est pas un problème, mais s’il y a une intention d’organiser des actions incitant à la subversion du gouvernement, alors bien sûr, c’est différent». L’argument est là : selon l’exécutif Hongkongais les critiques proférées par l’Apple Daily à l’encontre du gouvernement chinois sont des “tentatives de subversion du gouvernement”.  Ce terme flou qui peut regrouper n’importe quel acte un tant soit peu critique permet désormais aux autorités hongkongaises de censurer brutalement la liberté de la presse, en s’appuyant sur la loi.

 L’Union Européenne et les Etats-Unis ont critiqué ces mesures, demandant de cesser ces atteintes manifestes à la liberté de la presse et la liberté d’expression. Carrie Lam a tenu à contredire dans la foulée ces accusations,  “N’essayez pas d’accuser les autorités de Hong Kong d’utiliser la loi sur la sécurité nationale comme un outil pour supprimer les médias, ou pour étouffer la liberté d’expression (…) Toutes ces accusations portées par le gouvernement américain, je le crains, sont fausses.” Ces affirmations ne nous disent cependant pas en quoi le droit à la critique exercé par le quotidien impliquait de prendre de telles mesures ni en quoi les accusations occidentales sont fausses. Tout porte à croire que la loi de sécurité nationale est bel et bien un outil de contrôle des médias à Hong Kong, les mesures brutales prises contre l’Apple Daily et son propriétaire en sont une preuve accablante. 

Alors que le mouvement de 2019 à Hong-Kong avait fait naître de l’espoir pour l’avenir de la région face à l’ombre de Pékin, l’horizon semble aujourd’hui bien sombre pour la liberté dans la zone administrative spéciale. La Chine continentale étend son emprise sur l’ancienne concession britannique et les libertés dont jouissaient les habitants de cette dernière s’éteignent à petit feu, devant une communauté internationale apathique. 

 

D’autres articles 

Bangladesh – La liberté d’expression captive du gouvernement

Les journalistes bangladais vivent une période mouvementée. Les atteintes à la liberté de la presse se multiplient. Quels sont alors les leviers utilisés par le gouvernement dirigé par la Première ministre Sheikh Hasina pour museler la presse au Bangladesh ?

Shariful Chowdhury, Shelu Akand, Mostafizur Rahman Suman, la liste d’attaques à l’encontre des journalistes s’amplifie chaque mois. En juin 2020, cinq ONG de défense de la liberté de l’information ont interpellé la Première ministre, Sheikh Hasina à ce sujet.

Fondée en 1994, et membre de la fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), l’organisation Odhikar se charge de protéger les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels bangladais. Elle publie chaque année depuis 2003 un rapport d’activité dans lequel est abordé le thème de la liberté de la presse.

Dans ses deux derniers dossiers, durant la période de janvier à juin, Odhikar a décompté au Bangladesh 39 journalistes blessés au cours de l’exercice de leur métier, 18 agressés, 12 attaqués, 7 menacés, 1 arrêtés et 42 poursuivis en justice. Un total qui atteint déjà 119 actes à l’encontre des journalistes locaux en seulement 6 mois.

Plus généralement, en 2018 et 2019 – depuis l’investiture pour un troisième mandat consécutif de la Première ministre, Sheikh Hasina – 126 et 104 agissements contre les journalistes et médias ont été respectivement recensées par Odhikar.

Les illustrations décrites par la suite représentent et incarnent un aperçu du quotidien vécu par les journalistes exerçant leur métier au Bangladesh.


«La gravité et la recrudescence des violences perpétrées contre des journalistes qui faisaient simplement leur travail atteint un niveau inadmissible»


En termes d’exemple, au cours du scrutin municipal du 1er février 2020 dans les districts nord et sud de Dacca, une dizaine de journalistes qui couvraient l’événement ont été pris d’assaut par des militants de la Ligue Awani (AL) – parti du gouvernement au pouvoir.

Après avoir eu écho d’irrégularités dans le bureau de vote de l’école Nikunja Jan-e-Alam, le correspondant spécial de l’agence Press Bangla (PBA), Zisad Ikbal s’y est rendu pour enquêter. Lorsqu’il tente d’entrer dans le centre pour obtenir des informations, il est attrapé et roué de coups par des militants de l’AL.

Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters Sans Frontières interpelle les autorités locales.

«La gravité et la recrudescence des violences perpétrées contre des journalistes qui faisaient simplement leur travail atteint un niveau inadmissible. Nous appelons l’inspecteur général de la police, Javed Patwary, à tout mettre en œuvre pour que les auteurs de ces attaques systématiques soient traduits en justice. Surtout, compte tenu des liens des assaillants avec le parti au pouvoir, le secrétaire général de la Ligue Awani, Obaidul Quader, doit prendre des mesures immédiates pour exclure de ses rangs les militants qui refusent le rôle d’une presse libre dans le jeu démocratique.»

Cette violence à l’encontre des journalistes s’est ancrée dans leur quotidien. Témoigner, enquêter et investiguer à propos de dirigeants politiques ou de corruption, riment avec menace, agression et risque pour sa propre vie.

Shelu Akand, journalistes pour le quotidien Palli Kantho Protidin, et correspondant du magazine Bangla Bazar Patrika à Jamalpur – nord du Bangladesh – enquêtait au sujet des activités d’Hasanuzzaman Khan, conseiller municipal, et de son fils Rakib, dirigeant local du Bangladesh Chhatra League à Jamalpur – branche étudiante de la ligue Awani.

Il devait également témoigner des brutalités orchestrées par ces deux personnages – notamment le passage à tabac de son confrère Mustafa Monju. Shelu Akand a été de nombreuses fois menacées par la famille Khan. Sans protection, il frôle la mort le 18 décembre 2019 après avoir été tabassé par une dizaine d’individus. Le frère du journaliste a déposé une plainte et Rakib Khan a été arrêté jeudi par la police.

Plus récemment, au 1er avril 2020, un groupe dirigé par l’un des leaders du syndicat Aushkandi Union Parishad Chairman de Nabiganj et de la ligue Awani, Muhibur Rahman Harun, ont attaqué le correspondant du quotidien Pratidiner Sangbad, Shah Sultan Ahmed. Ce dernier avait alors mis en exergue des irrégularités dans la distribution de riz adressée par le gouvernement et destinée aux personnes précaires. Il affirmait que chacun des nécessiteux auraient dû recevoir 10 kg de riz, mais Muhibur Rahman Harun en aurait donné simplement 5 kg.

Un arsenal législatif taillé sur mesure

La répression de la liberté de la presse s’appuie donc sur deux piliers. Outre l’indulgence de l’Etat central et son consentement tacite, les lois en vigueur offrent un contrôle total et légal des médias locaux.

Les condamnations des dissidents du pouvoir se basent sur les lois pénales. Le gouvernement bangladais possède notamment dans son arsenal législatif la «Digital Security Act», loi de 2018 sur la sécurité numérique [DSA].

Cette dernière place en permanence sous pression les journalistes et asphyxie les libertés de la presse et d’expression. Venue remplacer et abroger une majeure partie de la loi sur les informations et les technologies de 2006, en particulier l’article 57 tant décrié, la DSA étend et renforce en réalité la répression.

L’article 21 de cette loi prévoit une peine de 10 ans de prison pour quiconque s’aviserait d’organiser «toute propagande ou campagne contre la cognition de la guerre de libération, le père de la nation, l’hymne national ou le drapeau national.» En cas de récidive, l’individu risque une réclusion à perpétuité.

La cognition de la guerre de libération est définie dans la loi comme: «Les grands idéaux qui ont inspiré notre brave public à se consacrer à la lutte de libération nationale et nos courageux martyrs à déposer leur vie pour la cause de la libération, les idéaux du nationalisme, du socialisme, de la démocratie et laïcité.»

Cette définition large de sens, semble amplifier le champ d’action de cet article afin de permettre au gouvernement d’étouffer les critiques au nom de l’intégrité de la nation.

Une situation semblable pour l’article 25. Certains mots utilisés ne sont pas définis dans la loi et constituent un danger pour la liberté d’expression. Une information à caractère «offensant» pourrait être condamnable, bien que ce terme soit totalement subjectif. «Ternir l’image de la nation» est également utilisé, et pourrait donc permettre de poursuivre quiconque s’aviserait de critiquer le mode de gouvernance du parti au pouvoir.

Une analyse beaucoup plus approfondie est disponible sur le site d’Article 19, une association britannique œuvrant pour la promotion de la liberté d’expression et d’information.

En vertu de ces articles et de cette loi, le caricaturiste Ahmed Kabir Kishore a été arrêté pour avoir «diffusé sur Facebook des rumeurs et de la désinformation sur la situation du coronavirus», et «insulté l’image du père de la nation, l’hymne national ou drapeau national.»

Le caricaturiste avait alors publié une série de caricatures de personnages politiques bangladais intitulée «La vie au temps du corona».

Il mettait en cause des dirigeants du parti au pouvoir et les accusait de corruption dans le secteur de la santé. Il a été arrêté entre le 4 et le 6 mai par des agents du Bataillon d’action rapide (BAR).

«Journalistes, blogueurs et caricaturistes n’ont rien à faire derrière les barreaux pour avoir émis des opinions alternatives sur la façon dont les autorités gèrent la crise du coronavirus», s’indigne Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF.

Comme Ahmed Kabir Kishore en 2019, 42 personnes ont été arrêtées en vertu de cette loi pour avoir publié sous différentes formes des critiques du gouvernement, ou des personnalités éminentes de l’Awani League. Une pratique qui s’est accrue lors de la récente pandémie du Covid-19. Entre janvier et juin 2020, 96 personnes ont été arrêtées.

Il en résulte directement une auto-censure de plus en plus forte au sein des rédactions pour se protéger. D’autant plus que selon l’article 36 de loi de 2018 sur la sécurité numérique.

«Dans le cas d’une société qui commet une infraction à la présente loi, tous ces propriétaires, directeurs généraux, administrateurs, gérant, secrétaire, actionnaire ou tout autre dirigeant ou employé ou représentant de l’entreprise ayant un lien direct avec l’infraction sera considéré comme le contrevenant à moins qu’il ne puisse prouver l’infraction a eu lieu à son insu ou si il a pris toutes les mesures possibles pour arrêter la commission l’infraction.»

«En tant que responsable-éditorial, je me sens triste de devoir abandonner un papier qui a pris plusieurs jours de travail de la part d’un journaliste. Mais je prends cette décision pour l’unique raison de devoir protéger le journaliste car je sais qu’il y a des risques à le publier», avoue Matiur Rahman Chowdhury, responsable-éditorial du quotidien Manab Zamin au journal The Indian Papers en décembre 2018.

Le Bangladesh a pourtant ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. L’article 19-2 de ladite loi affirme que “toute personnes à droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.”  L’ayant signé en 2000, le Bangladesh s’est légalement engagé à respecter ce droit fondamental.

L’article 39 de la constitution du Bangladesh garantit de même les libertés d’expression, de pensée et de conscience.

Une situation d’autant plus contradictoire alors que Sheikh Hasina affirmait le 19 décembre 2018, après la ratification de la loi sur la sécurité numérique: «Le gouvernement croit fermement à la liberté de la presse. Personne ne peut dire qu’on n’a jamais réduit quiconque au silence […] nous n’avons jamais fait ça, et nous ne le ferons toujours pas.»

D’autres articles

Quand les cultures de la Maison des Journalistes dialoguent avec celles du musée du Quai Branly

[Par Elyse NGABIRE]

A l’occasion de la célébration du 10e anniversaire du musée du Quai Branly qui porte désormais le nom de Jacques Chirac, ancien président de la République française, les journalistes résidents et anciens de la MDJ n’ont pas manqué à ce grand rendez-vous. Une expérience à la découverte de l’autre visage de l’ancien homme d’Etat.

Des journalistes de la Maison des Journalistes en visite au Musée du Quai Branly Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Des journalistes de la Maison des Journalistes en visite au Musée du Quai Branly
Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Au 37 Quai Branly, dans le septième arrondissement de Paris, du 21 juin au 9 octobre, le musée du Quai Branly portant désormais le nom de Jacques Chirac, ancien président de la République française,  commémore les dix ans de sa création.

Depuis l’été donc, ses portes restent grandes ouvertes au public et propose une gamme d’événements : expositions, spectacles, conférences, colloques, etc.

C’est en effet dans ce cadre, qu’une équipe d’une dizaine de professionnels exilés des médias composée des résidents et anciens de la Maison des Journalistes (MDJ) en compagnie du personnel du pôle communication ont effectué une visite guidée des lieux.

Ils sont d’origines et de cultures différentes : Syriens, Afghans, Érythréens, Soudanais, Burundais etc. « Ils », ce sont ces journalistes qui ont été accueillis à bras ouverts à la MDJ qui a son siège au 35 rue Cauchy, dans le 15e arrondissement de Paris.

Ils sont du même avis que l’ancien président français : pas de hiérarchie entre les cultures et toutes les civilisations naissent libres et égales. Contents de découvrir ce grand espace culturel et d’apprentissage, ils sont également impressionnés par la petite histoire de sa création, telle qu’elle nous est racontée par l’une des guides du musée : « Tout commence en 1999 lorsqu’un concours de maîtrise d’œuvre aboutit au choix de Jean Nouvel pour la construction du musée qui sera édifié au pied de la tour Eiffel. Le 20 juin, il est inauguré par Jacques Chirac qui fait savoir dans son discours que ce musée doit promouvoir, auprès du public le plus large, un autre regard, plus ouvert et plus respectueux. Et ce, en dissipant les brumes de l’ignorance, de la condescendance ou de l’arrogance qui, dans le passé ont été souvent présentes et ont nourri la méfiance, le mépris et le rejet. »

La façade du Musée du Quai Branly Crédits photo : Lisa Viola Rossi

La façade du Musée du Quai Branly
Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Sur cette petite histoire commence alors une grande découverte

Surprises et étonnements s’invitent déjà dès l’entrée de ce grand musée, serti dans un écrin paysage conçu par Gilles Clément et occupant 27 700 mètres carrés en plus des 17 500 mètres carrés réservés au jardin.

Des murs végétaux, imaginations de Patrick Blanc, composés de 15 000 plantes et 150 espèces retiennent notre attention, avant de se diriger vers la Mezzanine Est et Ouest.

Le génie des civilisations africaines, asiatiques, d’Océanie et d’Amérique fascine l’équipe des professionnels des médias et leurs accompagnateurs, soit 300000 œuvres parmi lesquelles 11 000 de la collection « Mondialisation historique et contemporaine ». A travers des photographies, 710 000 collectionnées apprend-on, disposées de part et d’autre du musée, certains journalistes se retrouvent dans leurs différentes civilisations. C’est le cas notamment d’un journaliste burundais qui, en parcourant l’espace réservé à l’Afrique australe, découvre les habits traditionnels, des bijoux, etc. portés par le peuple kenyan, tanzanien, etc. Pourtant, son plus grand regret aura été l’absence du tambour du Burundi alors que c’est un outil culturel très connu. Pendant les années 80, une équipe de tambourinaires burundais ont séjourné à Paris à l’occasion d’une exposition sur la culture africaine.

Le génie des civilisations africaines, asiatiques, d’Océanie et d’Amérique fascine les journalistes Crédits photos : Lisa Viola Rossi

Le génie des civilisations africaines, asiatiques, d’Océanie et d’Amérique fascine les journalistes
Crédits photo : Lisa Viola Rossi

Devant chaque œuvre et chaque photographie, indique une journaliste d’origine « ouzbekistanaise », elle a envie de s’arrêter et de dialoguer avec cette autre civilisation qu’elle n’a jamais rencontré.

« Plus qu’un lieu de visite, le musée Quai Branly-Jacques Chirac doit être perçu comme  un lieu de dialogue et d’apprentissage, un lieu adapté à chacun, que l’on construit et qui nous construit » précise Stéphane Martin, président du musée.

Au cours de cette visite guidée, nous retiendrons enfin ce corridor communément appelé « Rivière » qui donne pour certains des vertiges. La « Rivière » est en effet, une invitation au voyage dans le temps et dans l’espace. Elle conduit à ces lieux remarquables, faisant découvrir toute une série d’installations affleurant tout au long de la rivière, vertigineuses pour certains. La « Rivière » sollicite le sens et l’esprit. On est perdu dans le regard, on a tendance à s’arrêter pour toucher, déchiffrer ou écouter. Et puis, on se perd encore dans ce dialogue de cultures et de civilisations… dont le président Jacques Chirac est fou amoureux… et dont le musée porte désormais son nom, un signe d’un grand honneur…

Ce n’est pas fini

Pour ceux qui veulent toujours y aller, des expositions vous y attendent.

Jusqu’au 9 octobre 2016 : – Jacques Chirac ou dialogue des cultures

– Homme blanc, Homme noir : les représentations de l’Occident dans l’art africain du 20ème siècle

Du 4 octobre au 15 janvier 2017 : The color line, les artistes africains-américains et la ségrégation

Du 22 novembre au 29 janvier 2017 : Plumes, Vision de l’Amérique

Du 22 novembre au 2 avril 2017 : Eclectique, Une collection du 21ème siècle

Du 22 novembre au 2 avril 2017 : Du Jourdain au Congo, Art et Christianisme en Afrique centrale

Du 31 janvier 2017 au 19 novembre 2017 : L’Afrique des routes

Du 28 mars 2017 au 23 juillet 2017 : Picasso Primitif

Du 23 mai 2017 au 8 octobre 2017 : La pierre magique des Maoris

A l’UNESCO, les autochtones face au climat

[Par Mourad HAMMAMI]

Ils sont venus des quatre coins du monde : des Philippines, des Îles Fidji, du Népal, du Tibet, de l’Ouganda et de bien d’autres lieux éloignés de la planète pour se retrouver au siège de l’Unesco à Paris autour d’une conférence qui a pour thème ” Temps d’incertitude et résilience: Les peuples autochtones face aux changements climatiques”.

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©Mourad HAMMAMI

 

Le célèbre réalisateur Nicolas Hulot a aussi participé à cette conférence. Dans sa prise de parole, ce dernier a insisté sur la priorité à agir pour sauver la planète de changements climatiques inquiétants, particulièrement pour les populations autochtones isolées et impuissantes.

Cette conférence a été inaugurée par Flavia Schlegel, sous-directrice générale pour le secteur des sciences naturelle à l’UNESCO, par Ségolène Royal, ministre française de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, par Cacique Raoni Metuktire, l’un des grands chefs du peuple Kayapo – qui vit dans une réserve protégée de l’un des Etats amazoniens de la partie occidentale du Brésil, appelé Mato Groso – et par Victoria Tauli-Corpuz, rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits des peuples autochtones.

La deuxième conférence, sous forme de table ronde, a été animée par le Français Nicolas Hulot, envoyé spécial pour la protection de la planète, par Hindou Oumarou, femme autochtone de la communauté pastorale Mbororo du Tchad, coordinatrice de l’Association des Femmes des Peuples Autochtones du Tchad (AFPAT), et par Diego Pacheco, vice-ministre bolivien de la planification  et de la coordination au Ministère de la planification et du développement.

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©Mourad HAMMAMI

 

« En France, le slogan est «Egalité et fraternité », à présent il est temps de lancer ce slogan qui aura pour appellation : Développement et diversité » a déclaré Nicolas Hulot.

Plusieurs exposés ont été assurés par les intervenants, tous faisant un constat sous forme de réquisitoire exposant la lutte pour la survie auxquels font face ces peuples autochtones face aux changements climatiques.

« Aidez-nous à survivre ! Lance un intervenant des îles Fidji. Aidez nous à continuer à naviguer dans nos canoës sans utiliser des moyens de consommation basés sur des combustibles fossiles ».

A un autre des Iles Philippines de lancer « Il faut que la voix des peuples autochtones soit prise en compte à l’avenir. Toute loi que l’on passera doit protéger les populations autochtones et protéger aussi notre diversité culturelle, ainsi que notre diversité alimentaire ».

A une représentante du Népal de finalement rajouter « Nous ne sommes pas responsables de cette situation, les responsables sont les sociétés de consommation, avec leurs multinationales qui menacent notre existence ».

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©Mourad HAMMAMI

 

COP21: les exigences de l’Afrique

[Par Jean-Jules LEMA LANDU]

Le «  drame climatique  » a finalement eu raison de l’esprit mercantile. Pays industrialisés aussi bien que ceux en développement ont accepté, après plusieurs sommets infructueux, la rencontre de Paris (COP21) comme clef de voûte. Il était impératif de peaufiner un dernier protocole, contraignant, acceptable par tous et propre à conjurer le mal. Moins sévère à l’égard de l’Afrique. 

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La COP21, Paris 2015 (source: journaluniversitaire.com)

 

Le mal, c’est la pollution de l’atmosphère, par les émissions de gaz à effet de serre, principalement du dioxyde de carbone (CO2). Avec pour conséquence le « réchauffement climatique », source de perturbations dangereuses du système climatique : cyclones, inondations, sécheresses, vagues de chaleur, etc. Or, jusqu’il y a peu, la pollution de l’atmosphère, à grande échelle, restait le fait des pays industrialisés, situés tous au Nord, auxquels il faut ajouter, aujourd’hui, la Chine.

Selon les statistiques, à eux seuls les Etats-Unis et la Chine représentent 40 % des émissions du CO2, suivis par l’Union européenne qui affiche 11 %. L’autre moitié est à attribuer au reste du monde dans laquelle le continent africain serait classé en ordre utile. Faute de statistiques précises, en Afrique, le laboratoire d’aérologie du CNRS de Toulouse « évalue » ce taux entre 5 % et 20 %, soulignant que ce ratio serait le fait de l’« émission anthropique », c’est-à-dire provenant des activités d’origine humaine.

Quoi qu’il en soit, comment impliquer avec équité ce continent pauvre dans une telle problématique, où le maître mot a été et sera, à Paris : « restriction » ? Quand on sait que le fonctionnement des industries, globalement, est encore tributaire de l’énergie sur la base du charbon, l’agent polluant par excellence. A ce titre, l’Afrique du Sud et la Chine, les deux géants africain et oriental, constituent un bon exemple, car l’une dépend de cette énergie à 90 % et l’autre à 70 %.

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Les gaz polluants des usines (source: maxisciences.com)

 

Dès le protocole de Kyoto, au Japon, en 1990, qui est l’amorce de la recherche de solutions pour éviter l’asphyxie de la terre, les pays africains ont exprimé cette préoccupation. Elle se traduit en termes de transferts financiers et technologiques, qualifiés de « fonds vert », qui leur permettront de traverser « en douceur » la transition énergétique. Jusqu’à la phase de la prospérité des énergies renouvelables. Avis largement partagé par l’ensemble des pays du Sud, y compris les économies émergentes.

Telle est donc l’exigence de ce bloc, en contrepartie de son engagement à réduire ses émissions du CO2.

La réponse des pays riches a été enregistrée au sommet de Copenhague, en 2010. Ils ont proposé un paquet de 100 milliards d’euros, par an, dès 2012, sur huit ans jusqu’en 2020. Le principe a-t-il été accepté par les Sudistes ? La réponse y étant un brin à la normande, laisse percevoir que ce litige n’est pas encore soldé.

C’est une des questions fondamentales auxquelles la COP21 de Paris devra apporter des réponses. D’autant que les pays pauvres, au sommet climatique de Durban, en Afrique du Sud, en 2011, ont lié le « problème du climat à la lutte contre la pauvreté ».

 

Roman Khandoker, sans papiers depuis 5 ans : « Ma vie suspendue»

[ Propos recueillis par Lisa Viola ROSSI]

Roman Khandoker

Un sourire ensoleillé, trahi par un flux continu de mots vibrants, mélange de souffrance et d’espoir. Roman Khandoker, 35 ans, est un photojournaliste bangladais en exil à Paris. Diplômé en sécurité sociale à l’Ecole Kushtia Zilla, dans sa petite ville, Kushtia, dans l’ouest du pays, il a continué ses études en choisissant de se spécialiser en photojournalisme. Depuis 2001, sa passion pour le reportage social l’a amené à travailler dans différents médias.

« La situation sociale et politique était très difficile, tout comme elle l’est encore aujourd’hui. Corruption, terrorisme et islamisme – cite le journaliste – sont parmi les problèmes les plus graves dans mon pays. A cette époque, je faisais des activités sociales de sensibilisation des femmes au contrôle des naissances, étant donné le problème des familles nombreuses et de la surpopulation bangladaise. Mais il faut savoir que le terrorisme touche chaque sphère de la vie tant publique que privée au Bangladesh. Il est étroitement lié à l’intégrisme religieux, en empêchant les femmes de vivre leur vie librement: sortir seules de la maison ainsi que travailler, sont des activités « interdites » aux femmes. Cela signifie une chose : notre pays a le potentiel pour devenir un pays riche, mais il ne peut se développer à cause des interdictions imposées par les islamistes ».

Mais cela n’était pas la seule activité dans laquelle Roman était engagé. Avec deux amis journalistes, en tant que photographe, il s’est occupé de plusieurs sujets sociaux. « Il faut clarifier une question : au Bangladesh il y a deux types de journalistes. D’un côté, il y a le journaliste très corrompu et d’un autre côté il y a le journaliste libre. La différence entre les deux est bien évidente : le premier est très riche, le deuxième n’a rien. Dans le passé, le journalisme était une mission entreprise par des personnes intègres et respectueuses de la loi ; aujourd’hui le journalisme au Bangladesh est vu malheureusement comme un moyen de devenir riche rapidement. »

Parmi les sujets dont Roman s’est occupé, la drogue. « J’ai voulu faire face à la question de l’immense trafic de drogue de l’Afghanistan, de l’Inde, du Pakistan. La drogue est toute à fait disponible partout et accessible aux adolescents les plus jeunes, même de 12-13 ans. Je me suis donc impliqué dans l’activité de sensibilisation aux dangers de la drogue dans la Caritas jusqu’au jour où la police est venue me chercher. J’ai été arrêté et détenu pendant seize jours, puis j’ai obtenu, grâce aux efforts de mes parents, une autorisation d’absence temporaire pour en sortir. Aujourd’hui, je ne connais pas la raison de mon arrestation. Cinq jours après ma sortie, j’ai reçu la notification de ma condamnation à cinq ans de prison. »

Roman se souvient que c’était une période très difficile pas seulement pour lui, mais aussi pour sa famille : il vivait avec son père, sa mère, son frère et sa sœur. Ils avaient donc convenu de quitter tous ensemble le département où il avait grandi, pour déménager à Dacca, la capitale.

Crédit photo : Roman Khandoker

Crédit photo : Roman Khandoker

« A cette période, en 2004, il faut rappeler que le terrorisme d’Etat était en train de se répandre partout : on l’appelle Rab, c’est-à-dire Rapid Action Battalion. Amnesty International a écrit plusieurs choses sur les homicides commis par le RAB. On parle de milliers quille, à Dacca. « J’avais trouvé un travail dans le domaine de l’électronique, dans le secteur agricole. En même temps, je ne pouvais que continuer mes activités de photojournaliste… » Des activités qui ont contraint le père de Roman à lui poser une question fatidique. « Il m’a demandé de partir, si possible, car ma famille continuait à avoir des soucis à cause de mon engagement. Mais moi, je ne savais pas comment partir. C’est comme ça qu’un jour mon père m’a donné environ 2 mille dollars pour le voyage. J’ai dû partir : j’ai quitté mon pays et en 2009, je suis arrivé en France. ».

« La photographie, un langage universel : ma passion ». Aujourd’hui Roman continue à publier ses photos, parfois dans des journaux français, ainsi que dans des magazines étrangers. Mais ce n’est pas un travail, c’est juste du bénévolat : en fait il n’a pas encore ses papiers.

« Beaucoup de personnes m’ont dit : « Ce n’est pas possible, il faut que tu abandonnes l’idée de faire ce métier »… En me citant une raison ou une autre. Je le sais bien, c’est difficile : mais c’est ma passion. »

« La photographie – affirme Roman – est un langage universel, que je considère fondamental dans le journalisme. C’est ça que je veux continuer à faire ».

Donc pour le moment il n’a pas de vrai travail. Autrement dit, il donne un coup de main dans un restaurant d’amis, car il ne veut pas demander les aides de l’Etat.

Crédit photo : Roman Khandoker

Crédit photo : Roman Khandoker

« La langue française est très difficile, j’ai beaucoup d’amis, mais je me sens quand même très seul et je voudrais rentrer au Bangladesh, si le gouvernement changeait. De toute façon, je ne perds pas l’espoir de trouver un travail ici en tant que photojournaliste ».

Mais pour l’instant le problème ce n’est rien moins que son cv : « J’ai des expériences professionnelles importantes, parce que j’ai collaboré avec des magazines comme le National Geographic etc., ainsi que dans la réalisation de vidéo-documentaires, mais… Je ne peux pas proposer mon cv auprès des rédactions. C’est en raison du fait que depuis mon arrivée en France, il y a 5 ans, je n’ai pas reçu mes papiers. Comment ça marche dans les différents processus auprès la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile ? Je ne le sais pas : certains ont la chance d’avoir une réponse très rapidement, lorsque d’autres demandeurs d’asile comme moi doivent attendre des années. Je ne sais pas quoi penser. Chaque fois que je reçois une lettre, je suis très inquiet, c’est terrible… Néanmoins j’ai le support de mes amis journalistes, ainsi que celui de la Maison des journalistes. »

Ce que Roman demande, c’est juste de lui donner une chance de montrer ses compétences. « Je suis en train de vivre une partie de ma vie très dure. C’est comme si j’étais bloqué, comme si ma vie était suspendue. Ma situation me rend très triste, maintenant, après cinq ans, sans ma carrière et loin de ma famille. Donc je n’ai pas de plans pour le futur, je ne peux pas les avoir : bien sûr, j’espère arriver à organiser d’autres expositions, avec quelque clichés de mes reportages, mais j’arrive juste à vivre le présent. Heureusement je suis aidé par des amis qui ont un restaurant de cuisine française traditionnelle …Je me dis parfois que, peut être, je vais devenir un photographe culinaire… »

 

Crédit photo : Roman Khandoker

L’armée chinoise: Serval et le toit du monde

[Par Larbi GRAÏNE]

 

« Où en est la puissance militaire chinoise ? », c’est à cette question inscrite au fronton d’une table-ronde organisée à l’Ecole militaire de Paris le mercredi 19 mars, par l’Association nationale des Auditeurs jeunes de l’IHEDEN, à laquelle a tenté de répondre un panel de spécialistes. Tout d’abord on avait posé sur la table ce chiffre impressionnant, celui du budget de la défense de la Chine : 131 milliards de dollars en 2014, soit une hausse de près de 12 % par rapport à 2013. Ensuite sur le plan numérique, l’armée chinoise est la plus grande du monde. La Chine, à l’occasion de cette table-ronde, a été finement auscultée comme l’aurait été un athlète sur le point d’affronter une redoutable compétition internationale. Les « médecins » se sont penchés sur la part du mental et du physique dans la performance du soldat Mao. Tout le corps a été interrogé, de même donc que la psyché (en remontant l’histoire du pays). Dans un élan prospectif, les différents intervenants, chacun dans son domaine de compétence, ont cerné l’individualité du grand malabar, afin de nous dire de quoi il serait capable dans un proche avenir.

 

L'armée chinoise

L’armée chinoise

 

Des conflits régionaux

Denis Lambert, auteur de Géopolitique de la Chine, dans une communication intitulée « Le cadre des ambitions chinoises qui orientent et dimensionnent les transformations », a mis l’accent sur les dissensions internes à l’Empire du Milieu, et sur les conflits qu’il a eu à affronter avec ses voisins. Au niveau interne, il relève que « le Turkestan oriental qui forme le un seizième du territoire avec 1 660 000 km2 se soulève d’une manière récurrente contre le pouvoir central. Il est habité principalement par des Mongols Dzougars convertis à l’islam ». Et d’ajouter « le second grand territoire (1 220 000 km2) qu’administre la Chine est le Tibet (Xizang). Il a le statut d’une région autonome. Pékin l’avait conquis par la force au début des années 50 ». Abordant le niveau externe, Lambert rappelle que la Chine a eu des guerres récurrentes avec la Corée, qu’elle a toujours voulu conquérir. « A l’Inde, a-t-il ajouté, elle a fait une guerre « déclenchée par l’inconscience de Nehru ». « C’est un conflit gelé qui n’est pas guéri, et la frontière entre les deux pays reste « chaude » analyse-t-il. Et d’ajouter « avec les Russes, la Chine est victime de traités inégaux, le tracé des frontières au long du fleuve de l’Amour a été toujours contesté ». Contre les Khmers rouges du Cambodge, la Chine a mené aussi une expédition punitive. D’après Lambert la Chine ne connaitra pas à l’avenir un essor comparable à celui qu’elle a connu ces dernières années car, selon lui, sa population est appelée à vieillir. Il prédit des tensions sur l’eau, notamment sur le toit du monde, à l’Himalaya qui concentre d’énormes ressources hydriques. « Le budget de la Défense de la chine inquiète beaucoup ses voisins. Ils se posent des questions sur cette posture agressive. Pourtant les Chinois se disent toujours pacifiques. Par le passé, ils ont eu Sun Zi qui prône la philosophie du développement harmonieux, et les anciens chinois n’ont pas manifesté beaucoup d’intérêt pour la carrière militaire» a-t-il souligné.

 

La Chine 6e pays exportateur d’armement

Pour sa part Patrick Michon, Ingénieur civil spécialiste des questions industrielles de Défense, retraçant « L’histoire du développement de la BITD (base industrielle et technologique de défense) chinoise » a souligné l’importance des inventions chinoises comme les frégates « qu’on a vues patrouiller dans le golfe d’Aden ». Il a toutefois noté que « la montée en puissance de la marine chinoise fait face aux difficultés budgétaires » non sans prédire que les Chinois « auront en 2025 certainement de petits problèmes avec les Indiens » affirmant que ce qui l’incitait à le penser, c’est le fait que « la marine indienne ait fait jusqu’à 2009 des appels d’offres ». « Là où il y a un Indien, il y a un Chinois qui suit » soutient-il, relevant au passage que « la chine commence à embêter l’Inde avec son « collier de perles » au niveau de la frontière ». Et de faire observer la générosité des Chinois, lesquels offrent des chars et des postes radios à certains voisins comme la Birmanie. Michon relève également « l’existence de réserves de gaz prodigieuses au Bengale ». Et d’affirmer « l’industrie chinoise reste comme toute chose un univers bien mal connue. Selon lui « officiellement 1, 75 du PIB sont consacrés à la Défense. Mais la Chine serait désormais le 6° exportateur d’armement quoique ses clients sont principalement des pays asiatiques comme la Thaïlande, le Pakistan, l’Iran, l’Irak du temps de Saddam Hussein et la Birmanie ». Pour Patrick Michon, depuis vingt ans la Chine veut montrer ses muscles ».

 

Jamais de guerre en Occident

De son côté, Pierre Picquart, Docteur en géopolitique et en géographie humaine a, dans sa communication « La Chine, un acteur militaire qui pèse sur les équilibres mondiaux » noté que « la Chine est la première puissance commerciale depuis 2012 ». D’après lui « ce pays a connu depuis les vingt dernières années une forte croissance, c’est une puissance à la fois développée et en voie de développement ». Et d’ajouter « « la Chine est contributrice à la mission des Casques bleus de l’Onu, elle s’y implique très sérieusement. Mais d’un autre côté on voit le nationalisme monter en Chine ainsi qu’au Japon, et cela suscite des inquiétudes en Europe. Les Américains accusent Pékin de consacrer beaucoup d’argent à la Défense, or c’est ce qu’ils font eux-mêmes en multipliant la mise ». Et de soutenir que « la Chine veut doubler le canal du Panama, ce qui veut dire qu’elle est en train de damer le pion à l’Oncle Sam ». « La Chine connait ses intérêts, elle a réagit face aux menaces d’intervention qui pesaient sur l’Iran en disant que « si vous touchez à ce pays, vous déclencherez la 3° guerre mondiale » a-t-il martelé. Et de rappeler que « la Chine, n’a tout de même jamais mené de guerres en Occident, ni fait partie d’alliances militaires. Sa diplomatie hyperactive est multilatérale et s’adresse à tous les pays de la planète ».

 

L’opérationnalité, talon d’Achille de l’APL

La dernière intervention celle d’Emmanuel Puig, Senior researcher à Asia centre, Directeur de l’Observatoire stratégique de la Chine a été axée sur l’Armée populaire de libération (APL). Dans sa communication intitulée « Perspectives stratégiques sur les nouvelles missions historiques de l’APL », Emmanuel Puig a retracé les différentes phases qu’a traversées l’armée chinoise pour parvenir à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Après les guerres d’attrition essentiellement terrestres des années 70, ont suivi les conflits locaux sous conditions modernes dans les années 80. Selon Puig « la guerre du Golfe en 1991 a eu un impact sur les Chinois, ils ont pris conscience de leur fragilité et ils ont compris que la guerre ne pouvait être gagnée que par un équipement moderne ». C’est pourquoi a-t-il expliqué « à partir de 1992, les Chinois entreprennent une campagne de modernisation de leur armée. L’attaque de l’ambassade chinoise à Belgrade en 1999 renforce leur conviction quant à la nécessité de sécuriser davantage leur site notamment à l’étranger ». Selon lui « l’APL a rattrapé une décennie de retard en procédant à l’informatisation de son équipement, au développement de ses télécommunications et de son aéronautique. Les Chinois s’inspirent des modèles russes pour fabriquer leurs propres avions comme le J-15 ou le Z –Hi -10 ». Et d’ajouter « une nouvelle hiérarchisation des priorités est apparue au sein de l’APL pour qui le conflit avec Taïwan n’est plus une priorité militaire mais une priorité politique ».
Mais « l’armée souffre d’une série de faiblesses structurelles importantes, il y a une relation évolutive entre l’armée et le Parti, peut-être que cela cause une aversion pour le risque » analyse Puig. Pour lui « les commissaires politiques contrôlent l’APL qui ne manœuvre qu’avec les Russes même si elle a progressé dans la cyberespace en une décennie». «La dernière expérience opérationnelle des Chinois remonte à 1979 » a-t-il indiqué. Et de révéler « les experts chinois pourtant se sont montrés très intéressés par l’opération Serval, ce mot revient sans cesse sur leurs lèvres. Ils sont en train de disséquer comment on l’a fait (Serval, NDLR) ». La Chine serait-elle tentée par une aventure hors de sa région ? Pour Emmanuel Puig, au regard de ce qui a été dit, cela doit « inciter à la prudence la plus extrême ». Et de conclure «nous voulons comprendre les Chinois pour pouvoir en discuter avec eux ».